lundi 25 novembre 2013

L'absente

Se réveiller, au cœur de la nuit, cœur battant, peau moite, souffle coupé. Se remémorer cette vision, terrible, magnifique, femme-déesse du clair obscur, jouant à cache-cache dans les voiles de vaporeuse mousseline.

Se souvenir de ses formes, les imaginer, les voir. Ses pieds, ses mollets, ses genoux. Et puis ses cuisses. Parfum capiteux de ce buisson intime. Odeur délicate. Fragrance indescriptible.

Remonter la chair pâle de son ventre. Là, deux parfaites imperfections, trace du passage du temps blessure ancienne ou nouvelle, marque indélébile.

Remonter, nombril, abdominaux, seins...Petits pamplemousses-mûres. Et puis sa gorge. Morceau de marbre de Carrare brut, une main passe dessus puis des lèvres. Baisers d'orfèvre, caresses de tailleur, geste professionnel devant la perfection de ce corps.

Remonter, encore, se perdre . Masse de cheveux, ni clairs ni foncés. Lumineux sans l'être, au contraire de ce visage, plongé dans une ombre tamisée, voile noir qu'il ne peut traverser. Un nez, des yeux, une bouche, oui. Il les a baisés. Mais ces traits manquent de justes, imperfection fatales. Qui est-elle ? Pourquoi n'arrive-t-il pas à la revoir, la déesse mutine de ses rêveries en clair-obscur ?


Plongée secrète, l'imaginer, essayer de la faire chair. Ne pas y arriver. Avoir envie de pleurer. Croire que tout cela n'est qu'un songe. Elle est si loin l'absente. Songe d'une nuit d'été, ou réalité ? Croire qu'il l'a perdue, et puis, suffocant, moite et blême, il frémit. Petite vibration à peine perceptible de la boîte à son. Elle est là, l'absente, si proche et si loin, toujours plongée, cachée, entre les mots, mais bien présente...

jeudi 21 novembre 2013

Dire nous ou le quai de la gare

Attente sur un quai de gare, faire les cent pas, encore, et encore. La trotteuse de l'horloge tourne, vite, trop vite, ou lentement, trop lentement.

T'attendre, lèvres sèches, marcher, de long en large, cent pas d'un côté, mille de l'autre, et revenir. Regarder ma montre ; les aiguilles avancent, entre-deux insupportable. Ne pas regarder, ne pas pouvoir s'en empêcher. La ranger ; puis la ressortir ; instantanément.

La voix, familière. Frémissement dans l'air. Toutes les personnes qui attendent le long de ce quai en béton froid se lèvent, comme une forêt de blé sous la caresse du vent, ils se penchent, corps tendus, bruissement des articulations qui s'approchent du vide.

Au loin, tout proche, le mugissement du cheval de fer et d'acier. Frémissement des rails qui se tordent sous le poids de cette charge sifflante et crachante. Frémissement des vitres et du béton, froid glacial d'une peur enfouie qui ressort, comme lors de ces courses de taureaux là-bas, chez moi, où la foule attend, mélange de chair de poule et d'excitation, qu'un raseteur s'effondre au milieu de la course.

Sifflet strident, bruits de pistons, la bête se cabre tandis que son mors retreint son envie d'avaler les miles. Crissement de l'acier, frein. Arrêt brutal, dans un relâchement de vapeur. Terminus, tout le monde descend.
La bête ne bruit plus, chuintement des portes, elles s'ouvrent. Flot jaillissant instantanément. Noir de monde. Chercher ton visage, scruter la foule. Où es-tu ? Des gens passent, sans histoire ni passés, moment présent, je ne les reverrai jamais, et pourtant...Leur petite vie pourrait devenir un roman, sous une plume aiguisée.

 Pas la mienne. Non. La mienne te cherche, essaie de te retrouver, de te (re)découvrir. Corps tendu, aux aguets. Où es-tu ? Passer d'un visage à l'autre, tu n'es pas là, saisir tes traits, elle te ressemble, mais ce n'est pas toi. Où te trouver ? Je suis perdu, tu es perdue. Nous sommes perdus. Peut-être. Découverte. Tu étais là, tout près, toute prête. Élégante. Belle. Habitude, pourtant, si peu de temps passé. Saisir ta main, te presser, te serrer. Mêler ton corps au mien. Ou l'inverse. Te retrouver. Chaste baiser. 

Nous retrouver.


Dire nous.  

dimanche 13 octobre 2013

Coquillage et crustacééééééés

Une bagarre, dans une assemblée enrhumée comme celle-là, c'était presque sûr qu'il fallait qu'il y en ait une qui se déclenche. Rangeant précautionneusement son médaillon, Bellamy jeta un coup d’œil aux gens qui l'entouraient. Il savait que Bombata et Gebedia avaient vu ce qui allait arriver, mais l'un et l'autre faisaient comme si de rien n'était. Il valait mieux paraître pas assez près, plutôt que sortir le premier dague et pistolet pour défourailler à tout va. Déjà, des regards de fouines vers les portes et les fenêtres indiquaient qui allait filer en douce, tandis que d'autres zyeutaient l'argent sur les tables, ou même la nourriture. Il n'y avait jamais de petit profits à Tortuga.
Les filles de l'établissement bougeaient lentement, prêtes à saisir leurs jupons, tandis que le barman, sans rien dire, passait une main sous le comptoir ou un énorme tromblon était caché.
Bien entendu, il allait sans dire que personne ne parlait, et que l'on pouvait entendre une mouche ou deux voleter dans l'air gras. L’atmosphère était si tendu qu'on aurait pu la couper au couteau.
Une pièce ou deux glissaient de mains en mains, parie sadique comme les sourires carnassiers, pleins de dents cassées ou pourries, chicots dégoulinants de chique ou de bétel. Le gamin n'avait aucune chance, c'était une certitude, la question était plutôt savoir combien de temps il allait tenir.
Quand le golgoth saisit sa chemise et le souleva, Bellamy sourit. Il l'avait bien cherché, quelle idée que de s'excuser, alors qu'il n'avait qu'à pousser son joli petit cul hors de la chaise que convoitait le loubard. Décidément, les jeunes marins étaient de plus en plus mal éduqués. Il se rappelait bien sa première bataille de bar, Hornigold l'avait entraîné dans toutes les tavernes de la ville, avant de le lâcher comme un étron en plein milieu d'un coupe gorge bien pire que ce lieu. Bellamy en était sorti avec une balafre au bras, un œil poché, et le nez cassé, une fois de plus.
Bombata mâchonnait, Gebedia regardait la scène, trop vieux pour avoir envie de se battre, trop jeune pour ne pas profiter du bon spectacle qui s'annonçait. Bellamy s'en moquait, il en avait vu tellement. Rentrant son médaillon dans sa poche, il se mit à se balancer. Un temps, puis deux, le gamin allait commencer à manquer d'air, déjà, son visage se faisait cramoisi. Ses petites jambes se baladaient dans le vide. Si il n'envoyait pas son pied d'un coup dans les parties de l'autre, il finirait mort, étouffé. Après, on jetterait son cadavre dans la rue, une fois qu'on lui eut soutiré ses vêtements. Horrible et cynique, mais tellement classique.
Cependant, quand il avait capté son regard, Bellamy avait senti quelque chose. Ce gamin avait l'air intéressant, pour un homme qui croyait au Destin, il était sûr que cela n'était pas que le fruit du hasard. Il allait tourner de l’œil, quand le capitaine sans navire se leva. N'avait-il pas dit qu'il voulait un rhum ? Marchant lentement, tandis que ses bottes faisaient crisser les nattes et le sable de la paillote, il posa négligemment la main sur son sabre, tandis que sa main gauche allait gratter son dos, là où sa Miséricorde pendait.

« Dégage du milieu Golgoth, et lâche le gamin, tu voudrais pas qu'on t'appelle croque-mitaine non ? »

Qui connaissait Bellamy savait que le regard qu'il lançait n'indiquait rien de bon. Ses yeux fauves étaient devenus deux billes noirs, aussi profond que l'onyx de la plume qui flottait à son chapeau.

L'insulte n'était pas voilée. L'autre venait cherchait la bagarre, et Bellamy avait une envie folle de se défouler sur le premier venu.  

jeudi 10 octobre 2013

Eloge du Nombrilisme

Entrer dans le métro, dehors, il fait froid, glacial, tandis que le vent souffle sur les quais de Seine. Espérer un peu de chaleur, humaine, ou autre.

Se glisser dans une rame, au dernier moment, courir pour entrer, bondir, se retrouver entasser aux milieux des gens. Le froid, glacial, dehors, a poussé les gens à revêtir des vêtements d'hivers, pulls, vestes et écharpes sont de sorties.

Terrible confusion gluante, amas de corps, mélangés, dans des attitudes obscènes. Ces mains qui se croisent, s'entrecroisent, s'entrelacent sur des barres de fers aussi brûlantes que de l'acide. Les odeurs des corps vivant, parfumes, sueurs, âcreté après une journée dehors, à travailler.

Prison, sentiment de solitude, d'abandon. Au cœur de la foule humaine, il se sent encore plus enfermé que dans une cellule. Serait-elle plus grande que ce petit bout de plastique ou ses pieds reposent. Ses pieds ? Est-ce vraiment les siens, dans ce magma noirci de chaussures bien cirées ? Ou est-ce celles de son voisin ? Quelle idée, il ne se distingue même plus lui-même, engoncé dans cette orgie de chairs entassées dans une boîte de sardine.

