lundi 8 décembre 2014

Mother and son

Le cliquètement des chaînes éveilla Lizza de sa rêverie. Dans son dos, le prisonnier souhaitait quelque chose. Assise sur son rocking chair en paille, cadeau de feu son père, la sheriff se balançait doucement en regardant l’homme qui bougeait dans sa cellule. Devant elle, un repas bien entamé, raviolis à la tomate saucés avec un pain lourd et bruns constellé de sésames, pot de café encore bouillant et en guise de dessert une tranche épaisse de cheddar fondu. De quoi tenir au corps de la grande femme. Elle n’était pas grasse, ça non, mais dans la fin de sa trentaine, elle devait faire attention. Du moins c’est ce qu’elle disait à chaque fois qu’elle croisait une élégante, avant de se rappeler le prix de sa propre liberté. Mains calleuses habituées aux armes, épaules de nageuses et surtout pas de gosses à trainer dans ses jupons. La belle vie somme toute, surtout pour elle qui était éprise du grand air et de chevauchées sauvage sur sa monture, une bête italienne remontée pour a transformer en cross. Elle poussa un soupir, abandonnant ses pensées d’une petite virée dans l’après-midi, à cause de l’Affreux qui se trouvait là. Elle demanda, d’une voix abrupte et rauque :

« T’as faim ? »

L’étranger haussa les épaules, comme s’il n’en avait rien à faire. Il était calme depuis que le Vieux Teddy l’avait trouvé à la limite de la barrière. Le grillage était autrefois électrique, enfin quand la centrale voulait bien fonctionner, mais maintenant, depuis que tout foutait le camp en fait, il ne marquait plus que la limite du territoire entre Human Town et le reste du Monde.

Soupirante, la femme se leva en faisant craquer ses os. Autres résultats de sa vieillesse. Elle était toujours bien constituée, mais elle se sentait moins assurée, plus ronchonne le matin à se lever et surtout tout semblait se déglinguer en elle, plus particulièrement sa foutue jambe, là où une balle s’était fichée il y avait quelques années, arrachant du gras à sa cuisse et rompant au passage quelques ligaments. Elle s’avança, ouvrit la porte et déposa enfin une assiette au préalable remplie des reliefs de son repas qu’elle poussa du talon vers le Fay. Elle n’aimait pas sa race, mais cet homme n’avait rien fait pour mériter de mauvais traitements. Enfin jusqu’au jugement et sa condamnation, s’il n’était pas un espion, il s’en sortirait après une bonne trempe, un peu de goudron et des plumes et aussi nu qu’Adama au premier jour.

Lizza pensait qu’il fallait être plutôt mal dans sa peau ou avoir un sacré grain pour traverser une frontière matérielle où était écrit que les Fays étaient tirés à vue. Mais lui, ce grand guerrier tout de noir vêtu, avait simplement poussé sa moto, comme s’il était en rade, et avait attendu que quelqu’un vienne. Le Vieux Teddy l’avait vu et avait fait aussitôt appeler par son fils Lizza, qui était aussitôt accourue avec tous les insignes de sa fonction, voiture blanche et bleue, gyro et sonneries. Un boucan à réveiller les morts, mais ça en imposait au moins, du moins ça lui donnait du cœur à l’ouvrage quand elle devait aller s’asticoter avec un Fay.

Il l’avait attendue, puis s’était tourné, avait présenté ses mains et s’était laissé conduire en prison, dans l’arrière salle du bureau du sheriff, et puis il avait piqué un roupillon. Lizza avait lentement examiné l’homme, grand, bien bâti, musclé juste ce qu’il fallait, et une allure de fauve lâché dans une bergerie au petit matin. Pourquoi donc s’était-il laissé capturer aussi facilement ? Son instinct lui criait qu’il devait faire partie de la bande de la Sauvageonne, que c’était une sorte de cheval de Troie, même si Lizza n’avait jamais vraiment su qui était Troie. Elle l’avait délesté d’un sacré arsenal, pistolet et fusil à canons sciés, un joli couteau Bowie et même une dague dissimulée dans la botte, une vraie armurerie ambulante. Et le pire c’était qu’il lui avait donné toutes les caches ou presque. Sa moto noire aux flammes rouges, il l’avait abandonnée à regrets, ça se voyait, bien qu’il s’était contenté de hausser les épaules tandis que le fer des menottes mordait ses poignets.

Maintenant, il était accroché à une chaîne, mais la sheriff avait pris soin de ne pas trop serrer les bracelets. Les Fays n’aimaient pas le fer, c’était une réaction presque allergique. D’ailleurs, on n’avait jamais vu un Affreux avec une montre au poignet. Il mangeait lentement son assiette, toujours appuyé contre le mur. Si ce n’était sa situation, Lizza aurait cru qu’il se reposait lentement, assis contre le mur d’un saloon tandis qu’en bon pistolero il regardait tout ce qu’il se passait derrière ses grands yeux verts. Il semblait simplement attendre, quelque chose, ou quelqu’un, et cela ne disait rien à l’humaine. Mais si elle pouvait faire ami-ami avec lui, peut-être qu'il dirait quelque chose, peut-être qu'elle pourrait le sauver...Peut-être. Elle, demanda, abrupte.

« T’es venue pour la Sauvageonne ? Tu sais ce qu'ils ont fait à son dernier espion ? »

Il la regarda, sourit, attendit un instant, avant de répondre enfin.

« Peut-être. Peut-être pas. Dur non d’être sheriff dans ce genre de bled pourri et de ne plus pouvoir parler à sa fille ? »

Elle frémit. Comment…

« Comment je le sais ? Mon petit doigt, ou la photo qui traîne là-haut »


Il montrait la grande commode avec ses armes bien entretenues alignées, gueules d’acier noir prêtes à cracher les feux de l’enfer. Et au milieu des pots et autres cartons de cartouches, Lizza savait qu’elle avait laissé une photo, une unique photo, de sa fille Fay. Celle qu'elle regardait dans ses rêveries, sans que jamais personne ne fasse réellement attention. Celle que de temps en temps elle descendait de là haut et serrait tout contre son cœur, tandis que ses larmes nettoyaient la poussière accumulée. Sa fille et elle, réunie une unique fois. Sa fille. Son erreur, sa sa faute et son seul amour. 

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