lundi 28 avril 2014

Chaste baiser, danse volée



Des doigts frais qui se pressèrent sur sa nuque, tandis que son esprit divaguait au loin, au grès de la musique des flots qui murmuraient, là en-bas, une chanson triste.

Il ne bougea pas, tandis que finissait de se consumer son cône de bleue Lokie. Alors que les doigts frétillaient sur son cou, massage agréable, il essayait de deviner le parfum de ces mains féminines qui agaçaient sa nuque. Cela était particulièrement dur dans le goût de sel, mais une légère touche de prunier blanc, fragrance délicate, embaumait son nez. Son parfum, à elle, celle qu’il n’aurait pas osé espérer attendre, celle qu’il aurait aimé voir, ou haïr. Il ne savait toujours pas. Il aurait pu saisir cette main, et d’un geste la projeter en bas, puis aller voir son corps fracassé, démantibulé, son sang carmin se répandre dans les vagues, teintant de rouge le flot violine. La transformer en pantin, un bras en haut, l’autre en bas, et ses genoux curieusement inversé. Dur mort que l’Arlequin avait déjà prodigué, sans haine aucune, juste pour l’expérience. La chute était longue à ce qu’il parait, mais on ne souffrait pas. Oui, il aurait pu l’envoyer en bas, mais le voulait-il vraiment ? C’était une autre question.

Ses petits doigts se faisaient plus pressants, l’invitant à se retourner. Combien de secondes c’étaient écoulées depuis son arrivée ? Il avait l’impression que cela faisait des heures qu’elle hésitait à se coller contre lui, pour chercher à se réchauffer mutuellement. Elle glissait ses doigts le long de son dos, doucement, caresse fugace d’une amante. Pivot. Elle le regardait de ses grands yeux, et lui lui rendait son regard. Elle frémissait, doucement, transie de froid, ou de quelque chose d’autre. Elle semblait fiévreuse, mais dans les mouvements hâtifs de son propre cœur, il pouvait très bien être comme elle. Deux battements similaires, et différents à la fois, tout comme leur respiration. Ils mélangeaient leurs pensées dans une communication silencieuse, comme s’ils attendaient de voir qui ferait le premier pas. Ils se jaugeaient, deux bêtes fauves lâchées l’une contre l’autre. Mais pour l’Arlequin, c’était un tout autre combat que ceux qu’il avait pu mener avant. Ce n’était ni un duel l’arme à la main, ni même la conquête hasardeuse d’un cœur à prendre. C’était…Quelque chose de sublime et de transcendant, mais tout à la fois effrayant, bien plus que tout ce qu’il avait vu et vécu au cours de sa jeune existence, et ce même en tant qu’Adorateur de la Déesse de la Vie et de la Mort. Une partie d’échec où le baron ne savait pas vraiment si avancer ses pièces pouvait amener au bonheur ou à la catastrophe.

Deux joueurs d’échecs, lui les noirs, et elle les blancs, c’est donc elle qui ouvrit par une attaque franche et directe, le genre de coup élégant qui implique un cavalier. Une belle ouverture. Sans se faire prier, le fou répondit en tendant une main à la jeune fille. Courtoisement, il la baisa, sans effleurer de ses lèvres cette peau si douce au toucher, rafraichie par l’air marin. Gentilhomme il était, et gentilhomme il serait. Posant sa deuxième main contre le flanc de sa cavalière, il l’emporta doucement, sur l’air incertain que les vagues imposaient, valse à trois temps, lente et élégante, comme Niflheim l’était en cet instant. Sans se toucher, sauf quelques rares frôlements, le couple se mit à danser dans l’air incertain du soir, à la lumière de flambeau qui éclairait d’une lumière irréel ce toit perdu au milieu de l’océan. Là-bas, pas si loin, les feux de Miraï éclairaient la mer. Mais Earl s’en moquait, tout au plaisir de ce contact fugace avec la demoiselle. Un deux trois, un deux trois, et pirouette. Tout en délicatesse, elle pesait à peine sur le bras qu’il lui offrait comme support, mais elle se laissait juste ce qu’il fallait. La poétesse était-elle danseuse ? Ou bien fille de haute noblesse ? Baste de ces questions, il préférait la guider, tranquillement, ses yeux plongés dans les siens. Son sourire carmin se faisait plus grand, tout comme ses pupilles se dilataient, tandis qu’il voyait dans les siennes le reflet de sa peau blanchie par les crèmes et les masques qu’il apposait dessus. Le fantôme et la demoiselle, la princesse et son chevalier. Deux êtres unis dans une valse tragique, valse du temps. Deux êtres que tout reliait, mais que tout opposerait, bien vite, trop vite. Alors, il valait mieux profiter de l’instant. Cueillir le jour. Valser à n’en plus savoir ni le temps ni l’espace. Si la magie relevait de cet instant, elle les élèverait dans les airs, et ils disparaitraient, l’un dans l’autre, uni à jamais dans ce moment si particulier, tendre, mais qui ne cachait déjà plus le fait que bientôt, très vite, ils seraient définitivement séparés.

