mercredi 29 janvier 2014

Rufino 3 "la voie du sang"

Les sous-sols de l’arène. Un monde à part. Un monde que personne n’a envie de connaître, pas même notre public si friand de notre sang qui tombe goutte à goutte sur le sable, qui l’absorbe doucement le soir venu, repus par des heures de combats. Aux dernières lueurs du jour, quand les meilleurs gladiateurs entrent dans l’arène, le peuple s’est déjà pourléché de l’odeur du sang, maintenant, ils veulent se gaver du vrai combat, de celui des dieux du stade. Mais qui voudrait descendre dans l’enfer des souterrains, là où la sciure et le sable mêlée au sang coule parfois, entre deux lattes fendues ? Qui voudrait venir sentir l’odeur des fauves mélangées à celle des viscères qui se répandent dans un gargouillis. Odeur de sang, odeur de merde, odeur de mort. Un avant-goût de notre petit enfer personnel. Pourtant, en entrant dans les souterrains, en m’asseyant sur le banc de pierre froide, éclairé par quelques chiches lumières de torches résineuses et de lampes à huiles qui noircissent les plafonds tout en empuantissant un air déjà vicié, je me sens chez moi.

Je me revois, tout jeune mirmillon. Je venais de passer cinq années dans la Légion. Cinq années à verser mon sang sur la frontière, au-delà des barrières montagneuses. Cinq années de combats dans la nuit, d’escarmouches rapides et brutales. Jamais une grande bataille comme mon père me les avait contées, quand j’étais qu’un gosse. Etrange ce qu’un gamin peut gober. Pour avoir connu la guerre, il n’y a pas de héros, sauf les morts, qui nous suivent et attendent patiemment que ce soit notre tour. C’est sûrement avec eux que mon paternel discutait, les yeux grands ouverts, dans la nuit noire, éclairé d’une seule lampe, accoudé à la table familiale, un cruchon de vin à la main. Je l’avais surpris une nuit, et je n’ai compris que bien plus tard que tout ce qu’il me racontait n’était que du vent, paroles en l’air pour essayer de chercher un réconfort dans mes yeux ébahis.

La réalité est plus crue. Ce sont les mêmes odeurs que dans l’arène, au grand air. Les cris des amis qui pleurent leur mère, perdus dans l’humeur humide du fleuve et du guet pour lequel on s’est battu. Je me souviens d’un tout jeune gamin, enfin, il n’avait que quelques années de moins que moi, mais j’étais un vétéran. Il avait l’air calme, les yeux grands ouverts regardant le ciel brumeux de Galatia. Couché dans les joncs, on aurait pu croire qu’il piquait un somme, si ce n’étais la large tâche noire qui s’égouttait lentement de sa gorge béante, mêlant son fluide vital au grand fleuve qui protégeait des barbares Tarsalia. Je me souviens des hennissements des chevaux, terribles plaintes encore plus déchirantes que celle de nos amis, que l’on achevait d’un coup de dague. Non, la guerre est la pire mocheté que l’homme n’ait jamais inventé, et pourtant…Pourtant nous nous complaisons à la faire, à répandre le sang, à briser les os et ôter l’étincelle de vie qui disparaît dans le dernier souffle de notre ennemi. Je n’ai pas à rougir de mes exploits, de simple soldat, j’étais devenu décurion avant de quitter la légion, dans un parcours qui puait la mort. J’avais tué tout comme j’avais versé mon sang, et j’aimais cette violence. C’est sûrement pour ça que je suis entré dans l’arène. Légionnaire aguerri, il ne fallait plus qu’un bon laniste pour me dégrossir et donner un sens à mes combats. Le spectacle, l’appel de la foule. L’argent coulait à flot pour ceux qui vont mourir. La seule façon de racheter les dettes de mon père, ce vieil ivrogne mort dans ses vomissures quand je me battais, là-bas, par-delà les Monts d’Argent.

J’avais réussi à quitter les arènes, invaincu. Mon surnom, le légionnaire, courait sur toutes les bouches. Et puis j’avais croisé le regard de Tyssania. C’était une esclave galate, une simple fille de taverne que les membres du ludus côtoyaient, mais elle m’avait volé mon cœur. Désormais, je savais que quelqu’un tremblait pour moi quand je combattais, et cela faussait mes sens, amenant une crainte que je savais dominer. Il était temps de prendre ma retraite. A cet époque, je n’avais jamais imaginé revenir, j’avais rompu avec mon passé. C’est ce que je croyais. La vie est une catin, mais je n’avais pas à m’en plaindre, jusqu’à quelques jours. Et maintenant, j’avais le choix de ma propre mort. J’aurais pu dire que c’était injuste, j’aurais pu vouloir en finir, maintenant. Saisir mon rasoir et m’ouvrir les veines d’un trait. Mais non. Quelque chose me retenait. L’espoir ? Ou l’envie de donner un dernier spectacle, de livrer une dernière danse de mort, et prouver que j’étais le meilleur, malgré Succulus, malgré l’imperator, malgré les Dieux ? Je n’en ai pas la moindre idée. Pourtant, en entrant dans l’arène, un énorme poids m’avait été enlevé. J’avais envoyé Tyssania et Alba, grâce à un ami marchand et sous la surveillance de Psamuthis à Tarsalia. J’avais investi dans plusieurs affaires, elle ne manquerait de rien, même si je devais mourir. Tyssania avait essayé de regimber, et la petite n’avait pas bien compris, mais le gypto m’avait bien aidé grâce à quelques herbes pour endormir ma compagne et raconté une belle histoire à Alba. A l’heure qu’il était, les deux femmes de ma vie étaient sur une robuste nef. Je pouvais donc me consacrer à ma mort.

