« Alors, on court ? » cette question qui le
taraude, venue de nulle part. Quelques mots d’un joli minois, plaisanterie, ou
plaisante, c’est du pareil au-même. La question, dans tout cela, ce n’est pas
réellement de savoir s’il court, il le fait tout le temps. Quand il marche,
quand il écrit, quand il vit. Il court encore et encore, le pauvre enfant. Run
boy run. Cette chanson en tête, le martellement des tambours, agressifs,
toujours le même. Fuite en avant.
Non, la vraie question, c’est de savoir s’il a encore envie
de courir. Ou plutôt, de vivre pour courir. Il a mal à la tête. Il s’endort. Il
se sent mal, une horrible tristesse étreint son cœur, alors qu’il doit
repartir, vers Ailleurs, ou nulle part. Un dernier baiser, après quelques
accolades viriles. Le sien. Elle s’approche, tend sa joue droite, l’instant est
éphémère, mais pourtant, il aurait aimé que tout dure plus longtemps, une
éternité, ou quelques secondes de plus. Au moins. La saisir, et ne pas rester
comme un pot de colle, de son côté de la rue. Comment exprimer l’indicible ?
Il en a mal au crâne, tandis qu’une douleur sourde bat au même rythme que les
pulsations de son sang. Il est fatigué de tout cela, fatigué à en vomir, à en
mourir. Crevé. Désespéré. Et tant de synonymes en –é.
Déjà, les regards se détournent, l’un va dans un sens, et l’autre
ne va plus dans le même chemin. Ombres noirs de vestes trop longues, cabans qui
tombent largement sous les reins, tandis que le vent fait voler écharpes et
plis du tissu. Il s’enfuit, une fois encore, rattrapé par son devoir, ou caché
derrière. Des devoirs. Est-ce réellement le terme exact ? Il ne le
sait pas encore, ou il n’a pas envie de trouver autre chose. Partir, fuir,
obéir. Abandonner ses propres désirs, ses envies et sa volonté, au nom d’un
devoir qu’il exècre. Désobéir, se retourner et partir à sa poursuite ?
Non, il n’est pas de cette trempe. Il est lâche, faible et traître, le tout à
la fois. Sartre dirait un salaud, il préfère le terme plus odieux de connard.
Surtout que c’est tellement facile de le porter ce joli mot, impression fugace
d’être tandis qu’il s’exprime. Connard et pas autre chose, la messe est dite.
Il part, mais les regrets enserrent son cœur et son âme. Pourquoi
ne sait-il pas courir ? Pourquoi ne sait-il pas vivre ? Saisir l’instant
présent. Ne plus fuir, sans aucunes excuses que quelques paroles bafouillées à
la hâte. La tristesse est une réelle chape de plomb qui le suit dans les rues
sombres, il ne parle pas, il n’a jamais su le faire. Ouvrir sa bouche et
bafouiller, très peu pour lui. Le ridicule ne tue pas, certes, mais il a
définitivement assassiné toute la confiance qu’il pouvait avoir en lui. Ou
alors il s’est détruit lui-même, à petit feu, sur la flamme de ses propres
terreurs.
Tristesse de la nuit. Il tombe comme une masse sur son lit
solitaire. Il ne trouve pas ce sommeil qui le fuit une fois de plus, alors qu’il
le cherche pour oublier. Pour s’oublier. Dans ses yeux, il sent les larmes qui
montent, mais elles ne sortiront pas. Dernière bribe de fierté. Les tristes
garçons ne pleurent pas, n’est-il pas ?
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