Prolonger l’instant, futilement, il se rapprochait d’elle, tandis qu’elle l’esquivait, et puis revenait. Danse bien loin des collets serrés, dans de la vie, de l’amour mais aussi d’une sauvagerie. Deux âmes qui s’entrechoquaient dans un combat inégal.
Laquelle des deux perdrait en première ? Ou s’avouerait vaincu. Il l’attirait à elle, doucement, elle était à peine plus petite que lui. Mais elle aussi l'attirait lentement, tout contre son sein qu'il pouvait voir palpiter sous la soie de cette robe si légère. Il pouvait sentir son souffle chaud sur son cou, tandis qu’elle approchait ses lèvres de sa poitrine. Il humait le parfum de ses cheveux, toujours attachés avec une maladresse enfantine, mais qui fleurait les mêmes senteurs de prunier que sa peau si douce sous ses mains. Sous l'azur de sa vêture refroidie par le vent hivernal, il pouvait noter tous les battements de son cœur, pour le moins du monde guère affolé. Elle le regardait, droit dans les yeux, d’un air indéchiffrable. Le mettait-elle au défi d’embrasser sa lippe rouge pour mieux le gifler ? Ou attendait-elle qu’il ose saisir ce fruit carmin, humide comme des fraises cueillie à la rosée ?

Il descendait lentement, son visage tout près du sien, presque à sentir l’haleine fraiche qu’elle exhalait, transie de froid, fumée légère et évanescente. Dans un murmure, il lui demanda, moitié railleur, moitié implorant, comme s'il ne savait toujours pas sur quel pied danser :

« Me permettrez-vous ? »

jeudi 24 avril 2014

Tristelune, triste conte

Corwynn Ap Dhaeol

Electron libre-fataliste-fragile-amoureux transi-détestable-arrogant-rhéteur-rapsode-magicien-
colérique-cynique-désabusé-rusé

Surnom : Tristelune, Ouragan, le baladin de l’Orage


Race : lucifuge


Caractère :


Corwyn est un elfe brisé. Torturé par la mort de celle qu’il aimait, il s’est détourné de la voie

vertueuse de Yehadiel, lui l’ancien druide de Drayame. Devenu un être cynique, blasé et

fataliste, il suit un chemin sombre, son épée à la main, tuant pour survivre dans un monde

plongé dans la guerre. S’il peut faire appel à la bonté quand cela l’enchante, il n’hésitera

jamais à tuer si c’est dans son intérêt, et il ne proscrit ni l’usage de la torture ni des drogues

psychiques pour aboutir à ses fins au nom de la déesse.

Son arrogance et sa colère peuvent marquer son visage, surtout quand il est possédé par son

épée démoniaque. Quand il ne se contrôle plus, c’est un véritable ouragan qui se déchaine,

réduisant tout ce qui passe à sa portée à l’état de fétu de paille.

Corwynn ap Dhaeol ne connait plus le rire, ne chantant que des ballades tristes quand il

daigne exercer son art. Et généralement ce fait est le signe qu’il y aura une mort prochaine et

violente.

D’aucuns disent que le lucifuge est prisonnier de Nayris, et que son corps a été investi par une

âme démoniaque. Cela est à moitié faux, car le démon se trouve certes dans son esprit, mais

surtout dans la lame de GlaceSang.

Certaines personnes qui ont survécu à la rencontre avec Tristelune disent qu’il serait

suicidaire. Mais son épée et sa magie l’ont sauvé de trop nombreuses fois…Comme si les

Dieux se régalaient du Destin maudit de ce Champion, anciennement lumineux et dévoué

désormais aux ténèbres les plus sombres qu’un lucifuge n’ait jamais atteint.


Physique :


Grand et mince, Corwynn ap Dhaeol est marqué par un physique avantageux mais bien trop

animal. En effet, les putains qui ont pu passer leurs doigts déliés dans sa chevelure corbeau se

sont vites rendus compte que c’était de la fourrure en lieu et place des fins cheveux des elfes.

Son visage pourrait être avenant, mais il est toujours grave et fermé, sauf quand ses yeux

pleins d’une maléfique malice se teintent d’une couleur violine. Son rictus se fait féroce ou

méchamment cynique, dévoilant des canines qui ressembleraient presque à des crocs.

Il pourrait paraître fluet, voire malingre, si ce n’était les flammes qi couvaient dans tous ses

mouvements explosifs. Comme tous ceux de sa race, il se déplace littéralement comme un

danseur ou un fauve des steppes de Feu.

Généralement, il porte une armure en cuir, le plus souvent recouverte d’un poncho de cuir qui

protège son corps malingre et affaibli des intempéries.

Sur son dos, en plus d’un havresac, une harpe est protégée par une housse de cuir. Qui

l’entend chanter peut-être charmé par le baryton grave du rapsode.

Pour compléter sa mise, en homme des bois et des voyages, Corwynn porte une dague à

son côté, ainsi qu’un petit couteau dans sa botte. Pas d’arme cachée, car son espadon qu’il

manie avec habileté des deux mains ne laisse guère de doute sur une partie de ses pratiques de

mercenaires. Et sa faculté à dégainer sa lame en un clin d’œil et à en faire usage plus que de

raison est connue de bon nombre de gens qui dévorent maintenant les pissenlits par la racine.



