mercredi 14 décembre 2016

La fin

Alep tombe, sous les bombes. Les balles sifflent, tandis que la communauté internationale, œillères aux yeux, regarde, horrifiée. Cinq années de guerre, de massacres, de tuerie, au nom de quoi ? Pourquoi ? On rebat seulement les cartes, mais les syriens, là-bas, n’ont même pas le choix de tirer autre chose qu’un dé pipé.

Comment comprendre ? Comment ne pas se révolter ? Comment saisir ? Comment ne pas être mortifié ? Comment regarder ? Comment être désespéré ?

A vrai dire, je ne sais rien de tout cela, je n’ai que les images d’un Orient inventé. Le sable chaud d’un désert de pierres, des statues romaines dans le silence du soir, à leurs pieds, un couple s’enlace. D’autres images, les forteresses des guerriers de la chrétienté, la bannière aux croix de sang ou sable. Des noms, des visages, des représentations d’un passé qui se rappelle, à tout instant, au détour d’une pensée. Des uniformes bleus et blanc au pied des pyramides, une européenne sur un pur-sang, une tente au milieu d’une oasis.

L’Orient, cette idée, elle a été créé, dans les bals de Vienne, les universités de Paris, ou les cabinets de Londres. Elle hante notre culture, nos vêtures, notre littérature. La musique la plus classique pioche ses sources dans la rencontre, comme nos jeux, ou nos aliments.

Pourtant, l’Orient, c’est aussi une réalité. Pour des milliers de millions de gens. Battus, bafoués, déracinés. Perdus, tandis que le monde, dans son salon, les regarde crever, mourir, tomber. Sans compassion, ni compréhension. Dans l’inaction d’un mardi soir, on entre dans le noir de la déshumanité. Nous fermons les yeux sur nos couleurs, nos valeurs, notre honneur. Au nom de quoi ? De rien. Du dédain. De la mort. Plus de prochain. Plus d’humains. Même pas des chiens.


Alep tombe, et j’ai honte. 

lundi 12 décembre 2016

Sur la route d'Avignon

Cela faisait près de deux jours que les deux cavaliers avaient quitté Sisteron. Le temps était au beau, bien qu’une légère brise de ce vent que l’on appelait mistral secouait les lignes de cyprès qui coupaient les bourrasques un peu trop querelleuses. Des nuages blancs s’effilochaient doucement dans le ciel bleu, tandis que le soleil printanier redonnait vie aux pâtures, champs et cultures maraîchères qui s’étageaient sur les pentes du Lubéron. Une douce odeur d’oliviers et d’amandiers en fleurs embaumait l’air, quand une buse s’envola de son aire pour plonger en plein champ, avant de s’en aller voleter, un mulot prêt à être boulotté dans les serres. Les deux compères cheminaient sur de grands hongres, tandis qu’un des deux tenait bien en bride une mule placide. Celui qui cheminait devant jouait d’un luth, engoncé dans une cape laissée béante sur une brigandine de cuir et d’acier. Il accompagnait sa douce mélodie d’une voix de stentor, sentant bon son oc et sa Provence ; cette chanson aurait pu être harmonieuse si le tocsin qui la portait ne semblait pas imiter le croassement des corbeaux. En mille comme en cent, l’homme jouait juste, mais chantait faux, une ritournelle paillarde qui commençait ainsi :
« Belle qui tieeeeeeeeent mon vîîîîît luisant et bien grumeleuuuuuuuux »
On taira le reste aux chastes oreilles de nos lecteurs, mais la mine déconfite de l’écuyer à la mule semblait indiquer que son supplice semblait durer depuis des heures, si ce n’est des ans, voire un lustre ou deux. Car l’homme devant lui, dans la force de l’âge, était chevalier. Sa condition ne se révélait pas sa cape trouée et ses bottes élimées, mais aux éperons vieil or et l’épée qui relevait doucement le manteau, et battait au rythme de la chanson de marche les flancs du noiraud que l’homme chevauchait. C’était une belle bête, coupée, certes, mais qui semblait prête pour la course. Le chevalier la guidait non pas de la main, mais par la seule pression de ses genoux, tandis que son cul reposait sur le troussequin de sa selle. Tout donnait à voir une bête de race, bien faite aux charmes de la vie aventureuses de son maître, tout comme le chien jaune qui courrait devant eux, et s’en revenait avant d’accompagner d’un jappement le hourvari tumultueux que l’homme pensait être un chant.
« Ah messire Jean, si vous pouviez baisser d’un ton, j’en ai la migraine ! » dit l’homme chenu qui chevauchait derrière son maître, en langue d’oïl et avec un fort accent de Bretagne bretonnante.
Il portait lui aussi une brigandine de cuir, et à l’arçon de sa selle piques et lances de joutes. Dans une housse, une lourde masse de fer, tout comme son maître, ainsi qu’une épée bâtarde à son côté. Il ne portait pas l’éperon, et tout dénotait en lui l’homme venu de la paysannerie, le sergent d’arme ou l’écuyer mal né qui avait blanchi sous le harnois et ne savait plus que guerroyer. Et, un jour, mourir aux côtés de son seigneur et maître.
-Arthur, Arthur, Arthur,  ne joue point donc les pucelles effarouchées, je te rappelle que c’est toi qui m’a appris cette chansonnette.
-Certes oui seigneur, mais point pour que vous la massacriez ainsi.
-Moi la massacrer ? Mais non
-Mais si, pire que Mahométan dans une église. Allons seigneur, vous le savez aussi bien que moi, vous chantez faux, qui vous dira le contraire n’est que flatteur ou n’a pas d’oreilles, et avec cette paillardise-là, je sens que l’on va s’attirer des ennuis !
-Par la malepeste coquin, ces croassements que tu réprimes ne peuvent que chasser les honnêtes malandrins, ou leur faire accroire que nous sommes fols.
-Pour sûr que vous l’êtes messire d’Eyguières, ne serait-ce que pour passer par la route des collines plutôt que par la mesnie de votre frère.
A ces mots, le nommé Jean D’Eyguières sembla se mettre en colère.
-Ah Arthur, ne parle pas de ce que tu ne sais pas. Douze ans que j’ai quitté la Provence, et quinze pour la maison des D’Eyguières. Cela serait folie que de passer par-là.
-Malgré tous vos exploits ?
-Malgré eux, un chevalier de mon acabit ne peut pérorer dans la maison de ses pères que s’il ramène au moins un titre de comte, ou de duc !
-Ce à quoi vous êtes promis mon beau sire.
-Tu te moques Arthur, et ce n’est pas très chrétien, sans compter que c’est damnable pour un écuyer que de chercher des poux à son chevalier. Pense plutôt que nous arrivons bientôt à Beaumes, et qu’il est une petite hostellerie tenue par les bénédictins de Saint-André qui produit une liqueur…Même le Pape en ses palais de Rome n’en goûte point !

-Alors, si c’est pour mon bien, va pour le vin. Mais par pitié, arrêtez de chanter, sinon je ne pourrais point faire honneur à la dive bouteille ! »

dimanche 4 décembre 2016

Place de la Ré

Place de la Ré, le soleil vient de se coucher. Un croissant de lune brille, déchire les nuages, éclaire le ciel. A ses côtés, l’étoile du berger, étoile polaire, signe dans la nuit. Des dizaines de lumignons brillent sur la statue, éclairée de bleu, de blanc, de rouge. Souvenirs des disparus cajolés par la grande statue d’une femme fière ; française. Sur les murs des immeubles, des centaines de néons brillent, ors, sangs, turquoises, théâtres, kebabs et cafés qui éclairent le ballet d’ombres mouvantes qui glissent sur les dalles luisantes d’une pluie à peine finie. Hommes, femmes, enfants se mêlent, patinent, dérapent sur la grande scène noctambule. Carambolage de deux trottinettes, un coursier à vélo fait tinter son clocheton furieusement contre un impudent qui osait traverser dans la nuit, un skater fait bondir sa planche qui claque furieusement, une fois, deux fois, trois fois, la figure passe.

Accoudé à la balustrade de l’entrée de la bouche de métro, un jeune homme contemple ces ombres chinoises qui se découpent à la lumière des phares, traversent, courent, s’affolent. Le bonhomme vient de passer au rouge. Une fille s’élance, ballerine aux pieds, en trois bonds de cabri, un dérapage, la voilà dans les bras de son amant. Baiser furieux. Déjà, ils quittent la scène. Sous la statue, photographie plus intime, un couple s’enlace. Pleure-t-elle de joie ? Reflet sur une joue. Deux corps se cherchent, s’étreignent, s’échangent. Tendre baiser.