J’étais assis contre le mur. J’entendais les hurlements de la foule. La chasse avait eue lieue après les combats des jeunes. Le sang avait été répandu. Devant moi, un archer, à peine vingt ans, avait été trainé. Un ours s’était acharné à griffer son torse avant d’enfoncer une gueule béante dans les entrailles du chasseur. D’autres gamins étaient passés, certains clopinclopant, portés par leurs camarades, d’autre sur une civière. Ces derniers certains respiraient encore, et auraient une petite chance de survivre s’ils passaient la nuit, les Arènes ayant les meilleurs médicastres d’Aeterna. Les autres, le voile qu’on avait posé sur leur visage cachait un regard vitreux, et bientôt on traînerait leur corps dans la ménagerie pour nourrir les fauves qui avaient bien combattu.

Les yeux mi-clos, j’écoutais la rumeur sourde des spectateurs dans la fraîcheur caverneuse des sous-sols. Bientôt, ça serait l’heure des combats des professionnels, des hommes d’expériences qui avaient plus de dix combats. Une foule de petites gens passaient, des dompteurs traînaient un lion au visage maculé de sang, des lanistas venaient donner quelques douceurs à leurs jeunes poulains. Même des femmes, parfois nobles, se glissaient pour recueillir la sueur de ceux qui avaient combattus, ou s’offrir à eux dans des orgies frisant l’indécence en faisant participer leurs petites esclaves négrillonnes venues tout droit d’Ifrikia. La force des traditions d’Aeterna. On disait même que l’Imperator et sa femme faisaient venir les meilleurs, les plus robustes, pour des combats privés dans l’enceinte du palais, au milieu des orgies de nourriture, de boissons et de sexe de la cour impériale…Douce déliquescence d’un pouvoir perverti. Cela ne choquait nullement, tant que le peuple avait ses pains et ses jeux.

Une grande ombre me surplomba dans la lumière chiche de la rampe d’accès à l’arène. J’ouvris mes yeux, coupés dans ma transe légère d’avant combat. Un grand visage négroïde, tout en méplat, me souriait. Octavio l’Ifrikien. Un bon ami qui travaillait pour Alkaïos. Il me tendit un bras puissant que je saisis, tout comme lui le mien, à la mode des guerriers, la seule différence c’est que ses muscles de bûcherons faillirent me casser mon poignet. Derrière lui venait Crixus le Galate. Lui ne souriait pas, mais je ne l’avais jamais vu sourire en fait. Sa moustache était toujours bien peigné, tout comme ses cheveux relevé en brosse avec un immonde gel à base de savon de soude, de beurre rance et de sang séché qu’il abusait avec conviction, tout en dégageant une odeur rendue encore plus méphitique avec les huiles dont tous les gladiateurs oignaient leurs corps puissants. Ils sentaient la sueur, le cuir et l’acier. Comme moi. Et comme moi, ils avaient vieilli. Si le crâne rasé d’Octavio n’avait pas changé, son corps autrefois tout en muscle semblait un peu empâté. Crixus était toujours aussi maigre, mais ses cheveux et sa moustache parfaitement taillés étaient striés de poils d’argents que je ne lui avais pas connus sept années auparavant.
Octavio était vêtu en mirmillon, comme moi, au vu de sa manière d’être bâti. Crixus, un peu plus petit que moi, préférait l’agilité du rétiaire. Deux hommes très différents. Deux maîtres d’armes. Deux vieux amis, qui auraient dû aussi prendre leurs retraites.

« Alors gamin, tu es revenu toi aussi ? »

« Bah, j’allais pas laisser des ancêtres comme vous se battre et me ravir ma gloire » mon air était un peu pincé en disant cela. Crixus devait l’avoir vu, mais Octavio s’en moquait, il était fait pour une vie de combat, et mourir sur le sable était pour lui une récompense.

« Tu te bats contre Lysinias ? Une bête teigneuse. Et rapide en plus. Gare à toi Rufino. On est plus tous jeune » Crixus, en disant cela, trahissait son émotion, mais aussi le fait qu’il avait vieilli, et qu’il n’avait pas envie d’être ici.
« Bah, il n’en fera qu’une bouchée, et nous de même avec les autres gamins. Une belle bataille avant que les deux champions n’entrent dans l’arène. On va leur ouvrir l’appétit gamin. Pour toi ! »

Une grimace traversa mon visage. Crixus rit, d’un rire sobre et carnassier.

« Vieille baderne, bas-toi pour Rufino, mais moi c’est pour moi que je le fais, et enfin sortir d’ici, avec une belle bourse dans la poche. »

« Que tu dépenseras en putains avec moi, je me suis toujours demandé combien de temps tu pouvais tenir la cadence grincheux » Octavio riait à gorge déployé, tout en donnant une tape de son épée sur l’épaule protégée du Galate.


J’allais dire quelque chose, essayer d’entrer dans la conversation, quand les trompes sonnèrent. Alkaios venait de passer. Il me jeta un regard peiné, avant de grommeler quelque chose qui se perdit dans le tumulte des guerriers qui arrivaient. Un dernier sourire d’Octavio, une bourrade de Crixus, et mes deux amis montèrent la rampe vers le soleil…

mardi 28 janvier 2014

Rufino 2, "Tu as toujours le choix"

La journée d’été était déjà bien avancée. Sur mon cheval, en haut du coteau, Je regardais mes terres, le prix de son sang et celui de cent hommes. J’avais parcouru un si long chemin, des légions jusqu’à ce jour, en passant par cinq années de durs combats dans l’arène pour recréer la richesse de mon patrimoine, dilapidé pièces par pièces par mon ivrogne de père. Je ne lui en voulais pas, chaque homme avait ses démons, les siens étaient le jeu et l’alcool. En échange, j’avais appris à vivre ma peine, l’arme au poing, être un guerrier là où les autres se contentaient d’être des moutons. Toujours se battre pour vivre, mais aussi vivre pour se battre. J’avais cette part de violence en moi, c’était mon héritage, et je n’avais pas à en rougir. Jamais, il ne faut jamais rougir du sang que nos ancêtres nous ont offert, ce sang, riche et fort, qui coule dans nos veines, et que l’on perpétue au travers de nos enfants. J’étais Aeternien, et pour l’honneur de la Ville, pour ma famille et pour moi-même, j’étais prêt encore à sacrifier des litres de ce liquide carmin.

