vendredi 30 janvier 2015

Névralgie.

Le corbeau croassa trois fois. Lentement, je me réveillais de ce songe d’onde et de marée. Dans ma bouche, le goût du sel. Sous la crispation de mes doigts, l’humidité boueuse du sable cent et cent fois lavé par la marée. J’émergeais doucement, tandis que dans mes oreilles le ressac de la mer résonnait encore et encore. Lentement, je tâtais mon corps, qui n’était plus qu’une plaie lessivée. Comme si la tempête s’était transformée en une monstrueuse lavandière qui avait battu et rebattu la moindre parcelle de peau que le fouet n’avait déchirée. Essoré comme un linge trop fripé, je me relevais avec peine, un voile noir devant les yeux. Mal au crâne, mal aux membres, mal. Tout mon corps criait un concert déchirant de plaintes. Mais dans cette douleur, je savais que j’étais encore en vie. Car la douleur est la preuve suprême de la survivance de l’âme, selon les préceptes de l’Unique.


Je me sentais faible, affamé, rétamé. Comme un enfant trop tôt plongé dans le bain de la vie. Comme un vieillard aux portes de la mort. Mais je savais que je pouvais encore m’en sortir. Il suffisait seulement d’y croire. J’ouvrais mes yeux encroutés par les embruns, j’étais bien sur une plage de sable blanc, qui montait d’un coup, abrupte, vers des collines de pierres blanches, de thyms et de pins. Les Archipels, j’étais sur les Archipels. Je me rappelais ma vie d’avant, bien des années avant la défaite du Krak et la captivité aux mains des esclavagistes elfes de Darjipoor. Je me souvenais de chevauchées dans ces vagues écumeuses, à la poursuite de fauves ondins. Je pensais à un chevalier à l’armure noire corbeau, animal qui trônait fièrement sur ses armes et sur son casque. Corbin DeChouka, chevalier Corbin DeChouka. C’était qui j’avais été, dans une autre vie. Un guerrier réputé, un stratège, et maintenant je me retrouvais sur une plage déserte, plaie vivante qui n’avait pour tout vêtements qu’un pagne de mauvais coton. A mes côtés, une rame de bois brisé m’avait supporté durant la tempête, j’y étais encore enchainé. Pas étonnant que je n’arrivais pas à me relever, comment l’aurais-je pu, avec le poids de cette barre de chêne dense ? Ironie du sort, tandis que pour la première fois en une décennie je revoyais le soleil qui me cuisait la peau aussi rudement que le sel infiltré dans les cicatrices de mon dos, j’allais mourir ici de faim, de soif, ou de folie. Je mourrais quand mon crâne exploserait sous la masse des céphalées qui m’arrachaient de temps à autre un grognement pitoyable. Je n’étais qu’un mort en sursis. Jusqu’à l’instant où, dans le lointain, j’entendis dans mon délire pervers les clochetons que les cavaliers d’Aeterna accrochent à leurs chevaux pour repousser le Malin. Et une chevauchée qui s’écrasée contre les écumes, galop sonore qui faisait vibrer le sol sous la foulée habile des immenses étalons du septentrion. Je poussais un soupir, je devenais fou. Autant abandonner, maintenant, tomber dans les ténèbres, coma artificiel qui m’amènerait dans l’autre monde. J’aurais pu choisir à cet instant de tout quitter, si un cri n’avait pas résonné dans la folie de ce vain espoir.  

jeudi 29 janvier 2015

Les Héritiers

–Il y a une autre solution.

Cette voix, grave, posée, coupe tous les débats en un instant. Ma sœur et mon frère se retournent immédiatement, et moi je suis le même mouvement. Accoudé au bar, notre demi-frère se sert une vodka martini. Après avoir posé en esthète l’olive, il boit à petites gorgées sa boisson, tandis que le nous le regardons tous. Il m’amuse. Dire que ce matin même, je ne le connaissais pas. Grand, mince, on dirait un de ces éternels étudiant du Quartier Latin. Habillé de noir pour l’occasion, sa veste en velours élimée semble avoir connu des jours meilleurs, tous comme ses chaussures pourtant cirées de frais. Clem craqua la première:

–Et c’est quoi ta solution ?

Sa voix était toujours haut perchée, racée. Comme sa manucure et sa robe noire de prix. Une beauté fatale, cheveux blonds peroxydés, seins refaits, ma sœur était une salope, mais une belle salope. C’était déjà ça.
Jeremy acquiesce comme pour suivre notre sœur. Lui, c’était le petit toutou. Ou plutôt, le chien de garde. Petit et râblé,  il ressemble plus à notre oncle Sergui qu’à papa à vrai dire. Carrure de demi de mêlée et caractère sanguin. De nous tous, c’était pourtant celui qui était le plus proche des activités de feu notre père, que nous venions d’enterrer le matin-même.
Notre demi-frère sourit, avant de lancer.

–Notre…père nous propose de gagner chacun un demi-million d’euros. Pour prendre sa place à la tête de l’Organisation. Soit. Mais la solution que vous préconisez, et doit faire bander ce vieux salopard dans sa tombe, c’est de nous déchirer pour les miettes. Les miettes d’un empire certes. Mais pour ces miettes on va revenir à l’époque de l’âge de pierre. Tout détruire si nous nous battons entre nous. Et faire le jeu des mêmes salauds qui ont mis une balle dans la tête de père.

Il parlait bien, d’une voix veloutée. Entre l’étudiant de thèse et l’homme politique. Mais que faisait-il donc de sa vie ? J’allais demander quelque chose, lorsque Jeremy me coupa, énervé :

–Et tu veux quoi dans ton mélo ? Tu n’es rien pour nous. On te connait pas. Pourquoi est-ce qu’on devrait t’écouter d’abord ?

–Parce que je suis le fils de ton père, tout comme toi. Tout comme Clémentine et Catherine.

Il haussa les épaules avant de reprendre, après m’avoir fait un clin d’œil. Depuis le début il me regardait de ses yeux bleus, contraste avec le brun de ses cheveux. Il n’était pas beau garçon, menton fuyant, bouche trop mince, nez un peu busqué. Pourtant dans ses yeux je lisais la même passion que dans ceux de papa. Et en me regardant, il me faisait comprendre qu’il avait compris là où j’allais en arriver si Jeremy ne m’avait pas coupé.

–Et que le défi qu’il nous offre, c’est de nous unir pour garder son…notre empire. Et le faire fructifier. Parce que, même si nous ne sommes pas de la même mère, nous sommes ses enfants, la chair de sa chair. Ses héritiers. Comme les cinq doigts de la main.

Clém lança, hautaine :

–Nous ne sommes que quatre, à moins que tu ne saches pas compter ?

Il souriait encore, et son regard se posait sur moi. J’étais la petite intello après tout, celle qui devait tout comprendre le plus vite possible. Alors je dis, d’une traite, et sans retenir mon souffle, rougissante face à mes aînés :

–Nous sommes cinq enfants. Toi, Jeremy, Nicolas et moi. Les quatre premiers doigts. Le cinquième, le plus important, c’est l’Organisation. Sans elle, nous ne sommes rien Clem. Et à nous quatre, nous pouvons en faire quelque chose de grand. Toi, tu es la parure, la devanture qui nous permettra de négocier et de nous afficher aux yeux du monde. Jeremy, lui, connait tous de nos activités n…spéciales. Moi, c’est l’argent, les chiffres, et tout le monde sous-terrain parce que le soleil et moi, ça fait deux.

