C’était une de ces soirées froides du début d’hiver, quand
on attend la neige avec impatience et crainte à la fois, comme des enfants pour
ses plaisirs et avec la flemmardise de l’adulte de devoir lutter contre elle.
La bise fraîchissait dehors, rosissant les joues et
frigorifiant les corps, et donc les jeunes gens préféraient se réfugier dans
les ténèbres enfumées des bars, à siroter alcools et bières jusqu’à fort tard,
pour se donner un semblant de chaleur un court instant.
Or donc attardons nous quelques instants sur deux jeunes
hommes dans le milieu de la vingtaine. L’un, grand, très pâle, était maigre
comme un clou dans un long caban aussi sombre que sa chevelure. Son camarade,
tout aussi brun, était légèrement plus rebondi et rouge, bruni tant par le
soleil que l’alcool ingurgité.
A deux, on refait facilement le monde. Littérature, guerre,
amour. Cet ordre immuable et éternel de toutes discussion entre deux jeunes
gens épris d’une certaine liberté, féru d’histoire et prêt à tout sacrifier,
pense-t-il, pour une cause désespérée. C’est toujours facile quand on a à peine
vingt ans de se dire résistant ou révolutionnaire, quand on ne sait pas
vraiment ce qu’est la vie en dehors ce que on a lu dans les livres.
Alors, on parle de tout, avec une gravité d’anciens latins,
un ton sénatorial et péremptoire sur l’art d’écrire se retrouve dans un
discours sur la mort. Et puis on passe aux femmes, on se fait légèrement plus
léger, voire grivois, tandis qu’on compare l’une et l’autre, se demande si la
troisième prend son pied au lit ou si elle a jamais eu une expérience
quelconque. Questionnement incompréhensible sur un objet tout à fait étranger,
alien d’un autre monde que l’on côtoie pourtant tous les jours sans jamais
réellement saisir les énigmatiques mystères. Telle est la femme. Ils la
mythifient malgré leurs rodomontades d’adolescents, l’élèvent sur un piédestal inatteignable,
avant de conclure que celle qu’ils aiment le plus est l’élégante. Ils ont l’amour
de l’élégance, sans l’être forcément eux-mêmes, ces deux jeunes hommes épris de
tant de choses qui se négligent totalement.
Ils discutent de cette femme, sans même s’apercevoir qu’elle
entre alors. Elle pousse la porte du bar, apparition intemporelle emmitouflée
dans une chaude houppelande qui la protège du froid extérieur. Elle porte une
robe longue, et des bas noirs, à moins que ce ne soit des collants. Et elle
marche avec force et vigueur, séparant la foule et la fumée de cette place
enténébrée pour trouver une table.
Ils l’ont enfin reconnue, l’élégante. Elle n’est pas si
grande que ça, de taille moyenne, elle gagne quelques centimètres grâce à des
talons astucieusement placés. Cheveux hauts perchés, retenus en un complexe chignon.
Son visage n’est pas celui d’une jolie femme, qui rime pour eux avec vulgaire,
mais elle est belle. Ils ne sauraient
vraiment pas l’expliquer, cette beauté, malgré toutes leurs lectures. C’est plus
une question de coup d’œil, pour paraphraser Clausewitz. Quelque chose qui fait
qu’elle se démarque instantanément, cette élégante, de toutes les autres femmes
qu’ils n’ont jamais côtoyée. La lumière captée par ses yeux ? La finesse
de son nez légèrement arqué ? Le rouge de ses lèvres qui brille tandis qu’elle
sourit distraitement, révélant une rangée de perles parfaites ? Ou tout
simplement l’ensemble de cette frimousse à peine maquillée ? Tant d’élégance
en elle, et malgré tout, il ne saurait pas dire pourquoi elle, par cette nuit d’hiver,
froide et pluvieuse, temps d’élégance…
:-))
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