Histoire :


Le Castel Assadin était trempé par l’orage. La route boueuse qui y menait était détrempé, et

on n’y voyait goutte si ce n’était les torchères des gardes en haut de la palissade de bois et les

éclairs qui faisaient vrombir l’air dans le roulement du tonnerre de temps à autres.

Le voyageur emmitouflé dans sa cape avait passé les portes, clamant son statut de rapsode.

La lourde porte de bois n’avait pas été levée pour lui, mais le sergent l’avait fait entrer par la

petite poterne avant de la conduire à l’intendant du castel. Ce dernier avait laissé l’homme se

réchauffer, dégoulinant de tous les bords de sa cape détrempée qui désormais fumait tandis

que ses longs doigts graciles se réchauffaient à un brasero. A côté, on entendait le tumulte des

guerriers conviés dans un fastueux banquet que le capitaine Assadin, chef de ce petit territoire

à la frontière de Terre et de Foam, région maudit s’il en est une, tenait chaque soir pour soûler

ses hommes et oublier ses peines.

L’intendant revint, tandis que la soirée battait son plein. Il convia le rapsode à venir chanter.

Toujours emmitouflé dans sa cape, son capuchon relevé, il sortit une lourde harpe avant de

s’asseoir sur un tabouret vermoulu au milieu de la pièce qui sentait la paille fraiche et l’ajonc.

La quinzaine d’officiers et sous-officiers buvaient trop, riaient et chantaient, mais ce n’était

que façade, minés par le spleen et les maladies des marais, sans compter cette pluie qui

tambourinait depuis des jours et des jours, agressant les nerfs les plus solides.

Le rapsode chanta longuement, une heure peut-être, des ballades de contrées riantes,

émouvant les hommes de guerre aux larmes tellement il était doué. Il chantait les jolies filles,

leurs corps graciles assoupis dans les prairies, et les délices de leurs virginités emportées par

des jeunes gars bien bâtis. Oui, il était doué, trop doué même.

Le maître des lieux toisait l’aède, avant de lui demander, d’une voix pâteuse, une chanson.

Mais une chanson que personne ne connaitrait ici. S’il en inventait une, il gagnerait de l’or.

L’homme sourit sous sa cape.

« Je vais vous conter une histoire terrible…Une histoire lugubre qui convient parfaitement

aux temps de dehors. Une histoire que les elfes de Drayame n’osent pas chanter, de peur

d’attirer le mauvais sort…Je vais vous chanter la complainte de Corwynn Ap Dhaeol, l’elfe

trahi par Yehadiel… »

Alors il conta, son baryton grave rappela ce temps avant que les Démons de Zelphos

n’arrivent, un temps de calme et de paix. Il rappela que jadis les elfes étaient grands et

puissants, vivant avec sagesse dans l’harmonie de la Nature créée par Yehadiel. Il chantait

l’histoire d’un jeune homme épris d’un amour puissant pour Aeris CoeurSoleil, la cadette

de la reine des elfes. Ce jeune homme était un baladin, un barde elfe qui courrait les

chemins, voguant de ci de là dans un éternel périple. Oui, celui qu’alors on appelait Corwynn

Ap Dhaeol, le magicien des vents, le barde destiné aux plus hauts pouvoirs, celui qu’on

surnommait Lune d’Argent était heureux. Il était l’amant d’une femme qui l’aimait en retour.

Cette histoire avait tout pour être un conte de fée, las, la perfidie des dieux est sans égal.

Et CoeurSoleil marcha un jour là où elle n’aurait pas dû. Un serpent, avatar de la déesse de

Nayris, mordit sa cheville blanche et gracile, et elle tomba immédiatement dans un coma

profond qui garantissait sa vie, mais nulle magie ne pouvait la sauver. Son fiancé, Corwynn

Ap Dhaeol, couvrit mille lieux pour la retrouver, trempé de sueur et de poussière. Il ne pouvait

rien faire, malgré ses chants de guérison, sauf assurer le repos de son aimée, le temps de

trouver un stratagème. Le chevalier barde partit sur les routes, à la recherche du père des

Dieux, Yehadiel, son protecteur. Il marcha longtemps, appelant partout celui qui pouvait

sauver son aimée. Oui, sa quête dura dix années, mais malgré l’aide de ses amis les Vents,

jamais il ne trouva celui qu’il cherchait. Yehadiel était devenu sourd aux appels de son plus

fidèle serviteur.

Revenu dans la clairière où sa Dame reposait, Corwynn pleura longuement. La nature se mit

en berne pour lui, les arbres flétrirent et les oiseaux se turent, le murmure de la rivière et le

chant de ses frères les Vents essayèrent de calmer le jeune elfe. Mais rien n’y faisait, pas

même la beauté des autres elfes. Emmuré dans son chagrin, il pleurait jusqu’à ce qu’il n’ait

plus une seule goutte de sel et d’eau dans son corps.

