lundi 5 août 2013

Test RP

Les os perclus d'arthrite de la Maîtresse-des-Corbeaux lui rappelaient son âge, mais elle souriait au souvenir de celui qui venait de renaître, sans nom, sans aucune famille ni ami, perdu dans une époque qui n'était pas la sienne.
Oui, la Maîtresse-des-Corbeaux se rappelait cette époque si lointaine, où elle était encore une femme belle et appétissante, que l'on surnommait parfois l’Oiseleuse, la Magicienne ou la Folle. Une époque ou un seul homme osait l'appeler par son vrai prénom, disparu depuis tant d'années.
Elle sourit, en se rappelant ses belles soirées au clair de Lune.

***

L'île des Esprits était une petite perle dans les milliers d'excroissance terrestre des eaux de la Muerta. En cette époque de l'année, il y faisait doux, l'air de la jungle au crépuscule devenait respirable, tandis que la brise marine balayait la cime des palmiers qui frémissaient dans la nuit.

Dans une toute petite crique de sable blanc, celle qu'on appelait l'Oiseleuse se reposait pour l'heure contre le flanc massif d'un guerrier à la peau d'ébène. Elle était lovée dans ses bras aux muscles puissants, aussi dur que le fer, tandis que l'homme caressait sa peau blanche de femme appétissante frisant la quarantaine d'une main distraite. L'Oiseleuse dessina un trait imaginaire de son doigt le long de ces pectoraux avant de remonter vers le cou de l'homme et ce masque en argent poli qui lui enserrait le visage, cachant au monde quelque chose de terrible.

Le guerrier d'ébène lui avait fait l'amour dans cette petite crique comme un Dieu, et maintenant, les amants se reposaient, sous le regard de la Lune.

Au bout d'un moment, l'homme parla de sa voix dure, métallique :

« Je vais devoir repartir ma douce. Le mal se propage toujours plus vite. Et je n'ai pas encore accompli ma Geasa »

Elle frémit dans les ombres, elle connaissait le mal de Dandjoula le Pirate, Dandjoula le Maudit, Dandjoula le Lépreux.
A vrai dire, il ne souffrait pas de cette terrible maladie, car elle aurait pu la soigner. Ce qui ravageait le corps de cet homme fort et fier, c'était les effets d'un terrible sort qu'un magicien avait lancé au pirate à la peau d'ébène, le jour où il avait ravagé la petite bourgade qui, un jour lointain, deviendrait Miraï.

Le sort avait poussé Dandjoula à parcourir les Mers pour trouver un moyen de lever le sortilège. C'était comme ça qu'il avait rencontré l'Oiseleuse. En le voyant sauter de sa longue galère noire, adroitement posée sur le sable de la baie, la devineresse avait compris qu'elle avait enfin trouvé l'homme de sa vie. Tout comme lui avait vu en elle plus que l'apprentie Shaman dont le nom était tabou.

L’Oiseleuse lui avait lu l'avenir, à défaut de pouvoir le soigner, et elle lui avait révélé qu'il courrait à sa perte, il ne trouverait jamais de remède. A moins de trouver un petit garçon plus faible qu'une fille. En lui disant cela, L’Oiseleuse avait été attristée de ne pouvoir rien faire.. Mais c'est ce qui l’avait fait aimer Dandjoula, car cet homme fort et fier avait rit, lui disant qu'il ne risquait rien à essayer. Alors, il l'avait prise dans ses bras fort, et ils s'étaient aimés pour la première fois.

Dandjoula le Pirate était reparti très vite, repartant vivre mille aventures sur les Mers et les Océans. Quand il passait par l'Archipel, il ne manquait jamais de passer chez son amante, lui ramenant de splendides cadeaux, ouvrages de magie, plantes exotiques et autres nouvelles du monde. Elle le voyait changer, son visage autrefois si beau, seulement marqué par une tâche noir, porta d'abord un masque au niveau des lèvres, avant qu'il ne recouvre son nez, puis ses yeux et son front. Maintenant, c'était un masque complet, mais elle voyait encore l'homme qu'il avait été. Ce qui expliquait peut-être leur attachement à tous les deux, car ils n'étaient plus des simples mortels, et seul leur amours leur permettait de se rattacher au temps passé.