Penser à elle. Elle, qui le tient comme un pantin au bout du fil. Télécommunication, jeux amoureux. Qu'est-ce qu'il aimerait qu'elle soit là, près de lui. Atténuer ses angoisses. Pourtant, dans cette masse informe et livide, elles reviennent de plus belle. L'aime-t-il ? Oui, il en est certain, il a aimé autrefois, ce n'est pas la même chose, mais une exaltation étreint son cœur, il serait poète, il dirait son âme. Pourtant, ce sentiment, fugace, qui se love au plus profond de sa poitrine, au milieu de ses entrailles, le trahit. Il déteste ce monde, il déteste être enfermé là, au milieu de cette foule anonyme. Terrible angoisse, sera-t-il à la hauteur de l'image qu'il s'est forgée d'elle ? Il ne veut pas être déçu, ne pas penser à ça. Il l'aime. Mais...Ce petit mais insidieux, cette question existentielle. Lui qui a peur de s'engager, qui a peur de se retrouver la corde au cou, prisonnier attendant la sentence de mort.

Ce n'est pas tant l'aimer qui importe, c'est se dire : « et si ? ». Peur artificielle, peur d'un esprit torturé, qui a déjà ressenti un amour profond. Peur de gâcher, à nouveau, de ne pas se faire comprendre, ne pas comprendre. Rater le coche. Pourtant, là, il est dans le métro, certes ce n'est plus la même chose, mais cela y ressemble tellement.

Avoir peur, peur viscérale, physique. Sensation de malaise. Il étouffe, il voudrait hurler. Se mettre à sangloter, replier sur lui-même. S'enfermer dans son monde, son monde. Nombrilisme existentiel. Dieu, serait-il comme tout le monde lui qui se dit humaniste ? Ne serait-ce que des mots pour se faire mousser auprès d'elle, prétendre à quelque chose de meilleur...Alors qu'il n'est rien.

Terreur de déplaire, terreur de décevoir. Petits mots lancinants au fond de son esprit. Il ne veut pas croire qu'elle puisse le décevoir, c'est lui qui a peur de la tromper, peur d'être quelqu'un d'artificiel. Ses mots, ce ne sont que des artifices...Même s'il sont vrais, au plus profond de lui il sait qu'ils sont vrais, mais les mots trahissent la Vérité. Comment dire, utiliser un média, sans perdre le sens réel...Question existentielle dont il ne peut trouver la solution, tant il est oppressé. Pensées parasites, corps à corps avec ces gens inconnus.

Fuir, il ne sait faire que ça. Il a besoin de partir, de courir. Il enfonce la masse humaine, comme s'il fendait une motte de beurre avec son couteau, le matin, dans son petit appartement. Il s'enfonce dans cette masse gluante, il pousse.

 (re)Naissance.

Courir, grimper les marches, sortir. Air libre.

Il fait froid dehors, glacial, le vent souffle sur le grand boulevard.

Au cœur de la nuit, c'est pourtant là qu'il se sent le mieux. Seul, solitude éternelle sous le regard bienveillant de ses amies les constellations.

Marcher, à toute vitesse, esquiver la foule, se glisser, être libre.


Voilà ce qu'il voudrait qu'elle comprenne, qu'elle partage, peut-être. Volonté d'indépendance, d'être libre. Illusion, l'amour n'est-il pas une sorte de d'impasse dans sa réflexion ? Une aporie, barrage de la pensée rationnelle ? Se retrouver. Lui-même, dans la solitude. C'est ce dont il a besoin, l'essence de son être ; La question...C'est arrivera-t-il à la faire entrer dans cette solitude ? Parviendra-t-elle à se glisser au cœur de ce qu'il est....Un éternel marcheur solitaire ? Et sera-t-il capable de l'inviter dans ce monde mystérieux, enfantin, qu'il s'est forgé et où il règne du haut de sa tour d'ivoire, là où les murailles de sa pensée le protègent ?  

samedi 5 octobre 2013

Tour de manège...(Asdel et la recherche 01)

C'était un petit coin de paradis, perdu au milieu de la grande ville. Pour y aller, il fallait traverser tout Paris, d'Est en Ouest, ou peu s'en faut.

Prendre un métro, puis un suivant. Voyage fascinant au milieu de toutes les couches sociales, melting-pot de sensations, tandis que la rame gronde à travers les tunnels aussi noir que le fond de l'enfer.

C'est un petit monde en réduction, des gens qui se croisent, s'entrelacent, se mêlent dans une danse langoureuse, à chaque arrêt, changement imprévu, départ, arrivée. Quelques bousculades. Des sourires contrits, des excuses à demi-mot, à demi-voix. Un geste esquissé, puis plus rien. On ne se voit plus, on se regarde pas.

Pourtant tous ces visages sont fascinants, celui du travailleur, fatigué, les yeux pochés de s'être levé avant l'aube.

Plus tard, le cadre, moyen ou supérieur, cravate et chemise plissé par une journée harassante, le regard vide, anxieux, tandis que ses doigts jouent à toute vitesse une invisible partition. A-t-il perdu des millions en bourse ? Pense-t-il à sa maîtresse, cette petite jeune fille aux jambes gainées de soie noire, souriante et pimpante comme la vie, qui lui fait oublier l’acariâtre matrone qui réchauffe pourtant son lit et son dîner tous les soirs ?

Laissons le à ses pensées, et regardons plutôt ce couple hiératique, monsieur, quatre-vingt ou cent ans, on ne compte plus à cet âge là. Visage ridé comme une pomme blette, cheveux blancs peignés avec soin, et pourtant toujours des yeux pétillant de vie.

Madame, elle, regarde son visage en souriant, arrangeant une mèche imaginaire de sa permanente parfaitement réalisée à l'aide des fers à friser par sa coiffeuse qu'elle a connu lorsqu'elle était apprentie.

Devant eux, leur petite fille, une gamine encore ronde, la petite dernière de la famille, qui aimerait bien coller sa bouche contre la vitre, comme le petit garçon deux arrêts avant, pour goûter ce verre froid où l'on peut dessiner des bulles.

Son grand frère, ou son cousin, plus grand, lui, se tient bien droit, déjà désabusé par le monde, sa petite amie, ***, sept ans, lui a été soufflée par son meilleur ami. La barbe de devoir passer son après-midi avec ses grands parents alors qu'il y avait foot sur le terrain vague, ça aurait pu finir en bonne baston et la force de ses gnons aurait ravivé sa jeune flamme...

Instants de vie, instant de mort. Pauvre SDF que plus personne ne voit, emmitouflé dans SA station comme une momie par des dizaines de couvertures. Il a froid, déjà ses forces vitales le fuit, lui qui avait connu le bonheur d'un foyer, la joie du travail bien fait...Des choses auxquelles tout le monde aspire et devrait avoir le droit. Liberté Égalité Fraternité c'est ça ?

Pas de commisération dans ce monde injuste et sale, seulement une petite pièce, de temps en temps, histoire de se donner bonne conscience.

Moi même je ne suis pas exempt de ses pensées. Terribles. Serais-je capitaliste ? Ou pire ? Je préfère fuir, loin au-dessus de la mêlée, quitter la foule crasse de ce métro sur-bondé. Fuir, traverser ces pâtés de maison bien bourgeois. Pourtant, je croyais que Boulogne résonnait encore du fracas de Billancourt. Ce n'est qu'une succession de rue informe, ou plutôt, qui ont toutes la même forme, archétype de l'ancien quartier réhabilité par les cadres. Rues proprettes, murs de briques recouverts de fleurs. Les filles dans la rue marche vite, juchées sur des talons plus fins que des aiguilles, leurs robes légères appellent le printemps, alors que nous sommes déjà à l'automne, à moins que ce ne soit mon cœur et mon esprit qui se sont arrêtés, un de ces jours d'octobre où la pluie collait les feuilles des platanes de mon enfance dans la grande allée...

Fuir, toujours, avancer, à jamais. En avant, et tant pis pour le reste. Derrière les croisillons, des femmes espionnent leurs voisines, un piano, fenêtre ouverte, égrène des notes sporadiques. Jeux de dupes en ré mineur. Suite de maisons identiques, aveugles sans être lépreuses, nous ne sommes pas à Barbès que diable. Mais la maladie qui étreint les os, le sang et les chairs, peut-être qu'elle existe DANS ses petits pavillons ? Bien entendu, il vaut mieux cacher les débris hématiques de cette insidieuse tuberculose nommée jalousie par certains. Et puis merde, la lutte des classes est mort en 89.

Fuir, toujours, avancer, à jamais. Chercher quelque part pour se reposer, citadelle imprenable, ou du moins mieux fortifiée que le cœur et l'esprit. Je l'ai trouvé, au détour d'une rue, d'une place. C'est un petit temple blanchi à la chaux, à défaut d'être en marbre, trop vulgaire somme toute depuis que le Parthénon existe.