Celui qu’on appelait Lune D’Argent devint Tristelune, et son chant fendait l’air de

Drayame…

Au comble du désespoir, rongé par la chagrin et fou de haine, Corwynn voulu mettre fin

à ses jours. Il s’avança dans l’onde glacé du bassin de Nehelia. Alors qu’il allait plonger

définitivement dans l’oubli, le jeune elfe entendit siffler dans l’air un chant. Cette ballade

contait l’histoire d’un petit garçon, Corbeau, trahi par son Dieu. Yehadiel n’était rien, et

Corbeau pouvait encore espérer sauver celle qu’il aimait. Mais pour cela il fallait s’engager

dans une quête ardue, ou mille souffrances l’attendaient. Renier Yehadiel, parcourir le

monde et réunir des artefacts de pouvoir. Flirter avec les Limbes, pour libérer l’âme d’Aeris

CoeurSoleil. Nul doute que ce chant était celui d’une succube de Nayris, et que la corruption

avait déjà semé ses graines dans l’âme meurtri du magicien. Etait-il au courant que son sort

était déjà joué ? Personne ne la jamais vraiment su. Il n’avait rien à perdre, alors, suivant ce

chant, Corwynn partit en quête de son Destin.

Trois fois dix années passèrent pour qu’il puisse saisir le Calice de Sayadine, la coupe du

poison éternel, le talisman de Korath, un rubis qui ferait revenir à la vie selon la légende ceux

qui vivaient dans les Limbes, et surtout GlaceSang, l’épée runique qui protégerait celui qui

oserait défier Nayris. Des artefacts de pouvoirs ténébreux créés de la main même de la Déesse

de la Mort.

Par une nuit sans lune, au cœur de la Citadelle des Pleurs, Corwynn revint pour lancer les

enchantements qui libéreraient l’âme de son amour. Cela pris du temps, mais il ne craignait

pas ce qui hantait les lieux. Il n’avait plus rien à perdre, si ce n’était son âme et sa vie. L’elfe

but à la coupe de Sayadine, plongeant dans le rêve qu’était les Limbes. Nul ne sait ce qu’il y

vit. Il marcha longuement, Epée et Rubis en main. Il affronta les démons des Limbes, à la

recherche de l’âme pure de son amante. Il la trouva, enchainée à une forteresse décrépie. Face

à lui, un démon qui se présenta sous le nom de Tzali’tch. Corwynn compris qu’il avait été

dupé, que son âme était voué à rejoindre celle de son amour pour les jeux pervers du Démon

des Glaces. Fou de rage, il se battit, GlaceSang en main. Des jours durant, le diable et celui

qui était déjà devenu un lucifuge, ceux qui fuient la lumière, s’affrontèrent. Leurs lames

crissaient en faisant voler des éclairs, leur magie s’affrontaient l’une l’autre, chant de guerre

et élémentaire de vents contre pouvoirs démoniaques. La bataille fit rage, et le démon amena

près de CoeurSoleil son amant. Dans le feu du combat, une riposte trancha l’âme de celle qui

dormait encore. Trahi par sa lame et sa folie, il trancha le démon en deux. Mais il était vaincu.

Il n’était qu’un mortel, et son armure brisée de toute part finit par le trahir, tandis que son

sang noir se répandait dans les brumes des Limbes. Il allait mourir, ici et maintenant. Mais le

Destin joue bien des tours, et Nayris en personne se déplaça pour voir les champions

s’affronter. Arrêtant les griffes de son séide qui allaient saisir l’âme gangrenée du héros

déchu, elle s’approcha et trouva que le combat n’avait pas été loyal. Elle discuta longuement

avec le mourant. Elle ne lui promit pas l’âme de CoeurSoleil. Elle ne pouvait rien faire que la

sertir dans le rubis de Korath, car son corps avait disparu quand elle avait été tuée dans les

Limbes. Mais elle lui promit en échange la vie. Une vie où le jeune chevalier porterait les

armes de la déesse de la Mort, une vie où il aurait un démon à son service, pour se venger de

qui était réellement responsable de la mort de CoeurSoleil : Yehadiel. Déçu et trahi, le

lucifuge accepta alors les sombres pouvoirs de la déesse. Cette dernière partir d’un rire

dément, tandis qu’elle renvoyait l’âme de l’elfe sur Terra. Pour punir son démon qui lui avait

cependant offert une âme de qualité, elle l’enferma dans GlaceSang, le conjurant de protéger

ce petit pion qu’elle imaginait dans une Destinée plus grande. Oui…Elle avait un nouveau

paladin à son service…

« Il ne tua pas Yehadiel…Mais depuis Corwynn chemine sur les chemins, louant son âme

ténébreuse à qui la voudrait bien. Comme le baron Sylando»

Le chant se tut. Les hommes regardaient le rapsode haletant. Sa cape était tombée, et il

ruisselait de sueur, cherchant à reprendre son souffle. Ses cheveux noirs étaient de la fourrure,

ses crocs scintillaient dans un sourire. Ils venaient de comprendre. Corwynn…C’était lui.