Psamuthis, le maître-chais, me tira de ma rêverie. Maigre et ascétique, le crâne soigneusement rasé où seule une houppette de crin blanchi indiquait qu’il avait eu autrefois des cheveux, le gypto s’avança, un demi-sourire aux lèvres qui faisait relever ses hautes pommettes.

« Une année parfaite messire, si il ne pleut pas trop dans le mois prochain, le vin sera d’une excellente qualité. Un grand cru ! »

« Grâce à toi Psamuthis, grâce à toi, et au travail que tu as fourni. »

Le compliment n’était pas vain, le petit homme venu de l’autre côté de la Grande Bleue avait un talent rare pour croiser les ceps et obtenir un breuvage exquis, sans compter ses connaissances des herbes qui améliorait la qualité de vinification et la durée avant que la boisson liquoreuse ne tourne aigre. En guise de remerciement, son sourire s’agrandit un peu  plus. Je ne savais de Psamuthis seulement ce que ce dernier avait bien voulu me dire. Il se disait issu de la caste des alchimistes d’un des temples des mille dieux de ce territoire si lointain. Il avait appris là-bas l’art du brassage et celui de faire exhaler au raisin des odeurs divines, mais tout cela ne l’empêchait pas de garder un certain mystère sur la raison de son arrivée en Aeterna. D’un autre côté, il travaillait bien, avec efficacité et sans jamais m’avoir trahi. Je ne lui demandais rien d’autres, et il me le rendait bien. Le gypto allait ajouter quelque chose, quand on entendit un âne braire à toute force. Timon grimpait le coteau à grand renfort d’insultes de son petit ânon, seule monture qu’il n’avait jamais voulu monter. Il était rouge et transpirait fort tout en ahanant comme un soufflet de forge.

« Patron…Patron…Le jeune Carsinus vient d’arriver en courant…Des hommes d’armes viennent pour vous, sur la grande route… »

Il avait dévalé des flancs de sa monture en hurlant. Il n’avait rien d’autre à dire, et Psamuthis essayait de le calmer. Moi, je me retournais vers la route. La petite colline, sommet de mon domaine,  donnait une vue parfaite sur elle. Et effectivement, à un pas de sénateur, un nuage de poussière avançait. Au soleil de midi, on voyait des armures et des piques jeter des reflets d’argent dans l’air limpide, tandis que les hommes qui les portaient escortaient un palanquin qui brillait lui aussi de mille feux.

« Carisnus a-t-il dit quelque chose d’autre ? »

« Non maître. En dehors que ces hommes portent la pourpre, et qu’ils sont dirigés par un guerrier qui a une blessure au front. » Timon grattait son moignon en se concentrant « Et que l’homme dans le palanquin est un obèse ».

Je pâlis. La pourpre, un seul corps des légions la portait, la garde impériale. La description sommaire des deux chefs me disait qui étaient mes visiteurs. Alkaios le laniste, et, bien plus dangereux, Succulus. L’âme damnée de l’Imperator.

***

Quand j’entrais dans ma demeure, les impériaux étaient déjà là. Ils me toisaient dans leurs armures de fer poli pour éclairer comme l’argent céleste, leur chef, un jeune noble goguenard juché sur un cheval. Leurs lourdes capes n’étaient pas adaptées à la saison, mais ils se tenaient bien droits autour du palanquin. Ce dernier avait été porté par un groupe d’esclaves qui se reposaient maintenant à l’ombre. Tous noirs, nus, les cheveux retenus en une complexe coiffure de tresses perlées. Leurs corps huilés resplendissaient dans l’ombre, à moins que ce ne soit la fatigue de la route et la sueur. Ils s’échangeaient des outres d’eaux, leurs regards perdus, brisés, baissés sur la terre.

Tyssania est debout dans la grande salle, resplendissante dans une robe verte, mais ses yeux jettent des regards noirs à Alkaios. Elle tient dans ses bras la petite Alba, qu’elle serre contre elle très fort. Succulus lui est assis, me tournant le dos, et dévore un plat d’olive, ses doigts gras et boudinés luisant de l’huile dans lequel baignent les fruits. Il a déjà avalé un demi-pain rond avec des sardines en saumure, que nous ne mangions qu’au cours d’un repas avec la famille élargie. Et l’obèse, pour faire passer sa bâfrerie, avalait à grande gorgée un cruchon de vin qui, à l’odeur, n’était pas coupé d’eau.

Psamuthis et Timon me suivaient de près. Je jetais un coup d’œil à Alba, lui souriant, avant de calmer sa mère d’un geste. Alkaios me jeta un regard étrange, à l’évidence, il n’avait pas envie d’être là. Il bougea imperceptiblement, mais cela suffit à Succulus pour comprendre que j’étais arrivé.

« Légionnaire Rufino, entre donc, et viens partager mon festin » son ton était gouailleur, et sa voix de fausset tranchait avec le gras de ce corps. Je passe de l’autre côté de la table et m’assied, invité dans ma propre maison. Le regard du maître des plaisirs de l’empereur semble rieur, mais une méchanceté brille aussi, cupide, au fond de ses prunelles noires de jais.

Ses yeux sont entourés de khôl, ses sourcils ayant été rasés. Ses joues glabres pendent comme celle d’un morse de l’île de la Puissante. Il est vêtu d’une toge luxueuse en soie couverte de restes de repas. Et pourtant, la puissance émane de celui qui a l’oreille de l’imperator. A son cou, le pendentif de sa charge, babiole en bronze qui tranche avec les anneaux d’ors et de pierres précieuses qui encerclent ses doigts boudinés. Il interrompt ma contemplation.

