vendredi 29 juin 2012

Keltia 01


La douleur la réveilla. Ce n’était pas tant les coups qui la gênaient, des bleus et des bosses, elle en avait reçu tellement, non, c’était la corde rêche qui cisaillait ses mains profondément. Elle s’escrimait depuis longtemps, mais ses tortionnaires savaient y faire. Couchée sur l’humus et les feuilles, sa robe rouge déchirée, elle ne pouvait pas bouger, ses pieds liés à une racine, tandis que ses bras, en hauteur, était retenu à un pin.
Elle entendait le rire gras des hommes derrière les fourrés, autour d’un feu de bois qui dégageait une odeur nauséabonde de résine, sans compter l’épaisse marmite qui exhalait un fumé des plus désagréables, qui pourtant révulsait son ventre de long gargouillis et d’une âcre nausée, lui rappelant combien elle mourrait de faim.
Elle-même sentait une terrible odeur, celle des hommes qui l’avait battu, puis s’était relayé sur son corps ecchymosé, longuement, la couvrant de leur sueur et de leur semence. Plusieurs fois, elle s’était évanouie, plusieurs fois, elle avait espéré que la mort vienne, à chaque fois, un autre de ses bourreaux était arrivé.
Elle priait, murmurant les paroles sacrées : « Douce Epona, vient prendre ta fille aimante, Teutatès, père des Tribus, protège ta servante des souillures, Dagda, arrache celle-qui-te-prie de cette terre maudite »
Un mouvement dans les fourrés, un nouvel homme. Le pire de la bande, un archer des lointaines terres Arsacides, petit et maigre, il avait abattu son beau cheval blanc d’un trait. Il l’avait longuement regardé d’un regard concupiscent, sadique et pervers. Elle avait bien compris que la mort viendrait de lui, qui s’était repu de sa douleur depuis des heures.
« Alors ma douce ? Tu appelles la Faucheuse ? C’est mal…Moi qui venait rien que pour toi » tout en disant cela, il s’était baissé au niveau de son visage, ses dents déchaussées s’ouvraient en un sinistre sourire morcelé de débris de nourriture. Elle lui cracha au visage, un lourd glaviot. Il rit avant de dégainer une lame qu’il passa lentement, sensuellement, le long du corps de la jeune femme
« J’aime quand elles opposent un peu de résistance. Continue, déteste moi ma douce. Lutte jusqu’au bout, et après, seulement après, mon beau couteau achèvera tes douces souffrances. Mais avant… » et il baissa son couteau, avant de descendre ses mains vers le bas de sa toge qu’il remonta lentement, dévoilant un sexe épais et dur, dardé…
Elle ferma les yeux.

Un gargouillis, puis un liquide épais coula sur son corps, avant qu’elle ne sente le corps de l’autre s’effondrer sur elle. Elle ouvrit les yeux, et allait pousser un cri quand une main tomba sur son visage.
Une voix lui dit, dans le dialecte des douze tribus de Keltia :
« Pousse un cri et je fais ce qu’il t’avait promis. Si tu as compris, acquiesce »
La jeune femme baissa lentement son visage, la voix était une voix ferme, métallique. La main l’avait plaquée, mais avec une certaine douceur. Quand elle remonta son visage, elle vit au-dessus d’elle un homme en armure de cuir noire, frappée au cœur d’un loup argent. L’homme était casqué d’un heaume en bronze terni, typique de la Ligue, avec un long nasal et des protège joues durs. Le haut du casque ne portait pas l’habituelle crinière en poil de cheval, surement par intérêt stratégique, ou par manque d’argent. Le mercenaire relâcha lentement le visage de la jeune femme, avant de se détourner vers les buissons et le cœur de la clairière. Les autres continuaient leur fête. Elle jeta un coup d’œil à l’archer, son sourire avait été doublé au niveau de la gorge, la plaie béante saignant de moins en moins. Les yeux vitreux la fixaient, surpris en plein acte.
Elle était toujours attachée, elle osa murmurer.
« Pourriez-vous... ? »
Le mercenaire se retourna, la regarda, puis trancha avec le poignard de l’archer la corde. De l’autre côté, un cri de rage se fit entendre, tandis qu’une cavalcade commençait.
L’homme en armure noire dégaina une longue épée en plus de sa dague ruisselante de sang, et plongea dans la clairière.