Et quelqu’un avait payé pour que…Assadin hurla, mais il se sentait las, si las. La magie

embaumait l’air. Le rapsode se releva, il siffla, et son épée scintilla dans sa main, venue de

nulle part. Alors il hulula et entama un chant de mort en bondissant comme un chat vers sa

cible…

mardi 22 avril 2014

Père Tzali'tch, raconte nous une histoiiiiiireeeee

Tzali’tch ne rigolait guère engoncé dans ce fourreau qui le serrait bien plus que les voiles que portaient les catins de Faestalia. Son maître avait garni son ceinturon de cuir qui grattait la lame de l’épée, frottant à longueur de temps celui, ou celle, comme tout démon il n’était pas sexué, qui y était enfermé à longueur de journée. Pour tout dire, noble lecteur, le démon des Glaces aurait eu presque l’impression d’étouffer dans ces relents putrides de tanneries et commençait presque de devenir claustrophobe, voire de souffrir d’exéma là où il imaginait déjà la rouille s’accrocher à son métal poli.

En effet, depuis que Nayris l’avait enfermé en punition dans GlaceSang, le pauvre Tzali’tch se morfondait et commençait même à dépérir à cause de son lugubre compagnon. Certes, il pouvait comprendre que boire l’âme de sa douce n’était pas une bonne idée, mais de là à en faire tout un plat et de refuser même de dégainer son braquemart…C’était incompréhensible pour le démon. Ce dernier avait pourtant tout essayé, ronronner, pleurer ou encore incendier son porteur, rien n’y faisait, celui-ci faisait la sourde oreille et se contentait de lui dire de la fermer, en elfe, en commun ou dans des langues beaucoup plus outrancières.

Pourtant, le démon rêvait de servir son nouveau maître. Bon…Il avait essayé de le tuer pour rigoler un peu, les Limbes n’étant pas source de joie et de bonne humeur une fois le premier millénaire passé, mais il était fidèle à sa parole, et plus vite il emmènerait son maître dans une quête perdue d’avance, plus vite il serait libéré. Enfin…C’est du moins ce qu’il escomptait, parce qu’une bonne épée en acier magique, ces abrutis de mortels n’avaient généralement qu’une idée, s’en emparer. Enfin…peut-être qu’il trouverait un meilleur maître que ce Tristelune.
Il en était là de ses pensées quand il entendit quelque chose frémir dans l’air glacé de l’hiver. Quelque chose scrutait le cavalier qui marchait seul dans cette forêt lugubre quelque part en Terre. Les pas étouffés de sa robuste monture de percheron s’entendaient à peine, étouffés par l’épaisse couche de neige qui recouvrait d’un blanc manteau les étendues sauvages.

Avantage de partager en partie l’âme de son porteur, c’était que Tzali’tch pouvait tout voir par ses yeux, même s’il doutait que ce dernier s’en rende compte. Et effectivement, les sens aiguisés du démon, renforcé par la qualité de Lucifuge de son maître, détectèrent la menace. Des brigands habilement camouflés attendaient dans une congère, trois arcs déjà bandés pour trouer la maigre carcasse de Corwynn. Le démon pouvait le tuer dès maintenant, ne rien dire…Mais quelque chose brûla son âme, décidément, cette damnée patronne de Nayris n’était pas allé de main morte dans ses sortilèges. Et malgré son envie pressante, Tzali’tch hurla presque au dernier moment un attention sonore qui fit rater un des tireurs. Malgré que le cavalier fusse dans ses pensées, sa réactions fut rapide, il avait bondit de sa monture qui encaissa un des deux autres traits, fendant le troisième en dégainant sa lame démoniaque qui avait épousé instantanément sa main dans un hululement sauvage. Trois bonds de chats, et il tranchait en deux le premier tireur dont la trachée ouverte répandit un sang écarlate à gros bouillon sur le manteau blanc. Son coup continua et fracassa une épée de mauvais bronze, avant de continuer sa course en mordant une épaule. Quatre coups d’épées en plus, et les bandits hurlaient à la mort, sentant leurs âmes meurtries aspirées à grandes goulées polaires par Tzali’tch le démon des Glaces. 

Corwynn avait décidé de camper à quelques mètres du combat car la nuit tombait. Il avait pris aux brigands ce qu’ils avaient, c’est-à-dire pas grand-chose, et s’échinait à faire cuire sur un feu de bois mouillé un morceau de venaison déjà bien faisandée. Il avait déposé en face de lui son épée, et il aurait pu jurer, si ce n’était la fumée âcre qui piquait ses yeux de chats, que le rubis de GlaceSang le contemplait. Il savait que le démon était là, et qu’il l’avait sauvé. Pourtant, il ne pouvait que le haïr pour avoir emporté sa bien-aimée dans un repos duquel nul ne la sauverait jamais. Cruel dilemme d’une âme tourmenté, se focaliser sur un passé mort, ou essayer de réapprendre à vivre. Il regardait cette lame, posée contre une souche, et puis, soudain, comme mû par un réflexe d’automate, il la saisit et dégaina. Un feulement câlin sortit de la lame.

« Que me vouleeeeez-vouuuuus maîtreeeeee » la voix se faisait languide, profonde, aussi chaude et veloutée qu’une voix de femme dans la moiteur torride des saunas de Cardrak. 