« Tu n’as pas faim légionnaire ? Cela en fera plus pour moi » il sourit, dévoilant des dents de carnassiers.

« Que me voulez-vous prince des plaisirs ? » ma voix est peu amène, je sais que je devrais être calme et posé, mais que les deux maîtres de l’arène viennent jusqu’ici et s’invitent chez moi ne me dit rien qui vaille.

« Tu vas droit au but. C’est bien. Alkaios, explique lui je te prie »

Tandis que l’obèse continue son repas, je me tourne vers le laniste, le maître d’arme, celui à qui j’ai offert cinq années de ma vie. Il est toujours engoncé dans une simple tunique écrue, une lourde ceinture à ses hanches où une lame qui est tout sauf d’apparat et une bourse replète y sont attachées. Il n’a pas son fouet, pour une fois. Il me regarde, cherchant ses mots, tout en frottant ses mains, signe d’anxiété chez lui. Il a vieilli, même s’il semble encore en pleine forme, je ne peux que voir un petit ventre qui commence d’être rebondit, ses yeux sont pochés par des cernes violines, et ses cheveux sont maintenant plus sel que poivre. Il se lance soudain.

« L’imperator veut que nous organisions des grands jeux. Tu sais que l’on commémore bientôt sa première année de règne ? »

Il marque une pause, qui n’a pas entendu parler de la grande fête de l’empereur d’Aeterna, qui scellera aussi son triomphe sur l’île des Saeculis et sa victoire au siège de Lixcius ? Il semblait hésiter à reprendre, cherchant le regard de Succulus qui continuait son repas en s’attaquant maintenant au meilleur fromage de ma cave.

« Et alors ? »

« Alors…On a jugé bon d’organiser un grand combat. Les meilleurs gladiateurs d’Aeterna et de la Grande Bleue réunis. Tu imagines ? »

« Oui très bien, mais qu’est-ce que je viens faire là-dedans ? »

Je me doutais de la réponse, et Alkaïos ne fit que confirmer ce que j’attendais.

« Tu es le meilleur. Tu as été invaincu, cent victoires. »

« Et j’ai pris ma retraite » grondais-je, Succulus arrêta un instant de manger, son sourire pervers se fit plus grand encore, révélant presque toutes ses dents qu’il n’avait pas en excellent état à vrai dire.

« Cent victoire…Et tu as un rude concurrent, le jeune Lysinias » commenta le capitaine de la garde qui venait d'entrer dans la pièce, épongeant ses cheveux blonds d'un tissu crasseux, son casque sous le bras. 

Je connaissais de vue ce gamin, plus rapide, plus fort. Il avait presque quinze années de moins que moi, et se battait foutrement bien. D’ailleurs, il devait être proche de mon record.

« Et alors. Je ne me bats plus, même pour une exhibition, n’ai-je pas été assez clair ? »

Ma mauvaise humeur se ressentait, Tyssania fusillait du regard Alkaios, mais je voyais Alba qui prenait peur, tandis que je me relevais et frappais du poing la table. Il me fallait me calmer, car dehors, par l’embrasure de la porte, je voyais les gardes prêt à bondir, le jeune capitaine s’appuyant maintenant contre la chambranle nonchalamment, tandis que sa senestre caressait la poignée de son gladius.

AlkaIos ne savait quoi dire, et cherchait ses mots en bafouillant. Succulus était en train de se pourlécher les doigts, et finalement, c’est lui qui répondit.

« Oui tu as été très clair. Tu as gagné ton épée de bois sous le père de notre Imperator. Et tu comprends que ces jeux sont très importants pour lui. Une manière de passer le pouvoir somme toute »

Oui je comprenais. On avait murmuré, il y a un an, que l’imperator Aemilius avait été assassiné par Clemens et Succulus un soir de beuverie. J’étais déjà loin d’Aeterna, ayant pris ma retraite six années en arrière, et je me souciais peu des querelles de pouvoir. Mais je voyais bien le piège se refermer. Lysinias avait tout gagné grâce à Clemens, moi grâce à Aemilius, qui m’avait libéré de mon contrat, et qui avait été mon général dans la Légion. Et maintenant…Maintenant je devenais le symbole de l’ancien temps, et je devais mourir pour qu’une nouvelle ère commence.

« Ai-je le choix ? » c’était ma dernière carte. Un regard à AlkaIos me fit comprendre que non. Mais c’est Succulus qui répondit.

« Le choix ? Tu as toujours le choix Rufino. Tu l’as toujours eu soldat. Tu as le choix entre venir dans l’arène et gagner ton combat. Tu as le choix d’entrer, de fouler le sable, et te laisser tuer par meilleur que toi. Tu peux aussi essayer de partir, mais la clémence proverbiale de notre empereur ne saurait gâcher ses plaisirs. Et il serait très…Très peiné qu’un bon citoyen comme toi refuse l’honneur qui lui ait fait de combattre sous les yeux de son empereur adoré. A moins que tu ne sois pas patriote ? Je serais toi mon grand, je ne le crierai pas sur tous les toits. Le jeune Varo que voici. » Il désignait le capitaine mince et blond qui souriait à l’intention de ma femme, verrat goujat appréciant une proie « pourrait très mal le prendre lui aussi. Imagine ce qu’un garde du corps de l’Empereur, un homme proche de lui, un futur général, pourrait faire à un traître… » Et plus bas, rien que pour moi, dans un signe de confidence, il s'approchait par dessus la table, je pouvais sentir son haleine fétide mélangée au vin et à l'oignon qu'il venait d'avaler sur le pain avec le fromage « et à ta famille ? Tu penses à tes deux charmantes femmes ? A tes esclaves et tes serviteurs ? Imagine un peu la douleur pour ta fille d’être crucifié sous une dizaine de nègres bâtis comme des armoires, avant qu’ils ne l’empalent sur cette table. Imagine ta femme sous les assauts de vingt soudards, la torture lente de son corps. Peut-être qu’ils l’emmèneront avec eux, pour prolonger les plaisirs, ou qu’ils lui arracheront les yeux et l’empêcheront de passer de l’autre côté du Fleuve…Qui sait ce qu’ils peuvent faire, d’un simple claquement de doigts »