–Et Nicolas ? demanda Jeremy en toisant son vis-à-vis qui buvait encore sa boisson.

Nicolas répondit de lui-même :

–Moi ? Moi je ne suis rien. Mais père a pensé à mon éducation tout comme la vôtre. Moi je serai l’auriculaire, le petit doigt qui sert à pas mal de chose. Et à dire les vérités.


Il souriait en montrant ce doigt précis. L’auriculaire. Comme si son petit doigt pouvait dire des choses précieuses. Et ça, c’était une évidence. En d’autres termes, j’aurais pu dire que Jeremy était la main gauche. Clem la main droite. Moi le cerveau. Et cet inconnu, le cœur. Car lui seul pouvait nous commander à nous trois, car il n’était pas nous. Il était l’étranger qui nous maintiendrait tous en vie. Alors, pour la première fois, je lui rendis son sourire. 

lundi 26 janvier 2015

Les lumières du Sud

Le bout du tunnel. J’arrivais enfin au bout de cette enquête. Pour l’heure de la confrontation finale. Je l’attendais, depuis tant de temps. Mais est-ce que je ne savais pas déjà comment tout finirait ? Depuis le début ? Mon intuition me disait que tout finirait ici. Et j’étais à l’heure.

Dans mes rêves les plus fous, mon premier serial killer, je le coinçais sur une plage isolée. Un mano a mano viril. Un contre un. Duel épique. La lumière rase de l’après-midi dans le Sud. Le soleil qui plombait la scène de son auguste regard. Les gouttes de sueurs qui dégoulinent dans les yeux, tandis que la proie et le chasseur se fixent. Nos regards qui se mélangent, gênés par nos propres fluides corporels et la réverbération de l’astre étincelant. Le goût du sel qui s’évapore, se liquéfie, glisse jusqu’à atteindre mes lèvres sèches. Le corps bien droit. River mes prunelles à celle de mon tueur. Celui que j’ai traqué jusqu’au bout. Jusqu’à en arriver-là, dans cette impasse que tous les films représentent comme glorieuse. Bien entendu, la scène se jouerait plus vite, mais plus tard, je retrouverai dans mes souvenirs le moindre petit instant. La moindre parcelle de ma lutte contre le Mal, ce mal enfoui aussi dans mon corps. Cet autre chose que le Bien, mais qui reste tout aussi chevillé à mon corps que des centaines de préceptes. Le manichéisme n’existe que dans les paroles, et le geste, lui nous transcende par-delà Ténèbres et Lumières.

Cela, c’était mon rêve. La réalité est tout autre. Mais qui peut imaginer que son pire ennemi serait son père ?

Aujourd’hui, au plus fort de l’été, je suis bien loin de tout ça. Le soleil se cache sous un voile épais de nuage qui descend depuis les Alpilles. Noir, obscur, confus. Il annonce l’orage. La pluie, chaude, violente et purificatrice de la fin d’été. Celle qui chasse le mauvais air trop moite et les maladies. Qui assainit l’oxygène et revitalise la terre sous le souffle du mistral. Les ténèbres qui font naître la lumière.

J’avance jusqu’au perron. Mes chaussures craquent sur cette terre desséchée, les mauvaises herbes jaunasses qui folâtrent sur le chemin, et les dizaines de grillons qui vrombissent à qui mieux mieux.  Arme au poing, je pousse enfin la porte. Cette porte verte, à la peinture striée de lézarde qui révèle la patine du temps. Le seuil de la maison de mon père.

Il fait frais à l’intérieur, et humide, et sombre. J’entends déjà le ronronnement du moteur de la climatisation, aussi nécessaire que l’obscurité pour protéger les meubles et tableaux anciens. Mes mocassins ne font pas un bruit sur les tomettes rouges qui, dans ce clair-obscur, se parent de reflets marrons. Sanguinolentes.

Je grimpe l’escalier, braquant mon MR-73 vers le haut. Une lucarne distille cette lumière si particulière qui baigne ma Provence natale avant l’orage. Reflet qui tire entre le noir et le blanc, vers le gris pur. Juste milieu qui rappelle l’éclat des vagues sous le soleil de la méditerranée. Au mur, des tableaux de grands-maîtres, austères ou vifs. Dans cet entrechat lumineux je ne distingue que des contours flous, aussi mouvants que les souvenirs de mon enfance.

Le palier est là. J’avance, lentement, prudemment. Je sens la chair de poule me prendre, hérisser les poils de mes bras. Les brisures des stores vénitiens caressent ma peau bichromie. Photographie en noir et blanc vivante. La porte du bureau de mon père est ouverte. Le parquet craque doucement sous mes pas, exhale un parfum de cire. Il s’accorde si bien à celui plus renfermé des tentures. Si Proust avait sa Madeleine, moi, j’ai les odeurs de ma jeunesse. Le thym, le romarin et la lavande, mais aussi le goût du soleil sur la peau, et la caresse du sel sur les lèvres. Encore un pas, un tout petit pas. Dernière respiration. Je pousse à peine la porte, et me voilà devant mon maître.

Mon père m’attend, assis dans son fauteuil. Une lampe est allumée sur son grand bureau en acajou. Comme pour chasser les ténèbres qui habitent cette pièce. Comme pour chasser les ténèbres qui habitent son corps et son âme. Mon tueur, c’est lui, ce vieil homme qui ressemble à un autoportrait de Van Gogh. Une oreille en plus. Cheveux courts coupés ras, roux, comme les miens. Une barbe encore fournie, striée de quelques fils argent qui agrémentent ce menton volontaire. Et ses yeux verts qu’il m’a légués. Nos nez diffèrent, lui ressemble à un aigle, auguste, austère, italien. Le mien est plus mince, plus droit, presque mutin si j’avais été une femme. C’est le seul point qui nous sépare, avec l’âge. Mêmes lèvres minces qui fument le même tabac turc, même stature dégingandée, mince et efflanquée. Il me regarde derrière ses lunettes en écailles, un sourire mystérieux aux lèvres. Le même qu’il avait quand je cherchais les énigmes qui me conduiraient à mes cadeaux d’anniversaire. Le même qu’il avait quand je ramenais un excellent bulletin. Le même qu’il avait quand il était fier de moi. Un sourire lumineux. Comment avait-il pu tomber dans de tels bas-fonds, bas instincts de mort qui le poussaient à tuer des femmes innocentes ? Je le toisais, et lui me souriait toujours.

–Tu es venu, enfin.

Il attaque tout de go. Une cigarette finit de se consumer dans son cendrier. Elle répandait une douce odeur de chanvre. Dans sa main, une arme à feu ancienne. Je savais qu’elle marchait très bien. C’était avec elle que j’avais appris à tirer.

