lundi 1 décembre 2014

Sorbonne by night 4

L’aube me vit me réveiller salement amoché. Certes ma race n’a pas les mêmes besoins que les humains, mais nous sommes soumis quand même à quelques petits problèmes d’ordre physique, ne serait-ce que pour éviter de simples erreurs.
Même rasé de frais et après avoir avalé un bon thé, vert, fort et corsé, j’appréhendais cette journée qui allait arriver, du genre avec le mauvais pressentiment qu’on pouvait avoir en se levant du pied gauche.

L’enquête piétinait et on avait enfin permis les assureurs, dont moi, à venir faire un tour sur la scène du méfait. Du moins c’est ce qu’indiquait un de ces textos qui m’était parvenu cette nuit.
L’humanité avançait à un rythme fou, déjà que j’avais eu du mal avec le téléphone, passer au sans-fil puis au SMS avait relevé d’un grand défi. Lot commun pour les vieux semblait-il. Mais au moins, je savais m’en servir relativement bien. Somme toute, cela ne différait pas vraiment d’un télégramme.

J’ajustais donc ma tenue pour ressembler à ce que je devais être. Abandonnant le gris, je choisissais plutôt une veste noire et un pantalon de la même couleur, chemise blanche et cravate légèrement colorée. Pour les chaussures je remisais mes italiennes pour quelque chose de plus passe partout. Classique, mais pas non plus excessivement riche, je n’étais aujourd’hui qu’un simple employé de bureau.

Je remisai la pochette noire pour une plus terne encore, simple feuille de papier coloré dans laquelle je fourrais l’ensemble de la documentation transmise par le service postal d’En-Bas. Un dernier regard dans le miroir, remis en place mes cheveux folasses d’un geste de main habituel et posait enfin mes lunettes à cercles d’argents sur mes yeux bleus gris. Je pouvais partir.

Arriver devant le Musée du Moyen-Âge, il ne fut pas difficile de passer. Le cordon policier se résumait à un seul planton qui semblait autant en manque de sommeil que moi et ne devait rêver que d’un bon café. Déjà quelques touristes faisaient la queue, on avait rouvert les salles d’exposition permanente. Entrer ne me fut donc pas difficile, surtout avec les papiers que j’avais.

Je grimpais les étages sans vraiment regarder les pièces, toutes uniques, qui comprenaient tout ce que l’art de l’occident médiéval avait fait de mieux. C’est-à-dire des artefacts dorés et pleins de bijoux à la gloire d’un Dieu vieux et suranné qui n’écoutait plus vraiment ses fidèles depuis la mort de son fils sur la croix. Pour faire court, j’avais devant moi tout ce que j’exécrais et haïssais de mon ancien boulot, le luxe tapageur de l’Eglise et de certains petits Anges de ma connaissance qui ne cherchaient que le profit pour capter encore plus d’âmes et grimper dans les limbes de la hiérarchie céleste.

Devant la salle, je respirais un grand coup. Ma mauvaise humeur pouvait me faire manquer quelque chose, et puis on ne savait jamais, les Archanges avaient beaucoup misé sur la Police française.

D’autres assureurs étaient déjà à pieds d’œuvres, appareils photos et calculatrices en main, supervisés par un membre du comité directeur de l’établissement. Je furetais de-ci de-là, cherchant d’un œil distrait les caméras et les traces d’effractions. Rien de bien probant à vrai dire, même si la scène avait du être filmée. On y viendrait plus tard. Au hasard de mes détours, je me retrouvais non loin de deux flics. On ne pouvait pas les rater. Elle, petite, légèrement boulotte, un nez mutin, des cheveux blonds peroxydés, nez mutin, yeux bleus. Cuir noir et jean délavé accompagnait bien cette allure de garce perdue dans un monde de mec, féminine juste ce qu’il fallait pour troubler les malfrats, et certainement très intelligente. Pas comme son ami. Un gars grand et baraqué, le genre de type qu’on aurait pu prendre pour un mafieux ou un ex-soldat. Cheveux courts, veste de costume pas cher et pantalon identique, dans les tons de bleus. Au niveau du cœur, une petite croix dans un cercle, Opus Dei. La fille, elle, par-dessus sa chemise type trappeur échancrée sur de petits seins, portait une croix en argent retenue par une chaîne aux grains de chapelet. Un léger mouvement de ma main, une aura à peine bleutée autour de leurs corps et j’avais la confirmation que ces deux flics aux badges orange fluo marqué OPJ appartenaient au bas service d’En Haut. Et le fait qu’ils me regardaient droit dans les yeux tandis que je vaquais innocemment à ma prétendue inspection ne me disait rien qui valait.