Je pousse la porte, un gardien m'introduit, au milieu d'une galerie ou des tableaux premier empire (c'est important, mon meilleur ami déteste ceci, lui l'historien de l'art à la culture plus profonde que la Fosse des Mariannes). Un escalier, velours sur lambris de bois satiné, ou patiné, par des années de passage et de travail à la cire. Nouveaux couloirs, nouvelles portes. Un grand linteau noir, au-dessus, serait-ce les armes de l'Empereur ? Pousse la porte, acte de foi. Pousser la porte, rentrer dans une petite pièce à l'éclairage diffus, calme et paisible. Pousser la porte, craintif, comme on entre dans le Saint des Saints. Au mur, des bibliothèques pleines d'ouvrages, anciens ou non. Un seul cri de ralliement « Vive l'Empereur ! », tous ces papiers porte Sa marque. On s'attendrait presque à sentir l'encens d'un culte païen de la grandeur de la Nation incarnée. Cela est remplacé par la délicieuse odeur de ces pages jaunies par le temps, tandis que la main effleure avec précaution, comme on toucherait les pieds d'une statue, les reliures de cuir ou de carton....  

vendredi 4 octobre 2013

Une petite auberge, qui sent bon la châtaigne....

La pluie avait détrempé le chemin creux par où l'homme qu'on appelait Sans Nom visitait les monts et les vaux. Que faisait-il dans ces contrées ? Il n'en avait aucune idée, sinon qu'il marchait, solitaire, à la recherche de qui il avait été.

C'était une de ces périodes d'hivernage, ou le Dédain ne prenait pas la mer. Sans Nom avait profité d'une nuit pour prendre quelques semaines de vacances. Ce n'était pas à vrai dire une désertion, le bateau ayant souffert de sa croisière d'été, et la relâche avait été accueillie par tous comme un temps de paix à mettre à profite pour se saouler, découcher et oublier les horreurs de cette sanguinolente guerre contre la piraterie.
Il marchait donc d'un bon pas, profitant de l'accalmie entre deux trombes d'eau tombée de ce ciel aussi noir que la gueule des Enfers de Nayris.

Nayris...Au cours de ses voyages, Sans Nom s'était longuement posé des questions sur cette petite fille en ivoire qu'il ne pouvait ni jeter ni vendre, malgré toutes ses tentatives. Quelque chose, toujours, l'empêchait au dernier moment de se séparer de la poupée si bien dessinée, et pourtant très ancienne. Du moins, c'est ce qu'un érudit des ghettos d'Abyssaï lui avait dit, en essayant de l'escroquer avec sa jolie fille pour qu'il cède à la tentation de connaître un avenir fait de femmes et d'argent que même les nains n'auraient jamais.

Une statuette de Nayris, et cette envie de violence, intenable, qui le prenait au plus fort des combats. Etait-il un de ces guerriers de la Déesse, un saigneur de la guerre qui ne vivait que pour le sang et les flammes ? Il s'était rendu compte dans les batailles du Dédain qu'il aimait la Mort, et que la Fortune dansait avec lui, comme si les walkyries protégeaient son chemin au milieu du carnage. De nouvelles estafilades marquaient ses muscles, dont une coupure qui courrait le long de son avant-bras, trait sanglant rouge rubis, encore à vif, en parallèle d'un tatouage tout en arabesque qui rappelait les contours flous d'un triskell.

Sans Nom parcourait le monde à la recherche de réponses, si proches et pourtant si éloignées. Nul trace de qui il avait été, comme s'il n'avait jamais existé avant cette nuit dans les ruelles d'Abyssaï, ou il s'était éveillé, casqué et armé, au milieu de corps sanguinolents de traînes rapières et autres coupes jarrets. Nul blessure, si ce n'était une commotion aussi grosse qu'un œuf, et un mal de crâne lancinant qui lui donnait la nausée. Migraines et cauchemars étaient son quotidien, et parfois il avait envie de baisser les bras, ne plus chercher à comprendre. Pourtant ce désir impérieux le rappelait toujours, le forçait à continuer, malgré ses doutes, malgré ses désirs de paix. Il devait vivre par l'épée, il mourrait par l'épée.

Il marchait donc, sans repos, si ce n'était quelques heures plus tôt une pause pour emplir sa gourde dans l'eau d'un torrent de montagne aussi pur que le cristal. Ses jambes avalaient les milles sans soucis, amusées de revoir cette terre qu'il avait quitté il y'a déjà si longtemps. Sa respiration, profonde et tranquille, suivait son effort tout comme ses muscles. Sans Nom communiait avec la nature dans cette marche paisible à travers cette contrée de nulle part et d'ailleurs. Le vent soufflait frais, apportant des odeurs de terre, mais aussi d'herbes coupées. Les arbres bruissaient sous la caresse de l'autan, alors que le soleil, là-bas, vers l'Ouest, se couchait. D'autres sons provenaient maintenant aux oreilles du barbare. Ceux de la vie, un village quelconque, meuglements d'animaux, tonalité de la vie paisible d'une campagne presque endormie. Les arômes du pain cuit sur la cendre titillait son nez fin de chasseur, faisant déjà saliver ses papilles et gronder son ventre à l'idée d'un bon repas, changement bienvenue alors qu'il mangeait depuis son départ d'Abyssaï des morceaux de viande séchées aussi dur que le cuir de l'énorme ceinture qui protégeait son bas ventre des mauvais coups.

Il marchait donc, sur ce chemin boueux, le pied plus léger, prêt à se fendre d'un bon gueuleton avec ses pièces de cuivre, quand il arriva sur la place centrale du village. Quelque chose n'allait pas, un homme titubait, soutenu par deux compères qui n'allaient guère mieux vu le rouge qui tâchait leurs chemises et les gnons noirs qui grandissaient à vue d’œil comme des œufs pochés dans une poêle.

Un grand guerrier tout casqué et armuré les coinça, brutalisant un peu plus un des geignard qui n'en demandait pas tant. Sans Nom s'en moquait, il croyait que seuls les forts avaient le droit de vivre sur ces terres. Mais l'allure du guerrier ne lui disait rien, trop brutal, trop bien armé. Un fou de guerre...Quand il relâcha le paysan, il s'enfonça comme une tempête dans l'auberge, marquée par une enseigne en forme de choppe qui grinçait dans l'air du soir.


Sur qu'une bagarre allait commencer, et vu l'épée que l'autre portait, ce n'était pas juste des gnons qui allaient être échangés....

vendredi 27 septembre 2013

Vive le Consul, partie un, le camp de ***

C'était un de ces jours de pluie où la Côte d'Azur se transformait en une cotte aux reflets d'aciers, la houle puissante de la Méditerranée jouant de mille teintes de verts et de gris plus ou moins ternes, comme ces armures antiques que Mr de *** venait de trouver enterrée aux alentours de Pompéi.

La pluie fine rendait glissant les chemins de pierres, tandis que les sentes se transformaient en bourbiers pour ceux qui n'y prenaient pas garde. Les hommes et les bêtes, eux, étaient plus trempés que des nourrissons le jour de leur baptême.

La route était don logiquement vide de toute vie, si ce n'était de temps à autre un berger qui marchait là haut dans le maquis, entraperçu quand la brume se levait quelques instants. Pourtant, un austère cavalier, engoncé dans une cape de grosse laine grise taillée à la Souvorov, Il avançait au pas lent et mesuré de sa monture, un alezan superbe dont le poitrail se soulevait à chaque instant, luisant de sueur, tandis que ses yeux cherchaient la moindre parcelle de terrain qui ne serait pas traître sous son sabot.

Le couple s'approchait de la ville de ***. L'homme semblait perdu dans ses pensées, un tricorne détrempé posé sur les yeux, quand un barrage lui coupa la route. En fait de barrière, c'était un simple tronc fin long et robuste tenu entre deux autres morceaux de bois à peine élagué. La guérite quant à elle était une tente où se tenait trois soldats, un caporal et deux biffins, se tenaient au chaud autour d'un mauvais feu qui sentait la résine de pin et le bois vert, en aiguisant adroitement de longues avionnettes, appelées cuillères dans le langage fleuri des hommes de guerre. Sur le sol, de la paille tout aussi humide, dans lesquels les hommes plongeaient des sabots ou leurs pieds nus. Le cavalier aurait pu remarquer, s'il y avait pris attention, la mine déconfite de ces hommes habillés comme des va-nu-pieds de pantalon de serge étriqués ou trop longs, retenus par des bouts de ficelles en guise de ceinture, le tout reposant dans une crasse sombre de corps de garde, où le feu permettait au moins de masquer les odeurs de corps et de graisse.

Le caporal jeta un rapide coup d’œil aux papiers du cavalier, il ne savait qu'à peine lire le cachet et l'ordre émanant du ministère, plus attiré par la mise qu'il cachait en dessous, bonne redingote de drap vert, sabre d'officier et deux pistolets d'arçons qui devaient être fabriqués sur mesures vu la finesse de leurs crosses travaillées à l'acide. Un nouvel officier dans cette armée qui manquait de tout ? Un dragon pour rejoindre quel corps, leurs cavalerie avait été défaite par les Autrichiens non ? Avec sa mise de bourgeois, il aurait mieux fait de rester à l'armée du Rhin, pensait l'homme de garde, en se disant qu'il enviait aussi l'homme. Il allait lui poser quelques questions, mais à quoi bon, il n'aurait pas répondu. De toute manière, c'était un gars de plus qui allait souffrir comme eux de la faim, du froid ou de la maladie. Et puis, ses yeux bleus glaces, sa mise mais aussi son nez busqué, aristocratique tout comme son front haut, n'invitaient guère à la conversation. Surtout si l'on ajoutait la blessure qu'il portait à l'occiput, du moins c'est ce que le caporal en avait déduit en voyant les morceaux de bandages qui pendouillaient sous le tricorne.

