mardi 2 décembre 2014

Gris échec

Quand on est enfant, on a de la chance, on croit que tout est noir et blanc. Comme sur un échiquier. Noir blanc. Comme sur les pages d’un livre. Noir blanc. Comme les couleurs de l’Arlequin.

Noir blanc. Cela serait si simple de tout voir de ces deux couleurs. Noir blanc. Cela serait si beau. Le bon et le mauvais, savoir toujours distinguer l’un ou l’autre, et choisir bien évidemment le bien.

Le monde serait si simple. Comme sur un échiquier. La vie, régie par des coups immuables. Une ouverture, un milieu, une finale, inéluctable. Avec toujours la même conclusion, la mort du roi. Et cette phrase, inique, le roi est mort, vive le roi. Echec et mat. Le sens même de la vie.

Cela serait si simple. Mais rien de cela n’est vrai. Je ne peux pas jouer ma vie comme une partie d’échec, mais plutôt je la vois comme une succession d’échecs permanents, sans trêves ni répits. Et puis, pour se redonner courage, de temps à autres, une notation aux doubles points d’exclamations, très bon coup. Mais ils sont si rares, maintenant. Je n’enchaine que des doubles points d’interrogations, mauvais coups, très mauvais coups. J’avance un pion pour qu’il se fasse damer immédiatement, échec, encore et encore. Spirale infernale d’un milieu qui n’a qu’une seule solution, finale, la mort du roi, après celle des pions inconnus, celle des amis chevaliers et évêques, et surtout la mort de l'Amour, le seul, l'unique, tandis que la Reine se fait arracher par une attaque adverse fulgurante et incompréhensible pour ce faible roi qui ne sait même plus se défendre.

Echec et mat, fin de partie.

Et encore, si cela était si simple, bon coup, mauvais coup. Système binaire typique. Sauf qu’en fait, tout est gris, ni noir, ni blanc, juste du gris plus ou moins prononcé. C’est moche le gris, c’est froid, c’est triste, c’est neutre. Le gris, ce n’est rien, c’est le nul, c’est l’absence de toute couleur.

Les murs de ma chambre sont gris, ma fenêtre m’ouvre sur un mur gris, même le ciel est gris. Anthracite, béton, ou macadam, toujours ce même gris, encore et encore. Mêmes les gens sont gris ici, ni blancs, ni noirs, d’un pâle terne qui enlaidit le moindre traits.

Cachons nous au milieu de la foule, fermons les yeux, baissons les, abrutissons nos oreilles de sons, pour ne pas voir ce visage, identique au notre, qui n’est que le reflet gris acier de notre propre visage que le miroir terni nous renvoie tous les matins du monde.

Si seulement tout était noir et blanc, comme un échiquier. Au moins une fois, une unique fois, pouvoir jouer une partie de cette vie terne comme une fable ou une partie d’échec. Coups assurés, bon, mauvais, qu’importe. Mais qu’au moins, tout ne sois pas gris.


Gris. Tout est gris, sale, humide, froid. Gris comme la maladie. Gris comme la mort. Gris comme l’oubli. 

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