Succulus murmurait presque en faisant le geste, mais j’étais certain que Tyssania avait entendu, car elle a serré plus fort Alba. Je pouvais mourir maintenant, mais cela damnerait ma femme et ma fille, dans ce monde et celui d’après. Pire, c’était aussi mes serviteurs qui en pâtiraient, des gens qui avaient confiance en moi, le pater familias, le patron. Moi, Rufino, je savais que j’allais mourir, mais au moins, j’avais le choix de ma mort…

dimanche 26 janvier 2014

Première rencontre

« Grand-père est mort c’est cela ? »

La jeune fille qui vient de prononcer ces mots ne semble pas choquée outre mesure, elle l’a dit d’une voix ferme, bien qu’un peu distante, tout comme ses grands yeux bleus perdus dans le vague. Elle est habillée d’un uniforme d’écolière strict, jupe longue et plissée bleue roi, chemisier blanc. Elle se tient droite dans son fauteuil, tandis que sa main, petit doigt levé, fait tourner une cuillère calmement dans une tasse de thé que Kanzaki a refusé.

Cette dernière pensait que la jeune fille avait du cran. Depuis qu’elle était arrivée au pensionnat, la corpo avait glissé dans un monde étranger, celui des gosses de riches aux manières bien policées. Gazon taillé coupé ras, arbustes taillés avec grâce, et le gravier disposé harmonieusement devant le grand perron annonçait la couleur, surtout avec cette grande bâtisse, presque un palais, de stuc et de marbre. Mais il ne fallait pas s’y méprendre, même si l’on pouvait avoir l’impression d’être revenu au XIXème, Kanzaki avait pu remarquer dans les déambulations que son hôtesse, une femme en tailleur stricte noir qui s’était présentée comme la sous directrice de l’Institut Bancraft, lui avait faites faire au travers de la maison tous les indices d’une sécurité optimales. Guérite de gardes à l’entrée, cyberchiens en vadrouille, bien que les molosses de métal avaient gagnés quelques mètres de synthépeau pour faire plus vrai. Les gardiens eux même étaient du genre costard cravate noire et lunettes fumées. En professionnelle, elle avait pu apprécier leur prévenance courtoise bien que stricte dans les protocoles de sécurité. Dans les longs couloirs où ses chaussures s’enfonçaient dans des tapis richement ornés qui offraient un aspect feutré et calme, sans compter les boiseries et les tapisseries luxueuses, Kanzaki avait pu voir aussi des caméras, discrètes, et elle aurait parié que les fenêtres à croisillons étaient en verre blindé.

La sous directrice avait conduit la jeune femme dans un salon victorien des plus classiques, ou l’attendait une toute jeune fille, même dix-huit ans. La même qui venait de parler, après avoir servi un thé que Kanzaki avait poliment déclinée. Sobre et efficace, telle était sa devise, elle n’avait pas à frayer avec ses employeurs. Toutefois, elle allait de surprises en surprise, il était de notoriété publique Monsieur Cartledger n’avait pas d’héritier, sa bru et son fils étant décédé dans un « accident ». La corpo ne pouvait que conjecturer sur les probabilités. Les miracles de la génétique auraient pu permettre l’éclosion d’un bébé éprouvette qu’elle avait maintenant devant les yeux. Mais il fallait qu’elle vérifie les dates pour étayer ses suppositions, étant donné qu’elle ne pouvait rien demander. La jeune fille continuait de touiller son thé, sans même sembler attendre une réponse. Kanzaki répondit quand même :

« Monsieur Cartledger…Est très malade. Mais à mon départ de Néo-Tokyo, il n’était pas encore… »
« Mort ? Dites-le, vous ne me choquerez pas » elle passa une main dans ses cheveux auburn, révélant un petit arc de métal, demi-cercle parfait sur son front. Elle était déjà câblée, une console dans son crâne. Pas étonnant qu’elle semble si éloignée, elle avait même dû calculer les pensées probables de Kanzaki. Un demi-sourire sur son visage un peu rond, même ça elle s’en doutait.

« Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave. Grand-père ne vous aurez pas envoyé si ce n’était pas la fin. » Une pause « Quand partons nous ? »

« Je…Heu »

« Ne vous inquiétez pas. Les formulaires administratifs ne poseront pas de problèmes. Les joies d’appartenir à une certaine élite » la gamine disait cela dans un sourire, presque complice avec son employée, elle semblait bien loin de ce monde, malgré son costume sage. Sa voix était chaleureuse, même si en même temps ses pensées semblaient si lointaines.

« Quant à mes bagages, ils sont déjà prêts. Il me semble que les mesures qui s’imposent sont d’aller vites Mademoiselle Kanzaki. »


La jeune femme acquiesça, ses ordres étaient de rentrer le plus vite possible. Mais comment une si jeune fille, perdue dans un patelin aussi paumé pouvait elle être aussi sûre d'elle, et avoir envie de se jeter dans une mare aux requins ? 

jeudi 23 janvier 2014

Le sang de l'arène

Je m’appelle Rufino, et aujourd’hui, je vais mourir. Je suis assis sur un banc de pierre, froid, tout aussi frais que le mur de pierre sur lequel mon dos droit repose. Des ombres passent devant mes yeux, des morts en sursis, comme moi. Je ne les vois même pas. Je sais juste qu’aujourd’hui, dans quelques secondes peut-être, je serais mort. C’est une certitude, et pourtant je n’ai pas peur. Je n’appréhende pas la Camarde, vieille amie de ma vie. Non, je l’accueillerai volontiers, elle me conduira dans un monde que j’espère meilleur, loin de la pourriture de celui où je respire, pour quelques heures, pour quelques minutes, pour quelques instants. Je vais mourir et je m’en moque, car j’ai fait tout ce que j’avais à faire dans ce monde, et j’ai déjà préparé l’après moi. J’ai tout préparé cette nuit funeste, la dernière nuit où j’ai eu un cauchemar, la nuit qui annonçait le jour de ma mort.