Finalement, le vieux moustachu s'inclina face au regard terne, ou torve, du jeune officier et grogna quelque chose. Ses deux aides soulevèrent la barrière, et le jeune cavalier piqua des deux.


Haussant les épaules, le caporal s’emmitoufla dans sa capeline d'été qui tombait en lambeaux, ils avaient encore plusieurs heures de garde solitaire sur cette route...

dimanche 22 septembre 2013

Bellamy, retour à l'écriture poussif.

Le capitaine sans vaisseau Bellamy, Ezekiel de son petit nom, cherchait encore à faire un coup fumeux dans Tortuga, afin de retrouver un navire et de partir à la recherche de ce qui lui revenait de droit : le trésor d'Hornigold.

Las, mes chers lecteurs, vous vous rappellerez que ce « pauvre » Bellamy avait rencontré le Capitaine Barbossa, que dis-je, le pleutre à la jambe de bois et à la barbe aussi fournie que celle de feu le respecté Barbe Noire, qui au passage en avait une plus grosse paire que ledit capitaine à demi cul-de-jatte, et n'avait pas conclu d'affaire.

Sa malchance habituelle, ou son talent pour survivre aux coups les plus dangereux, avait encore frappé lorsqu'il rencontra un obscur Maure qui travaillait pour un consortium privé de langue anglaise. Ce jeune homme né d'une auguste ligné de voleur de femmes et de baiseurs de chèvres avait quelque peu commotionné Bellamy, en essayant ni plus ni moins que le poignarder. Pour preuve, le capitaine aux vaisseaux disparus marchait de son pas habituel, rapide et majestueux, fendant la foule à grand coup d'épaules si l'on ne ne se pressait pas de lui laisser passage, en tâtant une main où un bandage crasse suppurait des matières infectes, tirant entre le rouge sombre sanguinolent et le noir des cataplasmes de Madame Voodoo, sorcière aux charmes aussi désuets que capable dans les travaux de magie grise.

Bellamy maugréait donc contre l'injustice de ce monde où un honnête capitaine ne pouvait rien gagner si ce n'était en étant plus filou que les légendaires pirates et tout ce qui portait perruque poudré, et encore, s'il gagnait, c'était pour qu'une bande de rapiats vienne à lui arracher le moindre sol. Bellamy, pour un pirate, était quelqu'un de réservé dans le sens où il connaissait le mot économie, cela ne l'empêchait pas de dépenser son argent en vin et en belles femmes, mais c'était la seule concession qu'il faisait, préférant thésauriser pour les raisons que l'on sait, ne voulant pas faire de sa fille une jeune orpheline d'un père cyrosé. Quant aux femmes, Bellamy en avait chéri deux, et si de temps en temps il allait voir ailleurs, il n'était pas non plus un de ces jolis cœurs comme ce freluquet de Jack Sparrow, qui cherchait ce qu'elles se pâment toutes devant lui. De toute manière, vu sa gueule...Mais passons.

A ses côtés, égaux à eux mêmes, Gebedia et Bombata marchait au même pas que leur capitaine. Le grand nègre hésitait à rire, le vieillard lui préférait rester coi, il pourrait bien rire sous sa barbe plus tard, en buvant du rhum entre les seins d'une pouliche un peu grassouillette par exemple.

Cet équipage patibulaire arriva donc devant le Singe qui Fume, petite taverne du bord de plage qui devait son nom à son enseigne, un singe habillé de vert qui fumait un énorme brûle-gueule. En fait, c'était une plus une petite paillote qui résistait tant bien que mal aux assauts du vent les soirs de tempêtes, mais le rhum y était bon, et les grillades de poulet mariné étaient succulentes, et peu onéreuse pour des pirates en quête de liquidités. Une fois arrivée devant la porte, une simple planche de bois battante, Bellamy entra.

Alors que le soleil de midi tapait haut et fort dehors, l'intérieur enfumé de l'auberge pouvait passer pour presque frais, si ce n'était les odeurs de graillons et d'hommes en sueurs, grâce à un ingénieux système de store importés de Venise et aussi parce que le mure faisant face à la plage était largement ouvert sur les Caraïbes...Avantage non désagréable un jour où la maréchaussée descendait soit dit en passant.

Un coup d’œil au barman, un grand nègre, ex marron, au nez taillé la première fois où il avait été rattrapé, et nos trois compères purent s'asseoir à une bonne table, bottes dans le sable, sirotant un punch pas assez glacé mais relativement correct pour l'endroit. Gebedia matait ouvertement les fesses rebondies de la serveuse, une mulâtre au passé de putain qui ne se refusait pas de temps en temps à reprendre ses anciennes activités à titre gracieux, du moins, c'est ce qu'on racontait. Bombata lui, peu inquiet de nature, préférait attendre que son capitaine sorte quelque chose d'intelligent en dévorant des brochettes de poulets qui avait marinés dans un mélange de graisse, de citron et de liquide plus ou moins huilé, ce qui faisait reluire sa bouche et ses doigts comme un Ogre de feu Monsieur de Rabelais.

Dégoutté par ses hommes, dégoutté par lui même, Bellamy lui tâtait de sa main valide une chai nette où tous ceux qui le connaissaient savaient qu'étaient peint deux portraits, deux femme, l'une blonde aux yeux bleus, ange triste, l'autre brune aux yeux chocolats, espagnole à n'en pas douter.

A vrai dire, le capitaine était las. Si ce n'était ses exploits passés qui lui vaudrait le garrot s'il posait pied sur les terres du Roi dont l'empire ne voyait jamais le soleil se coucher, il aurait aimé pour l'heure prendre sa retraite. Il était jeune encore, mais il avait tout l'or qu'il voulait, caché quelque part sur une île abandonnée de Dieu et des hommes, et il pourrait se refaire une vie. Bien entendu, son visage tailladé et buriné était connu de tous, mais il y avait tant de terres vierges à explorer. Il était certain de pouvoir vivre heureux, et libre, quelque part, avec sa petite famille. N'était-ce pas ce qui était arrivé à Misson et sa petite colonie de Libertalia ? Oui, tout cela serait très simple, partir, et ne plus revenir.

Mais Bellamy était un homme d'une autre trempe, et puis, Doña Elvire ne voudrait pas de cette vie, habituée qu'elle était aux fastes de la cour. Bien sûr qu'elle aimait son pirate, mais de là à tout abandonner....Et puis, il fallait qu'ils pensent à leur petite fille, même s'il refaisait sa vie, les rumeurs couraient vites sur les sept mers.


Déprimé, rongeant son frein à la recherche d'un navire, Bellamy allait commander un verre de rhum lorsqu'il vit arriver un jeune marin qui semblait quelque peu perdu dans cette assemblée de voleur, ruffians et gens de cordes...

vendredi 20 septembre 2013

Taffetas sur le Pont des Arts

C'était un de ces jours pluvieux, si nombreux, où je détestais Paris, la Ville-Lumière.
A l'époque, j'étais jeune étudiant, tout frais émoulu de ma Province natale, je montais dans la capitale non plus pour quelques heures ou quelques jours, comme j'en avais l'habitude, mais pour des semaines, des mois, voire des années.
Il faisait gris ce soir, une pluie fine tombait par intermittence, trempant mes vêtements et glaçants mes os, habitués de longue dates au soleil du Sud, à tel point que je craignais le coup de froid.
Je venais de sortir d'une conférence au Louvre, excusez du peu, ou un ami philosophe m'avait trainé. Le sujet était loin d'être inintéressant, mais comme à mon habitude, je n'avais guère compris que quelques bribes d'un thème qui me dépassait largement.
Fatigué par le mauvais temps, ou devenus maussade à cause de lui, je coupais court aux propositions de café littéraire, prétexte simple pour traverser Paris du Nord au Sud ou d'Est en Ouest, et boire dans tous les troquets qui se présenteraient au pas de nos semelles de crêpes.
Filant plein Sud, droit sur mon quartier de jolies femmes et de voleurs, j'arrivais sur le pont des Arts, dos voûté, mentons cachés sous la soie élimée de mon écharpe, mains enfoncés jusqu'au poignets au fond des poches de ma veste trouée, quand je la croisais.
Hasard fortuit, un coup de vent faucha à moitié mon parapluie et, luttant contre les éléments et maugréant intérieurement, je relevais mon nez pour croiser deux billes chocolats.

C'est la première chose que je vis de ce joli minois, avant de m'attarder sur ses cheveux bruns, collés par la pluie, son front haut, fier et hautain, ses pommettes discrètement rosies par du maquillage, à moins que ce ne fusse le vent, le rouge de ses lèvres, qui ne devait rien aux cosmétique et qui pourtant était plus profond qu'une coupe de Bordeaux. Détail étonnant, elle portait un loup de carnaval en tulle noire, sous lequel voletais un morceaux de taffetas tout aussi sombre, taillé en forme d'étoile. Le reste de sa mise était classique, si ce n'était banale, pour une élégante, tailleur noir, chemise blanche à jabot de dentelle, elle ne portait pas de veste, malgré la pluie, comme si elle était imperméable à ce mauvais temps...

lundi 5 août 2013

Test RP

Les os perclus d'arthrite de la Maîtresse-des-Corbeaux lui rappelaient son âge, mais elle souriait au souvenir de celui qui venait de renaître, sans nom, sans aucune famille ni ami, perdu dans une époque qui n'était pas la sienne.
Oui, la Maîtresse-des-Corbeaux se rappelait cette époque si lointaine, où elle était encore une femme belle et appétissante, que l'on surnommait parfois l’Oiseleuse, la Magicienne ou la Folle. Une époque ou un seul homme osait l'appeler par son vrai prénom, disparu depuis tant d'années.
Elle sourit, en se rappelant ses belles soirées au clair de Lune.