Une année de traque pour se retrouver ici, une année pour suivre sa proie, la débusquer, et maintenant, l’hallali avait sonné. Le cœur d’Aislin battait à tout rompre, tandis qu’il se faufilait dans les fourrées, dague au poing. La mort et la vengeance, ce soir, la nuit serait sanglante. Pour autant, il ne ressentait pas l’exultation qu’il attendait.
Il s’était glissé lentement en rampant, jusqu’à tomber derrière ce fourré où la jeune fille rousse était retenue. Il avait jeté un regard à son corps parfait bien que meurtri. Immédiatement, sa raison lui avait crié de l’abandonner, pour ne pas risquer le plan. Mais son cœur avait bondi, surtout quand Keyrones l’archer était arrivé. Sa main avait agi avant lui, tranchant la gorge. Il remerciait mentalement les Dieux que l’autre s’était effondré sans un bruit, sauf que la jeune fille l’avait encore retenu, manquant le début de l’attaque.
Il pestait contre elle, mais aussi contre lui-même. Ses souvenirs ne lui rappelait-il pas combien les femmes étaient dangereuses ?
En rage, il bondit dans la cohue furieuse qui se dressait devant lui, tranchant et découpant les corps à moitié nus des pillards et mercenaires. De l’autre côté, il voyait une masse énorme fracasser des crânes avec une massue de bois tapissées de pierres noires comme la nuit. Bombata faisait un excellent travail, comme d’habitude.
Parade, feinte, une gorge tranchée. Il esquive, se baisse, son épée s’enfonce dans un ventre, il remue rapidement la lame, tranchant les viscères qui tombent à terre dans un bruit atroce. Il se relève, une bourrade à un archer qui vise Bombata, l’autre tombe. Aislin lui brise les cervicales d’un coup de pied. Il tranche et tue, il sème la mort.
Douleur, un coup vient de s’écraser sur son casque, l’arrachant. Il se retourne, à moitié groggy, un homme, grand et fort. Alcydès le lutteur. Il relève sa massue et s’apprête à la fracasser sur le crâne d’Aislin. Sa bouche est ouverte en un rictus terrible, tandis que son arme se lève haut dans le ciel. Puis un cri étranglé monte de sa gorge, percée d’une flèche qui ressort par sa trachée. Alcydès s’effondre dans un bruit mat. Ailsin voit la jeune fille avec l’arc de Keyrones lui lancer un regard, avant de décocher un nouveau trait.
Soudain, le calme se fait, les hommes sont tous morts, sauf un, qui se bat contre Bombata. Diomaque. Un vieil homme corseté dans une armure en bronze polie comme l’argent. Ses cheveux blancs volent au vent. Ses traits d’aigles sont fatigués. Un coup de Bombata et i recule. Aislin crie :
« Arrête. Il est ma proie »
L’autre se retourne, tandis que Bombata répond.
« Bine petit homme », et recule de quelques pas.
Diomaque a le souffle haletant. Il regarde Aislin s’approcher. Salut. Le duel peut avoir lieu. Aislin enlève son casque, révélant de longs cheveux blonds attachés en une queue de cheval. Ses yeux bleus fixent le vieillard. Son corps est sec, musclé. Son visage est figé dans un rictus de haine.
« Ainsi, tu m’a enfin trouvé » dit Diomaque « C’est bien petit loup, j’ai toujours rêvé de passer mon épée en travers de ta gorge »
« C’est ce qu’on va voir traître. Sache que je ne serai pas une proie aussi facile que Leucas. »
Les deux hommes, en armure complète, cnémide, ptérux de cuir et cuirasse. Des protèges bras ceignait les poignets des deux hommes, qui portait chacun une épée courte et un stylet.
« C’est pour lui que tu te bas ? Ce vieux fou. Ma parole Aislin, je te pensais plus raisonnable. Même pour un barbare »
Le jeune guerrier sourit, garder la tête froide, tout le temps, sinon, c’est la mort sous les coups rapides de Diomaque le Serpent-des-Glaces.
« Peut-être. Mais c’était mon père. Mais l’amour et la filiation, ce n’est pas le fils d’une pute noble qui peut connaître ça. Rappelle-moi ta douleur de n’avoir jamais eu de famille ? »
L’argument choc, l’autre blêmit.
« Ah oui, j’oubliais, le Serpent-des-Glaces n’est qu’un demi homme. Les couilles te manque pour venir protéger ton soit disant  rang ? Ou c’est parce que Leucas t’as trop tenu par les couilles avant que tu l’assassines ? Tu ne dis rien ? Alcydès était si bien monté qu’il remontait jusqu’à ta gorge ? Allez, viens abréger ta vie vieillard, comme j’ai abrégé la sienne»
Aislin a réussi ce qu’il cherchait. Le vieux guerrier est furieux, qu’on insulte sa famille, son rang de noble de la Ligue et surtout son amant défunt. Il bondit en avant, Aislin pare négligemment, bloquant de sa dague l’épée courte. D’un coup de tête, il fracasse le nez de l’autre, puis lance une attaque qui lui tranche la joue. Continuant sur sa lancée, il larde son adversaire de coup vif, non mortel, faisant de ses muscles saillants et de sa peau une bouillie sanglante. Un coup, il tranche le poignet d’arme. Puis rapidement il continue. Diomaque hurle quand un coup d’épée lui arrache l’œil. Aislin est trop vif, trop rapide, la mise à mort continue, barbare et sanguinolente. Diomaque à genoux, fixe de son œil unique l’homme en face de lui, s’apprête à dire quelque chose, quand l’épée du jeune guerrier s’enfonce dans la gorge d’un coup puissant, avant qu’elle ne soit arrachée dans une gerbe de sang…