***

Se réveiller, moite de sueur rance, mais dedans, glacé. Ma compagne se retourne, léger grognement dans son sommeil. Elle est belle, brune, la taille toujours fine, et elle dort comme un enfant. Je me lève sans faire de bruit, pour ne pas la tirer des bras de Morphée. Mes pieds touchent le sol froid du carrelage, sans tenir compte de sa fraîcheur sur ma voute plantaire, je me déplace en silence dans la maison. De toute manière, je sais que je ne dormirai plus. Traverser le couloir, vérifier que les enfants dorment dans la chambre. La petite Alba a perdu sa couverture. La border, doucement, elle maugrée elle aussi, comme sa mère, dont elle a les cheveux. Je souris et l’embrasse. L’aube est loin encore.

Dans la cuisine, seulement une lampe à huile. Le vieux Timon doit dormir sur son moignon tranché, une cruche de vin, vide, à ses côtés. Je me sers du pain, un verre d’eau glacé à la fontaine, et je m’assois devant la table en bois, toute simple, que j’ai fabriqué de mes mains. Mes mains qui serrent maintenant le broc d’huile, qui tranchent le fromage, avant de saisir la coupe d’eau. Mes mains. Je les regarde. Des mains grandes, des mains de travailleurs, fripées par les journées à travailler mes terres. Et pourtant, dans les creux, dans les ombres, j’ai l’impression qu’elles sont recouvertes de sang. Le sang de ces rêves qui me traquent. Le sang des hommes que j’ai tué dans une autre vie. Elles tremblent, comme celle d’un vieillard ou d’un pleutre. Je me morigène. Je ne suis pas un couard, j’ai fait ce que j’avais à faire. Tel était le Destin que les Dieux m’avaient tracé. Je ne pouvais pas aller à leur encontre. Maintenant, c’était du passé. Mais ce rêve, troublant, récurrent…Étais-je certain de mes convictions ? Les songes annonçaient le futur selon ma femme, et bientôt, j’allais mourir. Les défunts m’appelaient dans les ténèbres, ils me disaient que j’étais leur frère, et que bientôt je serais à leurs côtés. Je tremblais, mais je n’avais pas peur. Je m’étais tant de fois préparer à mourir, sur le sable des dunes ou celui de l’arène, peu m’importait.

Un froissement de tunique dans mon dos, deux papillons sur mes épaules. Elle ne dit rien pendant un instant. Je sens son souffle dans mon cou, son parfum, la chaleur de son corps à peine éveillé. Elle a dû se rendre compte que je m’étais levé. Elle ne dit rien, ses doigts massent mes épaules endolories. Ces rêves doivent me miner tellement je suis tendu. Doucement, elle délasse mes muscles. Et puis, elle dit, sans raison ni but :

« Tu as rêvé encore ? »

Haussement d’épaules, je ne pourrais pas lui mentir. Elle m’avait dit un soir, en riant, nous étions plus jeunes alors, qu’elle était une sorcière. Parfois, elle m’effrayait, semblant réellement avoir le Don, ou feignant de l’avoir. Qui sait, la Double Vue n’est pas donnée à n’importe qui, et cette femme qui venait d’au-delà de la Grande Mer pouvait bien avoir des pouvoirs de magiciennes, ce n’était pas ça qui m’empêcherait de l’aimer comme au premier jour.

« Le sang ? » elle insiste, sa voix est troublée, elle s’inquiète

« Oui, et les cris des morts. Mais cela ne veut rien dire. Le jeune Porcéus est bien mort comme ça, dans son sommeil. Peut-être que je glisserai, tout bêtement, de mon cheval. Ou que le chien me mordra » j’essaye de rire, ses doigts me massent encore, mais elle ne répond pas. Je la sens tendue. Je prends une de ses mains, toute petites et fines, entre mes grosses pognes, tout en me retournant.

« Je t’ai promis que je ne retournerai plus me battre. Pourquoi irais-je verser mon sang dans l’arène ? »

Elle souffle, abdiquant. Elle n’aura pas le dernier mot ce matin. Elle a bien compris que je n'ai pas envie d'en parler, pas aujourd'hui. 

« Tes promesses…Je te rappelle que ça fait un an que tu dois me ramener cette parure de chez Criséus ! »

Elle tape ma poitrine de son petit poing fermé qu’elle a réussi à libérer de ma main, je ne peux que laisser échapper un rire doux. Je me relève, la dominant d’une tête.

« Tu es trop resplendissante pour avoir besoin de ces colifichets mon amour. Même si tu commences à te faire vieille… »

Polisson, je passe une main dans son dos pour l’attirer vers moi. Vieux jeu d’amoureux. Elle sourit.

« Vile flatteur. Tu veux que je te montre qui est vieille ? La dernière reprise tu n’étais guère en forme mon bon »

Sa main descend le long de ma poitrine nue, jouant avec les cicatrices de mon corps bruni par le soleil. Elle arrive à la ceinture.

« Quoi que…Tu me sembles en forme on dirait »

Elle susurre à mon oreille, grimpant sur la pointe des pieds.

« Je peux te le prouver dans la chambre non ? »


Pas besoin d’ajouter quelque chose, elle me guide lentement, vers des ténèbres bien plus joyeuses que ces maudits cauchemars. 

mardi 14 janvier 2014

L'héritière, chapitre 1: de noires ruminations

Néo-Romandia, an de grâce 2***

La plaine d’herbe grasse de cette fin d’hiver avait laissé place aux piémonts. Désormais, les deux voitures tout de noires vêtues roulaient sur une route sinueuse, mais rien d’inconfortable vue les options de ces véhicules sur coussin d’air.