***

L'île des Esprits était une petite perle dans les milliers d'excroissance terrestre des eaux de la Muerta. En cette époque de l'année, il y faisait doux, l'air de la jungle au crépuscule devenait respirable, tandis que la brise marine balayait la cime des palmiers qui frémissaient dans la nuit.

Dans une toute petite crique de sable blanc, celle qu'on appelait l'Oiseleuse se reposait pour l'heure contre le flanc massif d'un guerrier à la peau d'ébène. Elle était lovée dans ses bras aux muscles puissants, aussi dur que le fer, tandis que l'homme caressait sa peau blanche de femme appétissante frisant la quarantaine d'une main distraite. L'Oiseleuse dessina un trait imaginaire de son doigt le long de ces pectoraux avant de remonter vers le cou de l'homme et ce masque en argent poli qui lui enserrait le visage, cachant au monde quelque chose de terrible.

Le guerrier d'ébène lui avait fait l'amour dans cette petite crique comme un Dieu, et maintenant, les amants se reposaient, sous le regard de la Lune.

Au bout d'un moment, l'homme parla de sa voix dure, métallique :

« Je vais devoir repartir ma douce. Le mal se propage toujours plus vite. Et je n'ai pas encore accompli ma Geasa »

Elle frémit dans les ombres, elle connaissait le mal de Dandjoula le Pirate, Dandjoula le Maudit, Dandjoula le Lépreux.
A vrai dire, il ne souffrait pas de cette terrible maladie, car elle aurait pu la soigner. Ce qui ravageait le corps de cet homme fort et fier, c'était les effets d'un terrible sort qu'un magicien avait lancé au pirate à la peau d'ébène, le jour où il avait ravagé la petite bourgade qui, un jour lointain, deviendrait Miraï.

Le sort avait poussé Dandjoula à parcourir les Mers pour trouver un moyen de lever le sortilège. C'était comme ça qu'il avait rencontré l'Oiseleuse. En le voyant sauter de sa longue galère noire, adroitement posée sur le sable de la baie, la devineresse avait compris qu'elle avait enfin trouvé l'homme de sa vie. Tout comme lui avait vu en elle plus que l'apprentie Shaman dont le nom était tabou.

L’Oiseleuse lui avait lu l'avenir, à défaut de pouvoir le soigner, et elle lui avait révélé qu'il courrait à sa perte, il ne trouverait jamais de remède. A moins de trouver un petit garçon plus faible qu'une fille. En lui disant cela, L’Oiseleuse avait été attristée de ne pouvoir rien faire.. Mais c'est ce qui l’avait fait aimer Dandjoula, car cet homme fort et fier avait rit, lui disant qu'il ne risquait rien à essayer. Alors, il l'avait prise dans ses bras fort, et ils s'étaient aimés pour la première fois.

Dandjoula le Pirate était reparti très vite, repartant vivre mille aventures sur les Mers et les Océans. Quand il passait par l'Archipel, il ne manquait jamais de passer chez son amante, lui ramenant de splendides cadeaux, ouvrages de magie, plantes exotiques et autres nouvelles du monde. Elle le voyait changer, son visage autrefois si beau, seulement marqué par une tâche noir, porta d'abord un masque au niveau des lèvres, avant qu'il ne recouvre son nez, puis ses yeux et son front. Maintenant, c'était un masque complet, mais elle voyait encore l'homme qu'il avait été. Ce qui expliquait peut-être leur attachement à tous les deux, car ils n'étaient plus des simples mortels, et seul leur amours leur permettait de se rattacher au temps passé.

« Sais-tu où chercher ? »

« J'ai parcouru toutes les Mers, mais je n'ai jamais eu le choc de la Destinée. Peut-être t'es-tu trompée ? » plaisanta-t-il, avant de recevoir un petit coup de poing dans sa ceinture abdominale. « D'accord, d'accord je me rends. On me dit que le Capitaine Vanir a des problèmes avec son fils unique, peut-être est-ce que je trouverais ? »

A ces mots, la magicienne trembla, le nom de Vanir lui avait révélé quelque chose de l'avenir. L'homme noir était prêt du but...Mais l'enfant annonçait sa mort. Regardant son amant, elle allait dire quelque chose, quand il cligna un œil noir sous son masque, et l'embrassa. L'heure n'était pas aux longs discours.

***

Le lendemain matin, la Méduse et ses voiles noires tant redoutées partirent aux rythme des tambours. L'Oiseleuse devinait que le dernier voyage de Dandjoula commençait.

***

Le treizième anniversaire d'un garçon dans l'Archipel de la Muerta, surtout s'il était le fils d'un capitaine pirate, était une grande fête qui marquait l'entrée dans la vie d'adulte, et le premier départ en mer.

A quelques jours de cette grande fête pourtant, la maison du Capitaine Vanir ne bruissait pas comme une ruche tandis que l'on s'activait pour préparer l'évènement, contrairement à la tradition. C'était plutôt une atmosphère morose qui régnait dans la grande villa blanchie à la chaux.

Vanir, enfermé dans son bureau, se tenait la tête à deux mains. Aucune de ses connaissance, pirates, marchands et même patrons pêcheurs, n'avait accepté de prendre en charge son fils. Ce petit bâtard n'était même pas foutu de plaire à un morutier pour qu'il le forme au plus pénible, et le moins apprécié, des métiers de la mer. Décidément, Vanir avait plus que de raisons de croire qu'il avait eu la fièvre en calant le fruit de ses reines dans le ventre de sa femme, ou pire, que celle-ci l'avait trompée. Pourtant, ce garçon lui ressemblait trait pour trait, mais quelque chose l'empêchait d'avoir un quelconque amour pour lui. Peut-être à cause de la mort précoce de son épouse adorée, ou parce que le capitaine ne savait pas s'occuper des enfants, mais jamais il n'avait pu approcher de ce garçonnet craintif et pleurnichard.

Il avait pourtant tout essayé, ceinturon, privations, claustration dans les entrailles humides de la cave. Rien n'y faisait, il n'avait pas engendré un homme en puissance, mais une lopette. Et cela risquait de mettre à mal sa réputation, et de rejoindre le Conseil Pirate.

Vanir pensait qu'il aurait du l'assassiner, mais il avait promis à sa femme sur son lit de mort qu'il ne toucherait pas un cheveux du garçon au regard si doux, qui pleurait dans la pièce à côté. Et même s'il n'aimait pas l'enfant, il n'avait pu se résoudre à le noyer quand il avait vu la détresse face au cadavre de sa mère.

Vanir avait été faible, mais si le gamin ne trouvait grâce aux yeux d'aucun pirate, il faudrait se résoudre à le faire disparaître. N'avait-il pas des amis, ce petit saligaud, chez les prêtres qui auraient envie de le prendre sous leur aile ? Vanir avait juste peur que les prêtres ne se servent de son fils comme un giton, leur réputation en terme de dépravation était connue de tous, et le capitaine ne voulait pas que tout cela lui retombe dessus.

Vanir grimaça, et but un nouveau verre de vinasse. La seule solution c'était payer un capitaine pour qu'il fasse tuer son fils, l'infanticide étant mal vu dans l'Archipel. Il allait écrire une lettre à l'intention d'un de ses amis peu étouffé par les scrupules quand on frappa à la porte.

« Monsieur, le Capitaine Dandjoula est là, c'est une affaire importante ». Le serviteur, un homme libre qu'il payait une fortune attendit un hochement de tête de son patron, qui le donna aussitôt. Qu'est-ce que le capitaine Maudit faisait chez lui ?

***

Dandjoula sirotait le verre de vin que Vanir lui avait servi, trop heureux de la nouvelle. Le petit bureau était empli de trésors issus de pillages, riches tentures, tapis décorés de couleurs vives, candélabres et objets dorés fermement briqués. Le capitaine noir était écœuré par tant de luxe, lui pour qui le métier de pirate était un sacerdoce, où les richesses étaient faites pour être dépensées vites et biens, dans les filles, l'alcool et les plaisirs immédiats, et non pour thésauriser et singer les marchands des grandes nations.

La piraterie à la mode galvaudait les traditions pluriséculaires.

« Vous le prenez ? Vraiment » Vanir venait d'interrompre les pensées de son hôte. Il n'en croyait pas les yeux, une des légendes vivante de ce monde prenait sous son aile son fils.

« Oui. Mais nous devons partir vite. Avant son anniversaire je le crois. »

« Oh, ne vous en faites pas, c'est très bien. Cela m’économisera de l'argent. »

Dandjoula faillit cracher au visage de son interlocuteur avant de le frapper, mais ce n'était pas le moment. Il voulait rencontrer l'enfant. Et vite. Il sourit donc à Vanir, avant de lui demander quelques explications.

***

Le petit sanctuaire du Dieu de la Vie surplombait la grande ville de la Muerta. Peu de pirates étaient croyants, mais on ne savait jamais, une prière à Yehadiel pouvait empêcher de se retrouver dans les Limbes après un problème marin qui n'étaient pas si rares.

