dimanche 28 août 2016

Comme un météore

Deux mains tendues, l’une vers l’autre. La première, rigide comme un piquet ; la seconde, souple comme un roseau. Peau dorée contre écailles caramel. Ongles rouge sang face à…des ongles absents. Deux mains qui se croisent. Pavane lascive, erratique, érotique peut-être. Sensualité tandis que deux avant-bras s’émeuvent sur le rythme d’une musique imaginaire. Pas de deux pour bras tendu, menuet à trois temps pour fin doigté, pantomime pour un tramway perdu.

Instant précieux, remonter le cours du temps, ou d’un bras. Une épaule, la ligne d’une clavicule, la naissance d’une gorge pâle. Menton boudeur, bouche pleine, carmine. Nez droit, lunettes qui cachent deux grands yeux verts, qui n’ont pas abandonné, jamais. Une âme brille. Météore fulgurant qui traverse une autre vie. Il ne l’a pas vue arriver, et c’est tombé, comme ça, quand il n’attendait plus rien. Qu’il se sentait si bon à rien. Qu’il n’en avait plus envie d’en faire, pour rien. Derrière ses boucles dorées, elle n’est pas jolie. Non. Elle est belle. Parce qu’elle est une flamme. Elle brûle, chasse le froid, fait fondre le blizzard. D’un regard, elle réchauffe un cœur sur la réserve ; envolée la gangue de glace qui protège un palpitant qui déraille depuis trop longtemps.

Volupté. Du bout des doigts, d’un frôlement du poignet, elle touche son âme. L’émeut, le meut, et sa rigidité cadavérique s’envole pour une danse éternelle. Comme il aimerait, comme il aimerait que cette minute dure…à jamais. Se plonger dans ses yeux, s’y noyer, y (re)naître. Immuabilité d’une chorégraphie impromptue. Duel sans armes, du bout des doigts, sans haine, de deux âmes.
Alignement du cosmos. Deux mains se touchent, le long d’un bras, deux regards se croisent. Se répondent. Se perdent. En un ? Les mots fuient. Ils ne sont pas capables. Envolé l’intellect, dérobée la langue, paumé l’écrivain. Il ne reste plus qu’un garçon qui se perd, dans un instant, pour un instant, juste un moment, dans les yeux d’une fille femme.

Alter ego.


Bas les masques. Plus de fuite, de raisons à colère, ou d’envie de suicide. Juste profiter de ce temps à part. Un temps pour deux. Deux mains se croisent, s’embrassent, s’embrasent. Véroniques et passes, virent, voltent, tournent et pirouettent. Jeu. Tu me suis, je te fuis. Je te suis tu me fuis. Plaisir d’un instant volé au temps. Caresses, frissons, flèche décochée au cœur. Explosion de sensations. Un météore passe. Rire triste. Et las. L’instant s’arrête au même arrêt que le tramway. Deux bras se quittent. Deux âmes s’envolent. Ailleurs. Infinie tristesse d’un instant qui se dérobe. Infini d’une joie qui renaît…

jeudi 11 août 2016

Madame est servie

Nuit d’ennui. Nuit d’insomnie. Maladie de nanti. Des problèmes, faux, plein le cerveau. Le sommeil qui s’est enfui.

Dehors, Marseille nocturne. En arrière fond, le ressac d’une autoroute jamais assoupie. 1H30 : ambulance au cri strident. 2H15 crissement de pneu, course de nuit dans la cité d’en face. 3H22 sirènes ululantes, voiture de police qui démarre à tout berzingue, oiseau de proie pour oiseaux de nuits. Ou nui oiseuse. 

4h45. Train de nuit de Paris. Au même instant, dans l’immeuble d’en face, à moins que ce ne soit juste au-dessus, une femme crie sa jouissance. Hurle, expulse, prend son pied. Tout aussi fort que le bébé de 5H01 qui vagit sa faim et attend sa première tété. Affole en moi quelque chose savamment enfoui pourtant. Je me bouche les oreilles. J’essaie de trouver le sommeil, alors que déjà la nuit violine laisse la place aux prémices d’une aube opaline. Demi réveil. Rien n’y fait. Je superpose des images d’histoires, mauvais romans, nouvelles inachevées, rêves abandonnés.

Lâcheté.

5H29, tapante. Je devais m’y attendre, mais elle me surprend, toujours. Craquement sonore d’un store défoncé par une masse énorme. Un éléphant passe dans un magasin de porcelaine. Cambriolage. Le pouls qui s’accélère. La main cherche vainement un interrupteur. Terreur d’enfant, fiat lux, la nuit est chassée par le non grésillant. Crac boum. Miaulement qui tient lieu tout à la fois de grognement, de bonjour et d’une demande. Claquement brusque d’un ordre sec. Le chat a faim. Feed me human. Grattement sur une tong abandonnée. Claquement. Elle l’a abandonnée quelque part dans le couloir, pour mieux miauler. Amène toi et nourris moi. Miaule miaule miaule. Meow qui sonne comme les sanglots des violons de l’automne. Sonnerie mortuaire pour estomac efflanqué. Course dans le couloir. Saut malhabile. Un poids sur mon lit, une chaleur contre mes jambes, et un souffle sur ma poitrine quand elle se décide à l’écraser. Allez, tu vas te lever oui. Et si j’essayais de feindre le sommeil ? Cela ne marche pas, elle miaule, plus fort, mord mon nez. J’ouvre un œil. Je ne peux plus m’en tirer. Elle tricote ma poitrine. Là j’ai mal. J’abaisse le pavillon, elle a gagné. Chef oui chef, allons te donner à manger. Je la pousse et, maugréant, part à la suite de miajesté qui marche de son pas chaloupé, reine de ses lieux.


5h31 Carrelage froid pour bien s’éveiller. Ouverture des chakras de la mauvaise humeur. Je n’ai pas retrouvé sur le chemin la tong kidnappée, où a-t-elle bien pu la poser ? Train de sénateur tandis qu’elle roule son corps, ondule près du sol, son ventre balaye les miettes de la veille.  Mécanique bien ajustée, elle ronronne comme un moteur, au quart de tour, tandis que j’attrape sa gamelle. A moitié pleine, pour moi. A moitié vide, pour elle. Le temps de la remplir d’une louche de graines, elle se frotte contre mes jambes, caresse mon mollet, joue avec mon pied, amoureuse. Je connais trop tes petits jeux madame. Mais je te sers, quand même. Je pourrais m’en retourner, mais son ronronnement m’invite à un petit plaisir. Je la gâte, la cajole, la caresse, accroupi tout contre elle. Elle nous mène tous par le bout du nez. Elles nous mènent tous par le bout du nez. Je la câline, flatte ses flancs, chatouille son dos. Ma main s'arrête au creux de son cou, caresse, pétri, masse, ça marche à tous les coups. Elle s'abandonne, ronronnante, tout contre moi. Craquement d'une croquette. Boulotte, sa miajesté se relève sans prendre gare à son esclave, et s'en va d'un pas digne mais chaloupé. 5H32, je peux retourner me coucher. A peine dans mon lit, grattement. Elle monte, se cale contre mon épaule, se roule en boule. Dans son ronflement, je m’endors.