–Je suis venu pour t’arrêter. Et te livrer à la Justice.

–Tu es venu pour voir ton Père. Ton créateur. Celui qui t’a conduit de bout en bout, de tes premiers vagissements jusqu’à ce point exact.

–Voir le monstre qui a tué sept femmes. Dont sa propre femme.

Son sourire s’agrandit, béat et extatique comme celui d’une madone.

–Le monstre qui t’a fait mon enfant. Toi. La mort de ta mère n’était qu’un pas de plus.

–TAIS TOI !

–Non je ne me tairais pas. Tu es mon fils. La chair de ma chair. Et tu es venu ici pour écouter. Ta dernière leçon. Tu sais que j’ai raison. Que je t’ai fait. Les histoires que je t’ai racontées t’ont ouvert au monde, aux symboles par-delà Bien et Mal. L’art a forgé ta vision, t’as permis de trouver le moindre petit détail autour de ces affaires. Le dessin la biologie, et les messages codés que je te cachais. Mon fils. Tout cela, ce n’est qu’un nouveau cadeau d’anniversaire. Un nouveau jeu de piste qui t’a amené jusqu’au tueur.

Je n’avais rien à dire. Il souriait toujours, et moi, je balbutiais presque, horrifié par sa folie, me retrouvant petit garçon qui ne savait pas quoi répondre face aux grandes personnes.

–Oui…Tu commences de comprendre n’est-ce pas ? Tu es mon chef d’œuvre. La pièce maîtresse de ma collection. Je suis devenu meilleur que tous les peintres qui m’entourent. Maître de la Lumière et des Ténèbres ? Tu parles…Ils ne savaient rien du clair-obscur. Ils ne savaient rien de ce qui faisait la vie, la vrai. Le juste et le faux, la gauche ou la droite, le bien et le mal ? Ce n’est rien que des inventions pour se rassurer. Pour ne pas se rendre compte de la vacuité de notre existence. Une prison dorée que nous construisons autour de nous, car nous avons peur de nous rendre compte de notre Liberté. La vrai couleur qui englobe toutes les couleurs, ce n’est ni le blanc, pur, virginal, lumineux, ni le noir, sombre, mystérieux, diabolique. C’est le gris. L’entre-deux parfait. La Vérité immanente de Dieu sur Terre. Et toi mon fils, tu es le gris. Je ne suis que le Démiurge qui a créé l’arme ultime qui ne croit à aucune de ses fadaises, qui se trouve par-delà-bien et mal. Au-delà de toutes choses. Le limier parfait. La bête fauve qui traquera sa proie, moi, jusqu’ici. Jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle n’est rien sans moi. Voilà ton histoire mon fils. Et maintenant, il faut l’achever. Le dernier coup sur l’échiquier. Le dernier instant de la lutte pour aboutir à la victoire de l’un, et la défaite de l’autre.

Il disait cela tout en caressant son arme. Je ne savais quoi répondre. Il m’avait ramené à mon enfance. Il continuait alors :

–Et puisqu’il faut en finir, je vais détruire ce que moi, Démiurge, j’ai réalisé de plus beau. Parce qu’il faut détruire ce qui existe pour tout recommencer. Adieu mon fils.


Il leva son arme un peu plus. Dans la maison, autour de ses tableaux de maîtres flammands, italiens et espagnols, au milieu de ses grâces et ses madones, entre le clair-obscur et la lumière angélique des raphaélite, un éclair zébra l’atmosphère. Point lumineux unique. Qui figea cette scène pour un instant d’éternité.  

dimanche 18 janvier 2015

La haine

Haïr. C’est tellement facile.
Haïr. Détester. Mépriser. Abhorrer. Abominer. Honnir. Maudire. Vomir.
Tant de synonyme pour le sentiment le plus fort, et le plus douloureux, avec l’amour.
Haïr. Laisser son ressentiment grimper, peu à peu. Le faire mariner. Le ressasser. Pérorer encore et encore sur d’anciennes blessures. Se laisser porter par ces fêlures. Jusqu’à en oublier la cause. Laisser couler le fiel du ressentiment encore et encore. Plonger dans ce flux méphitique de pus, jusqu’à se dégoûter soi-même et devoir réagir.
Explosion. La colère est saine quand elle nous prend. C’est une simple réaction. La haine, elle, est plus insidieuse.
Elle brûle, encore et encore. Comme un fer porté au rouge. Comme une maladie qui nous cloue au lit. Et puis, d’un coup, on explose comme un volcan. Pour échapper à la pression. Pour faire valser tout ce qui nous contrarie. Pour tuer cette maladie.
La haine nous pousse à mal agir. Sans réfléchir aux conséquences. Sans réfléchir à nos actes. Au pourquoi du comment.
Toute cela pour se sentir bien.
Cracher son venin. Se purger.
C’est le sentiment de la colère. Il faut l’expulser de notre corps comme on expectore une toux trop sèche qui nous secoue et nous fait trembler.
Mais la haine, ce n’est pas la colère.
Non, la haine est encore plus insidieuse que la colère violente et bouillonnante.
Elle nous réchauffe. Fièvre terrible qui nous pousse dans la vie. Purger sa haine, c’est se retrouver seul face à un gouffre terrible.
Alors, il faut haïr autre chose. N’importe quoi. Tant que ce ressentiment pervers nous aide à vivre un jour de plus. Qu’importe.
Haïr, c’est la plus belle des drogues. C’est le plus savoureux des alcools au palais. C’est le meilleur des tabacs qu’on inhale. C’est la plus délicieuse prise d’héroïne. La seule différence, c’est que la haine ne nous tue pas. Elle nous rend plus fort.
Ou du moins, c’est ce que l’on croit.
On se forge un monde obtus et fermé. Un monde où ne voit l’autre que comme un ennemi. Quelque chose à abattre, comme on tue un arbre à coups de haches.
L’autre, celui qui n’est pas nous, et semble pourtant toujours mieux que nous.
Echelle de comparaison erronée. La haine pousse à nous détester les uns les autres.
Alors on hait. Encore et encore. Et un jour. Un autre jour. Tout craque. Encore une fois.
Et on fait face alors à la vacuité de nos âmes. Au vide de nos esprits. A la fadeur de notre vie.
Alors. Que faire. Haïr encore ?

Haïr, c’est tellement facile.
 Aimer, ça l’est beaucoup moins. 

vendredi 16 janvier 2015

Le contrat

Tout a commencé dans un bar. Toute aventure, bonne ou mauvaise, commence toujours dans un bar. Le rade de cette station orbitale n’était pas mieux, ni pire, qu’un autre. Le genre d’endroits où personne ne souhaiterait atterrir, sauf des contrebandiers, des chasseurs de primes et autres mercenaires. Faune inter-galactique qui n’a qu’une seule religion : l’argent. Et pour tout code d’honneur l’obligation de déposer les armes quand on entrait dans ce genre de zinc en duralium. Et même ça, ce n’était pas forcément respecté. Un cul de bouteille éclaté sur le comptoir, un couteau pour le dîner ou même les queues de billards remplacent n’importe quelle épée. Quant aux poings et aux pieds, si tu ne savais pas y jouer dans ce monde de brutes, c’est que t’étais pas fait pour le rejoindre.

