dimanche 25 décembre 2011

Chers lecteurs, chères lectrices, je vous souhaite à tous un Joyeux Noël et une bonne fin d'année, qui laissera présager d'un nouvel an radieux et heureux!

samedi 17 décembre 2011

Une bonne topette de rhum, suite


La nuit était désormais tombée. L’on pouvait entendre le murmure de la rue animée par la douce fraîcheur du soir et voir passer une foule de badauds dans les rues éclairées par de grandes torches résineuses, autour desquelles s’agglutinaient foule de moustique et autres papillons de nuit. André s’essuyait la bouche après un copieux repas composé de boudins créoles, puis d’un poulet boucané servi avec un lit de carotte et de pommes de terre, le tout arrosé d’une bonne bouteille de Bordeaux. En guise de digestif, il buvait à petite gorgées un verre d’Armagnac,  directement importé de France, doux et sucré comme il le fallait, tout en contemplant la salle.

Eustache avait été rejoint par deux jolies garces du cru, la vingtaine, grande, peau couleur café latte et longues tresses de cheveux noires crépues où  dansaient aux moindres mouvements des centaines de perles de verroterie de qualité. Elles devaient vraisemblablement être sœur, vêtues des mêmes robes de toiles multicolores, tant affectionnées par les filles créoles. Elles servaient à tour de bras les plats que le maître-queue faisait cuire directement dans la salle, où régnait une puissante odeur de viande et autres légumes mijotés, et remplissaient les godets des joyeux drilles qui emplissaient la salle. 

Un orchestre composé d’une viole, d’un clavecin et d’un violoncelle jouait des airs entrainants de Lully et autres grands compositeurs raffinés de France du haut d’une mezzanine, de la balustrade, ils auraient pu toucher chandelier allumé tous les soirs afin de régaler la vue des gentilshommes et leur rappeler les souvenirs de la Mère Patrie. Le Royal n’était pas pour rien la meilleure hostellerie de la Martinique, si ce n’est des Îles sous le Vent.

Le patron, un vieux bourgeois venu de Paris, était venu s’installer en Nouvelle France après une jeunesse mouvement à ce qu’on disait. Désormais vieilli, crâne dégarni et panse rebondi sous un tablier blanc, propre comme s’il venait d’être lavé, il passait entre les tables, s’enquérant de la santé de tous, ayant toujours un mot ou une tirade, connaissant par son nom tous les habitués et capables de connaître presque tous leurs péchés mignons. Il vaquait toujours avec cet air bonhomme et réjoui de l’homme quasiment ivre constamment, mais seulement à moitié. André savait toutefois qu’il ne manquait rien de ce qui pouvait se passer en salle, prêt à intervenir au moindre dérapage.  

En effet, outres quelques grands propriétaires des environs descendus à la ville pour s’encanailler et petits bourgeois un peu fortuné, reconnaissables par leurs pourpoints et perruques qu’ils croyaient être de la dernière mode parisienne, la majorité de l’assemblée était composée de gens de mer et de guerre, tous vêtus d’uniformes chamarrés. Se côtoyaient officiers du fort dans leurs habits blancs, qui se tenaient comme d’habitude plutôt vers le fond de la salle, du côté d’André, bien regroupés, colloquant entre eux et buvant du tafia. Ils évitaient les nombreux cadres de marine, tous issus de bonne noblesse et pour la plupart pouvant remonter des lignées de gens d’armes quasiment jusqu’aux croisades. Tous portaient leurs uniformes bleu rois savamment repassés et se tenaient plus vers l’entrée de la salle, quasiment un pied dehors, à attendre un ami pour partir jouer aux cartes ou discourir galamment avec quelques putains des quartiers hauts de la ville.

 Il était bien sûr de bon ton de ne pas discuter entre corps opposés, mais parfois, de vieilles querelles de familles venues de la métropole, ou le simple plaisir de courir les poux intrinsèque à la bonne noblesse d’arme française pouvait se régler à deux pas de là, dans les douves du fort, au prix d’une bonne saignée, nous étions entre gens biens nés que Diable, la mort d’un bon soldat du Roy en ce-temps troublé était peu recommandé si l’on ne voulait pas finir face à un peloton, ou pire, une corde de bon chanvre filée à la Rochelle comme dernier nœud de cravate, tel le dernier des paysans de la Beauce…