Kanzaki tapotait l’accoudoir du siège arrière, sur un rythme de trois petit coups, puis deux, plus longs, avant de recommencer. Son patron, Monsieur Donovan, l’avait envoyée dans ce trou paumé, bien loin de Terra Prima et de ses vraies missions, celles qui exaltaient la jeune asiatique, celle où elle risquait sa vie pour le Consortium Cartledger. Une simple mission d’escorte, la routine, aller sur cette planète où l’on faisait paître la meilleure viande de toute la galaxie, mais aussi la plus chère, car reconstruite en laboratoire. Délires de scientifiques de recréer de vraies vaches. Pourtant, les prépak d’Hippoléphant étaient très bon, et facile à trouver. Décidément, elle ne comprendrait jamais le luxe de ses patrons, elle qui se contentait dans la vie de choses simples : lever à l’aube, séance d’arts martiaux, douche, journée de boulot, une pause au milieu, et le soir un bon prépak. C’était tout ce dont elle avait besoin, en plus de l’adrénaline de ses missions de protections. Agent de sécurité d’une des plus grandes mégacorpo avait un coût, celui de risquer sa peau, mais c’était bien payé.


Elle soupira en jetant un regard aussi noir que la laque de ses cheveux ou l’obsidienne de ses yeux par la vitre teintée. Maintenant, c’était des sapins accrochés à flancs de montagne, piquets bien alignés au-dessus d’un torrent artificiel. Bien mieux que les longues plaines de blé doré ou de choux (quelle horreur, des choux biologiques, qu’est-ce qu’ils devaient contenir comme maladies ?). Mais même cela ne lui donnait pas trop d’envie. Elle jeta un coup d’œil à son reflet dans la vitre. Elle ne se ressemblait pas, et cela fit poindre un sourire moqueur sur ses lèvres. D’habitude, elle portait une tenue de combat seyante, pull à col roulé noir, pantalon noir, bottines. Aujourd’hui, Donovan avait été claire, elle avait dû enfiler un inconfortable tailleur, stricte et sévère, c’était déjà ça. Le plus dur avait été de devoir se maquiller et laisser ses cheveux dénoués. Bref, de laisser transparaître le petit bout de femme qui se cachait dans cette ancienne des forces spéciale. Elle se dépréciait involontairement, car qui voyait, même dans ses mauvaises journées, cette jeune fille qui semblait avoir arrêté le temps au tout début de la vingtaine, elle avait presque trente, aurait pu être attiré par ce visage en cœur, ses dents de perles que révélait rarement un sourire éclatant et ce teint de lait presque naturel, héritage d'un savant métissage européano-asiatique. Pour le reste, si elle n’avait pas une poitrine digne des actrices des chaînes pour adultes, elle se défendait avec des formes féminines radieuses sous ces atours dignes de son sexe. 

Mais pour elle, dans cette mâtine radieuse de début de printemps, alors que les neiges des grands pics de cette planètes commençait de fondre, elle avait l'impression de à une de ses poupées en ivoire de son enfance à Néo-Tokyo, ou pire, à ses sœurs, le kimono et le fard de riz en moins.  Même pas la place pour une arme, seulement un petit pistolet de poche sans pouvoir d’arrêt dans cet infâme sac à main ridicule. Le sourire goguenard de ses hommes avait failli la faire rougir, mais une menace bien placé et ils avaient embarqué sans rechigner, deux conducteurs, la première voiture pour elle, la seconde pour deux gros bras en plus. Costumes sombres, pas de marque de corporation, même sur les lunettes écran. Discrétion et tout le tralala qui allait avec. Et donc le déplaisir de se morfondre dans ces engins anciens qui roulaient si lentement, à peine 100 à l’heure, alors qu’un Aerodyne aurait été bien plus pratique. Décidément, le client devait être bien particulier, pensait Kanzaki, tandis que le convoi remontait la vallée.

vendredi 10 janvier 2014

Angelo Oscuro

Personnage créé pour Vampire le Requiem, rapidement et avec seulement quelques bribes de souvenirs de cours d'Italien pour l'histoire. 

Angelo *** est né dans le Nord de l’Italie un peu avant le Risorgimento. Fils de patriote fervent, il vit mourir son frère au combat non pas contre les Autrichiens, mais assassiné par la police politique du Duc de Modène. Il en fallait peu pour cet étudiant brillant en histoire, spécialiste de l’antiquité romaine, pour abandonner son début de thèse et rejoindre Garibaldi.

Il participa à tous les combats, contre les Français, les Autrichiens, et tous ceux qui se dressèrent face à l’ascension inexorable de la Nation Italienne. Malheureusement, et comme beaucoup d’autres, ses idéaux républicains furent rapidement trahis par les politiques du Piémont Sardaigne, et ce jeune anarchiste rejoint alors les ombres dans une lutte pour l’avènement du moins pire des régimes.

C’est là où celui qui avait appris l’art du combat à la loyal se transforma en poseur de bombes anarchiste, mais aussi en idéologue et orateur de la Cause. Proche de ces milieux ultra nationalistes et républicains, il se jeta à corps perdu dans des actions les plus fantasques, qui ne tardèrent pas à lui attirer de nouveaux ennuis. Il connaissait en effet par cœur Florence et ses environs, et la petite bande dont il avait gravi les échelons à la force du poignet avait de nombreuses accointances et protections, mais aussi pas mal d’ennemis.
Son drame, si l’on peut dire, était d’être un garçon avenant qui faisait tourner nombre de têtes. Et il ne se privait pas d’user de ses petits talents. Un jour qu’il était parti dans la campagne Toscane pour ses affaires, il rentra tard en train, seul. La police lui tomba dessus lorsqu’il sortit à Santa Maria Novella. Hasard du calendrier, un grand coup de filet avait eu lieu dans la journée, et Angelo y avait échappé. Mais cette fois-ci, il était cuit. Ce fût l’occasion d’une fusillade en règle, tandis qu’il courait de travées en travées pour esquiver la furia des carabiniers. Il allait réussir à filer quand il sentit quelque chose de chaud dans ses tripes. Une balle venait de lui faire sauter les intestins, et il se savait foutu. Avec la rage du désespoir, Angelo se mit à courir comme un dératé, perdant un flot de sang, et se cacha dans les vieilles ruelles biscornues du quartier de Santa Maria Novella. Le soir tombait, et il savait qu’il ne verrait surement pas l’aube sauf si un nouveau coup de chance le sauvait.