« Ne joue pas à tes petits jeux habituels démon»

« Chef oui chef » plus martiale, plus masculine, le démon enfumait la lame à double tranchant dans une brume qui laissait apparaître des visages aux formes multiples, moitié-femmes, moitié-hommes.

Plongé dans ses pensées, Corwynn regardait ses formes se dessiner, une prenait le pas, une femme, visage presque triangulaire, pommettes hautes, un front altier tout comme un nez droit retroussé ce qu’il fallait. Etait-ce le vrai visage de Tzali’tch ? En le combattant, il l’avait vu dans une armure presque gracile, et de longs cheveux couleurs bleu givre cascadaient d’un casque de bronze pur. Une femelle ?

« Je sens que tu veux me dire quelque chose non ? » une voix aiguë, à peine sortie de l’adolescence.

« Je… » Corwynn se retrouvait à glisser sur un terrain dangereux, était-il donc transparent pour sa propre arme ? « Je voulais te remercier démon…Pour tout à l’heure »

« Mais ce n’est rien maîîîîtreeeeee » une pointe de cynisme dans une voix de vieille sorcière « N’aurais-tu pas fait la même chose pour moi ? »

« Pour toi ? »

« Que crois-tu Corwynn Ap Dhaeol ? Je suis peut-être enfermée dans une épée mais cela ne veut pas dire que je ne ressens rien. Avant…Ce n’était qu’un jeu. Et maintenant…Je me rends compte que j’ai besoin de toi, comme toi tu as besoin de me tenir en main pour te battre. Ta pogne est parfaitement ajustée sur ma poignée…Cela me rappelle ma jeunesse, quand je parcourais le Néant Primordial avec Nayris. Une bonne époque »

La voix du démon se faisait plus lointaine, presque nostalgique. Il reprit.

« En fait…Si toi aussi tu es désolé, je pense que je devrais dire la même chose. Pour ta femme. C’était… »

« Un jeu de démon ? » c’était à Corwynn d’être maintenant cynique.

« On peut-dire ça. Mais je n’ai fait que la capturer. Tu sais. Vous, ceux qui devaient passer dans l’au-delà, votre vie est belle parce que mortelle. Alors que la nôtre n’est qu’un ennui. »

« Oui…Et donc vous vous jouez de nous ? »

« Non…Aeris n’était qu’une âme en peine. Elle était déjà passée de l’autre côté. Pour mieux t’appâter, je me suis servi de sa forme, mais elle n’était déjà plus. »

« Etait-elle… » Un sanglot faillit briser la voix du guerrier qui avait répandu le sang comme un dieux vengeur quelques heures auparavant.

« Heureuse ? Non. Personne n’est heureux dans les Limbes. Mais tu sais qui est le fautif non ? »

« Nayris ? »

« En partie…Mais celui qui a voulu enfermer vos âmes là où elles sont petit elfe, c’est Yehadiel. Celui qui t’as trahit tout comme il a trahi sa maîtresse. »

Le temps suspendait son vol dans cette discussion qui devenait maintenant métaphysique. 

« Je le hais »

« Et je suis celle qui peut t’amener à se venger de ses suppôts gamins. » cela faisait deux fois qu’elle utilisait le féminin, confirmant les doutes de son maître légitimé par la Déesse de la Vie et de la Mort. Elle reprit « Tu sais…Moi aussi je ne l’aime pas. »

« Pourquoi ? »

« Connais-tu la ballade de Foam rapsode ? »

« Bien entendu… »

« Oui bien entendu la version lumineuse. Mais tu ne sais pas ce qui s’est vraiment passé »

Corwynn le Lucifuge devenait le baladin, et dans la froideur de l’hiver, tandis que cette discussion irréelle se poursuivait, il se laissait charmer.

« Conte moi Tzali’tch » 

Le démon sourit intérieurement, c’était la première fois qu’il arrivait à intéresser son maître. Alors, de sa voix la plus douce, il se mit à chanter. Il narra la trahison de Nayris, la création des Démons. Il raconta les bannières, étoffes de soies noires pour la déesse des Morts contre le blanc pur de Yehadiel. Ses paroles s’envolèrent dans le chant des guerriers, les cors de guerres qui faisaient vrombir un air rendu instable par la débauche des vents de magies qui écorchaient dans des tempêtes ravageuses les âmes autant que les corps. A chacune de ses paroles on entendait le fracas des chevauchées, les coups sourds des épées qui se fendaient en deux lorsqu’elles s’écrasaient sur les armures des champions, les hurlements de rages des héros qui se battaient à la hache, la Morgenstern ou avec leurs ongles et leurs dents. Le bain de sang qui noyait la pleine dans une boue rougeâtre, faisant patiner des chevaux sans maîtres qui hennissaient de terreurs. Les grognements des loups de guerres se heurtant aux chiens de combats étaient aussi audibles dans le conte terrible de la bataille qui ravagea Foam, près de huit mille années auparavant. L’épée-démon se faisait danseuse, elle hurlait des obscénités que s’échangeaient les braves dans leurs défis, tout en retraçant dans les volutes de fumée les épiques duels des magiciens et des guerriers. Oui, elle contait la dernière bataille, celle-là même où elle avait perdu tant de frères et de sœurs, des amis et des amants. Oui…Son chant était aussi nostalgique que les plus grandes ballades de Corwynn, tandis qu’elle se rappelait les affres de la défaite. Telle était la vie de Tzali’tch, ou du moins ce qu’elle voulait bien raconter à son public envoûté.

