lundi 20 avril 2015

Fragments

L’ennui. Cette impression de regarder un vide incommensurable caché dans les lézardes du mur, les défauts de la peinture autrefois blanches et désormais aussi jaunie que les détours des câbles plâtre grisâtre qui pendent depuis les combles. Ni débuts ni fins à ces sinueux serpents qui s’élancent sans grâces dans une sarabande éteinte.
Que faire dans cet ennui, sinon le combattre et penser. Mais penser à quoi ? A rien. A tout. A elle. Comment dire ces mots, si simples en apparence, qui libéreraient mon cœur de ce poids énorme qui me plombe plus surement qu’une balle de sept millimètres ?
Comment lui dire, en un mot ou en cent, qu’elle chasse par son seul sourire l’ennui quand elle se trouve près de moi. Qu’elle me redonne le goût de vivre, d’expérimenter, d’attendre un temps des cerises plus radieux.
Comment oser ? Pourquoi ne pas le faire, tout simplement ? Lâcheté ? Peut-être. Facilité ? Surement. Peur ? Plus que vrai. Terrible crainte que de lui déplaire, de perdre cette amitié naissante, définitivement, dans un mot mal placé.
Autant se réfugier dans la contemplation de l’ennui, plutôt que penser à elle.

Les secondes s’envolent et s’égrènent au rythme lent du tic-tac de la trotteuse rouge. Au mur, les lézardes d’enduit, de plâtre et de peintures deviennent le sujet de fantastiques batailles. Fresques à la gloire de rêveries grise acier. Ou vert de gris. Qu’importe. Tout plutôt que s’ennuyer.
Ne pas se retourner. Ne pas la regarder. Ne pas se rendre compte que, sans elle, l’ennui serait encore plus effroyablement immense.
Et si elle disait oui ? Saurais-je réellement l’aimer, elle qui n’a jamais souffert de ce sentiment ?
L’aimer. L’aimer comme j’ai aimé au premier jour ma toute première amante. L’absente cruelle qui a ravi pour l’éternité le meilleur de ma jeunesse et de mon âme. Celle qui, encore, la nuit, dans les tréfonds de es songes les plus inavouables, vient se blottir tout contre moi, aspirer ma chaleur et ma vie, et me laisser exsangue. Eternelle vampire qui me glace des feux de sa passion, comme autrefois, car elle seule a été la première à m’avoir aimé. A jamais.
Est-il illusoire de croire que l’on peut à nouveau aimer comme la toute première fois ?
Ou l’illusion serait de croire que l’on en est capable ?

Désillusion.

Autiste. Le mot est lancé comme une rafale sur un champ de bataille. Tak tak tak. Trois syllabes, et c’est fini. Il ne m’atteint même pas, ou même plus. Autrefois, je me serai jeté à la gorge du premier qui aurait osé envoyer cet insulte dans mon visage, et ça se serait réglé à coups de poings, de pieds et de dents.
Aujourd’hui, désabusé, de guerre las, je me demande si les autres n’ont pas raison de m’affubler de ce sobriquet.
Autiste.
Enfermé dans la tour d’ivoire de mes pensées, je peux, en imagination, être ce que je souhaite. Ou plutôt, devenir ce que je ne suis pas.
Gratter le papier, le griffer de la pointe du stylo noire, écrire ou dessiner. Qu’importe. Prétendre à être écrivain.
Mensonge et vanité. Vanitas vanitatum, omnia vanitas.
Pascal avait-il raison ?

Abattement.

Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?
J’ai tout pour être heureux. Amis, famille, besoins assouvis. Tous mes désirs comblés.
Et pourtant, je suis triste, malheureux, insatisfait.
Pire. Je suis triste. Triste comme un mauvais sire Pierrot, ou Don Quichotte de papier mâché, enfariné. J’ai envie de pleurer. Oh, seulement dans ma solitude. Jamais en public. Des larmes salées montent à la commissure de mes yeux, mais jamais elles ne couleront.
Pourquoi ?
Pourquoi toujours ces mêmes questions sans réponses, sans possibilités, ses murs qui m’enferment, derrière lesquels je me cache et me protège de moi-même ?
Cette tour d’ivoire n’a plus rien de magique. Si ce n’est ces terreurs nocturnes, ces cauchemars et ces hantises qui me traquent et me rendent fiévreux, graines de mépris et de manque de confiance à jamais plantées en moi.
Qui suis-je ? Enfant qui a grandi trop vite, trop tôt, et n’arrive pas à assumer ce qu’il est, ce qu’il devient, ce qu’il est en devenir.
Que vais-je devenir ?
Peur de lever le voile délicat du futur, comme un amant craindrait de voir pour la première fois le visage de son épousée.
Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?
Mes rêves se lézardent, se fissurent, se déchirent. Comme j’ai envie d’arracher mes chairs, détruire les traits de ce visage qui ressemblent tant au Sien, ce Père que j’adore et que je hais à la fois. Perdre mes yeux qui ne font que voir cette déliquescence sans jamais pouvoir agir. J’ai les mains blanches, mais je n’ai pas de mains.
J’appelle cette hécatombe du corps. Pour ne plus vivre ce rêve éveillé, cette folie d’une pluie de sang et de larmes qui enivre ce faux Dieu, ce dément Démiurge qui se repaît du corps de ses enfants, alors qu’il est censé offrir celui de son Fils fait homme pour racheter les péchés de l’humanité.
Je ne crois plus en rien. Plus en moi, plus en l’amour, plus à la politique. Tout n’est qu’un Néant absolu. Le vernis de la tour d’ivoire, ce tableau peint dans ma seule tête, coule d’une humeur blanchâtre le long de mes traits défigurés par la rage, les larmes et la colère. Foutre opalescent, humide et froid qui ne laisse que des traces plus noires que l’immondice de la merde.

Regardez la Bête. Jugez-la. Méprisez-la. Détruisez-la. Car elle n’a plus envie de jouer ce putain de jeu. Finissons-en de cette caricature d’homme qui se croyait grand, et se trouve plus petit dans sa faiblesse médiocrité que le plus bas de la chaîne du vivant.

dimanche 19 avril 2015

Envie de tout, envie de rien.

Un éclat de rire gracieux dans le couloir suivi de rodomontades crasses d’un imbécile  sans-gêne me tire des bras de Morphée. Plus de sommeils ni de songes pour le pince sans rire épuisé qui vit à leurs côtés comme un fantôme sans humour. Qu’importe qu’il dormait, et n’arrivera plus à le faire avant l’aube pâle, tant qu’on peut faire encore rire la demoiselle ?
Qu’est-ce que j’aimerais être assez fort, courageux et couillu pour m’extraire de mes draps, bondir hors de la porte et casse la figure de cet enfant de putain qui maintenant se permet de mettre sa musique de merde à tout berzingue dans le couloir.
Bien évidemment, je n’ose pas. De peur de paraître ridicule.
Comme d’habitude.
Mais maintenant, je sais que je ne vais plus dormir de la nuit. Pour prix de mon insomnie, je tâche de larmes encre amère des pages blanches, plutôt que de libérer le flot salés, poussières de fatigues accumulées bien entendu, le long de mes joues.
Pleurer, c’est pour les faibles.
Amertume.
Dans ma trachée, ma plume, mon âme.
Si j’en ai une.
Mes pensées volent entre les lignes. Sur ce que je dois faire. Sur ce que je n’ai pas fait. Sur ce que je j’ai envie de faire, mais ne ferai jamais.
Constat d’échec. Amertume.
J’aimerais écrire que je m’en fous. Comme d’habitude. Mais l’ennui, c’est que je n’en ai pas, voire que je n’ai jamais eu, rien à foutre de tout cela.
Je n’en ai pas rien à foutre de cette amertume qui me ronge.
Je n’en ai pas rien à foutre de ces envies de tout qui se transforment en envie de rien. Par peur d’affronter l’inconnu.
Par peur de faire la guerre à soi-même.
Je n’en ai pas rien à foutre de ce je m’en foutisme à l’égard de l’avis des autres, car sans leurs regards, je ne pourrais jamais puiser la force, l’énergie, et l’envie de faire un pas de plus.
Etre moi-même.
Ce soir, dans la sordide tristesse de ma chambre, j’ai envie de tout, et envie de rien.
Constant d’échec. Amertume. Immense gâchis d’une vie à peine éclose qui n’a pas de fil.
Qui a perdu le fil.
Par peur d’avancer dans l’inconnu de l’équilibre inconstant d’une vie sans filet de survie.
Je n’ai plus qu’à ravaler mes larmes amères, dire que ça ira mieux demain, même si je sais déjà que c’est un mensonge. Si je dois pleurer, comme les faibles, ce sera dans les creux de la nuit noire, quand personne ne sera plus là pour lire cette détresse qui me hante.
Haine, haine, haine.
Contre les autres, ou soi-même ?
Amour, amour, amour.
Des autres, de ma famille, d’elle. Si je pouvais le dire, tout simplement.