Un monde que je connaissais bien, trop bien. Combinaisons en synthécuir pour les astropilotes, armure en polymères pour les guerriers et mercenaires. De partout crânes rasés, tatouages tribaux et autres piercings qui montraient l’appartenance à des clans ou les travailleurs en solo. Je faisais partie de cette dernière catégorie, moi, Askel DeVaer.

Vous vous demandez qui c’est, Askel DeVaer ? Passez rapidement sur cette foule d’hommes en chien qui mataient la gonze, pauvre gamine qui se dessapait tous les soirs pour quelques poignées de Crédits Universels. Passez aussi le bar, où le droïde servait à tout va cocktails et autres boissons fermentées, racontant des conneries téléchargées sur les différentes planètes sans que personne l’écoute. Non, si vous voulez savoir qui je suis, plongez plutôt vers l’arrière salle fumante, là où de petites alcôves rehaussée de tissus synthétiques pourpre accueillaient les discussions privées, du genre vraiment privées.

Askel DeVaer, c’est moi, le type engoncé dans une armure de cuir et de synthéos fripée qui fume un gros cigare. Ou plutôt le reflet mat que je regarde en attendant mon commanditaire. Cheveux longs et graisseux à force de les laver avec de l’eau recyclée, rasé sur les côtés pour ne laisser qu’une houppette en haut du crâne. Tatouage tribal maori autour de l’œil, une sorte de dragon qui descendait jusqu’à mon cou. Plusieurs troues aux oreilles pleins d’acier chirurgical de première qualité. Le miroir sans teint que je mate ne donne pas la couleur de mes yeux gris, et casse un peu mon nez plusieurs fois brisés, et toujours ressoudé. Une allure entre le barbare d’une époque révolue sur VieilleTerre et le pistolero de ces vieux westerns qu’on pouvait trouver entre tridéo, au milieu d’une foule de pornos crasses et autres gonzo à deux CU.

Je fumais abondamment, noyant mon propre reflet dans les miasmes de cigare. Odeur de cannelle et de vanille, pour ce que je savais de ce que ça avait été avant, avant que tout ne soit synthétisé. Pour noyer le tout, et être bien sûr de perdre mon visage dans cette fumée, j’avalais aussi plusieurs whisk secs, sans glace. Le genre de tord-boyaux qui t’arrachait la gorge pour pas cher, et t’emmenait pour le même prix dans un monde sans rêves ni remords.

Mon client, ou plutôt, ma cliente, arriva enfin. Grande, cheveux roux attachés en queue de cheval. Lunettes aviateurs et tenue de cuir rouge trop neuve pour être la même que celles de loubards dans mon genre. Une poitrine avantageuse qui attirait le regard de tous les mâles. Légèrement découverte, juste ce qu’il fallait, par le zip de la fermeture éclair qui s’ouvrait vers des mystères blancs laiteux. Elle traversait le rade sous les regards lubriques, et je pouvais jurer avoir entendu un ou deux sifflets. Dommage que je voyais pas ses miches de là où j’étais. Mais ce n’était que partie remise.
Comme une reine, elle ne prêtait attention à personne. Pour sûr que cette gamine avait du cran. Trop propre sur elle, on voyait bien qu’elle était une de ces planétaires qui s’imaginait qu’une combinaison faisait le galactique. Mais la réalité était bien loin de là. Au moins, elle s’en tirait pas trop mal. Peut-être était-ce dû aux deux gorilles qui la suivaient de pas trop loin ?

Trois pas, et elle arriva sur ma table. Elle posa ses fesses sur la banquette de moleskine pourpre, sans montrer nul dégoût. Dans le noir, les tâches d’alcool et de vomi étaient cachées. Elle fronça le nez cependant quand elle sentit l’odeur de mon cigare. Je l’écrasais aussitôt, tandis qu’elle lançait :

« –C’est ça votre super lieu de rendez-vous DeVaer ?

–C’est vous qui êtes venu me chercher. Mademoiselle ?

–Madame. Madame Smith

Un nom qui voulait tout dire et rien à la fois. Le genre de nom que tous les commanditaires de la galaxie prenaient pour assurer leurs arrières. Des fois qu’on torture les types comme moi. Je haussais les épaules et répondit :

–C’est vous la patronne madame Smith. Que puis-je faire pour vous ?

–C’est bien, vous êtes direct vous au moins.

Elle tendit un dossier. Je ne l’ouvris pas. Je savais ce qu’il y avait dedans. Un dock, un endroit où amener la marchandise, quelqu’un à contacter sur place. Un jeu de photos pour compléter le tout. Tout dont j’avais besoin pour mener un contrat. Je demandais seulement.

–Combien ?

– 100 000 crédits universels maintenant. En tube. Pour vos frais. Et encore 100 000 à la fin. Sur le compte de votre choix. Rien du tout si vous ne passez pas.

–Si je ne passe pas, je suis mort.

Je souris en disant cela, révélant une dentition guère parfaite. Chicots jaunis par le tabac et coups de poings ne faisaient pas bon ménage. Là encore, si elle était dégoutée, elle n’en montra rien. Vraiment une cadre de premier ordre cette petite.

–Alors ?

Pour toute réponse, je saisis le dossier. Elle me regardait, interloquée.

–Le deuxième paiement. Aussi en tube. Votre contact vous appellera quand j’aurais passé la cargaison. Bonne journée Madame Dupont.


Alors, elle aussi sourit. Puis repartit dans l’autre sens. Franchement, elle avait un joli cul bien moulé dans sa combinaison. Dommage que ce ne soit pas une fille pour moi. Enfin, le contrat était bien partit. Pour elle du moins. Sereine, elle pouvait faire son rapport à sa hiérarchie. Certaine que je ferai ce qu’elle voulait. Moi, Askel DeVaer, j’avais une réputation à tenir non ?

jeudi 15 janvier 2015

Les cendres de la guerre 02 "impasse mexicaine"

Sous la houppelande se cachait un minois humain. Cheveux noirs en batailles, nez busqué, yeux bleus-gris malicieux. La mâchoire glabre fuyait légèrement, et, si ce n’était la vilaine cicatrice encore rougie qui brûlait sous son œil droit, on aurait cru, à raison, que ce trentenaire était le portrait craché de Jakob, avec plusieurs dizaines d’années en moins. Il devait être légèrement plus âgé qu’Elizabeth, ce guerrier qui ne portait pour toute armure qu’un pourpoint noir. A son épaule, une fourragère argent. Sur sa poitrine, aucune décoration en dehors de la croix amarante pour service rendu à l’Empire.

–Et oui. Moi. Et avant que vous ne disiez quelque chose, je ne suis guère heureux d’être ici.

–Et peut-être vas-tu nous dire ce que tu fais ici ?

–Oh tout cela est très simple, fit l’étranger dans un sourire, Je suis l’envoyé sur Ivaline de sa Majesté Eyris Première, Impératrice des Mondes Connus et à Connaître. Et je vous apporte la paix.