Pieux mensonge, peut-être, mais l’histoire avait passionné le jeune elfe, qui en oubliait, pour quelques temps, son amertume. Quand elle eut fini, on aurait dit qu’elle était haletante, au bout de son souffle divin. Alors, Corwynn regarda la brassée de bois enfumée, et derrière la lame que Nayris lui avait offerte, et qui par son chant s’était offerte à lui. Pour la première, il voyait en elle une arme, mais aussi une compagne…Quelqu’un avec qui il avait des choses à partager. Certes la colère le prenait encore, mais il était le maître, et elle l’esclave…Du moins c’est ce qu’il semblait. Un pacte avait été signé entre eux, et c’était à lui d’en profiter. Alors, tendrement, il passa sa main au-dessus des flammes. Saisissant GlaceSang, il la dégaina et la regarda à la Lumière de la Lune gibbeuse. En son for intérieur, Tzali’tch gloussa. Elle avait enfin gagné l’estime de son maître…Et la force de son bras.

mardi 8 avril 2014

Une question incongrue

Quel était le lien qu’il faisait entre l’Art et le Beau ? D’instinct, il aurait répondu la mort. Car rien n’était plus artistique et beau que la mort, la fugacité de la vie, tandis que celle-ci s’enfuyait dans les yeux vitreux d’un mourant. Quelle sensation de plénitude que ces tâches de sang sur la neige, il s’en souvenait comme si c’était hier. Il revoyait le visage de l’homme, une petite frappe, un homme fort et courageux, mais Earl, plus jeune alors, plus rapide, avait passé outre la garde de son adversaire et lui avait fendu la gorge. Le sang vermeil avait giclé sur le visage luisant du baron, sensation douche et chaude, tandis qu’il dégoulinait sur sa peau, traversant l’épaisse couche de fard blanc qu’il portait déjà à cette époque. C’était sur les toits enneigés de Sent’sura, par une nuit d’hiver, avant qu’Aile Ténébreuse ne vienne. Il se souvenait du moindre détail de cet homme à la respiration sifflante, tandis qu’avec ses doigts il cherchait à colmater la fatale brèche. Son liquide de vie s’épandait à gros bouillons tandis qu’il convulsait au sol, marquant la neige encore fraîche de l’empreinte lourde de son corps déjà voué aux gémonies. Mais ce qui avait le plus frappé le jeune Earl, c’était les gouttes de sang vermeil, trois petits tâches poisseuses, qui avait filé, loin du corps. Trois petits points sanguinolents qui lui rappelaient un étrange visage. Celui de sa mère, jeune, tel qu’il l’avait vue sur un camé ancien qu’elle gardait toujours près de son sein. Mais à cette figure maternelle se mélangeait celui de la première fille qu’il avait aimé, une fille de joie, une baladine venue réchauffer sa couche, gratuitement, après avoir réchauffé son âme en jouant un rôle d’ingénu. Oui, le sang, c’était la mort et la vie, la laideur et la beauté, le début et la fin. C’était l’expression divine de l’art qu’était la machine humaine. La violence était le paroxysme de la beauté, car c’était là où l’âme des femmes et des hommes se mettait totalement à nu. Bien plus que dans le sexe banal de couple, l’amour et la beauté qui unissait deux êtres différents ne pouvaient que naître dans un certain corps à corps, combat futile de deux âmes mais qui formait pourtant l’essence de ce qu’Earl considérait comme étant l’amour vraie et pur.

Bien entendu, il ne pouvait pas répondre quelque chose de ce genre. Pas à table du moins. O bien sûr, s’il avait pu s’esquiver avec Niflheim, il était certain qu’elle aurait pu comprendre ce qu’il pensait réellement. Mais ce n’était pas l’heure, ni le lieu. Alors il fallait flouer, bien qu’il puisse révéler en partie ce en quoi il croyait profondément. Sa réponse se fit en douceur, sans chercher ses mots, mais il murmurait presque en regardant le visage de la jeune artiste, droit dans les yeux . Il ne souriait pas en parlant. Plutôt, il énonçait des évidences pour lui, et cherchait à voir dans les yeux de Niflheim ce qu'elle en pensait réellement, comme quand elle avait eu cet accès de fougue passionnée..


« L’Art et le Beau ne sont qu’une seule et même chose. L’artiste croit créer le beau, mais il le transmute. C’est une subtile alchimie que vous obtenez, pas vos traits de plumes, vos pinceaux ou vos mains couvertes de glaises. Le beau, c’est la plénitude de la vie, mais aussi de la mort. L’art, ce n’est pour moi que la sublimation de l’éphémère de l’humanité dans un chef d’œuvre qui se veut intemporel. Du moins, ce n'est que l'avis d'un amateur »

lundi 7 avril 2014

La fin d'une époque, la fin d'un amour...