« Sais-tu où chercher ? »

« J'ai parcouru toutes les Mers, mais je n'ai jamais eu le choc de la Destinée. Peut-être t'es-tu trompée ? » plaisanta-t-il, avant de recevoir un petit coup de poing dans sa ceinture abdominale. « D'accord, d'accord je me rends. On me dit que le Capitaine Vanir a des problèmes avec son fils unique, peut-être est-ce que je trouverais ? »

A ces mots, la magicienne trembla, le nom de Vanir lui avait révélé quelque chose de l'avenir. L'homme noir était prêt du but...Mais l'enfant annonçait sa mort. Regardant son amant, elle allait dire quelque chose, quand il cligna un œil noir sous son masque, et l'embrassa. L'heure n'était pas aux longs discours.

***

Le lendemain matin, la Méduse et ses voiles noires tant redoutées partirent aux rythme des tambours. L'Oiseleuse devinait que le dernier voyage de Dandjoula commençait.

***

Le treizième anniversaire d'un garçon dans l'Archipel de la Muerta, surtout s'il était le fils d'un capitaine pirate, était une grande fête qui marquait l'entrée dans la vie d'adulte, et le premier départ en mer.

A quelques jours de cette grande fête pourtant, la maison du Capitaine Vanir ne bruissait pas comme une ruche tandis que l'on s'activait pour préparer l'évènement, contrairement à la tradition. C'était plutôt une atmosphère morose qui régnait dans la grande villa blanchie à la chaux.

Vanir, enfermé dans son bureau, se tenait la tête à deux mains. Aucune de ses connaissance, pirates, marchands et même patrons pêcheurs, n'avait accepté de prendre en charge son fils. Ce petit bâtard n'était même pas foutu de plaire à un morutier pour qu'il le forme au plus pénible, et le moins apprécié, des métiers de la mer. Décidément, Vanir avait plus que de raisons de croire qu'il avait eu la fièvre en calant le fruit de ses reines dans le ventre de sa femme, ou pire, que celle-ci l'avait trompée. Pourtant, ce garçon lui ressemblait trait pour trait, mais quelque chose l'empêchait d'avoir un quelconque amour pour lui. Peut-être à cause de la mort précoce de son épouse adorée, ou parce que le capitaine ne savait pas s'occuper des enfants, mais jamais il n'avait pu approcher de ce garçonnet craintif et pleurnichard.

Il avait pourtant tout essayé, ceinturon, privations, claustration dans les entrailles humides de la cave. Rien n'y faisait, il n'avait pas engendré un homme en puissance, mais une lopette. Et cela risquait de mettre à mal sa réputation, et de rejoindre le Conseil Pirate.

Vanir pensait qu'il aurait du l'assassiner, mais il avait promis à sa femme sur son lit de mort qu'il ne toucherait pas un cheveux du garçon au regard si doux, qui pleurait dans la pièce à côté. Et même s'il n'aimait pas l'enfant, il n'avait pu se résoudre à le noyer quand il avait vu la détresse face au cadavre de sa mère.

Vanir avait été faible, mais si le gamin ne trouvait grâce aux yeux d'aucun pirate, il faudrait se résoudre à le faire disparaître. N'avait-il pas des amis, ce petit saligaud, chez les prêtres qui auraient envie de le prendre sous leur aile ? Vanir avait juste peur que les prêtres ne se servent de son fils comme un giton, leur réputation en terme de dépravation était connue de tous, et le capitaine ne voulait pas que tout cela lui retombe dessus.

Vanir grimaça, et but un nouveau verre de vinasse. La seule solution c'était payer un capitaine pour qu'il fasse tuer son fils, l'infanticide étant mal vu dans l'Archipel. Il allait écrire une lettre à l'intention d'un de ses amis peu étouffé par les scrupules quand on frappa à la porte.

« Monsieur, le Capitaine Dandjoula est là, c'est une affaire importante ». Le serviteur, un homme libre qu'il payait une fortune attendit un hochement de tête de son patron, qui le donna aussitôt. Qu'est-ce que le capitaine Maudit faisait chez lui ?