L'enfant, avait appris Dandjoula, y passait de longues heures auprès d'un vieux maître, la seule personne qui lui prodiguait un semblant d'éducation et d'amour. S'il n'avait pas eu peur de Vanir, le missionnaire aurait même pris le garçon sous son aile, croyant fermement que l'Amour de Yehadiel pourrait refermer les blessures de son âme trop tôt marquée par la mort.

Le vieillard l'avait embrassé et béni avant qu'il ne reparte. Comme si c'était un adieu définitif. Un changement de vie pour le garçon, qui pourtant savait qu'il reviendrait le lendemain.

Pour l'heure, l'enfant cheminait sur la pente raide qui lui permettrait de retourner chez lui, à sa droite, la colline embaumait l'air d'un parfum suave. A sa gauche, le vide. Il ne regardait jamais en bas, bien trop effrayé par les risques de chute. Chacun de ses pas lui coûtait presque, il tremblait, la main appuyée contre la paroi naturelle, tandis que ses pieds cherchait attentivement les roches les plus solides et les moins poissées par les embruns, pour ne pas glisser bêtement. C'était un véritable enfer pour l'enfant, risquer sa vie au moindre pas, mais son maître lui avait dit le faire, pour prouver à son père qu'il avait plus de courage que celui-ci pouvait le penser.

Il déglutissant, cherchant son souffle court. Maigre, rachitique, l'enfant n'était guère impressionnant dans une robe de bure trop large où il flottait malgré une ceinture qui lui comprimait le bas ventre.

Il allait repartir, quand un grand homme noir émergea du tournant. Il était habillé comme un marin, simple tunique grise, et portait, curieusement, un masque. Terrorisé, l'enfant se demandait comment celui-ci allait pouvoir passer. Le chemin n'était en effet assez large que pour laisser passer une personne.

L'homme s'avança et dit : « Laisse moi passer gamin. »

L'enfant avait peur, ses jambes tremblaient encore plus, il ne voulait pas lâcher sa prise. L'homme fit un pas de plus.

« Si tu ne me laisses pas passer, je te jettes à la mer. »

« Vous...Ne...pouuuvez pas faire ça » bêla l'enfant.

« Si je le puis. Je n'ai pas envie de tomber en bas, je ne sais pas nager. C'est toi ou moi gamin, et Yehadiel ne te protégera pas » L'homme au masque s'avança, cherchant à agripper l'enfant. Ce dernier revoyait les grosses mains de son père se lever vers lui, avant de s'abaisser à toute vitesse dans une gifle retentissante qui le laissait généralement sur le carreau. Mais cet homme n'était pas son père, il venait de l'attraper, le secouant comme un prunier. D'instinct, l'enfant chercha à se protéger ; il n'avait d'autre choix qu'attaquer. L'agression avait réveillé en lui des choses inhibées depuis longtemps, la colère, la violence, tout cela pour vivre un jour de plus. L'enfant se débattit, il poussait, hurlait, mordait. L'homme noir essayait de le faire passer de vie à trépas, mais il ne se laisserait pas faire. La charge du gamin surprit le marin, qui glissa, un pied dans l’abîme, il tombait...Sauf qu'il tenait encore le jeune adolescent, qui fut irrésistiblement attiré dans le vide.

La chute sembla durer des heures, il voyait l'homme au masque rire à gorge déployé, avant de se redresser dans un parfait plongeon. L'enfant, lui frappa vivement la mer, et les ténèbres s’emparèrent de lui.

***

Le gamin rêva, il marchait dans un lieu obscur, éclairé par un seul point de lumière. Il approcha, approcha, une grande femme brune poussait une petite fille qui riait à gorge déployée. Si proche et si loin. Il tendit la main...Et se réveilla.

« Enfin levée Cindarelle ? Allez, viens manger. »

La voix été rude et bourrue, devant lui, un petit homme habillée comme un prêtre, robe simple de serge, même s'il portait une armure et un énorme coutelas à son côté.

Le gamin se leva, il avait faim, il était épuisé. Il tangua, de fatigue mais aussi surpris par le roulis, il était sur une galère qui voguait pour l'heure à la voile.

Un autre homme, grand et gras, impressionnant par sa carrure, lui tendit une assiette pleine de viande en sauce et de boule de riz. Le vétéran était couturé de cicatrices, tout comme le prêtre, à qui il manquait un œil.

« Je vais prévenir le capitaine Dorgo, il n'attendait que ça, et mange pas trop vite gamin, ton estomac s'est rétracté. Je ne voudrais pas avoir fait baisser ta fièvre pour que tu meurs. »

L'enfant se pelotonna contre le bastingage, jetant des regards craintifs à ses hommes de cuirs et d'acier. Partout, ce n'était que coutelas, dague, hache et autres sabres. Etait-il sur le navire de son père ? Un coup d’œil discret à la voile lui indiqua que non. Une Méduse Rouge jouait sur la toile noire au grès du vent.

Il avait peur, que faisait-il sur un navire de guerre, après sa longue chute ? Il n'en savait rien, mais ses craintes se mêlait à la curiosité. Son maître lui avait toujours dit d'être curieux, c'était une bonne occasion, et puis, il n'avait pas envie de paraître faible au milieu de ces inconnus.

Le dénommé Dorgo lui jetait des regards de temps en temps, mais personne d'autre ne faisait de commentaires. Une bonne ambiance semblait régner sur ce navire, pas comme dans ses souvenirs de sa seule et unique croisière sur la Sirène de Sylla.

L'autre homme revint, lui indiquant que le capitaine voulait le voir. Traverser la galère de la proue à la poupe fut aisé, personne ne les intercepta. L'enfant jetait des coups d’œils effarés, voire terrifiés, mais essayait de garder son calme. Son père avait-il osé le vendre à un marchand d'esclaves, comme il lui avait promis maintes et maintes fois ?

Il arriva au carré de commandement, un grand homme noir se leva, un masque d'argent au visage. Son ravisseur était...

« Bonjour Aislinn, je suis le capitaine Dandjoula, et tu es désormais mon apprenti. Au fait, joyeux anniversaire. »

Dorgo et le médecin rirent en voyant le jeune homme regarder le capitaine comme un chiot grognant face à un mastiff adulte. Son éducation pouvait commencer.

***

Les années avaient passé. L'enfant chétif était désormais un jeune homme grand et bien bâti qui conduisait la manœuvre de la Méduse vers l'île de la Maîtresse-des-Corbeaux. Un gémissement dans la tente de toile lui indiqua que quelque chose n'allait pas. Il laissa Dorgo, le maître d'armes qui avait longuement veillé à ce qu'il maîtrise la hache d'arme qu'il portait dans son dos, tout comme une infinité d'objets pour tuer, mutiler et trancher, amener le navire au milieu de la baie.

Messen, le médecin, ancien prêtre de Yehadiel qui avait quitté les ordres pour une histoire de femmes, tamponnait les joues et le front de Dandjoula d'un linge humide.

Ce dernier avait maigri, sa peau cireuse, ses muscles avaient fondu, mais il semblait apaisé quand Aislinn s'avança.

« Mon fils... »la voix était faible, hachée

« Ne parle pas capitaine...Reposez-vous, Maîtresse-des-Corbeaux est proche...Elle vous sauvera. »

« Non mon enfant, c'est fini. Elle le sait déjà, elle nous a vu du haut de sa colline. Elle doit pleurer maintenant, pour paraître belle et forte. Elle veut croire une dernière fois à mes mensonges, croire que la vie n'est qu'un jeu, et que la mort n'est rien. Mais pour l'heure, c'est toi que je veux voir, je veux voir une dernière fois, le jeune mastiff qui sauta à la gorge d'un adulte pour prouver qu'il n'était pas qu'une lavette ».

Alors, Dandjoula raconta à son fils adoptif la rencontre avec Vanir, et le véritable sens de sa Geasa. En six années, le Capitaine Maudit avait compris que la mort n'était rien qu'un passage, que Nayris accueillait les braves, ceux qui aimaient la vie et n'avaient pas peur du Destin, car tous, hommes et femmes, grands ou petits, forts ou faibles, rencontraient un jour le chemin de la camarde.

***

Aislinn avait enterré lui-même celui qu'il considérait comme son vrai père. La relaion avait été tendue, il avait peur de tout, mais Dandjoula était plus fin qu'une mouche. Il lui avait appris à aimer la vie. C'est-à-dire connaître ses craintes et les dominer. Il avait confié son éducation à des grands hommes, Dorgo lui avait avait appris les armes et avait façonné son corps, Messen l'avait conduit sur les chemins de la science et de la culture, le formant à tous les arts de la conversation, de la table ou du marchandage avec n'importe quelle couche de la société. Sylkin, le pilote, avait appris au jeune homme à pactiser avec les étoiles et les astres, à entendre le murmure du vent, et diriger les courants. Tant d'hommes qui avait façonné ce petit bout d'homme chétif et craintif en un guerrier qui aimait la Vie.

Et maintenant, l'enfant devait enterrer celui qui avait été son seul guide. Dandjoula lui avait révélé que la Malédiction avait été levée, quand l'enfant était devenu son enfant. Sans être le fruit de sa chair, Dandjoula avait trouvé en lui l'amour, plus que ce que pouvait lui offrir Maîtresse-des-Corbeaux. Et c'est à cause de cet amour qu'il était mort, en tentant de parer une attaque pour le jeune demi-dieu qu'était Aislinn. Mais il ne regrettait rien, il n'avait jamais rien regretté, sauf de ne pouvoir rester au coté de la seule femme qu'il avait aimé, même s'il ne l'avait compris que récemment.