mercredi 13 juin 2012

Background Mog


Les rires et les chants se sont tus dans la taverne du Donjon. La Guilde est revenue victorieuse, une fois de plus, rapportant moult trophées et pièces d’or qui garniront son trésor, enfouis loin dans les caves de la forteresse et, dit-on, gardé par un ancien dragon endormi.

Réalité ou simple rumeur, cela ne semble pas inquiéter les quatre personnes qui jouent silencieusement aux cartes depuis un moment, près du comptoir, concentrés sur les morceaux de cartons et les échanges de pièces d’argents et de cuivre. Ils viennent à peine de faire une pause, l’un d’eux, un grand guerrier Norn, passa derrière le comptoir, et sans réveiller le jeune homme endormi appuyé sur le comptoir, remplit cinq grands pichets d’une bière rousse délicieuse.
Les autres membres de la Guilde étaient soit couchés, soit discutaient à mi-voix dans le grand hall de terre battue en buvant le même liquide ambré.

Revenu à la table, le guerrier Norn déposa les bocks devant les joueurs attablés. Un grand Chaar se déplia de tout son long, réprimant un bâillement, le craquement de sa chaise gêne le jeune dormeur qui bougea inconsciemment avant de laisser échapper un ronflement sonore qui fait sourire l’assistance. Une jeune femme, habillée d’une tenue couleur automne qui épousait ses formes harmonieuses, passa ses longs doigts fins comme des branches dans ses cheveux, aussi fins que des racines d’une jeune pousse.

« Il se fait tard », dit-elle d’une voix aiguë, presque enfantine.

« Eyris, Eyris, Eyris. Ne me dis pas que tu es fatiguée mon enfant. » Répond une voix profonde et caverneuse, presque sépulcrale, tandis que claque un volet au loin. Cela fit sursauter tout le monde, mais les trois visages se tournèrent vers le petit homme emmitouflé dans une robe vert foncé, tirant presque sur le noir, assis sur une pile de coussins. Ses yeux jaunes brillants pétillaient de malice sous son capuchon. Il exhala alors une longue bouffée de fumée qui entoure sa tête d’un nuage, ce qui qui le fit tousser, révélant un visage en forme de citron, de longues oreilles comme celle de lapins et un sinistre tatouage en forme de démon grimaçant.

Tous rirent de sa déconvenue, réveillant en sursaut le dormeur et faisant se tourner vers eux les rares survivants du banquet. Le Chaar manqua s’étouffer en sifflant sa deuxième bière, et gronde.

« Mog. Arrête de faire l’imbécile avec tes sortilèges. Eyris a raison, il est tard et tu nous plumes tous depuis tout à l’heure. »

Innocemment, le dénommé Mog regarda le grand Chaar, arrêtant un instant de battre les cartes.