Amère lâcheté, d’une envie de tout, et d’un plaisir de tout gâcher.

lundi 6 avril 2015

Un tout petit mensonge

« Ca va ? Tu sembles triste aujourd’hui ? »

Thomas sourit en sortant de ses pensées. Bien sûr qu’il est triste. Triste de la regarder, cette amie à qui il ne peut dire ce qui le trouble depuis des mois ou des semaines.
Thomas, c’est pas le genre de garçon dont les filles tombent amoureuses. Il n’est pas sportif, ce n’est pas un battant et il est pas du genre bad boy. Non, toujours propre sur soi, il parle calmement, bégayant un peu quand on l’interrompt dans son raisonnement. Pour le reste, il est relativement bien éduqué, cultivé raisonnablement et ne semble pas avoir l’intention de faire le moindre mal à une mouche, même s’il le pouvait.
Deux grands yeux scrutent le monde, toujours tristes, derrière une paire de fines lunettes. Une bouche trop petite, un menton fuyant et une coupe trop stricte pour quelqu’un de son âge accompagnent chemise ternes et pantalons en jean. Aucun sex appeal dans ce corps mince et presque trop maigre, pâle comme un cachet d’aspirine et qui semble appartenir à un souffreteux.
Fuyant, il sourit toujours quand quelque chose ne va pas. Thomas n’est pas du genre à s’exprimer, il encaisse, comme il a toujours vu son père le faire, et sa famille. Il encaisse, jusqu’au moment où il craque, mais ses larmes, amères, il les garde pour ses nuits d’insomnie. Ou pour le moment où il explose de rage, dans un volcan de violence, qui se retourne plus qu’à son tour contre lui-même.
Egoïste, maladroit et nerveux, il semble toujours ridicule et grandiloquent. Un temps en retard, ou plutôt, pas du genre à dire ses sentiments. De peur de paraître faible, peut-être.
Alors il s’enferre et s’enferme derrière ses grands yeux tristes, il ne dit rien. De toute manière, qu’importe ce qu’il pourrait bien dire, il sait par avance que la réponse le ferait souffrir. Il n’est pas le genre de garçon dont on peut tomber amoureux. Un bon ami à la rigueur, car il sait écouter, plutôt que s’expliquer. Oui, c’est ça Thomas, un gentilhomme qui écoute, compatit sans geste, parce qu’il ne sait pas les faire. On ne lui a jamais appris à serrer quelqu’un tout contre son cœur. Il ne sait qu’être là, sans savoir comment montrer sa présence, de peur de s’imposer et de trébucher, et de perdre la confiance que l’autre avait en lui. Cette petite once de lumière qui lui donne la force d’affronter une fois de plus, se lancer à nouveau sur la brèche, pour voir des lendemains qu’il sait par avance désenchanteurs.
Un désenchantement, c’est ce qui se trame derrière ses grands yeux marron qui semblent si triste. Alors qu’il aimerait lui dire combien elle l’ensorcelle, la charmante qui le hante. Mais ça, il ne le peut pas. Par son éducation, son égoïsme, ou sa peur.
Alors, Thomas sourit, et, dans un tremblement traître qui ne transparaît que dans sa main, il murmure ce simple mensonge :


« Mais si, tout va bien »