Dandjoula avait souri une dernière fois à Aislinn, avant de parler longuement à la Maîtresse-des-Corbeaux. Quand elle était sortie, une étoile filante passa dans la nuit. Le Capitaine Maudit avait rejoint la Vie.

***

Maîtresse-des-Corbeaux s'étira. Elle se rappelait la soirée, les derniers mots de Dandjoula, trop personnels pour les révéler à quiconque. Elle se rappelait encore les lèvres de son amant, une dernière fois. Puis Aislinn lui avait parlé, lui demandant conseil. A l'aube, il était reparti vers son Fortune, nouveau capitaine de la Méduse. Elle avait voulu lui révéler le sens de sa Destiné. Il l'avait écouté, attentif, avant de sourire. Le même sourire que Dandjoula quand elle lui parlait sérieusement.

« Aislinn Vanirson, je suis sérieuse. »


« Sans-Nom, Maîtresse-des-Corbeaux, Sans-Nom. Je ne suis plus le fils de quiconque, maintenant que mon père est mort. Quand à mon Destin...Qu'il en soit ainsi, j'ai toujours rêvé de visiter les Limbes. Rencontrer la Déesse, cela doit-être passionnant non ? »

vendredi 2 août 2013

Sans Nom

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La petite hutte faites de rebuts jetés par la mer et de branches de palmiers trônait fièrement à la plus haute pointe de la plus petite île de l'Archipel de la Muerta.
A vrai dire, c'était la seule trace d'occupation humaine dans ce petit bout de terre perdu au milieu de l'Océan. Pour les étrangers, c'était la preuve d'une folie génétique des gens de l'Eau, pour les natifs, c'était l'entrée d'un territoire tabou, peuplé de terribles esprits que seule la Maîtresse-des-Corbeaux pouvait diriger.
Les plus braves, femmes ou hommes, des tribus venait ici en quête de spiritualité, mettant en jeu leur vie et leur âme pour les parcelles du savoir de la dirigeante de l'île.

Pendant la Saison des Tempêtes, nul ne bravait l'entrée de la Baie, de crainte d'éventrer son vaisseau contre la barrière de corail aussi coupante qu'un rasoir et plus résistante que les hauts murs de Sent'sura. Les pluies et les vents chassaient de toute manière les importuns, qui craignaient dans les murmures glacés de l'alizé d'entendre le chant des esprits.

Pour la Maîtresse-des-Corbeaux, c'était une période de calme, tandis que les derniers impétrants finissaient de se former, elle-même pouvait en toute tranquillité s'adonner à ses petits plaisirs de plus que centenaires, alcool et opiacés, qu'elle fumait pour le second dans un magnifique narguilé en argent poli par les ans, quant au premier, personne n'avait jamais réussi à trouver ses réserves, mais elle n'avait jamais manqué de boissons vieillies dans d'immenses dames-jeannes de verre et de bambou qui trônaient au milieu d'ingrédients magiques, poudres d'insectes et autres grigris protecteurs.

La Maîtresse-des-Corbeaux se réchauffait auprès d'une belle flambée, engoncée dans un châle qui autrefois avait été coloré qui protégeait sa robuste carcasse, tandis que ses énormes bajoues se gonflaient régulièrement, tandis qu'elle tirait sur son narguilé plus fort qu'un joueur de cornemuse des Highlands. Abrutie par les drogues et l'alcool, ses yeux pétillaient cependant, tandis qu'elle regardait les flammes. Un grand corbeau sautillait autour d'elle, boule de plumes blanche attendant une caresse en piaillant.

Pour ceux qui parlaient la langue de ces bestioles, il lui tenait à peu près ce langage :

« Maîtresse-des-Corbeaux, raconte nous une histoire »

Depuis un petit moment, la vieille gloussait, comme si elle était une petite danseuse du ventre du Sahawi devant son maître qui la priait qu'elle retire le dernier voile, diaphane bien entendu, qui cachait son entrejambe savamment épilé.

Les piaillement se faisaient plus fort,, le favori savait que ses petits camarades, perchés sur les barres du toits, les planches des précaires étagères et autres fenêtres n'attendaient que ça.

Au bout d'un moment la Maîtresse-des-Corbeaux tira de sa poche un petit galet noir, elle cracha dessus, un jet de salive rougit par la consommation de racine de bétel, avant de le plonger dans les flammes. Son histoire commença ainsi.

« Il était une fois, il y a près de deux fois une génération, dans la tribu des Hommes de la Muerta, un grand guerrier. Il était fort, puissamment bâti, et pouvait rivaliser au combat avec n'importe quel homme de sa tribu. Mais son plus grand plaisir, c'était se battre contre les Championnes des Amazones, dans les criques, les rivières, ou en haute-mer, sur les grandes pirogues à fond plat.

Il était invincible, et à chacune de ses sorties, les mères pleuraient d'amers larmes de tristesses en imaginant les sévices que cet homme pouvait faire subir à leurs filles, tandis que leur sœurs aiguisaient leurs armes pour assouvir une vengeance plus que méritée, du moins, de leur avis.

Ce guerrier n'avait aucun égal, respecté de tous, il aurait pu devenir facilement le chef d'une tribu, si son seul plaisir n'avait été le combat. Il vivait pour la fureur et le sang, le fracas de l'acier et les bris des os. Il menait des raids toujours plus loin, ramenant bijoux, armes et femmes de contrées exotiques pour ces pirates sans foi ni loi. C'était un aventurier, un homme sauvage qui n'avait peur de rien, même pas de la Mort et de sa terrible déesse, Nayris. Auréolé de gloire, la plupart de ses congénères n'avait dieu que pour ce terrible capitaine qui ramenait plus de richesse que les plus grands pirates.

Mais cette grandeur naturelle ne lui attirait pas que des amis, loin de là. Les Chefs des Tribus avaient peur de lui, du pouvoir grandissant et de l'aura qu'il exerçait sur leurs hommes. Ils réfléchirent longtemps, ils l'envoyèrent dans des missions dangereuses, essayèrent de l'empoisonner, ou de dénigrer son nom par de terribles machinations. Mais les Dieux de la Chance semblaient être avec lui, il s'en sortait toujours, in extremis. Leur éclat terni, les Chefs eurent alors l'idée de faire appel à un mage-noir de Miraï.

Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que cet homme était un prêtre de Nayris. Il comprit immédiatement que le Guerrier avait été béni par sa Déesse tutélaire, quand il vit l'aura de violence rouge qui vibrait autour de son âme. Cet homme ferait un parfait Élu, le bras armé de la déesse de la Mort sur Terre.

Le mage-noir mit au point un plan machiavélique pour dominer l'esprit du Guerrier, farouchement libre et indépendant, et le plonger dans les Limbes, comme ses commanditaires le voulait. Non pas pour le tuer définitivement, mais pour qu'il aille servir la Déesse. Il lui fit ingurgiter, au cœur de son harem, une puissant drogue qui mit en transe l'homme. Les hommes de la Muerta disent qu'un cri terrible retentit dans la Nuit, tandis que le Guerrier saisissait sa hache, et commençait un terrible massacre. La potion l'avait plongé dans une Furie de Sang, lui qui était déjà un être violent, il ne refrénait plus ses pulsions. Sa grande hache, Faucheuse, préleva un terrible prix dans les hommes de son équipage enivrés de vin, de drogues et d'amour. Le Guerrier était au sommet d'une pile de cadavre, quand une flèche traîtresse frappa sa nuque, sectionnant ses vertèbres et sa trachée en même temps que sa vie. La dernière chose qu'il vit, c'est les chef de tribus indiquer le mage-noir comme le parfait coupable, qui se fit dépecer par les survivants de cette nuit de sang... »

Maîtresse-des-Corbeaux arrêta là son récit, le temps de boire une longue rasade de sa dame-jeanne ou flottait un crapaud dans un liquide couleur pissat. Ses petits amis écoutaient avec passion, sans jacasser comme leur cousine les pies, attendant religieusement que leur Mère finisse de boire pour contre la suite de son histoire.

***

Le Guerrier se réveilla difficilement. Il était dans un endroit sombre, envahi de fumées. A ses pieds, il trouva Faucheuse, qu'il saisit, comme un homme de foi tient une amulette. Où était-il ? Il ne le savait pas, il aurait pu être n'importe, ou nulle part. Un frisson glaça son échine, tandis qu'il essayait de se souvenir qui il était. Il n'en savait plus rien. Il s'était perdu comme il était perdu dans le nul absolu. Pourtant, il connaissait encore le nom de son arme, et ses muscles répondaient bien, il savait qu'il était un guerrier, mais il ne se souvenait de rien.

Dans cet Enfer, car il devait être en Enfer, il n'entendait rien, si ce n'était une douce musique, au loin. Alors il marcha, se repérant au son. Il marcha longuement, des heures, des jours, des années. Il n'en savait rien, n'ayant plus connaissance ni du temps, ni de la faim, ni de la soif. D'aucune sensation humaine, si ce n'était un froid glacial. Il marcha, sans rencontrer âme qui vive. Il marcha, halluciné, tandis que des banshee rieuses des contes pour enfants se moquaient de lui. Il marcha, affrontant des fantômes et des êtres spectraux, attirés par son âme. Il marcha, sa buveuse tranchant dans les Brumes comme si c'était une jungle épaisse. Il marcha, allant au-delà de lui-même.