Le jeune homme, souriant, se rappelle d’autres temps, d’autres lieux, un corps chaud qui se presse contre le sien. Mélancolie. Pourtant, il n’a pas envie de pleurer. Pas ce soir. Non, plutôt, convoquer la nostalgie, en se montrant curieux de ce monde qui l’entoure. Prendre plaisir à l’instant. L’attente, dans le froid, coup de blizzard. L’envie, un peu ridicule, de serrer quelqu’un contre lui. Pour faire la guerre à l’hiver, le vide, la mort. L’amour, dernier drapeau pour dégager les draperies de mélancolie. Ses pensées errent, convoquent des images, d’autres photos, des yeux qui passent dans le vague. Bleus, violines, verts ou vairons. Des femmes. Le plaisir d’un instant. Secret. L’amour Epiphanie. Un regard, un parfum, un geste. Maladroit ou délicat. Boisé ou fleuri. Intense ou détourné. Un moment. 
A jamais.  

mardi 13 septembre 2016

Yin Yang oissant

Le yin et le yang, du noir et du blanc. Une reine ébène arrache sa couronne au roi pâle. L'équilibre se meut, l'harmonie se meurt. Les ténèbres engloutissent la lumière. L'instant s'éteint. Disharmonie d'un malaise incertain Souffler, respirer, s'apaiser S'harmoniser. Se rééquilibrer. Un papillon s'envole avec mes larmes Instant présent 

dimanche 4 septembre 2016

Dans l'océan sylvestre

Une forêt noire au clair-obscur. Dans la futaie,  un gamin solitaire chemine entre les ronciers. Bien trop futé pour son âge, ou trop âgé pour se prendre à ce genre de jeu, il semble las de marcher depuis trop longtemps dans ces contrées. Pieds nus, il s’enfonce de chacun de ses longs pas plus profond dans la terre mère. Sous sa voûte plantaire, un tapis d’humus, noir et vivant, richesse luxuriante, grouillante et ruisselante née du terreau de feuilles mortes couleur Automne.

L’enfant-homme serait nu, s’il n’était paré d’une gangue de boue glacée, armures de vérité faussées. Elle barde son âme derrière un surcot gris acier de déraison. Camail de peur, caparaçons de l’indolence et œillères noires d’une terreur sans nom.

Car l’enfant, qui se croyait depuis bien longtemps homme, est perdu dans ce sinueux chemin qui n’a ni queue ni tête, juste un pas de plus, toujours plus loin. Il bute, de loin en loin, sur des racines mortes, cercle d’un enfer de nostalgie et de souvenirs froids dont il ne sait se défaire. Il erre, comme une âme en peine, dans cette forêt crépusculaire. Entre roquet et loup, l’enfant s’éclaire à la flamme vacillante d’une bougie de suif, naïf de croire que les Lumières puissent guider ses pas alors qu’elles pourraient être soufflées par le moindre murmure ténèbres du vent.

Pourtant, dans son attitude mortifère, il n’abandonne pas, jamais. Même s’il a une grande envie de baisser les bras. Il n’est pas seul, jamais, au cœur de cet océan sylvestre. Il chemine, solitaire, sous la frôlement intime d’un rire d’ami. Il marche sous l’éclat bienveillant d’un sourire d’amie. Dans les nuées, la caresse d’amour de ceux qui l’aime, de ceux qu’il aime, de ce qu’il aime. Dames d’un temps jadis, frère d’une vie parallèle, géant protéiforme, animal fantasque à l’accent d’Albion. Battement d’aile d’une papillon, ou affectueux ronron d’un chaton. Famille qu’il s’est choisi, famille qui l’a construit. Façonné par l’héritage des gênes. Filiation qui remonte aussi loin que la naissance du Temps.

Il marche, l’enfant, héritier de ce chemin sans fin, jalonné, de loin en loin, d’impromptues rencontres. Détours du Destin ?

Il passe un chemin creux. Trois ans, deux siècles, ou une éternité sans montre. Solitaire bien entouré, dans les tréfonds d’une dépression, il se moque du temps. Chercher seulement à le remonter, sans plonger, le long de cet océan d’orée.

Encore un monticule. Qui y’a-t-il derrière ? Il ne le sait. Du néant d’espoir, ou le désespoir du vide. Il hésite, tempère, aimerait se barricader. Pourtant, il sait que s’il n’avance pas, son insatiable curiosité l’y poussera. Jouer son vatout, avant que la mort qui le course avec ses chiens pas très loin ne le rattrape, et ne le rate.

Dans un souffle, ses jarrets poussent. Un pas de plus. Carcasse, secousse. Stupéfaction et tremblement. Dans l’océan sylvestre, une trouée. Clair bosquet lumière d’été. Clairière jonchée de fleurs de printemps. Stupeur et tremblement. En son sein, un rocher, moussu, fier, solitaire. Solide aire. Stupeur et tremblement. Du cœur du rocher, ou à son sommet, un chant jaillit, fort clair, gloussement d’une rivière qui prend sa source, ici, puise ses racines racines dans l’ombilic du monde, s’extrait du fond de la terre, et renaît ici. Torrent de montagne qui résonne avec son âme qui, l’enfant ne s’en est pas rendu compte, mourrait jusqu’ici de soif.

En haut de l’aire, une fille fée aux yeux verts. Cheveux dorés, peau couleur de blé bronzée. Elle brille, impudique, comme un météore qui fendrait la nuit, drapée de sa nudité comme Vénus d’un voile étoilé. Elle resplendit dans le clair-obscur. L’enfant la contemple, de loin, subjugué. Lavées ses douleurs, nettoyées ses plaies, séchés ses sillons salés qui tracent les lignes de terreur sur son visage. Balayées cernes et rides qui obscurcissaient sa vue et son jugement. Sa cornée revoit. Ses yeux noisette brillent. Il est. Libéré.

Dans ce crépuscule ensoleillé, il cherche ses mots, balbutie une amorce de phrase, bégaye ses tricheries. Puis les oublie. Le temps n’est plus à eux. Il est à vivre, quelque chose, de terrifiant et d’intense, moment tristesse, instant joie. Pas besoin d’écrire, de dire, de penser. Elle est là. Elle est un tout. Importante. Fille fée. Parallèle qui croise, enlace, trace un tremblement de terre là où l’ont mené ses pieds. L’important, c’est l’instant. Apprendre. Aimer, chérir, embrasser. Se construire, se découvrir, se surprendre. Elle est un éclat lunaire, fulgurance d’une étoile qui file. Elle est. Il est. Deux âmes croisées, vagabondes, qui cheminent sur un chemin, un instant, mais qu’est-ce que le tant, perpendiculaire. Deux chemins, différents. A l’opposé ? Cela effraie l’enfant, sans qu’il sache pourquoi. Terrifié, c’est si différent de ce qu’il sait. Pourtant, sans promesse, il espère, de loin en loin. Plus de peur, dans son brouillon, une nouvelle ligne de fuite, non pas lâcheté, mais esquisse d’une (re)construction. Bâtir, sans savoir de quoi demain sera fait. Oublier le contrôle, désapprendre la maîtrise de soi. S’appréhender. Se réapprendre. S’apprivoiser lui-même, pour mieux se libérer.
Envie de chanter. Elle n’est pas sienne, il n’est pas sien. Pas de laisse, de cage ou de chaînes même dorées à l’or fin. Pas de lien, et tout va, pourtant, très bien. A coup de masse, il brise les constructions sociales imposées. Il est prêt à repartir. Commencer une nouveauté. Sans peur ni terreur. Car il sait que, sur son rocher, elle restera dans les parages de son paysage. Point d’ancrage pour géographe mentalement épuisé. Un repère, un phare, une lumière qui guide ses pas. Elle l’embrase. Lui se surprend d’une envie de l’embrasser, la serrer dans ses bras, oublier les mots. Seulement dire merci, dans une étreinte éternité, pour ce précieux présent. Cadeau, partage de la Liberté.


Aimer !?

dimanche 28 août 2016

Comme un météore

Deux mains tendues, l’une vers l’autre. La première, rigide comme un piquet ; la seconde, souple comme un roseau. Peau dorée contre écailles caramel. Ongles rouge sang face à…des ongles absents. Deux mains qui se croisent. Pavane lascive, erratique, érotique peut-être. Sensualité tandis que deux avant-bras s’émeuvent sur le rythme d’une musique imaginaire. Pas de deux pour bras tendu, menuet à trois temps pour fin doigté, pantomime pour un tramway perdu.

Instant précieux, remonter le cours du temps, ou d’un bras. Une épaule, la ligne d’une clavicule, la naissance d’une gorge pâle. Menton boudeur, bouche pleine, carmine. Nez droit, lunettes qui cachent deux grands yeux verts, qui n’ont pas abandonné, jamais. Une âme brille. Météore fulgurant qui traverse une autre vie. Il ne l’a pas vue arriver, et c’est tombé, comme ça, quand il n’attendait plus rien. Qu’il se sentait si bon à rien. Qu’il n’en avait plus envie d’en faire, pour rien. Derrière ses boucles dorées, elle n’est pas jolie. Non. Elle est belle. Parce qu’elle est une flamme. Elle brûle, chasse le froid, fait fondre le blizzard. D’un regard, elle réchauffe un cœur sur la réserve ; envolée la gangue de glace qui protège un palpitant qui déraille depuis trop longtemps.

Volupté. Du bout des doigts, d’un frôlement du poignet, elle touche son âme. L’émeut, le meut, et sa rigidité cadavérique s’envole pour une danse éternelle. Comme il aimerait, comme il aimerait que cette minute dure…à jamais. Se plonger dans ses yeux, s’y noyer, y (re)naître. Immuabilité d’une chorégraphie impromptue. Duel sans armes, du bout des doigts, sans haine, de deux âmes.
Alignement du cosmos. Deux mains se touchent, le long d’un bras, deux regards se croisent. Se répondent. Se perdent. En un ? Les mots fuient. Ils ne sont pas capables. Envolé l’intellect, dérobée la langue, paumé l’écrivain. Il ne reste plus qu’un garçon qui se perd, dans un instant, pour un instant, juste un moment, dans les yeux d’une fille femme.