***

Dandjoula sirotait le verre de vin que Vanir lui avait servi, trop heureux de la nouvelle. Le petit bureau était empli de trésors issus de pillages, riches tentures, tapis décorés de couleurs vives, candélabres et objets dorés fermement briqués. Le capitaine noir était écœuré par tant de luxe, lui pour qui le métier de pirate était un sacerdoce, où les richesses étaient faites pour être dépensées vites et biens, dans les filles, l'alcool et les plaisirs immédiats, et non pour thésauriser et singer les marchands des grandes nations.

La piraterie à la mode galvaudait les traditions pluriséculaires.

« Vous le prenez ? Vraiment » Vanir venait d'interrompre les pensées de son hôte. Il n'en croyait pas les yeux, une des légendes vivante de ce monde prenait sous son aile son fils.

« Oui. Mais nous devons partir vite. Avant son anniversaire je le crois. »

« Oh, ne vous en faites pas, c'est très bien. Cela m’économisera de l'argent. »

Dandjoula faillit cracher au visage de son interlocuteur avant de le frapper, mais ce n'était pas le moment. Il voulait rencontrer l'enfant. Et vite. Il sourit donc à Vanir, avant de lui demander quelques explications.

***

Le petit sanctuaire du Dieu de la Vie surplombait la grande ville de la Muerta. Peu de pirates étaient croyants, mais on ne savait jamais, une prière à Yehadiel pouvait empêcher de se retrouver dans les Limbes après un problème marin qui n'étaient pas si rares.

L'enfant, avait appris Dandjoula, y passait de longues heures auprès d'un vieux maître, la seule personne qui lui prodiguait un semblant d'éducation et d'amour. S'il n'avait pas eu peur de Vanir, le missionnaire aurait même pris le garçon sous son aile, croyant fermement que l'Amour de Yehadiel pourrait refermer les blessures de son âme trop tôt marquée par la mort.

Le vieillard l'avait embrassé et béni avant qu'il ne reparte. Comme si c'était un adieu définitif. Un changement de vie pour le garçon, qui pourtant savait qu'il reviendrait le lendemain.

Pour l'heure, l'enfant cheminait sur la pente raide qui lui permettrait de retourner chez lui, à sa droite, la colline embaumait l'air d'un parfum suave. A sa gauche, le vide. Il ne regardait jamais en bas, bien trop effrayé par les risques de chute. Chacun de ses pas lui coûtait presque, il tremblait, la main appuyée contre la paroi naturelle, tandis que ses pieds cherchait attentivement les roches les plus solides et les moins poissées par les embruns, pour ne pas glisser bêtement. C'était un véritable enfer pour l'enfant, risquer sa vie au moindre pas, mais son maître lui avait dit le faire, pour prouver à son père qu'il avait plus de courage que celui-ci pouvait le penser.

Il déglutissant, cherchant son souffle court. Maigre, rachitique, l'enfant n'était guère impressionnant dans une robe de bure trop large où il flottait malgré une ceinture qui lui comprimait le bas ventre.

Il allait repartir, quand un grand homme noir émergea du tournant. Il était habillé comme un marin, simple tunique grise, et portait, curieusement, un masque. Terrorisé, l'enfant se demandait comment celui-ci allait pouvoir passer. Le chemin n'était en effet assez large que pour laisser passer une personne.

L'homme s'avança et dit : « Laisse moi passer gamin. »

L'enfant avait peur, ses jambes tremblaient encore plus, il ne voulait pas lâcher sa prise. L'homme fit un pas de plus.

« Si tu ne me laisses pas passer, je te jettes à la mer. »

« Vous...Ne...pouuuvez pas faire ça » bêla l'enfant.

