Les deux épéistes se faisaient face. Leurs lames nues
reflétaient les éclats du soleil qui entraient par les grandes fenêtres, droit
sur la piste d’escrime. Dans les ombres, un aréopage d’élégantes et de damoiseaux
faisaient vrombir éventails, voleter des robes et cliqueter des éperons de
bottes tout en poussant quelques murmures appréciatifs. Le spectacle venait à
peine de commencer, mais on s’attendait à un grand duel, de ceux qui entraient
dans la légende.
La guerrière aux cheveux roux, retenus par un catogan de
tulle noir, fronçait légèrement les sourcils sous son masque de calme. Petite
et fluette, elle se tenait dans une garde parfaite, pieds d’appuis légèrement
en avant, corps parfaitement d’aplomb et prêt à fondre sur sa proie. En face, l’escrimeur
semblait plus détendu, il tenait une pose élégante, lame légèrement baissée
pour ne pas se fatiguer. Ses cheveux blonds comme la paille tombaient sur ses
épaules tandis qu’un petit sourire déformait ses lèvres. La seule pointe d’inquiétude
pouvait se lire dans ce rictus qui révélait légèrement des dents taillés comme
des crocs. Ses yeux bleus ne regardaient pas la lame de son adversaire, mais
plongeait plutôt dans le regard vert de la duelliste. Avant même le premier
choc des fers, la bataille prenait place dans les esprits des combattants.
La jeune femme rendait un regard farouche à son adversaire,
tandis qu’elle essayait d’apaiser son âme. Son cœur battait à tout rompre, alors
que sa respiration se faisait profonde. Lentement, elle entrait dans la transe du
duel. Déjà, au bout de sa lame, elle ressentait l’énergie de son partenaire de
combat. Le sentiment de fer, cette sensation ténue que seuls les experts pouvaient
connaître. Et elle savait que son adversaire le sentait aussi au bout de sa
propre lame, tandis qu’un sourire déformait un peu plus ses traits.
La jeune femme se mit à sourire, tandis que son esprit s’unissait
avec l’homme qui lui faisait face. Puis elle attaqua brusquement, tandis que
ses poumons expulsaient tout l’air qu’ils contenaient dans un hurlement rageur.
Elle chargeait ouvertement, se donnait à fond dans son premier coup, qui tomba
dans le vent. L’homme n’était déjà plus là, après un pas chassé coulant qui lui
permit de se mette hors de portée. Et lui-même répondit à l’assaut brusque avec
la même vivacité. Pour les spectateurs qui regardaient le duel, on ne voyait
que le mouvement de l’acier brusque, éclairs argentés qui ne s’arrêtaient que
pour faire tonner le fer des lames qui s’entrechoquaient. Pour les soldats et
militaires présent en masse devant la représentation de l’impératrice, on
admirait la perfection des coups, quartes et quintes répondaient à sixte,
tandis que les tierces lancées à fonds se tordaient rapidement en flanconades
féroces. Chacun des assauts était potentiellement mortel, et tout l’art des
deux combattants était porté à son point ultime pour se protéger et attaquer
sans tuer son adversaire. On frappait, on tranchait, on piquait. Et les corps
se mêlaient dans une danse sauvage. Le sentiment du fer se transformait dans la
pure sensation des corps poussés à bout. Chaque muscle, chaque ligament, chaque
nerf devaient répondre instantanément à une impulsion du cerveau qui relevait
presque de la magie, la pure réaction de deux âmes entrainées à danser avec la
mort.
L’impératrice était en nage, son adversaire glissait comme
un poisson pris à main nue. Elle poussait à fond, encore et encore. Ses cris
déchiraient l’air à chacune de ses attaques, et elle sentait qu’elle avait
presque ferré le jeune homme. Soudain, il glissa, ouvrant une opportunité pour
la rouquine. Criant son triomphe, elle plongea en tierce, son bras porté à
fond, juste ce qu’il fallait pour toucher l’homme qui…n’était plus là. Une
glissade, il s’était repris immédiatement, ce n’était qu’une feinte. Le
sentiment du fer au bout de son bras, lourd, tandis qu’il enroulait la lame et
la forçait à la lâcher dans un coup brusque qui manqua de lui briser le
poignet. Enfin la pointe de la rapière qui se colle à sa glotte, tout en
rattrapant la lame de la jeune femme. Elle avait perdu, irrémédiablement perdu,
mais son adversaire avait le tact et l’honorabilité de ne pas la menacer trop
longuement. Il ne lui laissa qu’une piqûre à la gorge, petit point sanglant, puis
il ramena son arme vers lui. Puis il lui tendit sa lame, tout sourire. La
cruauté de son rictus s’était transformée en chaleur et amour, tandis qu’il
clignait de l’œil à l’intention de sa souveraine et élève. Ils se saluèrent alors
que des applaudissements polis acclamaient le vainqueur. La foule bruissait de
murmures de joies et de dépit, tandis que la monnaie des paris passait de mains
en mains. Le jeune homme salua, tout comme l’impératrice. Le duel était fini,
et elle avait appris encore une leçon sur le chemin du sentiment du fer…
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