Alter ego.


Bas les masques. Plus de fuite, de raisons à colère, ou d’envie de suicide. Juste profiter de ce temps à part. Un temps pour deux. Deux mains se croisent, s’embrassent, s’embrasent. Véroniques et passes, virent, voltent, tournent et pirouettent. Jeu. Tu me suis, je te fuis. Je te suis tu me fuis. Plaisir d’un instant volé au temps. Caresses, frissons, flèche décochée au cœur. Explosion de sensations. Un météore passe. Rire triste. Et las. L’instant s’arrête au même arrêt que le tramway. Deux bras se quittent. Deux âmes s’envolent. Ailleurs. Infinie tristesse d’un instant qui se dérobe. Infini d’une joie qui renaît…

jeudi 11 août 2016

Madame est servie

Nuit d’ennui. Nuit d’insomnie. Maladie de nanti. Des problèmes, faux, plein le cerveau. Le sommeil qui s’est enfui.

Dehors, Marseille nocturne. En arrière fond, le ressac d’une autoroute jamais assoupie. 1H30 : ambulance au cri strident. 2H15 crissement de pneu, course de nuit dans la cité d’en face. 3H22 sirènes ululantes, voiture de police qui démarre à tout berzingue, oiseau de proie pour oiseaux de nuits. Ou nui oiseuse. 

4h45. Train de nuit de Paris. Au même instant, dans l’immeuble d’en face, à moins que ce ne soit juste au-dessus, une femme crie sa jouissance. Hurle, expulse, prend son pied. Tout aussi fort que le bébé de 5H01 qui vagit sa faim et attend sa première tété. Affole en moi quelque chose savamment enfoui pourtant. Je me bouche les oreilles. J’essaie de trouver le sommeil, alors que déjà la nuit violine laisse la place aux prémices d’une aube opaline. Demi réveil. Rien n’y fait. Je superpose des images d’histoires, mauvais romans, nouvelles inachevées, rêves abandonnés.

Lâcheté.

5H29, tapante. Je devais m’y attendre, mais elle me surprend, toujours. Craquement sonore d’un store défoncé par une masse énorme. Un éléphant passe dans un magasin de porcelaine. Cambriolage. Le pouls qui s’accélère. La main cherche vainement un interrupteur. Terreur d’enfant, fiat lux, la nuit est chassée par le non grésillant. Crac boum. Miaulement qui tient lieu tout à la fois de grognement, de bonjour et d’une demande. Claquement brusque d’un ordre sec. Le chat a faim. Feed me human. Grattement sur une tong abandonnée. Claquement. Elle l’a abandonnée quelque part dans le couloir, pour mieux miauler. Amène toi et nourris moi. Miaule miaule miaule. Meow qui sonne comme les sanglots des violons de l’automne. Sonnerie mortuaire pour estomac efflanqué. Course dans le couloir. Saut malhabile. Un poids sur mon lit, une chaleur contre mes jambes, et un souffle sur ma poitrine quand elle se décide à l’écraser. Allez, tu vas te lever oui. Et si j’essayais de feindre le sommeil ? Cela ne marche pas, elle miaule, plus fort, mord mon nez. J’ouvre un œil. Je ne peux plus m’en tirer. Elle tricote ma poitrine. Là j’ai mal. J’abaisse le pavillon, elle a gagné. Chef oui chef, allons te donner à manger. Je la pousse et, maugréant, part à la suite de miajesté qui marche de son pas chaloupé, reine de ses lieux.


5h31 Carrelage froid pour bien s’éveiller. Ouverture des chakras de la mauvaise humeur. Je n’ai pas retrouvé sur le chemin la tong kidnappée, où a-t-elle bien pu la poser ? Train de sénateur tandis qu’elle roule son corps, ondule près du sol, son ventre balaye les miettes de la veille.  Mécanique bien ajustée, elle ronronne comme un moteur, au quart de tour, tandis que j’attrape sa gamelle. A moitié pleine, pour moi. A moitié vide, pour elle. Le temps de la remplir d’une louche de graines, elle se frotte contre mes jambes, caresse mon mollet, joue avec mon pied, amoureuse. Je connais trop tes petits jeux madame. Mais je te sers, quand même. Je pourrais m’en retourner, mais son ronronnement m’invite à un petit plaisir. Je la gâte, la cajole, la caresse, accroupi tout contre elle. Elle nous mène tous par le bout du nez. Elles nous mènent tous par le bout du nez. Je la câline, flatte ses flancs, chatouille son dos. Ma main s'arrête au creux de son cou, caresse, pétri, masse, ça marche à tous les coups. Elle s'abandonne, ronronnante, tout contre moi. Craquement d'une croquette. Boulotte, sa miajesté se relève sans prendre gare à son esclave, et s'en va d'un pas digne mais chaloupé. 5H32, je peux retourner me coucher. A peine dans mon lit, grattement. Elle monte, se cale contre mon épaule, se roule en boule. Dans son ronflement, je m’endors. 

dimanche 12 juin 2016

Nuit fauve

Encore une nuit d’insomnie. Une de celle de la sainte trinité lexo, clope et film porno. Dans les couloirs, le raffut des basses, de rires aigres et des claquements des talons hauts sur le lino. La jeunesse France qui croit s’amuser dans son insouciance. Connards. Toi, dans ton lit, la douleur dans ton dos, ton cœur, ton cerveau. Roulé en boule dans une couverture miteuse, tu n’as même pas envie de sortir. Pour boire un verre avec ces gens que tu méprises. Pour gueuler un bon coup sur leur gueule de cons petits bourgeois. Casser une figure d’un coup de poing qui fera cracher du sang et des dents.
Prouver ton existence.

Tu fuis, dans les films mièvres et les mauvais rêves. Temps mort. Gâché. A ne rien faire. Sauf à te dégoûter de toutes ces conneries auxquelles tu voudrais croire, amitié, amour, vie désintéressée. Dans ta gorge, une odeur de vomi, tes membres paralysés, tu cèdes à un demi-coma migraineux. Parce qu’à force, tu la connais trop cette éternelle rengaine.

Des pressions. Encore une bouteille de Kro, à peine fraiche, pour te rincer la gorge. Ça te débecte encore plus. Car ce soir, tu te méprises tellement que tu n’as même pas envie de jouer le jeu. Tu es fatigué. Tu abandonnes. Tu te lèves. Second round fuyant pour lâche introverti. Tu enfiles un futal trop large aux hanches, trop court aux chevilles, ceinture qui te sert le ventre. Trop de bière et de gras. Une chemise froissée. Et une veste, pas parce qu’il fait froid, mais parce que dedans tu caches un paquet fripé de goldos achetés en sous-main à Barbès, pour ce genre de soirée où le seul remède de ton mal c’est te défoncer encore plus le crâne. Pour oublier ce que tu ne te résous pas à exposer.
Automate, clic-clac, la porte claque. Tu es dehors. Tu inspires, l’air frais, comme une dernière bouffée. Clic-craque. Gaz et zippo. Tu aspires la lumière, première taffe, bouée de noyé. Tu te sens vivre, comme un camé, mais tu te sens en vie. Malgré la douleur, ou à cause d’elle. Tam-tam lancinant de la migraine crève manque de sommeil que tu te traines comme un boulet depuis des jours qui font des semaines.

Dehors, les rues de Paris. Allumées de rêves-erbères. Chats noirs qui glissent solitaire, comme toi. A la recherche d’un toit, d’un endroit pour se cacher, ou juste boire un dernier verre, avant la fin de leur monde. L’éternelle recherche du Temps Perdu. A attendre de provoquer un truc dément, un truc bandant, un truc qui remisera tous les films de cul à un joyeux souvenir de temps anciens. Le truc. Qui remisera les va et vient de taulard, dans les rues de Paris pute sacrée, au fin fond d’une cage en rouge et noir.

Il flottille. C’est triste et con, t’as oublié ton parapluie. Mais là, tu t’en fous, à cette heure. Remontes le col de ta veste, et laisses l’eau dégueulasse de pollution baptiser ton crâne de vrai-faux parisien.
Tu marches, au hasard, aveugle, à fuir tes Noirs. Ton ennui. Ta vie. Résumée à cette cigarette qui se consume lentement, à peine incandescente, qui ne laisse pour toute trace de son existence qu’un nuage évanescent de fumée. Délétères pensées.

Tu marches, désolé, dératé, à enfiler les rues que tu rencontres comme ces filles dans les bars. Une grande avenue. Peu importe son nom, elles se ressemblent toutes. Reines, impératrices, républicaines. Aux grands hommes les grands remèdes des plaques d’acier forgées inscrites dans les os-artères principales, pour une éternité adamantine.

L’avenue solitaire, fleuve sans nom qui charrie encore des files de tires à cette heure triste. Drave inconsistante de noctambules trop éméchés pour réfléchir à l’insolite de la situation. Morceaux de bois flottés, ballotés par les courants de la vie, et qui atterrissent, comme toi, dans les hasards de la grande ville sans âme.