La lumière pâle de l’aube entrait avec peine par le petit fenestron de la chambre sombre. Elle arrivait à peine à éclairer l’homme qui se regardait dans son miroir, pâle fantôme vieilli qui ne semblait pas bouger, aussi hiératique qu’une statue, si ce n’était le mouvement ample de sa respiration.

Torse nu, un pantalon bouffant autour des jambes, il contemplait son visage dans le bronze terni. Se reconnaissait-il ? Ou voyait-il quelque chose que nul ne voyait ? Toujours est-il qu’immobile il contemplait son visage décati, ses yeux bouffis par les fatigues, ses paupières lourdes de sommeil, et sa barbe de trois jours grisonnante, déjà blanchie et de moins en moins striée par des poils blonds.

Il se regardait dans ce miroir, au-dessus d’un bac d’eau bouillante qui exhalait une fumée aromatisée. A côté du broc d’eau et de la cuve de cuivre martelé, une serviette éponge soigneusement pliée sur le bois de la commode.

Il se regardait, tenant dans sa main un rasoir à l lame affutée encore gainée. Il réfléchissait au temps qui passe, et à la futilité de la vie, alors que là, tout près, dans la chambre mortuaire, reposait son amour.
Rasoir en main, il se demandait s’il n’allait pas l’ouvrir et d’un coup, d’un seul, trancher sa jugulaire. Oh, bien entendu il savait que cela faisait mal, pour l’avoir fait sur ses ennemis. Il revoyait les visages ensanglantés par ce second sourire morbide, les traits tirés par la souffrance, tandis que le précieux liquide vital s’écoulait entre de pathétiques doigts qui essayaient de retenir le dernier souffle du mourant. Oui, cela faisait mal, mais à terme, tout son sang se répandrait sur la commode et la bassine, et puis, il n’aurait plus à penser à la mort et la vie, plus de souffrances ni de douleur. Seulement le repos. Eternité.

Cela eut été tellement facile que d’en finir, là, ici et maintenant. Ne plus avoir à vivre comme un automate dont on aurait tranché le fil rationnel qui le guidait. Ne plus marcher comme une âme solitaire dans ce plais d’ivoire et d’ébène où il déambulait sans cesse, à la recherche de celle qui n’était plus, et qui pourtant hantait encore la demeure. Là une étole frémissante sous la caresse du vent lui rappelait les soirées où il s’endormait contre son sein, heureux, tandis qu’elle caressait ses longs cheveux en lui murmurant des mots d’amours. Ici, une odeur rémanente, quand une servante disposait un bouquet délicat qui rappelait le parfum de prix qu’elle chérissait tant. Tant de petites choses du quotidien que seule la perte pouvait rappeler, commémorer dans une mémoire défaillante. C’est étrange comme le cerveau humain pouvait fonctionner, se disait-il, tandis que ces mille souvenirs affluaient dans sa pensée, renvoyant une image d’un couple autrefois jeune et amoureux, désormais brisé par la disparition de l’être aimé.

Oui, il eût aimé à se trancher la gorge, là, maintenant. Ne plus avoir à jouer le ballet morbide de celui qui dit qu’il va bien alors que tout va mal. Ne plus faire semblant, poser le masque d’un sourire tandis que l’on présentait ses condoléances. Quel mot pathétique que ce terme. Rien, pas même l’amour des siens, ne pouvait faire oublier cette douleur, et passer outre ces délicats moments. Non, tout cela n’était que de son ressort à lui, de ses choix.

Tant de possibilités, dégainer ce rasoir aiguisé, sauter par une fenêtre, se jeter sous un carrosse. Ou, plus prosaïquement, cimenter un mur qui emprisonnerait sa souffrance. Couper, difficilement, le fil de la mémoire. S’enfuir, repartir de l’avant, et garder toujours, précieusement, les moments de joies, tout en essayant d’oublier les moments de douleur. Cela aussi était pathétique, se mentir à soi-même. C’était tellement facile. On dit que la nature n’aime pas le vide. Mais l’âme humaine non plus, elle aime à combler ce qui lui fait défaut, par tant de manières que cela en devient indécent.

Rageur, il envoya un coup de poing brutal dans ce reflet de peine qui le trahissait. C’était un de ses cadeaux, à elle, la disparue. Sa main frappa durement contre le bronze poli et repoli, et une nouvelle douleur irradia dans ses phalanges. Douleur de haine. Douleur de la trahison. Pourquoi était-elle partie, comme ça, dans un dernier souffle qu’il n’avait même pas vu venir.


Oui, la haine et la violence était un des meilleurs moteur pour l’homme. Haïr. C’était si simple, encore plus simple qu’aimer. Aujourd’hui, il allait enterrer cet amour disparu et puis repartir. Brûler ce palais, brûler tout ce qui lui appartenait. Rageur, il s’en irait, son épée d’acier trempé sur le dos, avec sa vieille armure de cuir craquelé. Après son fils et sa femme, on ne pouvait plus que lui enlever sa propre vie. Mais il la ferait payer chèrement…