dimanche 6 juillet 2014

Rufino 5 La fin

Je m’appelle Rufino, et aujourd’hui je vais mourir. Je le sais, c’est inscrit au fond de moi, cela bat dans mes tempes, dans mon cœur. Mais avant cela, il me faut offrir mon dernier spectacle, ma dernière danse. Mourir, quand on ne l’a pas choisi, c’est difficile. Je ne l’ai pas choisi, mais au moins, j’ai pu accepter ma mort. Pour ma famille, pour mes amis, pour moi. Oui, je vais mourir, mais au moins, j’aurai goûté, une dernière fois, le plaisir de sentir le soleil sur ma peau.

Je sors de la pénombre glacée des entrailles de l’arène, déjà la chaleur revient dans mes veines, tandis que là-haut, le soleil se couche, baignant le sable d’un rouge carmin, à moins que ce ne fusse le sang dont il s’est repu depuis l’aube. J’avance, aux côtés de Lysinias. On ne se regarde même plus, on se sent. Tous deux vêtus de la même panoplie, jambières de bronze polies, tunique qui enserre nos reins, retenue par une large ceinture de cuir clouté sur le bas ventre, pour protéger des éventrations. Pas d’armure, mais un large bouclier, ovale pour lui, et rectangulaire pour moi. Nos bras d’arme sont protégés d’acier, tandis que nos mains enserrent des poignards presque aussi longs que des glaives, mais légèrement plus courbés. Nos casques ne sont pas encore fermés, le mien représente le dieu de la mer chevauchant un requin, pour lui, un chien de chasse. Nous marchons sur le sable, acclamés par une foule en délire, qui cherche encore, une dernière fois du moins, à se repaître d’un peu plus de sang. Au centre de l’arène, face à la tribune impériale. Cet empereur que je hais, le fils de celui qui j’ai acclamé sur maints champs de batailles et, plus tard, en foulant le sable de l’arène. Celui pour qui je dois mourir, pour simplement sauver les êtres qui me sont chers. Donner ma vie, comme Crixios et Octavio, oui mes frères, je ne serai pas long. Comme dans un rêve, je salue, avant de fermer le ventail d’acier, percé de cercles fins pour me laisser respirer. Je n’y vois pas grand-chose, et je sens déjà la chaleur perler le long de mon visage. Lysinias me fait face, sa voix, rauque, résonne à mes oreilles, tandis qu’il harangue la foule de grands cris, me tournant le dos. Et puis, il revient vers moi, sa voix, métallique, maintenant qu’il a fermé son casque à tête de chien, reprend, pour moi :

« Prépare-toi à mourir »