Une place. Assis sur un banc, tu partages une clope avec un clodo philosophe en veste tweed élimé et jean troué. Il t’offre, gratis, une leçon de vie à grands relents de villageoise et coups de piquettes qui décaperait même un verre de coca. Pour ce que tu en as à foutre la vie, tu peux bien écouter. Gagner une perle de sagesse, que tu laisseras mûrir, dans ta cervelle. Encore un de ces cadeaux dont tu t’en bas et que vas gâcher, comme les autres, quelques semaines plus tard. Grigri d’amour totalement désespéré, ou désespérant.

Le vieux s’endort. Ronflement tapageurs. Tu souris. Glisse un billet de cent francs. Et décolle dans une autre rue, puis une autre. Demain, tu réfléchiras, mais pas avant. Procrastination de merde. Tu atterris devant une pharmacie de garde. Couples avec enfants malades, vieille grand-mère qui ne dort plus depuis au moins cent ans, et camés à la recherche d’un simple cacheton de doliprane pour oublier le manque. C’est drôle ces néons verts versus le rose bonbon d’un salon de massage. Le pharmacien enfermé dans son bunker et la maquerelle qui, dans son mauvais français teinté d’accent thaï, te dit que tu vas trouver l’amour. Tarifé bien sûr. C’est tentant non ? Toujours mieux que le personnage en carton-pâte, petite brune qui tend un tube homéopathique contre la grippe, qui te toise avec son air de Marie-France, Marie-Claire ou Marie-couche-toi-là. Tu seras presque prêt à céder. Presque. Parce que dans la pharmacie, tu vois un de ces personnages qui n’existe que dans les romans. Petite brune dans sa veste de pharmacienne trop grande trop large pour elle, comme ton fute. Elle sert un client noctambule. Sourire espiègle, yeux réglisse, et une joie de vivre dans chacun de ses mouvements. Comme si elle n’avait pas peur de ce qui pouvait arriver. Comme si elle n’avait pas peur de la vie. Comme si elle n’avait pas peur, de rien, parce qu’elle effrayait tous les démons par sa seule présence rassurante, dans les nuits noires de Paris.

Toi, tu souris, bêtement. Dans ton cœur, une petite boule de chaleur. Espoir. Te dire que tu peux encore croire, en quelque chose, en quelqu’un. Un tout petit rien qui te fait sentir bien. Tous tes cafards, très loin. Pour une fois.


T’as envie de pleurer. Chialer. Cracher de la morve. Puis tes viscères, tes tripes, ton âme. Reconnaître que tu n’es qu’un connard arrogant, faible, et lâche. Couiner de joie, au milieu des noctambules camés, putes et chats noirs d’un soir trop noir. Le dire, tu sais pas comment, mais t’exprimer. Comme tu l’as pas fait depuis longtemps. Parler, chanter ou versifier. Tu t’en fous de la forme, tant que tu l’inscris, quelque part. Ecrire tes maux. Ecrire des mots. Un refrain, lancinant, « un truc bandant, un truc dément qui donne la foie, qui repousse enfin l’blizzard ». Une silhouette floue derrière une vitre en vert et blanc, couleurs d’espoirs. Pureté qui défie les terreurs nocturnes. Amours naissants.

mardi 17 mai 2016

Voeux d'anniversaire

Avec quelques jours d'avance, pour vous mes parents, mes amis, ceux qui comptent, vraiment. Je vous aime, merci d'être là, toujours :)

Les choses changent, insidieusement. S’il voulait arrêter, il n’en serait pas capable. Car tout avance, marche, roule. Lentement, mais surement, pas léger et cadencé des années. Ce n’est plus une fuite, une course en avant, sans un regard pour derrière, le passé. C’est la réalité. Triste ou joyeuse, qu’importe, cela, c’est le jugement des années. C’est la réalité. Sa réalité.

Cette nuit, il n’a pas rêvé d’elle. Non, il ne saurait même plus tracer ses traits. Il les a oubliés. Alors qu’il pensait, hier encore, qu’ils resteraient gravés à jamais. Brûlure au troisième degré, fer rouge sur son cœur imposé. Le temps fait son œuvre, et seul reste l’amertume de ne pas avoir vécu, pendant six années. Ou plutôt, être passé à côté. De tant de choses, de tant d’amitiés, de tant de temps.
Même s’il le voulait, il ne pourrait pas revenir dessus. Et puis, le peut-il vraiment, revenir dessus ?
Cette nuit, il a rêvé de sa famille. Il partage leur sang, et pourtant, il se sent si éloigné d’eux. Si seul, dans ses nuits tourmentées. Eux qui ne comprennent pas, parce qu’il a verrouillé certaines choses, tues d’autres, caché beaucoup. Pour ne pas les voir souffrir, pour pas qu’il sache qu’il souffre. Par fierté de se dire qu’il ne leur doit rien, lui qui leur doit tout. Et pourtant, il a rêvé d’eux, d’un jour heureux. Réunion de famille. Les visages se sont fanés, les cheveux un peu plus grisés, et les yeux plissés. Il manque une personne, ou deux, ou plus. Où sont-elles ? Il connait la réponse. Effacées, dans sa mémoire, mais à jamais incrustée, au fond de son cœur.

Comme elle. Comme elles. Comme eux. Ses amis. Ses supports, ses alliés, ses piliers. Il leur en a fait baver, il leur en fait baver, il leur en fera baver. Et pourtant, ils sont toujours-là. Sa famille qu’il a choisie. Ils ne sont pas nombreux, et pourtant ils comptent plus que tout au monde. Eux aussi ont vieilli, vécu, grandi. Appris de nouvelles choses, changés, lentement, pour devenir des femmes et des hommes accomplis. Ils se sont moulés dans des vêtements, autrefois trop grand pour eux, et qui maintenant les entourent comme un gant une main. Malgré les déroutes, les défaites, les échecs, il n’a envie, pour eux, que de se rappeler des réussites. Partie de carte de la vie, où la chance importe peu, tant qu’on est bien entouré. Pour se battre, survivre, se vivre. Etre ensembles, contre tout, avec tous. Et garder, au fond du cœur, une trace de ceux qui ont partagé, même un instant, tout petit moment, quelques heures de ce chemin sans fin.


Dans le creux d’un rêve, il aimerait vivre sa vie à la manière de…Non. Il ne faut pas être à la manière de, mais faire de cette manière de sa propre voie. Vivre pour rêver. De ces yeux noirs, verts, rouges qu’importe, cheveux bronze, sinople ou corbin, qu’importe. Rêver, d’elle. Cet amour inconnu. Et espérer avoir la chance de la rencontrer. Au détour du chemin. Et se rendre compte de la chance qu’il a, de vivre, pour espérer. 

dimanche 17 avril 2016

La modèle de boue

C’était un atelier comme un autre. Un de ces grands hangars de la banlieue parisienne, bêton glacé et acier froid, rivés grisés et fenêtres brisées. Piles de bois, tas de glaise et gros blocs de pierres encore cellophanés entouraient des bas improbables d’instruments qui n’auraient pas dépareillés dans une salle de torture de l’Inquisition. Comme quoi, les instruments d’un artiste peuvent-être. Pour rendre le tout plus cosy, cotonneux et chaleureux, de grandes tentures tombaient depuis les toits, délimitant des espaces improbables faits de poufs orientaux, de chaises vannées et de fauteuils en cuirs anglais enfoncés jusqu’au plus profond de leurs trames. Dans cet éventail de socles aussi divers que variés se pelotonnaient les fesses des artistes du jour, qui attendaient, tout comme moi, l’arrivée de la modèle. On fumait, on blaguait, on discutait de la réussite du petit dernier à telle grande école. Futilité mondaine de gens qui n’étaient pas là pour l’art, mais pour le hasard de la rencontre, de pratiques sociales sous une autre forme qu’un simple dîner. Engoncés dans leurs réceptacles, les croquis préparatoires, pages vierges couleur vieil albâtre, plus blanches que les cuisses d’une jeune fille, s’étalaient sur des tables basses aux côtés de pinceaux, fusains et autre crayons plus ou moins gras. Prêts à croquer ce corps offert dans une débauche de coups de mains furieux et d’œil attentifs aux moindres détails.