Il pensait qu'il devait être fou, à marcher comme un somnambule dans ces Ténèbres Grises, sans Nuit ni Jour. A vrai dire, il était réellement au bord de la Folie, mais était-ce depuis sa Mort ? Ou depuis sa Vie ?

Son périple continuait, à la recherche de cette musique douce qui emplissait son âme. Voix de petite fille mélangée à des sons, carillons, triangle ou tintinnabulement d'instruments inconnus.

Plus il avançait, plus il désespérait, mais plus il désespérait, plus il avançait. Tenant fermement sa hache, il marchait.

C'est quand il atteint le combe du désespoir qu'il arriva à son but, un petit jardin d'enfant, un grand saule pleureur à moitié plongé dans une rivière de brume, où était accrochée une balancelle qui grinçait. Une petite fille aux cheveux violets jouait avec une poupée de porcelaine, en lui brossant patiemment les cheveux, mille et mille fois, en chantant une contine. Dans l'air résonnait les instruments, mais nul musicien dans cet espace de vie au milieu de nulle part. L'homme s'approcha, à pas de loup, pour ne pas effrayer l'enfant, touché par cette grâce quasi divine.
Peine perdue, sans se retourner, elle dit :

« Tu as mis du temps à venir, Sans-Nom. Mais au moins, tu es arrivé. Alors valeureux pirate, que viens-tu faire dans mon Royaume ? »

« Ton Royaume ? Qui es-tu ? »il fit un pas en avant, mais la scène recula d'un pas.

« Oh, je te présente mes plus plates excuses Sans-Nom. Je suis Nayris, tu me connais sous le titre de Déesse de la Mort, mais il ne faut pas croire les vilaines gens, ne suis-je pas qu'une enfant ? » sans lui laisser le temps de répondre, elle continua « Tu étais un grand guerrier, mais tu as été trahi, par un des mes serviteurs. Pitoyable petit homme, il aurait du te laisser accomplir ta Destinée, ne crois-tu pas ? Il a été châtié pour ça, mais je ne te le montrerai pas, tu oublieras tout ce qui va se passer maintenant, ou tu penseras que ce n'était qu'un rêve. » elle haussa les épaules, sans se retourner, toujours. « Maintenant Sans-Nom, je vais réparer l'erreur de mon acolyte, tu vas retourner d'om tu viens, pour me servir, je te bénirai et te protégerai, ne t'inquiètes pas. N'est-ce pas un beau cadeau ? Ne dis rien, dis seulement je l'accepte, sinon, rappelle toi tes souvenirs d'enfance, bien que je doute que les guerriers comme toi aient eu une enfance, tu ne sortiras jamais des Limbes. Alors, veux-tu me servir, ou pourrir à jamais dans le Vide ? »

La situation était insensée, le guerrier fulminait de rage, il hésitait à lever sa grande hache et frapper. Mais la proposition de cette petite était si tentante, son corps la réclamait, alors que son âme hurlait de se méfier. Sans s'en rendre compte, à moins que la petite déesse ne se soit amusée à user d'une savante magie, le barbare hocha la tête. Un éclair zébra le jardin. Il s'effondra, le temps de tomber, il ne savait pas pourquoi, mais il était certain que que l'Enfant-Dieu était en train de sourire...


***

Miraï, 113. Le quartier du port, une odeur iodée, mêlée au relents de crasse des habitants et des exhalaisons du poisson fumé fut la première odeur que Sans-Nom goutta, avant d'ouvrir ses yeux piqués de fatigue. En papillonnant, il s'assit, sous lui, il sentait le bois vermoulu d'un quai, frappé régulièrement par les vagues. Son tartan était mal mis, il le replaça, avant de regarder autour de lui. A ses pieds, sa grande hache, Faucheuse, semblait vibrer dans l'air matinal. Fait étrange, une petite poupée de porcelaine, représentant une petite fille aux traits effacés gisait à coté de la lame d'acier noir, elle avait une tenue en soie finement détaillées, et des longs cheveux qui semblaient réels, teints en violets. Sans qu'il ne sache pourquoi, Sans-Nom saisit son arme, et, avec délicatesse, il enfonça la petite poupée dans la bourse de son kilt, avant de se chercher une taverne, c'était l'heure de boulotter...

mardi 11 juin 2013

Gagner la guerre



Elle ingurgitait, elle comprenait, elle calculait. Isabella Della Corte était redevenue elle-même, sous la pression de la discussion. Des Nos l’avait poussée dans ses retranchements, et le fauve se remettait à rugir et feuler. Tout commençait de se mettre en place, petit à petit, il sentait qu’il tenait le bon bout, il suffisait désormais de ne pas consumer la chandelle trop vite.

Elle comprenait, mais elle n’avait pas encore tout saisi. Elle souriait, faisait des politesses, cherchait à gagner du temps, pour mieux comprendre où était le piège.

Il répondit à son sourire plein de vie, lèvres pincées. Elle était une femme attirante, belle et intelligente, mais Des Nos voyait aussi la jeune araignée qu’elle était, celle qui tissait sa toile de mensonges et de félonies pour la plus grande gloire de sa nation. Sauf  que la jeune mygale, tout poison qu’elle pût utiliser, ne lui apprendrait rien à lui, qui construisait ses réseaux dans le fer et l’acier depuis tant d’années.

Elle cherche à gagner du temps, louvoie entre tes propositions. Elle calcule, se demande si elle doit agir. Agir. Des Nos est certain que la demoiselle se demande si elle ne devient pas son agent dans cette ombre fugace. N’a-t-il pas fait exprès de jouer avec les injonctions ? Rhétoriques et procédés stylistiques, tout est maitrisé, tout est fait dans cette conversation presque galante pour conduire à la mort de milliers d’hommes et la destruction des Nations. Choix décidés dans un petit salon rouge, entre un amiral français vieillissant et une noble espagnole en négligé. La situation pourrait être cocasse, si l’on ne jouait pas sur quelques coups de dés la vie et la mort de soldats et de civils pour régaler les appétits des puissants. 

Il s’est détourné une fois de plus, le temps qu’elle parle. Il semble las, les épaules voutées. Pourtant, dans le soleil de fin d’après-midi, il est auréolé par la lumière qui entre en plein par les fenêtres. Il réfléchit, ne pas répondre du tac-au-tac, même s’il sait déjà ce qu’il va dire, ce qu’il doit dire.  Il se retourne d’un coup, malgré le soleil dans les yeux, elle ne semble pas affectée. Isabella connait donc elle aussi la stratégie et les tactiques, assise main sous le menton.
D’une voix triste, il reprend.

« Vous me décevez Isabella. Vous n’avez pas encore calculé mes intérêts à laisser les Habsbourg sur le trône d’Espagne ? Vous pensez qu’il y a des points noirs ? Lesquels ? Vous ne pensiez-tout de même pas que j’allais vous dévoiler l’ensemble de ma stratégie. Même Garcia n’est pas au courant. Et pourtant je vous l’ai offert sur un plateau d’argent. Non, vous me décevez Mademoiselle Della Corte, alors que vous savez quel est le prix que je compte arracher à cette guerre.»

Il lui a dit pourtant, qu’il n’aimerait pas la faire cette guerre, et donc quel est son objectif final. Ce qu’il veut lui, c’est gagner, pour assurer la Paix, avec une majuscule. Mais pour cela, il ne faut certainement pas se battre sur deux fronts, limiter les appétits en Europe, pour battre nos ennemis avec toutes nos forces dans les Colonies.
A force de travailler sur ses cartes du Monde, le Gouverneur en est venu à cette conclusion, qui tient les colonies tient le monde. Qui tient les Indes pourra imposer son hégémonie en Europe. Et la France, malgré son Roi Soleil, n’a pas les moyens d’assurer les deux, comme l’Angleterre. Que viennent faire l’Espagne et l’Autriche dans la danse ? Un sourire aux lèvres, il lui laisse réfléchir à ce qu’il dit. Mais lui connaît la réponse. La tout récente Guerre de la Ligue d’Augsbourg l’a bien montrée, la France ne peut pas faire jeu égale si toutes les nations sont réunies sous la férule Anglaise. Alors que faire ? Diviser pour mieux régner. Appâter les Autrichiens, les laisser espérer concrétiser leur rêve perdu depuis Charles Quint de dominer le Monde. Et tant pis pour la fierté de Monsieur d’Anjou, il comprendra, plus tard, que l’Espagne tombera dans son escarcelle, dans dix ans ou vingt ans, qui sait. Mais pour l’heure, il faut assurer les arrières, l’Autriche et le Saint-Empire ne doivent plus se liguer contre la France. Même, la France doit retourner cette Ligue contre l’Anglais.
Et pour cela, il faut que les Espagnols fassent la guerre dans les Colonies, que leur flottes encaissent des combats, que la politique chez eux restent troublée par des tensions entre pro-français, pro-espagnols et pro-autrichiens, cela, c’est le Marquis qui jouera la partie, pas Des Nos. Au Gouverneur des Indes, la terrible guerre, dans les forêts du Canada, sur la Mer Caraïbes, des îles aux Treize Colonies, mettre à feu et à sang le Nouveau Monde. Cela l’effraie, un peu, mais il est un soldat, et sa stratégie est prête, quitte à tout détruire, pour assurer enfin la Paix.

"Alors Madame, qu'est-ce que je veux en vous abreuvant d'or et de terres ?"

En disant cela, son regard se fit flamboyant, tandis qu'il posait ses deux mains sur la nappe blanche, offrant son regard à Isabella.