« Si je le puis. Je n'ai pas envie de tomber en bas, je ne sais pas nager. C'est toi ou moi gamin, et Yehadiel ne te protégera pas » L'homme au masque s'avança, cherchant à agripper l'enfant. Ce dernier revoyait les grosses mains de son père se lever vers lui, avant de s'abaisser à toute vitesse dans une gifle retentissante qui le laissait généralement sur le carreau. Mais cet homme n'était pas son père, il venait de l'attraper, le secouant comme un prunier. D'instinct, l'enfant chercha à se protéger ; il n'avait d'autre choix qu'attaquer. L'agression avait réveillé en lui des choses inhibées depuis longtemps, la colère, la violence, tout cela pour vivre un jour de plus. L'enfant se débattit, il poussait, hurlait, mordait. L'homme noir essayait de le faire passer de vie à trépas, mais il ne se laisserait pas faire. La charge du gamin surprit le marin, qui glissa, un pied dans l’abîme, il tombait...Sauf qu'il tenait encore le jeune adolescent, qui fut irrésistiblement attiré dans le vide.

La chute sembla durer des heures, il voyait l'homme au masque rire à gorge déployé, avant de se redresser dans un parfait plongeon. L'enfant, lui frappa vivement la mer, et les ténèbres s’emparèrent de lui.

***

Le gamin rêva, il marchait dans un lieu obscur, éclairé par un seul point de lumière. Il approcha, approcha, une grande femme brune poussait une petite fille qui riait à gorge déployée. Si proche et si loin. Il tendit la main...Et se réveilla.

« Enfin levée Cindarelle ? Allez, viens manger. »

La voix été rude et bourrue, devant lui, un petit homme habillée comme un prêtre, robe simple de serge, même s'il portait une armure et un énorme coutelas à son côté.

Le gamin se leva, il avait faim, il était épuisé. Il tangua, de fatigue mais aussi surpris par le roulis, il était sur une galère qui voguait pour l'heure à la voile.

Un autre homme, grand et gras, impressionnant par sa carrure, lui tendit une assiette pleine de viande en sauce et de boule de riz. Le vétéran était couturé de cicatrices, tout comme le prêtre, à qui il manquait un œil.

« Je vais prévenir le capitaine Dorgo, il n'attendait que ça, et mange pas trop vite gamin, ton estomac s'est rétracté. Je ne voudrais pas avoir fait baisser ta fièvre pour que tu meurs. »

L'enfant se pelotonna contre le bastingage, jetant des regards craintifs à ses hommes de cuirs et d'acier. Partout, ce n'était que coutelas, dague, hache et autres sabres. Etait-il sur le navire de son père ? Un coup d’œil discret à la voile lui indiqua que non. Une Méduse Rouge jouait sur la toile noire au grès du vent.

Il avait peur, que faisait-il sur un navire de guerre, après sa longue chute ? Il n'en savait rien, mais ses craintes se mêlait à la curiosité. Son maître lui avait toujours dit d'être curieux, c'était une bonne occasion, et puis, il n'avait pas envie de paraître faible au milieu de ces inconnus.

Le dénommé Dorgo lui jetait des regards de temps en temps, mais personne d'autre ne faisait de commentaires. Une bonne ambiance semblait régner sur ce navire, pas comme dans ses souvenirs de sa seule et unique croisière sur la Sirène de Sylla.

L'autre homme revint, lui indiquant que le capitaine voulait le voir. Traverser la galère de la proue à la poupe fut aisé, personne ne les intercepta. L'enfant jetait des coups d’œils effarés, voire terrifiés, mais essayait de garder son calme. Son père avait-il osé le vendre à un marchand d'esclaves, comme il lui avait promis maintes et maintes fois ?

Il arriva au carré de commandement, un grand homme noir se leva, un masque d'argent au visage. Son ravisseur était...

« Bonjour Aislinn, je suis le capitaine Dandjoula, et tu es désormais mon apprenti. Au fait, joyeux anniversaire. »

Dorgo et le médecin rirent en voyant le jeune homme regarder le capitaine comme un chiot grognant face à un mastiff adulte. Son éducation pouvait commencer.

***

Les années avaient passé. L'enfant chétif était désormais un jeune homme grand et bien bâti qui conduisait la manœuvre de la Méduse vers l'île de la Maîtresse-des-Corbeaux. Un gémissement dans la tente de toile lui indiqua que quelque chose n'allait pas. Il laissa Dorgo, le maître d'armes qui avait longuement veillé à ce qu'il maîtrise la hache d'arme qu'il portait dans son dos, tout comme une infinité d'objets pour tuer, mutiler et trancher, amener le navire au milieu de la baie.