Le maître entra soudain en scène, vêtu d’un vieux costume élimé, un foulard en soie lie de vin au cou, il fit passer à sa suite, galamment, la modèle, ou la proie, à en voir certains regards libidineux de mes comparses apprentis-artiste. Moi-même, j’étais troublée par le regard de cette fille vêtue d’un kimono de soie noire, qui laissait plus que deviner les formes épanouies de son corps. A l’échancrure, une peau laiteuse, presque grasse, débutait la racine de seins qui me semblaient énorme, comparé à mes petites cerises de femme sèche, maigre et osseuse. De même sur les cuisses qui sortaient rapidement de ce court voile de soie noire tatoués de fleurs multicolores, à dominante rouge. Le maître jacassait, tandis que la modèle s’avançait dans le demi-cercle éclairé par des bougies à l’ancienne. Je ne pouvais détacher mes yeux d’elle, hypnotisée. Souhait du maître, pas de lumière artificielle autre que ces bougies qui éclataient les yeux, mais donnaient de superbes ombres aux milieux des volutes de cigarettes et de l’odeur persistante de benjoin et d’eau de Cologne. Lentement, avec une grâce consommée, elle se dévêtit de son dernier rempart. J’étais face à elle, qui me tournait le dos, mais j’étais estomaqué par les formes qui s’extrayaient en même temps que glissait ce kimono de soie le long de ce dos cambré. Elle avait des cheveux courts en bataille, châtains clairs, qui tiraient sur les blonds, à moins qu’elle n’ait fait un léger balayage chez son coiffeur. Un cou petit et musclé, des épaules de nageuse, un dos droit qui tombait le long d’une ligne dorsale apparente. Ses hanches, larges, s’épanouissaient sur un plateau fessier, collines aux mamelons pentues, douces, comme de grosses pêches bien mûres. Elle rappelait l’été ; ma jeunesse déjà enfuie, et dans mon cœur, une tristesse jalouse me piquait, tandis que sa beauté me serrait les poumons un instant, m’empêchant de respirer. Je n’avais jamais été comme elle, et je ne le serai jamais. Elle était mon opposée, mais si désirable, dans cet instant, où elle appartenait qu’à mon seul œil. Elle me faisait oublier le temps, dans ces vingt minutes de pause. Elle me faisait oublier le sifflement graveleux de mon voisin, qui ne voyait qu’une vache, ou une femme, un peu grassouillette, qui le faisait bander. Le salaud. Il n’était pas là pour le beau, mais juste pour mater. Après, quand je serai rentrée chez moi, il me donnerait la nausée ce vieux gros libidineux. Mais pas dans cet instant béni, où ma main glissait, le fusain prolongement naturel de mon cœur et de mon âme, sur la toile de papier jauni. Je croquais ce corps offert comme un présent des dieux, je dessinai une âme, de dos, qui dans sa seule pose laissait passer une infinité de choses qui me troublaient. Vingt minutes, c’est long, c’est très court aussi, une minuscule éternité instantanée. Le réveil sonne. J’arrête tout. Elle se rhabille, vivement. Je n’ai même pas vu son visage, depuis son entrée. En quelques instants, elle n’est plus là ; elle quitte la salle presque en courant, tandis que j’en suis encore à essayer de calmer mon souffle court et les battements de mon cœur. Je ramasse mes pages, dans un état second. Sans rien dire, je pars aussi, troublée par cet instant. Fuite honteuse à mon âge, trouble de gamine. Maintenant, j’en rirai. Mais c’est si étrange, alors que toute passion semblait passée. Tant pis.

Ma voiture glisse dans la nuit noire. J’entre comme dans un rêve dans mon pavillon solitaire. Le chat miaul, mécontent d’avoir été abandonné quelques heures. Je passe en vitesse les couloirs où les reflets d’une vie passée, d’une vie de couple enfuie après une longue maladie, d’enfants jamais nés qui auraient depuis trop longtemps quittés le nid. De toute façon. Je grimpe quatre à quatre l’escalier, sans faire attentions aux tableaux, esquisse et gravures. Cadeaux d’un mari depuis trop longtemps absent. Statues de bouddhas, calligraphies d’Alger, livres rares du monde entier. Je pousse la porte de ma salle de bain. En un tour de main, je suis nue, et je me plonge sous le jet brûlant de la douche à l’italienne. Pour chasser le trouble. Pour oublier. Pour disparaître dans la buée. Je me consume d’un feu intérieur. Je le chasse, d’une main engagée. Réminiscence du passé. Je crie. Je hurle. Je jouis. Contemplation d’une image qui reste dans mes yeux. Je sue. J’évacue. J’assèche ce désir insatisfait. Insatiable. Encore et encore. Des doigts.  De la main. Du pommeau. Epanouissement. Vertige troublant. Apogée de la pamoison. Je m’effondre, encore tremblante, sur le carrelage visqueux d’eau et de savon, tandis que je m’enfonce dans la buée.

Les heures ont passé. Nue sous un peignoir de velours rouge, je sirote un café. Les planches de la jeune modèle sont éparpillées sur la longue table de chêne de mon propre atelier. Un besoin instinctif, primaire, m’arrache de mes envies de sommeil. Un énorme morceau de glaise devant moi, je me lance dans le modelage de ce corps si différent du mien. Démiurge proche de la démence, je travaille à grand coups de pogne menue la base. Dos de nageuse. Fesse voluptueuses, cuisses duveteuses. Hanches larges. Petite tête. Vénus hottentote. Ou représentation de la Mère, matricielle, comme ces vieilles statues qui s’ennuient derrière les vitres glacées du Louvres. Je pousse, j’étire, je taille, matière élastique qui se malaxe, se broie, se tranche de la main, de la spatule ou du couteau. Je ne regarde même pas mes croquis, tellement son images m’a marquée, elle reste ancrée au fond de ma pupille. Mes nerfs optiques travaillent au même rythme que ma main, via mon cerveau qui carbure à l’adrénaline de cet instant qui n’est pas partie, pas tout à fait, sous la jouissance de la douche brûlante. Je n’en peux plus. J’ai besoin de travailler cette chair de boue agglomérée. Comme un écrivain doit écrire, moi, je dois sculpter. Créer. Fusionner. Matière, esprits, tendus vers le même but. Rêver.


Les heures ont passé. Epuisée, je fume une cigarette, la première depuis des années. C’est étrange. J’avais arrêté à la mort de mon mari, après le début de sa longue maladie. Et, maintenant que mon désir renait, je m’y remets. Je laisse là cette idée. Je regarde juste cette statue de glaise et de chairs, statuette impure qui laisse seulement transparaître ce qui m’a ému chez elle. Cette sauvage vitalité. Elle n’était pas jolie, elle était belle. Parce que jeune. En vie. Parce qu’elle m’a rappelait que, malgré la fin, je respirais encore. Je pouvais respirer, vivre, aimer. Me plonger toute entière dans les plaisirs de l’Art. J’écrase ma cigarette. Il est très tôt, ou très tard. Mes muscles sont courbaturés, pourtant je suis heureuse. Assouvie. Je quitte, presque à regret, mon atelier. La statuette doit sécher. Moi, je m’en vais me reposer. Rêver, peut-être, de cette modèle. Rêver, peut-être, de la rencontrer. Et de lui parler. 

mercredi 23 mars 2016

Image d'un monde flottant (partie I)

Ukiyo, le monde flottant. Ce nom n’a jamais eu autant de sens que depuis la construction de cette immense station spatiale dans l’orbite de Néo-Kyoto.

Ukiyo, des centaines de milliers de tonnes d’acier, à l’image d’un ancien quartier féodal enclos de tours d’angles laquées de lumignons rouges. Vrai temple de l’argent, là où tous les rêves sont possibles une fois passée l’entrée bien gardée de ce spatioport qui flotte au-dessus du cœur de l’Empire. Dans ces ruelles, le long de maisons louches, auberges de passes et imitations clinquantes de salons de geishas, samouraïs hautains côtoient riches marchands et prêtres défroqués sous le regard de yakuza aux tatouages soignés qui protègent des filles enjôleuses qui cherchent à amener le badaud dans des salles obscures. Le premier cercle, surnommé l’Enfer, est bon pour les hommes de moindres rangs, les plus pauvres parmi ceux qui peuvent se payer les frais astronomiques de voyages spatiaux. C’est là que les maisons à la plus mauvaise réputation s’escriment dans les recoins les plus lugubres de la station, là où l’argent paye n’importe quoi, et où l’opium écarlate défonce autant les esprits que les faiseurs-de-rêves de basses qualités. Les trois cercles suivant s’illuminent de plus en plus, mais notre histoire commence au cœur de la station, dans le cinquième anneau de l’Ukiyo. Là où les plus riches des nantis viennent passer du bon temps, à se perdre dans des rêves plus réalistes que la vraie vie. Là où passer une nuit avec une geisha, simplement à converser, coûte l’équivalent du salaire annuel d’une centaine de paysans. Le cinquième cercle. Là où, dans la cuisine d’un des hôtels les plus select qu’il soit, la Carpe Rouge, une jeune femme tranche vigoureusement d’un coup de lame acéré un sashimi de saumon importé depuis les océans lointains de Umikaze.

Sur tous les mondes tenus sous la coupe de l’Empereur, Dame Saori et la Carpe Rouge sont connus pour créer la meilleure gastronomie qui existe. On se presse des quatre cent planètes de l’Empire pour admirer ses sushis, soupes de nouilles et autres délices à la prune. On pourrait croire qu’elle se trouve entouré d’une armée de pages, de commis et de maître queux à ses côtés ; pourtant, alors que la quatrième heure de l’après-midi vient de sonner, et que ce soir un grand dîner est annoncé, elle est seule, entourée de ses plats, plongée dans ses souvenirs. Car ce soir, elle sert le Baron Hanzo, nouvellement promu au titre plus que prestigieux de conseiller impérial. Le Baron Hanzo, le borgne de Chinomura, le démon lunaire. Le Baron Hanzo, avec ses bushis, ses hatamato et ses capitaines. Le Baron Hanzo, celui qui rappelle à Dame Saori qu’il y a des années, elle qui n’a plus de trente hivers, elle était une petite fille au milieu des incendies d’un palais princier. Sa lame tranche à nouveau, tout aussi brutalement, tandis qu’elle ne peut s’empêcher de trembler imperceptiblement à la masse d’images surgies d’un passé qu’elle croyait avoir enterré. Le beau visage, fardé de blanc, sourcils rouges dessinés au pinceau et yeux noirs comme la nuit, se voit enlaidi par une tristesse infinie qui risque de ruiner le maquillage élaboré qui recouvre ses traits. Dans sa détresse, Dame Saori, elle d’habitude si maîtresse d’elle-même, toujours soignée et propre, voit perler une larme, unique, à la commissure de ses cils. Alors qu’elle s’était jurée de ne plus pleurer, il y’a plus de quinze années de cela. Le jour où le Baron Hanzo a exterminé sa famille, et lui a arraché ce qui faisait d’elle une fille.