Je ne réponds rien. Pas besoin de lui faire ce plaisir. Je vais mourir, autant garder mon calme. Il bondit, cherche à me déstabiliser d’un coup de son bouclier. Mais je ne suis pas né de la dernière pluie. Je recule dans le même mouvement, et je contre-attaque. Il n’est déjà plus là, et repart immédiatement à l’assaut. Bouclier contre bouclier. Il est plus fort que moi. Je sens la poussée, je vais céder, alors je m’écarte. Emporté, il envoie une rude attaque, nouvelle esquive, et je balance un rude coup de mon propre scutum vers son bras d’arme. Bois contre acier, il tremble sous le choc. A moi de bondir et d’attaquer, vlan et vlan, deux coups de tailles, il recule, je pousse ma lame par-dessous son bouclier levé, j’atteins sa cuisse. Une fine rigole de sang tâche maintenant ses muscles bronzés. La foule hurle, en délire. Ne pas s’échauffer. Se remettre en position. Essayer de pousser l’avantage. Il se reprend, un coup de bouclier résonne comme mon bras armé, je me sens engourdi. Il poursuit par un direct sur mon visage, sonné. Je n’ai que le temps de place mon bouclier qu’il me repousse. Avant d’enchainer par un coup de pied, brutal. Je glisse sur le sable, tombe à genou. Mon genou, c’est lui qui m’a trahi, cette vieille blessure reçue pour feu l’empereur il y a si longtemps, contre les Aïélènes des Grandes Îles. Les coups pleuvent comme grêle. Je ne peux qu’interposer une faible défense, quand son glaive, vicieux, trouve la petite percée et m’arrache un lambeau de chair juste au-dessus du téton. Je hurle. De douleur. De rage. Je bondis et repart à l’attaque. Orgueil. Sang pour sang. Le combat dure, dure et dure encore, tandis que nos lames frappent à coups redoublés. Force et vitesse de la jeunesse contre expérience. Je faiblis, et lui qui ne semble même pas fatigué. Nouvel assaut. Je recule. Tous mes muscles sont en feux, comme mes poumons qui soufflent un air aussi ardent que celui des flammes du Forgeron. Un coup d’œil, là-haut, vers la tribune. Le soleil tombe, la nuit commence d’engloutir le stade, éclairé par mille flambeaux. La foule hurle des quolibets.  Je n’ai aucun espoir de m’en sortir vivant. Je regarde là-haut, dans la tribune impériale. Ce petit morveux regarde le spectacle avec délectation. Voir deux hommes sanguinolents, et ne pas arrêter le combat. Oui, il veut des morts, il veut du sang. Alors, je vais lui en donner. Je n’ai plus rien à perdre. Mon épouse et ma fille ne sont plus là, partis pour une destination où elles seront sauves. Mes amis sont morts, mon domaine, je l’ai vendu pour payer le passage de celles que j’aime et donner un pécule à mes serviteurs. Je n’ai plus rien à perdre, sauf mon orgueil. Un sourire se fige sur mes lèvres, un rictus de mort. Lysinias ne le voit pas, mais il est déjà mort, lui aussi, lui qui me pousse dans mes retranchements. Mon va tout. J’ouvre grand ma garde, il plonge dedans. Il croit réellement que je suis aux abois. Loin de moi l’idée d’esquiver, non, j’ouvre même encore plus l’espace, tandis que son épée, dégoulinante de sang, de mon sang, plonge vers mes entrailles. Des coups de glaives, de piques et de haches, j’en ai connu d’autres. Mais on n’est jamais prêt à la sensation, froide, de l’acier qui percre nos chair, brise les os, s’enfonce dans nos entrailles. Glace, terrible glace, qui se transforme soudain en flamme. Mais j’ai encore quelques secondes, avant la douleur. De toute manière, mon corps est déjà perclus par la souffrance de dizaines de coupures. Je souris, tandis que le sang remonte vers mes lèvres et que je crache un flot carmin. J’ai bloqué le bras d’épée de Lysinias avec mon bouclier, qui comprend son erreur, tandis que j’arme mon glaive vengeur. Je pousse à fond, je trouve sa gorge, et lui dessine un second sourire, dans une explosion rouge qui salit son gorgerin de bronze. La vie s’enfuit à la vitesse de sa respiration par la plaie béante, qui crache un bouillon sanguinolent, tout comme moi je perds mon sang par la blessure où l’épée de mon adversaire est toujours. Liquide vital pour liquide vital. Il s’effondre, le premier, doucement, quand je retire mon épée. Il hoquète, il cherche une dernière respiration, mais c’est fini pour lui. L’arène est plongée sous les vivats. Le sang a coulé. Le peuple se repait. Moi, dans mes chairs, je sens maintenant la douleur. Je grince des dents, rougies par le sang. Encore un instant, quelques secondes. Lever mon épée. Regarder les derniers rayons du soleil, sentir la chaleur sur ma peau déjà glacée par le toucher de Pluton. Le soleil, la vie. Adieu mes amours. Mes forces m’abandonnent, je me sens tomber, sur le corps de Lysinias. Un voile noir devant les yeux. Je m’effondre. Déjà, une lumière blanche. Un long tunnel devant moi. Comme pour rentrer dans les soubassements de l’arène. Les silhouettes d’Octavio, Crixus me font des signes. Un troisième homme. Est-ce Lysinias ? Je m’effondre sur le chemin. J’avance vers eux. Je suis là, mes frères. Encore un pas, un deuxième pas. Et puis…Et puis…Et puis…

jeudi 3 juillet 2014

Surprise Surprise

Le sourire sur le visage d’Obéron se fit mi-figue mi-raisin, cruel ou amusé, c’était à Kazhenn de choisir. On aurait dit un chat se pourléchant les babines tandis qu’il joue avec une souris, comme si la proposition de sa jeune compagne l’amenait à soupeser le pour et le contre de se montrer un être méchant et rapace, ou au contraire complètement magnanime. Pourtant il lui répondit, sur le même ton qu’il utilisait depuis le début, tout en velours :

« Voyons milady, pensez-vous réellement que je sois quelqu’un de cruel ? Je tancerai surement les gens qui devaient garder ce petit maroquin oui. Mais leur faire un sort funeste…Non ce n’est pas mon genre. Et puis, ça a pu prouver vos petits…Talents »

