dimanche 29 mars 2015

L'ultime rêverie

7 avril1954

Dien Bien Phu va tomber.
C’est inéluctable. Au poste grandes ondes, chaque soir, Radio Saïgon égrène de laconiques nouvelles du camp retranché. Dans les mensonges de la voix frêle de la speakerine, on perçoit à peine la violence des combats, la présence de la terreur, et la rapacité de la Mort qui frappe aussi lâchement et équitablement que les obus communistes qui labourent les terres grasses du Tonkin.
Les viets ont gagné cette foutue guerre, depuis des années, depuis ses prémices, depuis le début de la conquête peut-être. Malgré nos efforts, nos peines et nos souffrances.
Des dizaines de morts sont enterrés dans les collines et les jungles sauvages qui entourent le petit camp de notre commando. Défunts sans mémoires, sans couleurs, sans uniforme autre que les idéaux opposés pour qui ils ont combattu. Et le souvenir des morts en sursis pour tout gardien.
On a beaucoup discuté au 104, tout en buvant le choum qui avait le goût amer de la défaite ce soir, pour décider de la marcher à suivre.
Un dernier baroud d’honneur dans ces montagnes, brûler nos dernières cartouches contre nos vieux ennemis aux chaussures faites de pneus usés. Ou essayer de sauver ce qui peut l’être encore dans le camp retranché. Nom plus au nom d’une France qui nous a abandonné, ni même pour l’honneur du drapeau, mais simplement par le devoir du sang versé, de la camaraderie et de la fraternité que nous devons à nos compagnons d’armes.
Les avis divergents dans nos rangs. Alors chacun a fait son choix en son âme et conscience, en totale démocratie. Etrange pour des hommes de fers comme nous, si libres et fiers, mais à la fois conscient des ordres d’une hiérarchie qui nous écrase sans nous laisser parler que de passer par un vote. Mais après tout, chacun est libre de choisir la date et l’heure de sa mort non ?
Demain, je m’enfoncerai dans la jungle de cette Indochine que j’ai longuement rêvé en Europe, tellement haï et adorée aussi, mais que je n’ai jamais pu oublier.
Je laisse mes notes à un camarade, après avoir seulement pris le temps d’écrire un dernier adieu. A la vie, à l’amour, aux femmes.
Pas besoin de demander pardon ou de s’excuser, aucun prêchi-prêcha contre cette guerre sale contre nous-même et notre mal jaune. Non, dans ces dernières lignes, seulement une dernière envie. Aussi éphémère que la flamme d’une bougie, qu’une lampée d’alcool, que le désir qui étreint nos âmes et nos corps. Un seul désir, non pas un regret. Serrer Marie-Hélène contre moi, et Siou Hem la petite catin de Vientiane, et cette gamine Viet-Minh. Trois belles femmes, bien trop pour un seul homme. Leurs cheveux noirs ou roux, comme la nuit et la terre d’Indochine, tombent sur mes derniers songes comme le rideau de cette jungle dans laquelle je m’enfonce.

Maintenant, je peux disparaitre définitivement dans les brumes de mes rêveries indochinoises…

lundi 23 mars 2015

Fragments insomniaques

J’ai mal. Dans la ma tête, dans mon âme, dans mon corps. J’ai mal, et je ne sais pas pourquoi.
Je n’arrive pas à dormir, mes muscles me tirent, mon cœur se serre, et ma cervelle n’est qu’une bouillie infâme trop chauffée par des idées qui ne veulent pas s’en aller.

Dans mes oreilles, Fauve, infirmière, ou Joe Hisaichi. Qu’importe que ce soit des paroles ou simplement la froideur triste d’un piano à queue. Ces chansons disent toute la même chose. La peur, le désespoir, l’envie d’abandonner. Capituler. Et l'amour, l'espoir, l'envie de vivre, encore un peu. Voir de quoi demain sera fait. Même si ce demain n'est que cendre amères. Question : est-du masochisme que d'avoir peur à l'avance de cet avenir ? Est-ce du masochisme que de vouloir vivre dans ce monde qui dégoût, fait vomir, oppresse et n'offre finalement qu'un lendemain qui déchante encore et toujours ?

Je lis un livre, images en noirs et blanc d’un homme et son enfant qui suivent la voie des démons. Meifumado. A la fin, quelques notes sur le bouddhisme. Il faut connaître la mort pour connaître la joie de vivre. S’affranchir de la terreur de la camarde en la côtoyant comme une amie.
Dans ma folie, je croyais ne pas avoir peur de la mort. Pourtant, elle me terrifie. Pas la mienne, moi, je n’importe en rien. Non, ce qui me fait peur, c’est la fin, inéluctable. Les parents, de plus en plus âgés, les amis, à qui des accidents de la vie arrivent tous les jours. Ces relations me terrifient, me rendent amer de peur qu’elles ne disparaissent. Alors je fuis, je m’enferme dans ma tour d’ivoire, caché derrière un mur de glace et de violence. Je ne veux plus voir personne, car dans le fond de leurs yeux, je vois les terreurs de mon âme.

Je deviens misanthrope, tandis que la douleur me vrille encore et encore. A l’arrière de mon œil, je sens comme une boule qui grossit, encore et encore. Chancre terrifiant qui me torture, symbole de ses pulsions de vies et de morts qui me hantent, me traversent d’un coup, me possédant comme un simple animal d’une envie primaire. Se battre, jouir, dévorer. Aucun appétit dans tout cela, simplement la pulsion primaire d’une bête aux abois. Dernier baroud d’honneur, car je ne souhaite pas abandonner, au fond.