Elle se rappelle l’odeur de fumée, alors que le charbon de bois de la cuisine se consume comme les incendies allumés autour du palais de sa famille. Le claquement sec de son couteau résonne dans le silence de sa cuisine aux tatamis duveteux et aux shojis lambrissés comme le craquement des os des guerriers qui tuent et meurent sur les barricades dressés en hâte. Son esprit, retourné là-bas, entend les cris qui peuplent ses cauchemars les plus noirs. Une nuit d’horreur, nuit d’effroi. Les hurlements des samouraïs, le tonnerre des armes à énergie, les lames qui s’entrechoquent et se brisent sur des armures. La bataille qui progresse, dans cette nuit d’horreur, nui d’effroi. Son frère ainé, happé par des dizaines de bushis de Hanzo, sa tête au bout d’une pique. Son cadet, empalé contre un mur, du sang couvrant des lèvres duveteuses d’enfant. Son père, si fort, si fier, si courageux, qui pleurent de rage tandis que ses meilleurs guerriers meurent à ses côtés, et qui finit par s’ouvrir le ventre d’un seul coup de son propre sabre, car il sait bien que tout est perdu tandis que les bushis, les hatamoto et les capitaines de Hanzo défoncent les portes et les fenêtres de la maisonnée, shojis peints de couleurs délicates arrachés de leurs cloisons de papier mâché. Les femmes qui piaillent, dans la folie ambiante, hystériques, à chercher à ne pas tomber entre les mains de l’ennemi. Nuit d’horreur, nuit d’effroi. Celles qui commettent le suicide rituel, le jigai, dans le sang, les larmes, les excréments des corps encore chauds. Saori, cachée par une vieille servante. Tirée du sac de linge où elle avait cru trouver refuge par les bushis, les hatamoto et les guerriers de Hanzo. La vieille servante, décapitée d’un geste rageur. Nuit d’horreur, nuit d’effroi. Elle aura une mort rapide, elle, au moins. Saori, poussée devant un homme gigantesque, qui sent la sueur, le sang et la mort. Dans son œil unique brille la folie du combat. Elle se débat. Une claque, violente. Ses lèvres qui sentent le sang, goût d’acier dans sa bouche. Elle, couchée sur le dos. L’odeur de sueur, de sang et de mort, tandis qu’il la plaque contre le tatami duveteux. Ses hurlements, à s’en déchirer la gorge. Ses kimonos, arrachés d’une main de fer. Corps à corps brutal. Les larmes. Ses cris. Les ahanements de l’homme borgne. Les rires gras et veules de ses bushis, ses hatamoto et ses capitaines. La honte, tandis que son sang virginal se répand sur le tatami duveteux, déjà poisseux du sang de ses tantes, ses frères, son père. Les pleurs, de colère, de tristesse, de rage. Impuissante, tandis qu’on la force à coups de boutoirs. Et puis, le trou noir. La fièvre, l’envie de mourir. Une jeune fille perdue, honteuse, sur un pont de pierre, tandis que derrière elle les flammes d’un incendie ravage les restes de son enfance. Une envie d’en finir. Une main qui la retient. La lave, la soigne, lui réapprend à vivre. Un ronin qui ne lui demande rien, ne lui parle guère, et fait de Dame Saori une guerrière. Un ronin aux cheveux roux, avec une drôle de cicatrice qui barre son nez. Un homme qui lui redonna le goût des choses, avant de la laisser s’envoler. Fragile comme un oiseau. Mais avec un nouvel espoir.
Des années plus tard, Dame Saori est là, dans ce magnifique palais d’or et d’argent. La Carpe Rouge est devenu son foyer. Et aujourd’hui, il faut que sa tour d’ivoire s’effondre ? Par la seule crainte d’un homme revenu de son passé. Le Baron Hanzo, ses bushis, ses hatamoto et ses capitaines seront là, ce soir. Et il a spécialement commandé le plus dangereux des plats. Des sashimis de fugu. Une mauvaise incision, et elle tue Hanzo, ses bushis, ses hatamoto et ses capitaines. Mal couper le poisson-globe, et c’est la mort assurée. Pour les hommes qui mangeront ce plat, mais aussi pour elle, car ce sera sa tête qui sera prise pour laver l’affront. Mais venger sa famille, ses tantes, ses frères, son père, cela ne mérite-t-il pas qu’elle n’hésite pas à sacrifier sa réputation et sa place ? Au nom de l’honneur de sa race ?

Devant Dame Saori, une nasse pleine d’eau salée d’Umikaze contient le précieux poisson. Le fugu. Le poisson globe. Le poisson poison. Elle le saisit, d’une main raffermie de courage, le plaque après l’avoir assommé contre une planche de bois, et, sans hésiter, elle tranche vigoureusement d’un coup de lame acéré un premier sashimi…

mercredi 16 mars 2016

Mépris

Perdre les mots. Ne pas savoir que dire, quoi faire, comment réagir. Envie de fuir. Partir, loin, au cœur d’une forteresse cachée. Claquemuré au-delà de verrous d’aciers. Derrière, des sentiments cadenassés, renfermés, enclosés. Ne plus les laisser sortir. Ne plus les laisser filer. Ne pas les laisser s’enfuir.
Pour éviter le déshonneur.
Le ridicule de se laisser porter à ces mièvreries sentimentales et enfantines. Pleurer en public. Pis, montrer une faiblesse. Laisser transpirer cette émotion qui étreint l’âme et enserre le cœur, à l’étouffer. Sembler fort, ou le faire croire. Que tous ces mots d’oiseaux glissent sur toi. Comme une larme sur une joue avant qu’un nouveau sourire ne naisse aux commissures de tes lèvres.
L’instant où tu te crois seul, tu laisses tomber le masque. Un moment. Infime. Où tes yeux se perdent dans le vide.
Contemplation morbide de la vacuité de ta propre vie.
Pauvre con.
L’ennui de s’ennuyer. Le temps qui ne passe pas. L’impossibilité de fuir ta propre vie.
Tu voudrais t’échapper, mais tu vas quand même à cette soirée.
Encore une. A faire semblant. A jouer avec ta fatigue, alors que tu n’as qu’une seule envie, c’est être seul. Ne pas rire de ces mots qui ne te touchent seulement d’une caresse de tristesse, infinie.
Tu n’as qu’une envie, rentrer. Douleur dans le ventre, mal de crâne, vague à l’âme. A l’œil, une buée commence de scintiller au coin d’un cil. Fuir, fuir, fuir. Courir vite. Pour qu’ils ne te voient pas ; pour qu’ils ne te voient plus. Rentrer, te terrer, toi et ton cafard, au fond de to plumard. Rouler en boule, petit raton-laveur mal léché, affolé, affalé. Au milieu de tes livres, qui te servent de tours d’illusions, tu ne sens plus que le goût amer de tes échecs. Faux intello condescendant, vrai antisocial, ou vrai faux dandy. Tu ne peux plus que tailler ta pierre tombale. Tu te dégoûtes. Tu aurais envie de tout foutre en l’air. Tout jeter, casser broyer. Ne plus vivre au milieu de ton monde illusoire patiemment construit, pour ne plus souffrir, et qui maintenant bée de mille brèches longuement accumulées. Barrage démoli contre des sentiments guère pacifiques.

Tu te détruis tout seul, voûté sur le papier, un verre de rhum glauque devant tes yeux, l’odeur du tabac qui imprègne ta langue. Triptyque de ces nuits insomniaques où tu avoues tes impuissances au Créateur. Comme tous ces poisons que tu méprises, toi aussi tu surnage dans cette mare infecte, alors que tu te croyais plus malin que ces requins. Plus d’estime de toi. Seulement ce goût amer, âcre, et sale de tabac qui brûle tes lèvres comme l’alcool brûle ton foie. Au petit feu de tes larmes glacées et claires comme du pétrole. A en vouloir t’en arracher les yeux, les oreilles, le nez, la peau. Pour ne plus sentir cette amertume dans ta bouche. 

mardi 16 février 2016

Un singe en hiver

Paris, la nuit. La valse violine du treizième. Ses rues suintant le gras de la bouffe asiatique, ses devantures jade et or de restaurants ouverts toutes la journée, ses cadavres de canards pendus et laqués le long d’une vitre embuée. Néons rouges et lanternes de papier, pour éclairer la nuit, faire croire qu’il n’y a pas de ténèbres, que c’est une nouvelle année. De singes en hiver.

