mardi 16 février 2016

Un singe en hiver

Paris, la nuit. La valse violine du treizième. Ses rues suintant le gras de la bouffe asiatique, ses devantures jade et or de restaurants ouverts toutes la journée, ses cadavres de canards pendus et laqués le long d’une vitre embuée. Néons rouges et lanternes de papier, pour éclairer la nuit, faire croire qu’il n’y a pas de ténèbres, que c’est une nouvelle année. De singes en hiver.

Paris, la nuit. Le vent qui s’engouffre dans les rues. Mord les mains. Tranche une gorge. Arrache une écharpe. Claquement brusque d’un cerf-volant noir, aussitôt avalé par l’obscurité.

Paris, la nuit. Le froid qui pique les yeux. Une larme coule sur une joue mal rasée. Instant de tristesse et de joie partagée. Incertitude d’un double sentiment, qui n’a aucun sens. Sauf celui d’avancer, ou de s’illusionner de la plus douce des façons. Impression d’une insoutenable légèreté, tandis que les soucis qui pèsent s’envolent le long d’un fil. Tripe arrachée de son corps. Au bout, loin, très loin, son cœur. Qui n’est plus là. 

Parti. Envolé. Disparu.

Resté de l’autre côté du RER.

Déposé au creux d’un roncier de sentiments en pleins doutes. 

Epines prêtes à s’abreuver d’un sang mis à nu ; ou l’embaumer d’un parfum de félicité. Douce amertume de ce fragile instant, tristesse d’une joie désespérée, à attendre quelque chose.
Ou quelqu’un.


Paris, la nuit. L’attendre, elle. Sourire. Frissonnante sur un quai de gare. Sur un panneau lumineux, les minutes qui s’égrènent, tandis que l’envie lui prend d’arrêter le temps, tout comme l’envie de la réchauffer dans ses bras. De l’embraser. La dévorer. Baiser ses lèvres roides. Chaleur partagés d’un corps à corps nocturne. Hésitation. Education. Inhibition. Il ne cède pas, tandis qu’au loin il entend siffler le train. Son cœur bat à 500 miles à l’heure. Ne pas céder. Par manque d’audace. Par manque de courage. Par manque d’amour. Ou tout simplement parce qu’il a peur de se planter ; de ne plus savoir-faire. Une demi-blague, et puis s’en va. Sur une note des espoirs. 

lundi 8 février 2016

Enfer du métro

Le métro au petit matin. Son odeur rance, son goût rance, son toucher rance. Tout est aigre, comme une sueur alcoolisée qui colle à la peau après une soirée trop imbibée. Toujours le même spectacle de l’humanité. Affligeant. Corps à corps moite, gâté, sordide. Amour sans plaisir. Etincelle de mort, aux fonds des yeux glauques encore assoupis, pas de vie. Seulement des mires chassieuses de bovins trainés à l’abbatoir. Seigneur, offre nous notre holocauste quotidien, notre pain à burger de ce jour, notre sacrifice au Dieu argent. Ne pardonne pas la souffrance que nous infligeons ni celle que nous souffrons dans notre propre excès de faiblesses. 

Amen Mammon.

Danse macabre de mouches agglutinés en vol noir corbeaux de la couleur de leurs vestons cravates costard, noirs, ils pourraient fusionner leur noirceur contre la vitre maculée de leurs graisses qu’ils le feraient, sans hésiter.

Leur course, sans fin. Contre le temps. Contre les autres. Contre eux-mêmes. Parfois, deux atomes se rencontrent. Explosions de papiers envolés. Cris atomiques d’orfraies insultées. Big Bang d’un coup de foudre. Insultes. A peines murmurées, ou ravalées, ou crachées. Et aussitôt la presse qui reprend à toute vitesse. Absence d’amour. Pas de passion. Personne ne regarde personne. Et après, il faut oser s’aimer soi-même, plutôt qu’aller souffrir d’une aventure.


Enfermement du narcynisme. Autant se planquer derrière la senteur rance d’un nénufar illusoire, plutôt qu’ouvrir ne serait-ce qu’un œil au cœur de l’anus de Satan. Et découvrir la condition humaine…

vendredi 5 février 2016

200

Deux centième message. Combien de pages ? La même quantité, le double, ou le triple…Je ne saurais le dire. Ni même les compter, ces assemblages de 1 et de 0 biens alignés sur leurs lignes de papier numérique. Une marge de progression ? Ce n’est pas à moi de juger, même si j’en sais deux trois petites choses, ou plutôt j’ai l’impression de les connaître. Deux centième message. Le temps de faire un point ? Ou de mettre un point, final. Combien de mots effacés, déphasés, supprimés, de pages avortées et annulées d’un simple clic sur une petite fenêtre en croix ? Ecriture de l’instantanée, et puis, de dépit, quand je perds le mot juste, la quinte juste, la musique, j’écrase. Backspace d’errements d’une pensée. Contrairement à la réalité. Et ces mille et un regrets que j’aimerais effacer, de ma mémoire, de mes souvenirs, de mes sentiments. Joies, peines, échecs, des mots qui fuient, et parfois s’alignent comme des astres, un instant. Le temps d’écrire un article, et puis s’en vont. Ecrire, pour soigner ses maux. De tête, de cœur, d’âme. Qu’importe. Ecrire, pour vivre. Se mettre en papier, se raconter, en travestissant, toujours, la réalité. Oublier l’absence. Impression de vide. Facilité à mettre des mots, imposture de la posture. Ecrits vains.
Deux centième message. Un nouvel amour. Ephémère, comme tous les autres. Un autre mensonge ? Pour se donner l’envie de croire, et faire un pas, de plus, avec ce fardeau de plus en plus lourd. Faire le point, trouver une boussole, quand on ne sait plus où on en est. Retrouver un pôle, un repère. En dehors d’une chambre d’ivoire bien fermée sur le monde extérieur. Des noms en tête. Keizy, Layla, la fille aux yeux violines. Et les autres. Apprentissage, dans la douleur, de ce qu’est être humain. Pourtant, j’ai toujours cette sensation de les aimer. Malgré la fin. Ou à cause d’elle.
Deux-centième message. Rêve éveillé. Croire en la magie de l’instant. Aux petits signes du destin…Ouvrir la porte à la chance. Ou pas. Un passage piéton qui passe au vert, un corbeau qui croasse, le croisement aléatoire de deux chansons sur une playlist qui n’a rien à voir. Croire en la magie. Aux horoscopes. A toutes ces conneries qu’on se raconte. Pour ne pas être seul. Pour avoir quelque chose sur qui compter. Se reposer. Et s’effacer, dans nos échecs, nos peines, nos joies. Facile de se raccrocher à une branche, quand celle-ci n’est que de papier. Plus difficile, de dégringoler, sans savoir si en dessous il y a quelqu’un. Pour nous rattraper.
Deux centième message, encore une bouteille lancée à la Mer. Futilité. Crédulité. Ou espoir d’un lendemain enchanté.

Deux centième post. Et demain ?