Le soleil tombait lentement sur la mer Méditerranée. C'était ce genre d'après-midi superbes où tout allait pour le mieux. C'était le genre de journée où le soleil, le ciel et la mer offraient leurs plus belles peintures, que jamais les gens de l'Atlantique ou de la Mer du Nord ne verraient jamais. C’était
un de ces jours de printemps où le mistral venait de chasser un orage,
paresseux nuage noir qui s’étalait encore vers le fond de la baie de Marseille,
là où on pourrait croire voire l’Afrique ou la Corse, c’est tout comme. Le vent
était tombé, mais caressait encore les robes des filles qui dansaient au
moindre mouvement. Mais le jeune homme n’y faisait pas attention. Il marchait
lentement, ses souliers cirés cherchant les meilleurs points d’appuis, en bord
de mer. Il sautillait de rochers en rochers, avant de s’asseoir finalement à l’extrémité
de la jetée. Pourquoi là et pas ailleurs ne relevait ni d’une question métaphysique
ni d’une envie particulière, mais bien plus du simple hasard. Posé sur sa veste
d’été noire, il sortit de sa poche une cigarette qu’il alluma, avant de prendre
le carnet qu’il tenait à la main depuis le début, l’ouvrir sur une page blanche
et se mettre à griffonner quelque chose dedans. Dessinait-il ? Ecrivait-il ?
Qu’importe, une lettre d’amour ou un paysage, c’est bien souvent la même chose,
surtout quand on pense pour qui l’on peint ou écrit.
Le vent jouait dans ses cheveux bruns, les ébouriffant
doucement. Il ne faisait pas froid, mais les derniers frimas du mistral étaient
du genre à décoiffer un brushing et faire rougir les joues comme une pomme d’api.
Sa main glissait sur le carnet en moleskine. De temps à autre, il regardait le
soleil couchant, et puis repartait dans sa rêverie imagée. Geste délicat, mais
fort à la fois, presque agressif, de l’encre qui s’attache aux cellules de
cellulose. A quoi pensait-il ? Mystère. De temps en temps il marmonnait
quelque chose, et se remettait à son travail, mais seul le vent savait à qui ou
à quoi il pensait. Une femme, un roman, un tableau. Il continuait simplement,
regardant de temps à autre la rade.
Le soleil tombait, lentement, doucement, tendrement. Il éclairait le ciel comme Turner
l’aurait fait. L’astre solaire était blond or, blanc argent, et parfois même
cuivre tandis qu’il entrait en une fusion orange sur la ligne d’horizon. En
dessous, la mer, terrible mer qui avalait cent et mille hommes chaque années, sans
jamais les recrachait, était un calme miroir en apparence. Bien sûr, ici, on ne
verrait jamais des creux de quinze mètres, même au plus fort des grandes
tempêtes de l’hiver qui avaient le chic de détremper la Corniche. Mais
pourtant, le jeune homme connaissait le danger de ce cette psyché bleue argent,
vert profond ou bleu nuit selon les endroits. L’envie ne manquait jamais à l’impétrant
d’entrer dans les douces vaguelettes, plonger, aller au plus profond et
rencontrer enfin le grand bleu. C’était facile, tellement facile. Plonger dans
la nuit comme le soleil se couchait à cet instant.
Sauf que le jeune homme ne venait pas pour ça. Pas pour écrire
là-dessus, mais plutôt sur ce qui venait juste après. Le soleil tombait, rouge
et or, transformant la mer en un lac or profond, scintillant de mille reflets
comme le plus beau des bijoux au cou de la plus belle des femmes, ou plus
simplement comme les yeux de la fille qu’on aimait, tandis qu’elle vous
regardait droit dans le cœur, un sourire pétillant aux lèvres. Argent et or ne
faisaient pas le bonheur, même s’ils y contribuaient, ce qui était bien mieux,
c’était l’amour que l’on croisait tant dans le mouvement immuable de la Grande
Bleue, que dans ce regard auquel il
pensait à cet instant.
Les minutes passaient, doucement, le blond du ciel se
transformait en noir de jais, en parcourant tout le nuancier des roux et des
vénitiennes, puis la violine profonde des yeux lilas. Le soleil mourrait,
lentement, en prenant tout son temps. Et puis, d’un coup, au moment où il s’y
attendait le moins, il le voyait disparaitre, totalement. Un instant, seul le
noir prévalait. Un noir obscur, noir bleuté, noir nuit. Ténèbres. Aguichante et
terribles à la fois. Aussi profonde qu’une fosse dans laquelle il aurait
plongé. Instant fatidique où plus rien n’existait. Durait-il un instant ou un
siècle, on ne pouvait que ressentir une joie profonde mêlée à une terreur
antique. Et puis, doucement, la lune remplaçait l’astre solaire, sans qu’on s’y
attende. La lumière revenait, argent, tandis que mille et mille étoiles, âmes
des gens passés, éclairaient une nouvelle fois les chemins nocturnes. Alors,
tandis que le ciel Turner laissait passer le crépuscule Cézanne, le jeune homme
sourit. Il était l’heure de repartir. Vers nulle part et ailleurs.
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