Paris, la nuit. Le vent qui s’engouffre dans les rues. Mord les mains. Tranche une gorge. Arrache une écharpe. Claquement brusque d’un cerf-volant noir, aussitôt avalé par l’obscurité.

Paris, la nuit. Le froid qui pique les yeux. Une larme coule sur une joue mal rasée. Instant de tristesse et de joie partagée. Incertitude d’un double sentiment, qui n’a aucun sens. Sauf celui d’avancer, ou de s’illusionner de la plus douce des façons. Impression d’une insoutenable légèreté, tandis que les soucis qui pèsent s’envolent le long d’un fil. Tripe arrachée de son corps. Au bout, loin, très loin, son cœur. Qui n’est plus là. 

Parti. Envolé. Disparu.

Resté de l’autre côté du RER.

Déposé au creux d’un roncier de sentiments en pleins doutes. 

Epines prêtes à s’abreuver d’un sang mis à nu ; ou l’embaumer d’un parfum de félicité. Douce amertume de ce fragile instant, tristesse d’une joie désespérée, à attendre quelque chose.
Ou quelqu’un.


Paris, la nuit. L’attendre, elle. Sourire. Frissonnante sur un quai de gare. Sur un panneau lumineux, les minutes qui s’égrènent, tandis que l’envie lui prend d’arrêter le temps, tout comme l’envie de la réchauffer dans ses bras. De l’embraser. La dévorer. Baiser ses lèvres roides. Chaleur partagés d’un corps à corps nocturne. Hésitation. Education. Inhibition. Il ne cède pas, tandis qu’au loin il entend siffler le train. Son cœur bat à 500 miles à l’heure. Ne pas céder. Par manque d’audace. Par manque de courage. Par manque d’amour. Ou tout simplement parce qu’il a peur de se planter ; de ne plus savoir-faire. Une demi-blague, et puis s’en va. Sur une note des espoirs. 

lundi 8 février 2016

Enfer du métro

Le métro au petit matin. Son odeur rance, son goût rance, son toucher rance. Tout est aigre, comme une sueur alcoolisée qui colle à la peau après une soirée trop imbibée. Toujours le même spectacle de l’humanité. Affligeant. Corps à corps moite, gâté, sordide. Amour sans plaisir. Etincelle de mort, aux fonds des yeux glauques encore assoupis, pas de vie. Seulement des mires chassieuses de bovins trainés à l’abbatoir. Seigneur, offre nous notre holocauste quotidien, notre pain à burger de ce jour, notre sacrifice au Dieu argent. Ne pardonne pas la souffrance que nous infligeons ni celle que nous souffrons dans notre propre excès de faiblesses. 

Amen Mammon.

Danse macabre de mouches agglutinés en vol noir corbeaux de la couleur de leurs vestons cravates costard, noirs, ils pourraient fusionner leur noirceur contre la vitre maculée de leurs graisses qu’ils le feraient, sans hésiter.

Leur course, sans fin. Contre le temps. Contre les autres. Contre eux-mêmes. Parfois, deux atomes se rencontrent. Explosions de papiers envolés. Cris atomiques d’orfraies insultées. Big Bang d’un coup de foudre. Insultes. A peines murmurées, ou ravalées, ou crachées. Et aussitôt la presse qui reprend à toute vitesse. Absence d’amour. Pas de passion. Personne ne regarde personne. Et après, il faut oser s’aimer soi-même, plutôt qu’aller souffrir d’une aventure.


Enfermement du narcynisme. Autant se planquer derrière la senteur rance d’un nénufar illusoire, plutôt qu’ouvrir ne serait-ce qu’un œil au cœur de l’anus de Satan. Et découvrir la condition humaine…

vendredi 5 février 2016

200

Deux centième message. Combien de pages ? La même quantité, le double, ou le triple…Je ne saurais le dire. Ni même les compter, ces assemblages de 1 et de 0 biens alignés sur leurs lignes de papier numérique. Une marge de progression ? Ce n’est pas à moi de juger, même si j’en sais deux trois petites choses, ou plutôt j’ai l’impression de les connaître. Deux centième message. Le temps de faire un point ? Ou de mettre un point, final. Combien de mots effacés, déphasés, supprimés, de pages avortées et annulées d’un simple clic sur une petite fenêtre en croix ? Ecriture de l’instantanée, et puis, de dépit, quand je perds le mot juste, la quinte juste, la musique, j’écrase. Backspace d’errements d’une pensée. Contrairement à la réalité. Et ces mille et un regrets que j’aimerais effacer, de ma mémoire, de mes souvenirs, de mes sentiments. Joies, peines, échecs, des mots qui fuient, et parfois s’alignent comme des astres, un instant. Le temps d’écrire un article, et puis s’en vont. Ecrire, pour soigner ses maux. De tête, de cœur, d’âme. Qu’importe. Ecrire, pour vivre. Se mettre en papier, se raconter, en travestissant, toujours, la réalité. Oublier l’absence. Impression de vide. Facilité à mettre des mots, imposture de la posture. Ecrits vains.
Deux centième message. Un nouvel amour. Ephémère, comme tous les autres. Un autre mensonge ? Pour se donner l’envie de croire, et faire un pas, de plus, avec ce fardeau de plus en plus lourd. Faire le point, trouver une boussole, quand on ne sait plus où on en est. Retrouver un pôle, un repère. En dehors d’une chambre d’ivoire bien fermée sur le monde extérieur. Des noms en tête. Keizy, Layla, la fille aux yeux violines. Et les autres. Apprentissage, dans la douleur, de ce qu’est être humain. Pourtant, j’ai toujours cette sensation de les aimer. Malgré la fin. Ou à cause d’elle.
Deux-centième message. Rêve éveillé. Croire en la magie de l’instant. Aux petits signes du destin…Ouvrir la porte à la chance. Ou pas. Un passage piéton qui passe au vert, un corbeau qui croasse, le croisement aléatoire de deux chansons sur une playlist qui n’a rien à voir. Croire en la magie. Aux horoscopes. A toutes ces conneries qu’on se raconte. Pour ne pas être seul. Pour avoir quelque chose sur qui compter. Se reposer. Et s’effacer, dans nos échecs, nos peines, nos joies. Facile de se raccrocher à une branche, quand celle-ci n’est que de papier. Plus difficile, de dégringoler, sans savoir si en dessous il y a quelqu’un. Pour nous rattraper.
Deux centième message, encore une bouteille lancée à la Mer. Futilité. Crédulité. Ou espoir d’un lendemain enchanté.

Deux centième post. Et demain ? 

dimanche 31 janvier 2016

Drôle de rêve

Un rêve. Un stade de foot. Une partie de ballon. Jeux sans genres, vélos et autres cabrioles de l’enfance. Cette sensation de pouvoir y aller, jouer, faire des choses, de grandes choses, mais ne pas, ne plus oser les faire. Se contenter d’être spectateur inutile, de ne pas assumer ses envies, et avoir l’impression de rater sa vie.
Le rire des enfants, les joies innocentes, les plaisirs cueillis dans l’imprévu…Où les a-t-il abandonnés ? Quand les a-t-il laissés sur le bord de l’espace-temps ? Pourquoi les a-t-il oubliés pour se tailler son propre masque d’adulte abominable, grotesque, vantard ? Ridicule connard, faux professeur qui se lance dans des péroraisons absconses nées de livres et de vies qu’il n’a pas vécu, d’une vie qu’il ne vit pas, et d’une vie qu’il se refusera à vivre. Faux adultes calfeutré dans une tour d’ivoire blanchâtre de sentiments aseptisés et de discours construits , protégés par une murailles de préjugés, d’auteurs et de théories qui ne veulent rien dire parce qu'il les a seulement entraperçu dans des lectures hâtives de gloses existentialistes. Jeune homme blanc, cishétéro, bien dans la mouvance des études supérieures et de théories fumeuses qui se refuse à reconnaître ses parties racistes, sexistes et homophobes…Bon chic bon genre de gare, qui a oublié les lettres de noblesses de son enfance en chemin. Pour finalement en venir à se haïr, à s’exécrer, à se faire du mal, pour ses haineuses colères, ses actes inconsidérés et ses paroles à l’emporte-pièce qui tuent aussi surement que les stylos de Charlie Hebdo. Il se hait pour des actes qu'il refuse d’assumer, et se drape dans les lambeaux de fausse dignité dans le voile d’amères regrets et de plaintes ressassées. Le beau rôle n’existe pas, sauf pour ceux qui souffrent réellement. Mais ces derniers, exposent-ils leurs douleurs ? Lui, il ne se plaint que de choses futiles et inutiles. Mais ses vraies peines, qui les connait ? Il n'est même pas connaître de les connaître lui même, tellement il les a enfoui au fond de son moi. Moi…Moi…Moi. Débectance horrible de ce mot qu'il exècre et qui revient sans cesse dans ce qu'il lit, qu'il dit, qu'il écrit. Moi…Connais-toi toi-même…Se connaître…En a-t-il vraiment l’envie ?