« Je n’ai fait que jouer. Et Grenth était avec moi on dirait » rétorqua Mog dans un grand sourire, tout en contemplant d’un regard amoureux les pièces soigneusement empilées devant lui.

« Comme d’habitude. » répliqua le Norn en buvant une gorgée de bière « Allez, dernière partie. Ou alors, tu nous racontes une histoire. »

« Raconte-nous ton histoire ! Tu ne l’as jamais racontée en plus» renchérit Eyris, faisant battre ses longs cils, arme qu’elle usait avec autant d’adresse que de sa magie ou sa longue épée.

Mog contempla l’assemblée de ses camarades. Le Chaar acquiesça silencieusement. Il était de coutume, dans les veillées de la Guilde, qu’un conteur prenne la parole.

« Vous savez très bien que je n’aime pas ça.» gémit l’Asura.

« Mais bien sûr. » répondent-ils tous en cœur, comme si c’était une habitude

« Bon, bon. D’accord. Mais ne venez pas vous plaindre après si vous avez des cauchemars» répondit-il en rangeant les cartes dans une petite boîte métallique. Un raclement silencieux d’une chaise indiqua que le jeuner serveur était tout ouï, comme le reste des personnes présentes dans la salle.

Mog prenait son temps, il vida les cendres de sa pipe dans un petit pot en terre, avant de farfouiller longuement dans les poches de sa robe une petit boîte. Il prit une poignée d’un mélange odorant de tabac et de lotus, avant de la fourrer dans sa pipe en terre cuite, longue et fine. Il alluma le foyer à la mèche d’une des chandelles posée sur la table. Après avoir tiré une longue bouffée, il but un peu de bière, et se mit alors à parler.

« Toute histoire commence par une naissance, et ma foi, la mienne a été comme toute celle de mon peuple, ma mère était la matrice et les fluides de mon père le matériel qui la remplit. Quelques mois plus tard j’étais né, dans la souffrance et le sang…Trop de sang. »

Mog ne se souvenait pas de cette nuit. Des cris, des hurlements et de la mort. L’attaque des Centaures sur la petite colonie Asura avait été brusque, son père était parti en hâte dans son golem d’acier pour ne jamais revenir. Et sa mère, sa mère s’était sacrifiée pour qu’il vive, comme le lui avait raconté Vieille Nars.

Vieille Nars. Une rebouteuse du village, haï par les « inventeurs » pour ses recherches proche de la vie et de la mort. Vieille Nars. Sa vraie mère. Mog lui devait tout, elle avait pris en charge le jeune orphelin, le confiant à une famille qui venait de perdre leur enfant. Tous les soirs, elle venait lui compter des légendes sur les temps Anciens, sur la Guerre des Guildes, les chefs humains comme Rurik, et son fidèle capitaine, Mattias Von Wolff, le grand nécromancien guerrier. Elle lui apprenait le nom des plantes, des bêtes et des oiseaux. Il dévorait les ouvrages qu’elle lui offrait, et il mettait en pratique dans de longues promenades solitaires son savoir.
Mog n’aimait pas sa famille, qui réfléchissait nuit et jour aux mathématiques combinatoires et autres problèmes de physiques. Certes, ils étaient gentils, mais ce que lui aimait, c’était la liberté, sentir le vent dans ses oreilles, la chaleur du soleil. Et savoir d’où cela provenait, d’où venait la vie, et la mort.
Dès ses sept ans, ils parcouraient sans relâches les terres de Rata Sum, les connaissant presque mieux, si ce n’est plus, que la Garde Golémancienne. Il s’extasiait devant les formes de vies, des plus grandes aux plus minuscules, et appréciait tout particulièrement les insectes. Durs, travailleurs, mais aussi si fragile…Comme lui et les Asura en somme. Un coup de talon, et ils disparaissaient, laissant le vide. Tel était les secrets de la vie et de la mort pour le jeune Asura.