Messen, le médecin, ancien prêtre de Yehadiel qui avait quitté les ordres pour une histoire de femmes, tamponnait les joues et le front de Dandjoula d'un linge humide.

Ce dernier avait maigri, sa peau cireuse, ses muscles avaient fondu, mais il semblait apaisé quand Aislinn s'avança.

« Mon fils... »la voix était faible, hachée

« Ne parle pas capitaine...Reposez-vous, Maîtresse-des-Corbeaux est proche...Elle vous sauvera. »

« Non mon enfant, c'est fini. Elle le sait déjà, elle nous a vu du haut de sa colline. Elle doit pleurer maintenant, pour paraître belle et forte. Elle veut croire une dernière fois à mes mensonges, croire que la vie n'est qu'un jeu, et que la mort n'est rien. Mais pour l'heure, c'est toi que je veux voir, je veux voir une dernière fois, le jeune mastiff qui sauta à la gorge d'un adulte pour prouver qu'il n'était pas qu'une lavette ».

Alors, Dandjoula raconta à son fils adoptif la rencontre avec Vanir, et le véritable sens de sa Geasa. En six années, le Capitaine Maudit avait compris que la mort n'était rien qu'un passage, que Nayris accueillait les braves, ceux qui aimaient la vie et n'avaient pas peur du Destin, car tous, hommes et femmes, grands ou petits, forts ou faibles, rencontraient un jour le chemin de la camarde.

***

Aislinn avait enterré lui-même celui qu'il considérait comme son vrai père. La relaion avait été tendue, il avait peur de tout, mais Dandjoula était plus fin qu'une mouche. Il lui avait appris à aimer la vie. C'est-à-dire connaître ses craintes et les dominer. Il avait confié son éducation à des grands hommes, Dorgo lui avait avait appris les armes et avait façonné son corps, Messen l'avait conduit sur les chemins de la science et de la culture, le formant à tous les arts de la conversation, de la table ou du marchandage avec n'importe quelle couche de la société. Sylkin, le pilote, avait appris au jeune homme à pactiser avec les étoiles et les astres, à entendre le murmure du vent, et diriger les courants. Tant d'hommes qui avait façonné ce petit bout d'homme chétif et craintif en un guerrier qui aimait la Vie.

Et maintenant, l'enfant devait enterrer celui qui avait été son seul guide. Dandjoula lui avait révélé que la Malédiction avait été levée, quand l'enfant était devenu son enfant. Sans être le fruit de sa chair, Dandjoula avait trouvé en lui l'amour, plus que ce que pouvait lui offrir Maîtresse-des-Corbeaux. Et c'est à cause de cet amour qu'il était mort, en tentant de parer une attaque pour le jeune demi-dieu qu'était Aislinn. Mais il ne regrettait rien, il n'avait jamais rien regretté, sauf de ne pouvoir rester au coté de la seule femme qu'il avait aimé, même s'il ne l'avait compris que récemment.

Dandjoula avait souri une dernière fois à Aislinn, avant de parler longuement à la Maîtresse-des-Corbeaux. Quand elle était sortie, une étoile filante passa dans la nuit. Le Capitaine Maudit avait rejoint la Vie.

***

Maîtresse-des-Corbeaux s'étira. Elle se rappelait la soirée, les derniers mots de Dandjoula, trop personnels pour les révéler à quiconque. Elle se rappelait encore les lèvres de son amant, une dernière fois. Puis Aislinn lui avait parlé, lui demandant conseil. A l'aube, il était reparti vers son Fortune, nouveau capitaine de la Méduse. Elle avait voulu lui révéler le sens de sa Destiné. Il l'avait écouté, attentif, avant de sourire. Le même sourire que Dandjoula quand elle lui parlait sérieusement.

