lundi 25 novembre 2013

L'absente

Se réveiller, au cœur de la nuit, cœur battant, peau moite, souffle coupé. Se remémorer cette vision, terrible, magnifique, femme-déesse du clair obscur, jouant à cache-cache dans les voiles de vaporeuse mousseline.

Se souvenir de ses formes, les imaginer, les voir. Ses pieds, ses mollets, ses genoux. Et puis ses cuisses. Parfum capiteux de ce buisson intime. Odeur délicate. Fragrance indescriptible.

Remonter la chair pâle de son ventre. Là, deux parfaites imperfections, trace du passage du temps blessure ancienne ou nouvelle, marque indélébile.

Remonter, nombril, abdominaux, seins...Petits pamplemousses-mûres. Et puis sa gorge. Morceau de marbre de Carrare brut, une main passe dessus puis des lèvres. Baisers d'orfèvre, caresses de tailleur, geste professionnel devant la perfection de ce corps.

Remonter, encore, se perdre . Masse de cheveux, ni clairs ni foncés. Lumineux sans l'être, au contraire de ce visage, plongé dans une ombre tamisée, voile noir qu'il ne peut traverser. Un nez, des yeux, une bouche, oui. Il les a baisés. Mais ces traits manquent de justes, imperfection fatales. Qui est-elle ? Pourquoi n'arrive-t-il pas à la revoir, la déesse mutine de ses rêveries en clair-obscur ?


Plongée secrète, l'imaginer, essayer de la faire chair. Ne pas y arriver. Avoir envie de pleurer. Croire que tout cela n'est qu'un songe. Elle est si loin l'absente. Songe d'une nuit d'été, ou réalité ? Croire qu'il l'a perdue, et puis, suffocant, moite et blême, il frémit. Petite vibration à peine perceptible de la boîte à son. Elle est là, l'absente, si proche et si loin, toujours plongée, cachée, entre les mots, mais bien présente...

jeudi 21 novembre 2013

Dire nous ou le quai de la gare

Attente sur un quai de gare, faire les cent pas, encore, et encore. La trotteuse de l'horloge tourne, vite, trop vite, ou lentement, trop lentement.

T'attendre, lèvres sèches, marcher, de long en large, cent pas d'un côté, mille de l'autre, et revenir. Regarder ma montre ; les aiguilles avancent, entre-deux insupportable. Ne pas regarder, ne pas pouvoir s'en empêcher. La ranger ; puis la ressortir ; instantanément.

La voix, familière. Frémissement dans l'air. Toutes les personnes qui attendent le long de ce quai en béton froid se lèvent, comme une forêt de blé sous la caresse du vent, ils se penchent, corps tendus, bruissement des articulations qui s'approchent du vide.

Au loin, tout proche, le mugissement du cheval de fer et d'acier. Frémissement des rails qui se tordent sous le poids de cette charge sifflante et crachante. Frémissement des vitres et du béton, froid glacial d'une peur enfouie qui ressort, comme lors de ces courses de taureaux là-bas, chez moi, où la foule attend, mélange de chair de poule et d'excitation, qu'un raseteur s'effondre au milieu de la course.

Sifflet strident, bruits de pistons, la bête se cabre tandis que son mors retreint son envie d'avaler les miles. Crissement de l'acier, frein. Arrêt brutal, dans un relâchement de vapeur. Terminus, tout le monde descend.
La bête ne bruit plus, chuintement des portes, elles s'ouvrent. Flot jaillissant instantanément. Noir de monde. Chercher ton visage, scruter la foule. Où es-tu ? Des gens passent, sans histoire ni passés, moment présent, je ne les reverrai jamais, et pourtant...Leur petite vie pourrait devenir un roman, sous une plume aiguisée.

 Pas la mienne. Non. La mienne te cherche, essaie de te retrouver, de te (re)découvrir. Corps tendu, aux aguets. Où es-tu ? Passer d'un visage à l'autre, tu n'es pas là, saisir tes traits, elle te ressemble, mais ce n'est pas toi. Où te trouver ? Je suis perdu, tu es perdue. Nous sommes perdus. Peut-être. Découverte. Tu étais là, tout près, toute prête. Élégante. Belle. Habitude, pourtant, si peu de temps passé. Saisir ta main, te presser, te serrer. Mêler ton corps au mien. Ou l'inverse. Te retrouver. Chaste baiser. 

Nous retrouver.


Dire nous.