–La paix ? intervint Elizabeth, sarcastique et acerbe, La paix alors que tu viens fouler les terres de tes ancêtres avec une armée ? La paix alors que tu amènes les troupes de la bâ…D’Eyris sur ta propre planète ?

–Ne voyez pas dans les troupes qui ont passé le portail une force d’occupation ma très chère belle-sœur. Comment diriez-vous DeZekiel dans votre jargon ? Une force d’interposition ? Ou de pacification ? Je ne suis que leur émissaire. Vous pouvez très bien leur renvoyer ma tête, mais alors vous saurez ce qu’il vous en coûtera. Même si je n’ai nulle envie d’en arriver à ces mesures

Le jeune homme haussa les épaules, toujours un sourire aux lèvres. Il s’était avancé jusqu’au ventre de la pièce, au milieu de la table ronde. Il mettait au défi quiconque de le tuer sur le champ, de faire couler son sang sur le marbre. Cela était facile, il n’avait pas même sa main sur la garde de sa lame. Mais tout le monde savait que le nouveau venu était un redoutable duelliste. Pourtant, dans son sourire, on lisait aussi une profonde tristesse, comme s’il pouvait laisser sa chance de survivre dans un combat. Comme si ses premiers et derniers mots révélaient tout le dégoût de se retrouver chez lui, il se contentait de toiser son père du regard. N’importe qui aurait pu l’attaquer là, dans le dos qu’il avait à découvert. La tension était à son comble. Oségno avait du mal à respirer et son visage était tout aussi congestionné que celui de DeZekiel. Ce dernier caressait doucement le pistolet noir qui pendait à sa hanche. En un coup il pouvait vider son cristal d’énergie, et régler le sort d’Ivaline. Elizabeth, elle, toujours blême, regardait ce visage si bien connu. Ce visage d’enfant prodigue qui avait fui toutes ses responsabilités pour courir l’aventure dans l’espace. Ce visage de traître qui avait participé à l’assaut final sur Anésidora, planète capitale de l’Empire. Ce visage autrefois tant aimé qui représentait la mort de son cher et tendre époux dans un combat perdu d’avance. Jakob, lui, ne disait rien. Il avait été pris sur le fait par son fils cadet, la chair de sa chair, celui qui lui ressemblait trait pour trait mais ne pouvait pas être son héritier. Ce fils qu’il avait vu partir par une nuit d’hiver, plus de dix années standards auparavant, avec un maître Saltimbanque. Cet enfant qu’il chérissait et ne pouvait se permettre d’aimer en public, le fruit de ses propres pêchés, un homme fait maintenant dans lequel il retrouvait la fougue de sa jeunesse, le regardait de la même manière. Yeux bleus gris plongés dans leurs semblables, cherchant à percer les traces du temps, à moins qu’ils ne souhaitaient savoir si la guerre ou la paix embraserait soudain Ivaline.

Instant suprême, un silence de mort régnait sur cette assemblée. DeZekiel mouillait ses lèvres trop sèches, descendait lentement sa main vers son arme. Oscar DeNidias fusillait du regard l’étranger, ce traître à sa race qui frayait avec les Fauves. Elizabeth cherchait à retrouver les traits de l’adolescent dans cet homme marqué par la guerre. Le xénomoprhe lui, tenait toujours sa proie dans sa poigne mais savait qu’en un seul bond il pouvait tuer tout humain qui s’attaquerait à son ami. Et Jakob, lui, hésitait sur ce qu’il fallait faire. Mais la solution provint d’un tout petit homme en robes bleus marines. Vieux et sage, la peau parcheminée par le temps, de rares fils blancs recouvraient un crâne poli par les années. Le grand maître de l’Harmonie, Guillemot, premier représentant du culte impérial sur Ivaline, toussa légèrement avant de dire d’une voix puissante pour sa frêle carrure :

–Que l’on apporte le pain et le vin. Aujourd’hui un fils rentre chez lui. Il rentre à la tête d’une armée pour ramener l’Harmonie sur Ivaline. Et je suis certain que toi, Jérôme DeVrynn, tu n’apporteras pas le chaos sur la terre de tes ancêtres. Embrasse ton père. Embrasse ta sœur. Et que le calme et la paix de l’Impératrice revienne sur notre belle planète.


Alors, tous se détendirent dans un souffle. Et Guillemot scella enfin, après douze années de voyages et de guerres, les mains de Jérôme et de son père dans l’acte de Réconciliation entre Jakob et son fils.

mercredi 14 janvier 2015

Les cendres de la guerre 01

L’orage grondait sur la ville. Les éclairs zébraient le ciel, en signe d’une colère divine qui ressemblait bien à l’atmosphère tendue qui prenait le Conseil du gouverneur. Le marbre et le stuc gris et harmonieux, tous en rondeur lisses, était en contradiction avec le folie apparent de la discussion. La table ronde où les sièges d’acier d’Ivaline ne servaient à rien, tandis que tous les gens présents, debout, s’invectivaient à travers la salle. Hommes en uniformes, marchands et membres de la philosophie de l’Harmonie en venait presque aux mains tandis que l’auguste vieillard qui siégeait à leur tête sur son trône d’ivoire ne disait rien. Renfermé sur lui-même et ses pensées, Jacob DeVrynn, ancien Maître de Guerre de l’Empire et actuel gouverneur d’Ivaline, la planète où se forgeait le meilleur acier de la galaxie, se tenait coi. Mains croisées sous le menton, visage fermé, ses traits étaient tirés par les nuits sans sommeils. Depuis la fin des guerres impériales, et la défaite de l’Héritier, ou la victoire de la Bâtarde, qui pouvait encore se targuer de bien dormir ? Les forces vives de l’Empire avaient rejoint les forces d’Eyris sur Prima et Anésidora. Mais Ivaline, elle, était encore un foyer de troubles. La question qui hantait les rares militaires en uniformes blancs, les nombreux maîtres de guildes et forgerons dans leurs pourpoints de soies multicolores et les prêtres de l’Harmonie et du Brûlé, aussi différents que le jour et la nuit, était de savoir s’il fallait se rendre ou non aux troupes qui venaient de passer le Monument, le portail qui reliait les Mondes. Déjà, au-delà des murailles, on pouvait voir depuis la terrasse détrempée par l’orage les feux des troupes de guerres qui s’avançaient en corps d’armées, serpents noirs et rouges d’acier trempée. La guerre était aux portes d’Ivaline. Les militaires séparatistes avaient lâchement fui dans les montagnes, espérant y mener une guérilla sauvage contre les troupes de l’Impératrice pour cacher leur honte et leur imbécilité à soutenir une cause perdue.

Ce qui importait, aujourd’hui, c’était de savoir si la reddition d’Ivaline verrait un massacre sanglant pour avoir pris le parti, au nom de l’Harmonie, de l’Héritier Impérial avant sa retentissante défaite, ou si la mansuétude d’Eyris se retrouverait dans ses chiens de guerres qui portaient l’acier comme une seconde peau.