« Aislinn Vanirson, je suis sérieuse. »


« Sans-Nom, Maîtresse-des-Corbeaux, Sans-Nom. Je ne suis plus le fils de quiconque, maintenant que mon père est mort. Quand à mon Destin...Qu'il en soit ainsi, j'ai toujours rêvé de visiter les Limbes. Rencontrer la Déesse, cela doit-être passionnant non ? »

vendredi 2 août 2013

Sans Nom

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La petite hutte faites de rebuts jetés par la mer et de branches de palmiers trônait fièrement à la plus haute pointe de la plus petite île de l'Archipel de la Muerta.
A vrai dire, c'était la seule trace d'occupation humaine dans ce petit bout de terre perdu au milieu de l'Océan. Pour les étrangers, c'était la preuve d'une folie génétique des gens de l'Eau, pour les natifs, c'était l'entrée d'un territoire tabou, peuplé de terribles esprits que seule la Maîtresse-des-Corbeaux pouvait diriger.
Les plus braves, femmes ou hommes, des tribus venait ici en quête de spiritualité, mettant en jeu leur vie et leur âme pour les parcelles du savoir de la dirigeante de l'île.

Pendant la Saison des Tempêtes, nul ne bravait l'entrée de la Baie, de crainte d'éventrer son vaisseau contre la barrière de corail aussi coupante qu'un rasoir et plus résistante que les hauts murs de Sent'sura. Les pluies et les vents chassaient de toute manière les importuns, qui craignaient dans les murmures glacés de l'alizé d'entendre le chant des esprits.

Pour la Maîtresse-des-Corbeaux, c'était une période de calme, tandis que les derniers impétrants finissaient de se former, elle-même pouvait en toute tranquillité s'adonner à ses petits plaisirs de plus que centenaires, alcool et opiacés, qu'elle fumait pour le second dans un magnifique narguilé en argent poli par les ans, quant au premier, personne n'avait jamais réussi à trouver ses réserves, mais elle n'avait jamais manqué de boissons vieillies dans d'immenses dames-jeannes de verre et de bambou qui trônaient au milieu d'ingrédients magiques, poudres d'insectes et autres grigris protecteurs.

La Maîtresse-des-Corbeaux se réchauffait auprès d'une belle flambée, engoncée dans un châle qui autrefois avait été coloré qui protégeait sa robuste carcasse, tandis que ses énormes bajoues se gonflaient régulièrement, tandis qu'elle tirait sur son narguilé plus fort qu'un joueur de cornemuse des Highlands. Abrutie par les drogues et l'alcool, ses yeux pétillaient cependant, tandis qu'elle regardait les flammes. Un grand corbeau sautillait autour d'elle, boule de plumes blanche attendant une caresse en piaillant.

Pour ceux qui parlaient la langue de ces bestioles, il lui tenait à peu près ce langage :

« Maîtresse-des-Corbeaux, raconte nous une histoire »

Depuis un petit moment, la vieille gloussait, comme si elle était une petite danseuse du ventre du Sahawi devant son maître qui la priait qu'elle retire le dernier voile, diaphane bien entendu, qui cachait son entrejambe savamment épilé.

Les piaillement se faisaient plus fort,, le favori savait que ses petits camarades, perchés sur les barres du toits, les planches des précaires étagères et autres fenêtres n'attendaient que ça.

Au bout d'un moment la Maîtresse-des-Corbeaux tira de sa poche un petit galet noir, elle cracha dessus, un jet de salive rougit par la consommation de racine de bétel, avant de le plonger dans les flammes. Son histoire commença ainsi.

« Il était une fois, il y a près de deux fois une génération, dans la tribu des Hommes de la Muerta, un grand guerrier. Il était fort, puissamment bâti, et pouvait rivaliser au combat avec n'importe quel homme de sa tribu. Mais son plus grand plaisir, c'était se battre contre les Championnes des Amazones, dans les criques, les rivières, ou en haute-mer, sur les grandes pirogues à fond plat.

Il était invincible, et à chacune de ses sorties, les mères pleuraient d'amers larmes de tristesses en imaginant les sévices que cet homme pouvait faire subir à leurs filles, tandis que leur sœurs aiguisaient leurs armes pour assouvir une vengeance plus que méritée, du moins, de leur avis.

Ce guerrier n'avait aucun égal, respecté de tous, il aurait pu devenir facilement le chef d'une tribu, si son seul plaisir n'avait été le combat. Il vivait pour la fureur et le sang, le fracas de l'acier et les bris des os. Il menait des raids toujours plus loin, ramenant bijoux, armes et femmes de contrées exotiques pour ces pirates sans foi ni loi. C'était un aventurier, un homme sauvage qui n'avait peur de rien, même pas de la Mort et de sa terrible déesse, Nayris. Auréolé de gloire, la plupart de ses congénères n'avait dieu que pour ce terrible capitaine qui ramenait plus de richesse que les plus grands pirates.