Eyris avait choisi de se détendre ce soir, les pieds sous la table et un broc d'eau fraiche à portée de main. Elle avait troqué son armure contre une simple tunique de coton ocre et laissé ses armes dans sa chambre. Elle-même aimait raconter des histoires, mais Mog jouait aussi assez bien le jeu la plupart du temps. Elle était curieuse d'ailleurs d'en connaître plus sur les origines de l'irascible nabot qui lui tenait lieu de compagnon d'armes. Autant elle connaissait ou se doutait des origines de la plupart d'entre eux, autant elle était sûrement la plus douée pour cacher son histoire ou n'en révéler que les fragments qui l'intéressaient... Autant elle était sincèrement curieuse de découvrir d'où venait le nécromant hydrophobe.

Elle s'installa donc confortablement dans son siège et prit le temps de savourer le récit, comme tous ceux passés et à venir.

Son treizième anniversaire arriva. Age particulier pour les jeunes Asura, l’âge où un maître vient les prendre en charge et leur faire découvrir les miracles de la magie du feu, combiné aux sciences et à la technologie avancé de cette race minuscule.
Personne ne vint chercher Mog. Il avait fui l’épreuve, il s’était réfugié dans la forêt, sous un arbre-cœur, son arbre, et il écoutait le chant des milliers d’insectes et d’oiseaux qui peuplaient le mini éco-système (Mog était très fier d’avoir inventé ce mot). Mais soudain, le chant se transforma en un cri d’alarme. Quelque chose approchait…

Des broussailles émergea un petit être emmitouflé dans une tenue crasseuse et en lambeau, sorte de gigantesque robe brun verdâtre. Le petit être, plus petit que l’Asura, avançait lentement, s’appuyant sur un grand bâton en bois de chêne.
Mog, par instinct, avait posé sa main sur la poignée de sa dague quand l’étranger parla :
« Tu n’as pas besoin de ça jeune Mog… »

« Que…Quoi…Comment connaissez-vous mon nom ? »

Le vieillard, un Asura minuscule et tout ridé (à moins que ce ne soit la crasse de son visage) rit d’un rire aigre et toussa. Il continuait d’avancer, et se tint devant le jeune Mog.

« Laisse-moi passer »

« Vous n’avez pas répondu à la question »

Le vieillard sourit encore une fois. Avant de pointer son bâton sur Mog. Le jeune s’effondra, attiré au sol par une puissance inconnue. Le vieux continua de marcher et s’assit sur une pière moussue, sous le grand chêne.

« Tu n’es pas mieux comme ça pour parler ? Nous allons discuter mon fils…Pour ta gouverne, sache que je sais des choses…pleins de choses. Mais tu es trop jeune pour que je te l’enseigne petit ! » Sa voix était sifflante, comme celle d’un souffreteux.

« Je ne suis pas petit j’ai… »

« Treize année fils de Nars. Tu ne sais rien…tu n’es même pas apprenti…Petit » répliqua l’Asura inconnu en éclatant d’un rire toujours aussi aigre.

Mog commençait de voir rouge. Ce vieux se moquait de lui. Et comment il connaissait Nars au juste ?
« Tu es en colère. Je serais toi, je ne ferais pas ce que tu projettes » reprit l’Asura, sortant une pipe de son havresac en cuir. « Sauf si tu as des couilles de Balrog gamin »

S’en était trop pour la fierté de Mog. Ce vieux ne le connaissait pas. Il dégaina sa dague et se jeta sur le vieux…Avant de se retrouver à quinze mètre de lui, écrasé par un poids extrêmement lourd sur le sol. Le vieillard s’était rassis. Mog analysait la situation, il avait bondi, sur de son coup pour menacer le vieux, quand ce dernier avait tendu un bras et…Une explosion de douleur le prenait, ainsi que la nausée tandis qu’un liquide épais coulait sur son visage. Commotionné, Mog rouvrit les yeux, pour voir un énorme chien le menacer de ses crocs. Sauf que ce chien puait la mort, avec la peau de son visage en lambeau.

« Je crois que tu as excité un peu trop Cerbère fils.  Allez, cessons de jouer. » Le vieux siffla puis alluma sa pipe, le chien mort grogna et recula jusqu’à lui, sans quitter de ses yeux jaunes le jeune Asura.