Je retournais à mes livres, faisant comme si de rien n’était. Je passais au-dessus des bouquins, posant ma main sur les vitres, aucune aura désagréable ou sensations mauvaise. Le Malin, s’il avait offert ces ouvrages, n’avait rien mis de particulier dessus. Je passais donc au cœur de la collection, trois lutrins alignés. Les Neufs Portes était un faux, l’affaire Corso, quelques années auparavant, avait défrayé les chroniques Angéliques. Le second, un Marteau des Sorcières portait un petit sigle sur le côté qui indiquait bien sa provenance. Là une légère trace de souffre, odeur rémanente qui s’exhala, me valant au passage un méchant regard d’une jeune femme en tailleur stricte qui aurait mérité de délier ses magnifiques cheveux blonds vénitiens,  quand je passais un doigt précis dessus, m’indiqua que le Diable avait eu affaire à cet ouvrage. Le troisième, lui, le plus intéressant, celui au cœur de l’exposition, le Codex Daemonicus en personne, aurait dû par contre sentir la même odeur. Mais rien, malgré le fait que j’ai poussé légèrement mes pouvoirs divins. Rien de rien. Nada. Du velin aussi mort et rigide que la bête sur laquelle il avait été pris. C’était un livre magnifique, cuir de première qualité, publié en 1516 sur les meilleures presses alchimistes d’Europe, c’est-à-dire à Prague. Son contact au toucher me rappelait bien des souvenirs que le papier de cellulose ne pouvait pas procurer, douceur du parchemin et de la peau traitée et retraitée jusqu’à en devenir blanche, odeur d’encre de toutes les couleurs qui persistaient encore, légère, trace diffuse d’un parfum que les humains de nos jours avaient totalement perdu dans leurs volonté d’asepsie, la perfection des dessins et gravures, enluminures précieuses entièrement colorisées main, ajoutait à la perfection de cette œuvre que le Diable en personne avait inspiré. Je le savais parce que j’avais eu en main, en un temps bien révolu, des feuillets antérieurs de cet ouvrage perdus dans la Vaticane. On m’avait demandé une expertise en tant que démonologue et mon impression avait permis la mise à l’Index de ce terrible ouvrage, tandis que je m’étais roussi presque tous les poils du corps tandis qu’un FeuInfernal avait jailli pour essayer de me tuer. Le drame du Borgo en avait été la résultante.


Et là, sur celui-là, donné en main propre par le Diable, il me l’avait certifié dans un de ses papiers, niet. Aucune trace de passe magique. Je pris l’ouvrage en main, après avoir saisi des gants de soie blanche. Aucune traces dessus, pas de résidu magique ou même de signe cabalistique typique de mon cher ami du Monde d’en dessous. Je feuilletais rapidement les pages, comme si je cherchais à voir que rien n’avait été détérioré dedans. Et je compris enfin que tout cela n’était qu’une supercherie. Le grammage, les odeurs, la caresse même était presque parfaits. Presque. Quelque chose manquait que les vieux feuillets que j’avais eu en main avaient, un détail minuscule que seule une personne qui avait eu en main le bouquin à un moment donné pouvait savoir. Ce n’était pas SDL comme les gravures de cet ouvrage l’indiquaient, Satanas Diabolicus Luciferiae qui avait pondu ce Codex, mais LL. Lilith. La femme de Satan. Le casse du Musée n’avait pas pour but de voler quelque chose de précieux, mais plutôt le remplacer par une copie parfaite, en dehors d’un point…

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