Jakob DeVrynn restait maître de lui-même. On ne pouvait pas dire autant de sa compagne, une grande brune dans le début de trentaine, habillée d’une robe de soie noire comme il sied à une veuve de l’aristocratie. On ne pouvait pas dire qu’elle était belle, avec son nez mutin, ses lèvres trop minces et sa poitrine menue qui se soulevait au rythme de sa respiration saccadée. Mais elle était belle, dans la rougeur de sa colère, dans la passion de ses yeux verts, et la folie de la mèche qui tombait de son chignon élaboré au moindre de ses mouvements. Elizabeth DeVrynn, la belle fille de Jakob, actuelle gouverneure-régente d’Ivaline. Feu son mari était mort dans les derniers dans les flammes du Palais Impérial. Et, malgré les avis des militaires qui avaient lâchement fui dans les montagnes, la jeune femme avait décidé de rester au côté de son beau-père, au nom de l’Harmonie et de la grandeur des DeVrynn, afin de lutter contre l’envahisseur. Ennemi qui avait pour l’heure les traits flasques de maître Oségno, principal maître-forgeron d’Ivaline, obèse aux mœurs décousues qui ne souhaitait que son profit. Revenir dans le giron impérial était pour lui simplement gage de stabilité et d’argent gagné sur le peuple de la planète minière. Gras comme un cochon, il ne rêvait que de s’enrichir un peu plus. Les militaires, à vrai dire le seul colonel DeZekiel et son aide de camp, refusaient la défaite et pensaient s’appuyer sur les milices marchandes pour tenir les murailles de la capitale d’Ivaline, Alliage. Or Oségno et le conseil marchands, qui hurlaient comme des orfraies, refusaient de prêter leurs concours. Jakob bougea au milieu de cette basse-cour, ses mains montèrent jusqu’à ses tempes qu’il se mit à masser, comme s’il était pris d’une migraine soudaine. Elizabeth se retourna vivement vers lui, et demanda :

–Père, allez-vous bien ?

–Pais ma fille, et paix mes amis. Nous avons toujours respecté l’Harmonie. Ivaline n’a jamais été touchée par les guerres, et ce n’est pas sous mon commandement qu’elle tombera. Toutefois, l’Harmonie veut que nous cédions à son parangon.

Il parlait d’une voix forte, habituée au commandement, qui contrastait avec les épaisses couches de vêtements qu’il portait pour se protéger de la fraicheur du printemps. Tout le monde dans la pièce savait que ses jambes ne le portaient plus, mais un DeVrynn restait une force de la nature, même handicapé. Et personne n’aurait osé l’interrompre. Personne sauf un homme maigre à faire peur habillé d’une toge blanche dont le bas était rehaussé par des flammes rouges. Le Prédicteur Oscar DeNidias toussa pour se faire entendre, mais Jakob ne le laissa même pas parler, reprenant aussitôt tout en se relevant avec raideur :

–Je sais bien, DeNidias, que votre culte révère la lignée impériale. Et que la Bâtarde ne vous agrée pas. Mais elle est l’héritière selon le testament de feu sa Majesté. Et elle est le parangon de l’Harmonie. Ses troupes sont plus puissantes que nos pauvres milices. On dit que le Maître de Guerre qu’elle a nommé est un de ses plus fidèles capitaines. Et un stratège plus que compétent. Nos hommes de guerres se sont reculés dans les montagnes s’ils ne souhaitaient pas céder à l’Impératrice. Pauvres lâches, c’était ici qu’il fallait se battre. Nos rares guerriers encore sous nos ordres ne pourront rien faire contre les Gladiateurs et les réguliers. Ce ne sont que des enfants. DeZekiel, et toi ma fille, ne blêmissez pas. C’est le seul choix possible. Même s’il me coûte énormément de devoir céder à la force et aux futures avanies de son Altesse Eyris. Nous devons céder. Pour nos concitoyens, pour les enfants, les femmes et les hommes d’Ivaline. J’ai dit.

Le brouhaha allait reprendre à cet instant quand, du côté des grandes portes ouvertes du palais, un applaudissement résonna dans la salle qui s’était tue un instant. Tous se retournèrent, marchands, officiers et nobles pour voir un seul homme, accompagné d’un Fauve gigantesque qui bâillonnait le maître de cérémonie. C’était cet étranger qui applaudissait, un son assourdi par les lourds gants de peau qu’il avait aux mains. On ne voyait rien de sa vêture en dehors de bottes de montes noires, cirées, un pantalon bouffant à la militaire et une lourde cape de soldat qui cachait son visage. Elle était fermée, ne laissant voir nul tabard ou pourpoint, mais laissait présager à la bosse au niveau de la ceinture qu’une épée se trouvait là. Seul des yeux bleus et un nez fort, busqué, émergeaient de cette face volontairement abaissée pour rester dans les ombres. Son compagnon était d’une autre trempe, mesurant près de deux mètres. Le Fauve portait bien son nom. Une armure laquée de noire et argentée aux épaulières indiquait le rang de ce Gladiateur aux impressionnants cimeterres de bataille. Il ne portait pas de casque, révélant un visage couturé de cicatrices et de scarifications rituelles. A son œil droit, jaune et fendue comme celui d’un félin, répondait le gauche où un bandeau noir et argent protégeait un globe arraché par un coup d’épée. Son abondante fourrure blanche tombait en une crinière peignée en guise de cheveux. Un Fauve, un de ces félins humanoïdes de la Grande Couronne qui avaient rejoint l’Impératrice aux premiers jours de la guerre.

L’humain arrêta d’applaudir, et fit un signe discret à son garde du corps qui relâcha le maître de cérémonie. L’étranger avança de trois pas longs et élégants, bien que sa jambe gauche claudiquait en faisant résonner le marbre du bruit de l’acier. Dans un geste ample, il révéla enfin son visage, à la stupéfaction de tous dans la pièce. Elizbeth blémit, tandis que Jakob cria presque :


–Toi ?!

mercredi 7 janvier 2015

L'Harmonie pardonne tout, l'Impératrice un peu moins...

La corneille croassa trois fois. Comme au théâtre, la scène se mit alors en place. L’haleine humide de la rivière se retira tel le rideau sur la scène, tandis qu’un pâle soleil gris s’essayait timidement au coup de projecteur. Le champ, encore baigné d’une rosée glacée, se découpait maintenant, prairie verte et grasse d’une fin d’hiver. Dessus, une grande limousine blindé noire aux vitres teintées, qui relevait presque du tank, et des aéroglisseurs gris acier. Autour, des hommes graves, à l’allure austère de militaire en civil. Pantalons de nankin avec de hautes bottes de cavaliers, vestes coupées noires et hauts de formes ne cachaient pas l’allure martiale de ces hommes qui entouraient deux de leurs pairs. Ces derniers ne portaient plus la veste, en bras de chemise, ils s’échauffaient lentement, à grand coups de moulinets de sabres qui éclataient de temps à autre d’un éclair lumineux lorsqu’ils captaient le soleil. Husman DeKaer jetait des œillades à son adversaire. Le début de la trentaine, élégant, grand et presque dégingandé si ce n’était cette musculature acquise sur les champs d’entrainement bien plus que dans les boutiques corporelles. Un visage fin et racé, presque féminin, en dehors de cette horrible blessure à l’œil, balafre sauvage qui formait un amas de tissus cicatriciels là où le globe avait été emporté. L’homme souriait à la cantonade,  comme s’il allait à un bal plutôt qu’à la mort. Husman grogna quelque chose, tandis que son opposant buvait rapidement un coup de gnôle. Cela serait rapide, et violent. Mais Husman savait qu’il pouvait tuer en un rien de temps le grand guignol qui avait osé les défier, lui et son régiment. Dev DeVrynn n’avait plus longtemps à vivre, surtout qu’il semblait manifestement presque ivre. Husman grogna, bougon, tandis que Dev discutait avec son témoin en riant :