Mais cette grandeur naturelle ne lui attirait pas que des amis, loin de là. Les Chefs des Tribus avaient peur de lui, du pouvoir grandissant et de l'aura qu'il exerçait sur leurs hommes. Ils réfléchirent longtemps, ils l'envoyèrent dans des missions dangereuses, essayèrent de l'empoisonner, ou de dénigrer son nom par de terribles machinations. Mais les Dieux de la Chance semblaient être avec lui, il s'en sortait toujours, in extremis. Leur éclat terni, les Chefs eurent alors l'idée de faire appel à un mage-noir de Miraï.

Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que cet homme était un prêtre de Nayris. Il comprit immédiatement que le Guerrier avait été béni par sa Déesse tutélaire, quand il vit l'aura de violence rouge qui vibrait autour de son âme. Cet homme ferait un parfait Élu, le bras armé de la déesse de la Mort sur Terre.

Le mage-noir mit au point un plan machiavélique pour dominer l'esprit du Guerrier, farouchement libre et indépendant, et le plonger dans les Limbes, comme ses commanditaires le voulait. Non pas pour le tuer définitivement, mais pour qu'il aille servir la Déesse. Il lui fit ingurgiter, au cœur de son harem, une puissant drogue qui mit en transe l'homme. Les hommes de la Muerta disent qu'un cri terrible retentit dans la Nuit, tandis que le Guerrier saisissait sa hache, et commençait un terrible massacre. La potion l'avait plongé dans une Furie de Sang, lui qui était déjà un être violent, il ne refrénait plus ses pulsions. Sa grande hache, Faucheuse, préleva un terrible prix dans les hommes de son équipage enivrés de vin, de drogues et d'amour. Le Guerrier était au sommet d'une pile de cadavre, quand une flèche traîtresse frappa sa nuque, sectionnant ses vertèbres et sa trachée en même temps que sa vie. La dernière chose qu'il vit, c'est les chef de tribus indiquer le mage-noir comme le parfait coupable, qui se fit dépecer par les survivants de cette nuit de sang... »

Maîtresse-des-Corbeaux arrêta là son récit, le temps de boire une longue rasade de sa dame-jeanne ou flottait un crapaud dans un liquide couleur pissat. Ses petits amis écoutaient avec passion, sans jacasser comme leur cousine les pies, attendant religieusement que leur Mère finisse de boire pour contre la suite de son histoire.

***

Le Guerrier se réveilla difficilement. Il était dans un endroit sombre, envahi de fumées. A ses pieds, il trouva Faucheuse, qu'il saisit, comme un homme de foi tient une amulette. Où était-il ? Il ne le savait pas, il aurait pu être n'importe, ou nulle part. Un frisson glaça son échine, tandis qu'il essayait de se souvenir qui il était. Il n'en savait plus rien. Il s'était perdu comme il était perdu dans le nul absolu. Pourtant, il connaissait encore le nom de son arme, et ses muscles répondaient bien, il savait qu'il était un guerrier, mais il ne se souvenait de rien.

Dans cet Enfer, car il devait être en Enfer, il n'entendait rien, si ce n'était une douce musique, au loin. Alors il marcha, se repérant au son. Il marcha longuement, des heures, des jours, des années. Il n'en savait rien, n'ayant plus connaissance ni du temps, ni de la faim, ni de la soif. D'aucune sensation humaine, si ce n'était un froid glacial. Il marcha, sans rencontrer âme qui vive. Il marcha, halluciné, tandis que des banshee rieuses des contes pour enfants se moquaient de lui. Il marcha, affrontant des fantômes et des êtres spectraux, attirés par son âme. Il marcha, sa buveuse tranchant dans les Brumes comme si c'était une jungle épaisse. Il marcha, allant au-delà de lui-même.