Il avait penché son visage, noble et hautain, sur le côté, comme si en parlant de punition elle avait réussi à le choquer. Pourtant…Pourtant il ne pouvait pas se dépareiller de son petit sourire, comme s’il se réservait réellement le droit de réserver un sort funeste à ses sbires. Tel était Obéron, qui pouvait passer d’un extrême à l’autre, sans coups de canons ni même tocsin, comme si cela allait de soi de passer d’une colère froide et raisonnée à de grandes démonstrations d’amitiés et de chaleurs. Homme d’un pouvoir ténébreux, il aimait à jouer devant son public, représentation toujours gratuite, mais qui pouvait toujours virer du drame à la comédie, selon le bon plaisir de cet homme entre deux âges.

Arrivant devant de la porte cochère, ouverte éclairée par une torche qui brûlait une partie de la nuit pour éclairer les gens qui entraient et ressortaient de ce petit palais parisien, à vrai dire plus un hôtel particulier aménagés maintes et maintes fois depuis les guerres de religion, où le corps principal était en fait une ancienne église où des protestants se réunissaient en secrets, la jeune fille et son compagnon purent entendre un sifflement. Obéron sourit, et commenta doucement, dans un murmure :

« Je crois que vos petits tours ont alerté la maisonnée. Allons-y, ne montrez rien je vous prie. Je ne suis pas censé être au courant is not it ? »

De la grande porte du palais bondit un jeune galopin, habillé en ouvrier, godillots cloutés, pantalon de grosse serge, chemise de lin écrue et béret posé de travers à dessein, qui se reposait nonchalamment mais son saut rapide montrait qu’il attendait le maître des lieux depuis un moment. La cour était vide, mais on pouvait voir à travers les grandes fenêtres creusées sous Louis XIV à l’imitation de Versailles des ombres chinoises qui ne jouaient pas aux petits jeux habituels de la maisonnée. Le rez-de-chaussée était en effet le lieu de résidence des gredins d’Obéron, professionnels de la cambriole et autres receleurs mais surtout d’artistes plus ou moins bohèmes, Anglais pour la plupart, qui venaient dans la France encore ensommeillée connaître l’exotique romantisme d’un pays encore profondément rural, bien loin des brumes et du fog de l’East End ou de Manchester.  Cette jeune génération, qui inventaient à vraie dire un nouvel art grâce aux peintures en gouaches et autres petits chevalets, étaient les protégés du vendeur d’art, qui envoyaient leurs œuvres un peu partout dans le monde, du moins, c’était sa fonction officielle pour les autorités Françaises.

Le gamin arriva et passa deux doigts à l’angle de son chapeau pour saluer, mais il dévisageait, curieux, la jeune demoiselle qui accompagnait Obéron. Il dit avec son accent de titi :

« S’lut patron ! C’va bien ? Si j’puis me permet’, c’qui la gaupe ? »

« My dear boy, sois un peu sage et dit bonjour convenablement d’abord. Kazhenn, je vous présente ce maudit galopin, il s’appelle Robin, Robin Boncompère. Mon petit protégé. Et le grand et gros monsieur distingué qui sort derrière lui s’appelle Huon. Mon chauffeur »

En effet, un homme entre trente et quarante ans, grand et bien charpenté, tout en muscle, arrivait. Il portait un chapeau melon et un complet veston qui semblait prêt de craquer, ainsi que des gants bien blancs. Pourtant, pour un chauffeur, on aurait plutôt dit un homme de main, ne serait-ce qu’à cause de la balafre qui défigurait ce visage buriné et dont les os semblaient avoir plusieurs fois éclaté sous les coups d’un boxeur.

« Mademoiselle » dit-il dans un accent tout aussi parisien, mais plus châtié, avant de reprendre « Sir…On a un petit problème. Je veux dire »

Obéron leva une main pour tranquilliser le chauffeur et dit en riant:

« Allons en parler au salon bleu jeunes gens. Nous n’allons pas parler business ici non ? Et oui la demoiselle vient avec nous. »


Tenant toujours le bras de la jeune fille, il laissa là le gamin et le chauffeur, bouche bée. C’était la première fois que leur patron ramenait une fille ici, en dehors d’une ou deux poules de luxe, et qu’il proposait d’aller au salon bleu. Le quartier général des affaires malhonnêtes d’Obéron.