« Si monsieur DeVrynn est prêt à la gaudriole, peut-être qu’il serait temps de commencer de tirer quelques blagues du chant de nos épées ? »

Husman parlait avec une intonation aristocratique composée, presque étrange sur cette masse de muscle qui ressemblait plus à un taureau qu’un humain. Quand on était un DeKaer, on avait les moyens de se payer ce qui était le mieux. Et la passion d’Husman était de renforcer son corps de tout ce qui était le plus cher. Muscles synthétiques, tatouages guerriers et même, objet du duel, une augmentation de ses capacités sexuelles. DeKaer était très fier de ce genre de prouesses, et le trait d’humour de DeVrynn l’avait mouché, au point que seul le duel pouvait conduire à réparation. Husman était sûr de sa force, pourtant, une rapide recherche sur son adversaire l’avait quelque peu déconcerté. DeVrynn s’était battu sur tous les champs de bataille des Guerres Impériales. Il avait une réputation de libertin, pourtant aucune mention de duels n’avait été portée à la connaissance d’Husman. De même, s’il avait un poste d’état-major, on le voyait plus souvent envoyé dans des missions diplomatiques qu’à l’Ecole de Guerre. DeVrynn était un réel mystère, le genre d’homme qui arrive sur un terrain d’entrainement et cherche les ennuis par pur plaisir. A moins qu’il n’avait des ordres. L’intéressé répondit aussitôt que Husman l’avait agressé :

« Mais bien sûr Husman. Il est l’heure de danser. A moins que vous ne préfériez jouer de la flûte ? On vous dit aussi habile dans cet art que celui d’user de ce qui vous sert de pipeau… »

Husman rugit en portant une première attaque, tandis que le rire de son adversaire se figeait dans un affreux rictus. Mort et sang. Le duel débutait hors de toutes règles. Comme deux coqs dans l’arène, les deux hommes se donnaient à fond. Les épées réglementaire, lames d’acier de quatre-vingt-dix centimètres, protégés les mains par une coque torsadée en métal. Husman usait de sa stratégie habituelle, tranchant et ahanant à chaque coup, le colosse frappait avec toute sa force de brute acquise dans les boutiques corporelles d’Anésidora. Lui non plus n’était pas manchot, élevé par les meilleurs duellistes de la Galaxie. Mais Dev DeVrynn ne semblait pas à son coup d'essai. Repoussé un temps, il avait fermement campé ses bottes sur le sol meuble des bords de la rivière. Comme s’il avait décidé, après une glissade, qu’il ne reculerait plus d’un pouce.

Lame contre lame, le combat était plus une lutte de force qu’un véritable duel. Du moins c’est qu’un spectateur non averti pouvait en déduire. Si DeVrynn ne bougeait plus, c’était simplement qu’il s’était mis dans la posture favorite des Panthera, ses maîtres. Chose que Husman, à son grand désarroi, venait à peine de se rendre compte. DeVrynn accompagnait chacun des coups de son adversaire, les absorbant d’un très léger mouvement circulaire de la pointe de son épée. De même, en fait d’immobilité, il glissait lentement, dans de complexes calculs géométriques d’une danse au tempo inconnu.

Son sourie était aussi figé que son œil borgne, pire même, il avait étiré ses lèvres dans un rictus qui dévoilait des dents aussi blanches que des crocs. Il laissait à Husman l’ouverture, mais chacune des furieuses attaques de son adversaire était dans l’instant parée, et soumise à une riposte de plus en plus violente. Tierce, quarte ou sixième, toutes les positions de l’escrime classique y passaient. Et Husman, suant à grosse gouttes, trouvait pour la première fois un adversaire à sa mesure.

L’homme dégingandé aux folâtres cheveux auburn  était un épéiste de première importance. Et les sbires de DeKaer s’étaient largement fourvoyés dans leurs rapports. DeVrynn n’était pas qu’un alcoolique et un coureur de jupons. C’était avant tout un soldat qui maniait toutes les finesses de son art.

Husman se fatiguait, et le sourire de son adversaire s’agrandit. Maintenant, il passait à l’attaque, alors que l’autre suait à grosses gouttes et soufflait bruyamment. Les mouvements de DeVrynn se faisaient plus vifs, plus techniques, et Husman avait du mal à contrer les attaques qui venaient de toutes parts. Le duel tournait, à n’en pas douter  sa défaveur. Alors, le gros guerrier ouvrit largement sa garde, tentant DeVrynn pour une attaque gratuite. Ce dernier plongea aussitôt dans la faille. Glissant presque sur la boue du terrain détrempé. Husman faillit pousser un glapissement de plaisir, il tenait son adversaire. Il allait saisir son bras et passer sa propre épée au travers du corps de l’homme quand ce dernier, plus proche qu’il ne le pensait, sorti de sa manche une dague qu’il enfonça aussitôt dans le creux du cou d’Husman. Ce dernier, surpris, cracha aussitôt un flot de sang. Alors que sa vie s’épandait par l’horrible blessure, il vit le sourire de DeVrynn. Sourire carmin, sourire de mort. Husman s’effondra au sol, pris de tremblement. DeVrynn accompganit avec douceur le mourant. Déjà gris et prêt à revenir à l'Harmonie, Husman n'avait plus fière allure. Dev lui glissa ces quelques mots :

« L’Impératrice vous salue Husman DeKaer. Pour vos amis d’Aigreffroi. Et vos exploits de Sann’Thoriin. Puisse l’Harmonie vous accueillir en son sein. »


Alors Husman comprit enfin, dans les derniers instants de sa vie. Tout avait été calculé, depuis le début. Elle connaissait le complot, et DeVrynn, l’officier d’état-major, n’était que l’exécuteur. Husman avait failli réussir à assassiner Eyris sans se faire prendre. Il avait pensé brûler tous les ponts entre lui et les Séparatistes. Il s’était fourvoyé. Et il le payait de sa vie. Dans son dernier souffle, il ne pouvait plus qu’espérer rentrer dans l’Harmonie, car elle seule pouvait pardonner face à la colère d’Eyris. 