Se regarder dans un miroir et accepter les boursouflures de ses vanités. Et, aussi, la part de beauté qui réside en chaque être. Même amoindrie par les années, étouffée par d’obscures querelles d’ego, elle existe, là, quelque part, sans fausses modesties ni faux orgueil de notre part. Dans les sourires des amis, le réconfort des parents, le simple plaisir de partager, rien qu’un instant, avec les êtres chéris. Dans les joies, dans les peines, les leurs, les miennes ;  dans ces instants où "je" vis, terrifié à l’idée de mal faire, ou de ne pas savoir quoi faire, mais ou moi "j’ai" essayé de faire. Faire. Agir. Etre. Sans se cacher derrière des excuses, derrière l’autre, derrière des choses fausses. Mise à nue. Assumer ses sentiments. Accepter le don de vie. Et rebondir, toujours, avec le temps. 
Aimer.

mardi 26 janvier 2016

Donner du temps au temps

Paris, le soir, ses habituelles nuances de gris. Paris, le soir, les lumières de ses lampadaires, et les quais qui brillent des néons de lofts bourgeois aux fenêtres grandes ouvertes. Paris, le soir. Espoir. Comme le vert des quais de Seine, et l’eau couleur bouteille, vieux pinard délavée d’un antique romantisme saveur Romanée-Conti.


Enchaîner les rues, à grandes enjambées. Détremper ses chaussures sur la chaussée mouillée. Marcher, malgré le froid. 

Pour le seul plaisir d'une compagnie. La sienne. Et pas une autre.  

Elle, emmitouflée dans une veste en cuir, hautes bottes et pantalons blue jean. A peu de choses près, elle pourrait être une rockeuse des années 60, loubarde au blouson noir. Taciturne et rêveuse, elle marche d’un pas de danseuse, la tête dans les étoiles. Une mèche sulfureuse de cheveux bruns se perd à la commissure de ses lèvres ; coup de vent sur le pont des Arts. 

Elle rit, passe une main pâle, longue et fine, le long de ses tempes. 

Elle rit, dévoilant un empan infime de gorge cachée sous un châle. 

Elle rit, demi-sourire moqueur d’une candeur juvénile. 

Lui, il se perd dans son regard. 
Coup d’œil furtif. 
Pour ne pas trop en laisser dire, mais laisser à la mémoire l’empreinte de cet instantanée. Dans sa tête, les mots se bousculent, comment se dire, comment se dévoiler, comment s’offrir sans souffrir ? 

Nouveau rire, tandis qu’ils sautent une flaque aussi vaste qu’une mer ; jeu d’enfant innocent. 

Coup d’œil furtif. 
Incertitude. Impression de balancement. Instabilité permanente. Elle, devant. Deux entrechats, et puis s’en va. 
Balancier des sentiments. 
Coup d’œil furtif.

Lèvres rosées, qu’il aimerait goûter, comme un bon vin. Lentement, chaste baiser au verre de cristal de ses yeux. Profiter, avant, de la fraicheur couleur rubis. Inspirer, expirer, à la simple évocation de ce parfum. Rose de serre, rosé sancerre, rosir, sincère. Alchimie subtile, vinification de sensations. Envie chérir ce moment, déguster cet instant, cueillir le présent. L’aimer, la savourer, l’apprécier. Comme un bon vin. Donner du temps au temps. Un instant, un moment, ou une éternité. Seulement laisser filer des minutes, des heures, des années. Pour dans cet instantanée couleur lie-de-vin et vieux velours, un sourire éphémère, ou un chaste baiser retrouver l’éternité 

samedi 9 janvier 2016

S'il savait écrire des poèmes, ça se saurait.

Toujours la même frousse. Pourtant, il connait sur le bout des doigts l’escrime du cœur, feinte, parade, et estocade. Ferré. Qu’est-ce qu’il la hait, en fait. C’est si simple de, de passer outre ses peurs, de s’avouer. Vaincu, mais sans hésitation, arracher ses mots cristallins de leur gangue de boue qui pèsent sur son cœur et qui ne veulent pas sortir de sa bouche ; il meurt d’envie de les dire, de les chanter ou de les écrire sans pouvoir y arriver, comme si son inconscient s’y refusait. Pourtant, ce ne sont que trois petites syllabes de rien du tout, bien alignées comme à la parade dans son esprit, elles ne tiennent que peu de place, et sont capables de combler la vacuité de son cœur et de son âme. Ridicule de la terreur. Que risque-t-il après tout ? Un coup de mou ? Un coup de blues ? Un coup de tête ? Et après, ce n’est pas la mer à boire, ou plutôt, après la mer de boire, il sera tellement saoul d’alcool et de fumée qu’il aura tout oublié pour mieux se consacrer à une nouvelle défaite, une fois de plus sur la brèche et tout le tralala romanesque, ou romantique, ou poétique, il ne le sait plus trop. De toute façon il n’a jamais su poétiser, romancer ou s’écrire sur un bout de papier. Cela semble si simple, à en croire les gens, à lire des resucées de ce genre d’affaire dans les courriers du cœur, ou ailleurs, dans de jolis livres de poche ou sur un écran blanc. Peut-être que c’est ça ce qu’il aime, en faire tout un cinéma, un bon gros plat tarte à la crème et mièvre. Certainement même, occasion cocasse de se donner l’envie de vivre. Entouré de tous ses héros, Corto, Diego ou Cyrano, il n’arrive pourtant pas à trouver le courage de se lancer dans sa tirade, quelques jolis mots, un effet comique et puis zou. Non, pas la moindre petite once de bravoure ni même la folie d’une bravade intempestive. Arriver, tout déballer, un petit tour et puis s’en aller après avoir salué. Coup de revolver. BANG. Coup de feu, puis relâcher, la détente, avant que la balle n’est frappée définitivement son cœur. Joie ou bonheur, à cet instant, peu importe. Tout plutôt qu’attendre, poursuivre ces passes désinvoltes et fanées d’un fandango qui ne qu’aux apparences d’une malsaine confusion. Pirouette, demi-sourire, et ravaler sa fierté.

Non, à défaut, ou à dessein, il préfère ressasser son passé. Plutôt souffrir la solitude que se prendre un mur. Quitte à ne plus avancer, et rester à jamais à ce stade de déconfiture. Mûr, pour rien, pour pas grand-chose, trop rance, toujours si vieille France. Encaisser le prix de ses lâchetés plutôt qu’espérer et tout miser sur un fou, rires. De deux précieuses ridicules, il n’en choisit définitivement aucun, pour ne pas finir sur le cul. Abandonner, c’est bien plus dur à accepter que ce que ses retranchements dissimulent. Et pourtant il s’y sent résigné, parce qu’il n’a non pas peur de se ridiculiser, mais seulement d’aimer, et être aimé, sans pouvoir jamais donné, s’adonner ou se donner tout entier. Alors que, pour une fois, il aurait eu le mérite de s’essayer à vivre, et d’un tout petit pas, avancer…

samedi 2 janvier 2016

Tartopr0n et meilleurs voeux

Un panier de pomme, immense, remplis de promesses juteuses. Corset d’osier qui contient l’ingrédient ultime qu’elle recherche. Du bout des doigts, Khadija caresse le velouté de ses peaux à peines tavelées par l’hiver, en quête de celle qui sera parfaite. Elle s’apprête à en tirer une, par son petit pédoncule noir, téton érigé qui n’attend que la douceur d’une main pour s’extraire de la masse de ses congénères. Mais Khadija passe à une autre, même caresse, languide, qu’elle pourrait appliquer sur la peau moirée d’une amante. Jeu simple d’une enfant de la haute qui ne se rend pas forcément compte de ce qu’elle fait. Coquine racée qui s’amuse de tout et rien, et imagine déjà les cris de frustrations de cette pauvre petite pomme laissée à deux doigts de la pamoison.

Khadija en extraie une autre du panier, corset d’acier remplacé par la tendre mais ferme poigne de sa pogne. Elle tâta une dernière fois son choix et, lestement, la soupesant comme un fruit gorgé de soleil et de pluie, elle crocha ses ongles fermement dans la peau, griffure exquise de l’amante. Elle pose ses baisers glacés, aussi froid qu’une lame, le long de cette peau raffinée, couche de vêtements en trop pour ce qu’elle s’apprête à faire. D’un seul mouvement, elle glisse sa main tout contre la parure sang et or de son aimée, et arrache sans coup férir ces oripeaux qui ne servent pas à grand-chose.


Explosion des sens, sous sa main, le corps moite de sa pomme exsude une douce sueur parfumée et sucrée ; Khadija s’en lécherait presque les doigts si elle n’était pas si bien élevée, et se force à continuer sa tâche reluisante. Humant l’odeur suave de celle qu’elle a choisi, elle la dépose au creux d’un lit en bois, et l’écartèle sous la passion de ses baisers glacés. Elle coupe, elle tranche, elle arrache sans coups férir la fleur de cette petite pomme, en écarte les pépins d’une pichenette et la prend jusqu’au trognon. Acmé  du plaisir, l’ensorceleuse Khadija fait éclater le désir de son amante de pomme en la plongeant dans un mélange de cannelle et de sucre, sans oublier un seul quartier. Pas de pitié dans ces moments de plaisirs, à peine la jouissance passée, Khadija dépose son amante dans l’écrin pâteux de son amour, dernier acte d’une orgie de pommes lessivées. 
Ne reste plus qu’à enfourner. Et fêter la nouvelle année !