Et pourtant, cela serait si simple, céder à cette lâche tentation.

 Si simple.

Je ne dors pas. Je suis triste ce soir. Non pas pour moi, je n'ai pas besoin ni de chagrin, ni de pitié. Seulement de quelqu'un qui me redonne une once de confiance en moi, m'aide à me dépasser pour elle. M'offrir à nouveau, malgré ce que certaines appellent "se cacher derrière". Somme toute, c'est ma façon d'aimer. Non, je ne suis pas triste pour moi, je me connais assez bien, enfin je crois. Je ne suis pas triste pour cet ego brisé, déchiré, et bafoué, pourtant toujours rapetassé, bricolé et reconstruit petit à petit. Mais pour mes amis, mes parents, mes frères. Pour ceux qui me supportent, et que je n’arrive plus à supporter. Je suis triste, une boule se forme au fond de ma gorge, étreint mon cœur, malgré les litres de fumée et d’alcool que j’inhale et avale. Pour graisser et faire passer ce mal qui me ronge, pour l’endormir dans des volutes amères du tabac blond.

J’ai envie de m’en aller, partir, loin. Ne pas me retourner. Et pourtant, je dois faire face. Face à ces démons qui hantent mes nuits. A ces questions sans réponses. A la recherche de cette infirmière dont parle le doux murmure du fauve.

Qui es-tu, ô toi que j’appelle de tous mes vœux, et qui pourtant me fait immensément peur, de tout gâcher simplement par ce que je suis ?

jeudi 5 mars 2015

Palingénésie.

Trop en dire ou ne pas dire assez. Comment savoir ?
Une moue sur son visage. Un rire acerbe, dur et cruel. Pas de sourire si ce n’est des crocs délicats, prêts à arracher la gorge tendue.
Une réplique cruelle fleure sur ses lèvres. Moquerie qui étreint le cœur dans une gangue glaciale. La pique faire sourire, mais au-dedans, tout souffre. Le froid mordant et cruel brûle le cœur de l’impétrant en amour, tandis que la chape de glace fait son effet.
Se morigéner. Pourquoi avoir ouvert, une fois de trop, sa grande gueule difforme avec un malheureux trait qui se voulait spirituel mais n’est qu’au mieux une goutte de spiritueux vinaigre ?
Rater le coche, tomber sur un os. Cela fait moins mal que ce sourire cruel de chat gourmand. Faisons semblant, un instant, d’accepter la pique. Etre fort, alors que le chagrin perle déjà au creux de l’œil. On aimerait aller à consentir, rien qu’un tout petit infime instant, à laisser s’écouler cette larme salée. Qu’elle s’égoutte le long de l’arête du nez, puis tombe. Ecouter le son clair et cristallin de cette perle nacrée qui s’écrase au même rythme que le lent trémolo du dernier mouvement d’un air envoutant.
S’abandonner à sa tristesse.
Mais il faut être fort. Cachons cette faiblesse que nous ne saurions voir, là, au creux d’un sein. Dans le tout petit renflement cancéreux d’un cœur pourri par d’anciennes douloureuses épreuves. Dans la petite boîte noire où  se terrent ces trésors de douleurs que nous nous complairions à savoir à jamais enfouies, au plus profond des entrailles sableuses de l’île la plus désert qui soit.
Hélas, ces immenses douleurs, gâchis personnels trop souvent dû à nos propres bêtises, restent toujours vives, bien accrochées à nos petits cœurs rabougris qui s’époumonent encore et toujours à battre.
Pourquoi ne t’arrêtes-tu pas petit organe chétif ? Plus d’amour. Plus de douleur. Plus de vie. Mort aux sentiments, mort au chagrin, mort à la pitié. Ni misère. Ni vilenie. Ni cruauté.
On tue tout, on écrase, on efface, on rase. On supprime notre humanité…



I am tired of being tired.
Cela me fatigue d’être si fatigué, si usé, si aigri. Jusqu’au plus profond de ma moelle.  Dépité par tout. Et par cette putain de colère qui me ronge comme un cancer.
La douleur vrille mon crâne. Marteau piqueur qui perfore de ton terrible ronronnement la moindre parcelle de mon cervelet.
J’ai envie de crier. Hurler cette peine dans un jaillissement de sang et de larmes.
J’ai mal. Je souffre. Mes épaules, mon poignet, mes doigts qui serrent le stylo bille. Du bout de l’ongle où s’écoule à flot bouillonnant l’encre noire, jusqu’aux synapses qui libèrent cette pensée dans le râle des mots qui se font violence. Mes yeux sont emplis de buée d’une infernale douleur qui tiraille jusqu’à mon âme. Corps et esprits tendus dans le même mouvement libérateur et anxiogène. Sortir. Cracher. Vomir cette boule de nerfs qui me triturent encore et encore.
Comme une envie de mordre, broyer, arracher.
Faire mal. Se faire mal. Sadomasochisme.
Contrer ce putain de mal qui me ronge toujours au plus profond. Cancer de la pensée sclérosée de sentiments sans espoirs d’appel.

Déconnecter. Plus de sens. Plus de sentiments. Purification dans la destruction. Apocatastase de la palingénésie.