« Tu as treize ans. Et tu ne sais rien…Et moi, je suis là pour t’apprendre fils de Nars. Je t’observe depuis un moment. Tu es loin des Asuras, de leur certitudes scientifiques » il souffla un énorme panache de fumée. Puis il se redressa, Mog remarqua alors que le maître était bien plus grand qu’il ne paraissait, coulé dans les ombres du jour déclinant « Mog, fils adoptif de Vieille Nars, veux-tu apprendre les mystères de la vie et de la mort ? Souhaites-tu devenir le serviteur des vrais Dieux ? Suivras-tu la voie de Grenth ?»

Mog voyait le pouvoir qui s’écoulait du maître. La puissance brute de la magie primordiale, l’ancienne magie disparue avec l’arrivée des dragons. Derrière, il voyait des noms, Rurik, Devona, Menlho…Et Grenth, le seigneur de la mort, et son fidèle serviteur, Mattias Von Wolff, le héros des Légendes…

mercredi 6 juin 2012

Fin de Mousson, fin de l'Innocence

Un jour, c’était la fin de la mousson, l’Ennemi a avancé. La pluie fine commençait à tomber moins dru, nos battledress n’étaient plus détrempées, lourdes et glacées, à la moindre sortie. Il faisait presque beau tout le temps, du moins, les nuages nous épargnaient un peu plus. En revanche, la guerre reprenait son droit.
Nous régnions sur la Haute-Région, seigneurs de la guerre, perchés dans nos aires et fondant dans les vallées pour chasser. Le peuple du Tasseng Touby Lyfoung  nous préservait des atteintes de l’adversaire, nous fournissant renseignements, provisions et soldats. Le GCMA tournait à plein régime, appuyé par les parachutages venus d’Hanoï et de Saigon.  Nous,  commandos et Méos, étions les rois des hauteurs, mais la vallée était un théâtre d’une guerre fratricide. Les peuples Thaïs se battent entre eux depuis des générations, ne reconnaissant que la seule autorité des Méos des plateaux. Chacun des petits hameaux perché à flanc  de colline ou perdu dans les humeurs de la jungle survit en se haïssant les autres, par des razzias et des batailles sanglantes. L’Ennemi savait jouer de ces dissensions, et nous savions pertinemment que les sourires et les serments d’allégeances  des chefs de tribus, qui nous offraient l’alcool de riz et une pipe d’opium en gage de paix, étaient les mêmes qu’ils donnaient aux ennemis de la France.
Cela ne nous choquait pas. A vivre entre deux maux, il vaut mieux ne pas choisir plutôt que de souffrir la vengeance de l’un.
L’Ennemi s’était installé dans un village dans le bas de la vallée, loin de nous, mais chaque jour poussait un peu plus haut, lançant patrouilles d’enfants perdus et installant des postes réguliers. Ils cherchaient à nous asphyxier, mais il est toujours malaisé de venir chasser le Tigre dans sa tanière. Nous évitions avec grand soin d’attaquer de front nos adversaires, Passi avait été clair là-dessus.  Une bataille rangée, même avec le courage des Méos, ne mènerait qu’à une sanglante défaite. Nous menions une véritable guérilla, attendant l’usure et la fatigue des troupes pour passer à l’action. Ici, c’était un homme que nous poignardions dans la nuit. Là-bas, nous conduisions une patrouille dans les marécages, la laissant s’engluer comme des buffles dans les brumes fétides, avant de tailler en pièce les hommes au coupe-coupe. Parfois, avec d’autres commandos, nous attaquions de nuit un campement, plongeant sur nos proies comme les racines de la jungle sur la moindre parcelle de terre. Les ténèbres résonnaient alors du staccato des armes automatiques et du fracas des grenades. Les renforts ne pouvaient que constater qu’une partie des troupes de la division, une de plus, avait disparu dans la nuit noire, les enterrant sommairement avant de s’enfuir, dès fois que nous serions restés dans les parages.

Mais nous ne pouvons pas être partout, les villages tombent aux mains de l’Ennemi, qui y laisse des pièges, aussi patient que nous. Patrouilles seules, offerte comme un plat que l’on découvre au Grand Hôtel de Saigon. Alors, c’est une guerre des nerfs, une longue partie d’échecs, à qui tiendra les hameaux le plus longtemps. Les victimes, ce ne sont ni l’Ennemi, ni les Méos, ni nous. Ce sont les habitants de la vallée. Alors, la guerre devient cruelle.