Il pensait qu'il devait être fou, à marcher comme un somnambule dans ces Ténèbres Grises, sans Nuit ni Jour. A vrai dire, il était réellement au bord de la Folie, mais était-ce depuis sa Mort ? Ou depuis sa Vie ?

Son périple continuait, à la recherche de cette musique douce qui emplissait son âme. Voix de petite fille mélangée à des sons, carillons, triangle ou tintinnabulement d'instruments inconnus.

Plus il avançait, plus il désespérait, mais plus il désespérait, plus il avançait. Tenant fermement sa hache, il marchait.

C'est quand il atteint le combe du désespoir qu'il arriva à son but, un petit jardin d'enfant, un grand saule pleureur à moitié plongé dans une rivière de brume, où était accrochée une balancelle qui grinçait. Une petite fille aux cheveux violets jouait avec une poupée de porcelaine, en lui brossant patiemment les cheveux, mille et mille fois, en chantant une contine. Dans l'air résonnait les instruments, mais nul musicien dans cet espace de vie au milieu de nulle part. L'homme s'approcha, à pas de loup, pour ne pas effrayer l'enfant, touché par cette grâce quasi divine.
Peine perdue, sans se retourner, elle dit :

« Tu as mis du temps à venir, Sans-Nom. Mais au moins, tu es arrivé. Alors valeureux pirate, que viens-tu faire dans mon Royaume ? »

« Ton Royaume ? Qui es-tu ? »il fit un pas en avant, mais la scène recula d'un pas.

« Oh, je te présente mes plus plates excuses Sans-Nom. Je suis Nayris, tu me connais sous le titre de Déesse de la Mort, mais il ne faut pas croire les vilaines gens, ne suis-je pas qu'une enfant ? » sans lui laisser le temps de répondre, elle continua « Tu étais un grand guerrier, mais tu as été trahi, par un des mes serviteurs. Pitoyable petit homme, il aurait du te laisser accomplir ta Destinée, ne crois-tu pas ? Il a été châtié pour ça, mais je ne te le montrerai pas, tu oublieras tout ce qui va se passer maintenant, ou tu penseras que ce n'était qu'un rêve. » elle haussa les épaules, sans se retourner, toujours. « Maintenant Sans-Nom, je vais réparer l'erreur de mon acolyte, tu vas retourner d'om tu viens, pour me servir, je te bénirai et te protégerai, ne t'inquiètes pas. N'est-ce pas un beau cadeau ? Ne dis rien, dis seulement je l'accepte, sinon, rappelle toi tes souvenirs d'enfance, bien que je doute que les guerriers comme toi aient eu une enfance, tu ne sortiras jamais des Limbes. Alors, veux-tu me servir, ou pourrir à jamais dans le Vide ? »

La situation était insensée, le guerrier fulminait de rage, il hésitait à lever sa grande hache et frapper. Mais la proposition de cette petite était si tentante, son corps la réclamait, alors que son âme hurlait de se méfier. Sans s'en rendre compte, à moins que la petite déesse ne se soit amusée à user d'une savante magie, le barbare hocha la tête. Un éclair zébra le jardin. Il s'effondra, le temps de tomber, il ne savait pas pourquoi, mais il était certain que que l'Enfant-Dieu était en train de sourire...


***

Miraï, 113. Le quartier du port, une odeur iodée, mêlée au relents de crasse des habitants et des exhalaisons du poisson fumé fut la première odeur que Sans-Nom goutta, avant d'ouvrir ses yeux piqués de fatigue. En papillonnant, il s'assit, sous lui, il sentait le bois vermoulu d'un quai, frappé régulièrement par les vagues. Son tartan était mal mis, il le replaça, avant de regarder autour de lui. A ses pieds, sa grande hache, Faucheuse, semblait vibrer dans l'air matinal. Fait étrange, une petite poupée de porcelaine, représentant une petite fille aux traits effacés gisait à coté de la lame d'acier noir, elle avait une tenue en soie finement détaillées, et des longs cheveux qui semblaient réels, teints en violets. Sans qu'il ne sache pourquoi, Sans-Nom saisit son arme, et, avec délicatesse, il enfonça la petite poupée dans la bourse de son kilt, avant de se chercher une taverne, c'était l'heure de boulotter...