Dans l'air pâle de l'aube, DeVrynn se releva enfin, tandis qu'un voile tombait sur le visage de son adversaire et les témoins accouraient à grands pas bottés qui soulevaient des gerbes de boue. Sans se retourner, il alla récupérer sa cape. Vêtu de noir, l'exécuteur de l'impératrice quitta le champ d'horreur. Une nouvelle mission l’appellerait bientôt. 

mardi 6 janvier 2015

Douche froide

La douche froide. La nouvelle tombe dans son oreille endormie. Un frisson glacé le prend du bout des ongles jusqu’à la racine de ses cheveux. Et une question. Pourquoi ? Pourquoi cela devait arriver aujourd’hui ? Pourquoi lui ? Pourquoi toujours ce même pincement de cœur ? Tant de pourquoi, et jamais de réponses. Seulement la douleur confuse, la peine, quand il a enfin émergé. Ses paupières sont encore lourdes, sa tête ailleurs, dans ses rêves délicieux. Et pourtant il faut déjà revenir à la réalité. Trois mots, et tout chavire, une fois encore. Une fois de plus. Après les longues heures d’attente, insoutenables et légères à la fois. Après ces longs silences où l'on cherche à deviner un peu plus que ce que l’on sait. Ces questions expectatives dans le creux des ténèbres, tandis que pour toute lumière seul un écran froid éclaire ses nocturnes tristesses.

Trois mots, glissés d’une voix de velours. Trois mots capables de faire s’effondrer un homme. Tout s’écroule autour de lui comme un château de cartes enfantin ébranlé par une savante pichenette. Tant d’envies, de désirs, d’espoirs même qui tombe. La Chute. Longue, profonde, éternelle. Toujours le même refrain depuis le Paradis. S’arrêter, une fois encore, alors que l’âme et le cœur s’étaient envolés, un peu trop vite. S’arrêter. Essayer de chercher à reprendre pied dans cette eau glacée. Ne pas se noyer, une fois encore.

Se poser. Peser le pour et le contre. Avoir mal. Envie de pleurer. Et puis. Enfin. Se dire tant pis. S’essayer à un nouveau sourire. Difficile mais salutaire. Se regarder dans la glace, et tordre cette bouche dans un rictus. Sourire. Essayer de transformer la nouvelle en quelque chose de positif. Quelque chose de neuf. Un nouvel espoir.


Il se passe de l’eau chaude sur le visage. Au travers de la buée qui s’envole, fendue par de longues stries qui ressemblent à des larmes sur un visage, il se recompose. Il ne sera pas défait. Une nouvelle chute. Une de plus. Encore une fois. Toujours la même douleur dans le cœur. Mais quand on tombe neuf fois, autant se relever une dixième. Même si ça fait mal. Même si on en crève. Même si…Car ce même si n’est que les dernières attaches d’un passé irrémédiablement révolu. Où étaient liés des rêves et des espoirs qui n’ont plus lieux d’être. Ou plutôt, qui grandiront ailleurs, dans de nouvelles aventures. Douche froide, puis chaude. Sourire. Pour mieux repartir.

lundi 5 janvier 2015

La rue d'Ivry(sse) sensorielle.

La journée était à la neige, il pluvinait un mélange d’eau glacée et de grésil. Le tout collait au sol et aux vêtements, et manquait faire déraper les passants sur les pavés humides. Le froid, rigoureux, n’était pas le pire ennemi de cette journée, bien que la bise frigorifiait la moindre parcelle de peau à l’ait libre. La rue était pleine de monde, malgré la nuit qui tombait peu à peu. Déjà les néons et autres halogènes brûlaient, diaphane, en offrant à la rue un air de fête de fin d’année. Impression accentuée par les nuages de buées exhalés par les passants.


Le jeune homme marchait rapidement, se frayant un passage dans la masse de cette population aux mille couleurs du monde. Jaunes, ou blancs, ou noirs. Tous venaient acheter ou vendre sur ce marché à l’air libre, dans une cacophonie de langues de l’Asie, de l’Europe ou de l’Afrique. Voitures et cyclo-pousses conduisaient habilement entre les badauds et les étals à la sauvette qui criaient le nom de plats et autres légumes totalement inconnus et exotiques. Poussant une porte, le jeune homme entra enfin vers son but, le Palais des Mille Saveurs. Un autre monde, un autre univers. 

Dedans, c’était la même fantaisie qu’à l’extérieur. Chaud, bruyant. Il ne manquerait que l'humidité tropicale et il se croirait à Saïgon ou Singapour. Fruits et primeurs de l’Asie, viande du monde entier, poisson frais du Pacifique. Cent et une odeurs se mêlaient dans l’air. Il avançait dans ce fouillis, esquivant femmes et hommes de tous les âges, manquant s’embroncher dans les caddys ou bouscule un enfant qui courrait avec un gâteau en pâte de haricot enfourné dans la bouche. Il humait le parfum des épices, suaves ou piquantes, voires amères pour certaines. Il touchait du bout des doigts les légumes, n’hésitait pas à goûter les plats qu’on lui proposait, se repaissant des fruits miracles acidulés qui coupait tous les autres acides. Dans son sac, il empaquetait ce qui lui chantait, fruits et légumes, œufs défiant toute concurrence en termes de taille et de prix, mais aussi viandes et soupes chinoises. 

De quoi s’accommoder pour quelques jours de bons repas.

 Mais bien qu’il aime cuisiner, ce n’est pas la seule motivation qui le pousse à s’enfoncer dans les tréfonds ce quartier. Non, ce qu’il adore, c’est entrer dans un autre monde. Plonger dans une foultitude de langues, de cris et de mots qu’il ne comprend pas. Du thaî, du méo ou du viet, qu’importe. Regarder les jolies jeunes filles chinoises toujours en bande entrer dans un grand rire dans les restaurants de soupe. Avoir l’impression de voyager simplement en allant au bout du métro, à 10 minutes à peine de Châtelet. Se perdre dans Chinatown, se perdre dans ce quartier, le treizième, celui qu’il aime tant. Car ici enfin il se sent chez lui.  

jeudi 1 janvier 2015

Happy New Year

Le décompte final commence à l’écran, les dix dernières secondes avant le passage à la nouvelle année. Tout le monde reprend les chiffres en cœur, un par un, de dix jusqu’au un fatidique. Sur les visages, une légère tension, tandis que l’alcool rougit les traits qui s’agrandissent de grands sourire face au basculement de la Saint Sylvestre. Que nous apportera donc ce passage à un an nouveau ? Que laissons-nous derrière ? Et est-ce que tout va changer, en mieux ou en pire ? Trois questions auxquelles personne n’a jamais eu de réponses, à moins de vivre la nouvelle année qui arrive et en profiter pleinement, en se donnant à fond dans tout ce que l’on fait. Dans tous les cas, à l’instant où le un fatidique arrive, tout le monde a cette pensée à l’esprit, dernier adieu à une année avant de chavirer vers quelque chose de neuf, accueilli par le cri du cœur : « Bonne année ». Les embrassades, les rires, le bouchon du champagne qui saute dans un plop parfait tandis que les flûtes se remplissent du liquide bullé. Sensation de joie et de plénitude alors que l'attente se termine. Et enfin, ou surtout, d’espoir pour cette nouvelle année qui s'éveille dans la joie et la bonne humeur.

 Alors à tous, lectrices et lecteurs, je vous souhaite une très joyeuse année 2015 ! Meilleurs vœux et bonnes lectures =)