Etait-ce réellement un hasard que son Sire passait par là ? Il ne le sut jamais, mais il s’est toujours demandé, lui qui se sentait épié depuis des mois, si le vénérable Mekhet ne l’avait pas observé comme un rate de laboratoire. Arcimboldo Diavolico lui proposa alors quelque chose qu’Angelo n’aurait jamais pu imaginer, même dans ses pires cauchemars. La vie éternelle, l’occasion de voir changer le monde, contre sa mort, irrémédiable.

Il faut dire que dans ces occasions-là, la chance était à saisir dans l’instant, et le courageux républicain ne pouvait que constater qu’il avait peur de la mort, rien qu’à l’odeur des sueurs froides qui engluaient ses membres. Dans sa douleur et sa folie, il acquiesca.

Il ne sut jamais non plus combien de temps il resta dans les ténèbres. Mais Quand il se réveilla, Diavolico commença son « éducation ». La chasse, bien entendu, mais aussi les habiles rouages de la politique, tant mortelle que celle de la famille. L’enfant qui avait abandonné ses études se remit à lire des ouvrages, de tous les partis. Son maître l’obligeait à étudier les journaux, mais aussi allait écouter les hommes qui parlaient dans les tavernes, tout comme les aristocrates à la sortie de l’opéra. Brillant et charmant, Angelo apprenait vite à user de tous ses tours.

Les années passèrent, il se trouva une petite tanière, non loin de l’Arno, qui lui permettait de filer en douce la nuit. Il rejoint l’Invictus, comme son sire avant lui. Ces rouages complexes lui plaisaient énormément, et il apprenait sans cesse. Vieillissant et mûrissant, l’ancien anarchiste devenait aigri en voyant ce qu’était cette république italienne pour laquelle il avait lutté, un endroit où les riches et puissants creusaient un écart de plus en plus grand avec les pauvres. Ni fraternité, ni égalité, seulement la même lutte des classes.


Angelo, cynique, n’hésite pourtant pas à se servir de ses accointances avec les milieux nationalistes pour asseoir sa place privilégiée : celle des ombres. Il ne parle guère à l’Elysium, sauf lorsque cela était nécessaire. Futé et intelligent, il cache ses pensées derrière un sourire boudeur et une grâce nonchalante, aidé par une vêture chic et sobre. Pour le reste, il garde des liens en sous mains avec les loges maçonniques et les mortels, se servant de sa fortune amassée dans des trafics divers pour vivre convenablement son Requiem.

jeudi 9 janvier 2014

L'Héritière (prologue)

La chambre d’hôpital était plongée dans la pénombre. Seule les lumières LED des appareils qui faisaient vrombir l’air ambiant donnaient quelques couleurs à la scène, signaux verts et rouges coordonnées avec les données vitales  de l’homme alité.
Il était âgé, de cet âge indéfinissable entre quatre-vingt et cent ans marqué par les rides et la décoloration de la peau. Ses cheveux blancs, longs et fins, formaient un petit toupet décrépi qui laissaient entr’apercevoir les marques d’un cerveau cybernétique, chrome sur argent.
Il avait les yeux ouverts, scrutant l’homme qui se cachait dans les ténèbres tout en écoutant le malade. Si le vieillard était emmitouflé dans une robe de chambre, l’autre ne laissait apercevoir que ses jambes croisées et gainées d’un pantalon de costume probablement hors de prix, tout comme les chaussures en cuir particulièrement soignées.
Le vieux monsieur parlait lentement, sans chercher ses mots. Il donnait ses derniers conseils. Puis, soudainement, au détour d’une phrase, il demanda :
« Le projet Pandore est-il lancé Hector ? »
L’autre attendit un instant, avant de sortir de sa poche un paquet long et fin. Il emboucha la cigarette avant de l’allumer. La lumière du zippo laissa apparaître quelques secondes un visage carré et dur. Cheveux ras en brosse, à la militaire, nez de boxer, mâchoire saillante. Un battant en costard cravate.
« Oui Monsieur. Mon meilleur agent est partie. Le voyage de Pandore devrait se faire dans les meilleures conditions. Même si j’eusse aimé y aller moi-même. »
« Hors de question Hector. » coupa le vieillard sèchement « J’ai besoin de vous ici, pour surveiller les agissements de nos ennemis. Vous êtes mon expert en sécurité, je ne peux pas me permettre de vous détourner de votre tâche. » Il marqua une pause, puis plus doucement « Même si je sais combien cela vous tient à cœur. Vous vous rattraperez autrement mon vieil ami. Ce n’est pas parce que le grand-père va disparaître que la petite fille n’aura pas besoin d’amis sûr. Et personne n’est plus sûr ici que vous Hector Donovan. N’oubliez jamais ceci»
Donovan poussa un long soupir, avant de reprendre.
« Il sera fait selon votre volonté Anthony. »
« Bien. Entre vos mains, je sais que Cartledger Company tiendra le coup. Le tant que ce foutu testament passe entre les bonnes mains. Maintenant Hector, laissez-moi seul. Je sens la fin arriver, et c’est bien la seule chose contre laquelle vous ne pourrez pas me protéger mon vieil ami ».
Donovan décroisa ses jambes et de leva. Lentement, il sortit de la pièce. Il marqua une pause infime dans l’entrée, sa silhouette découpée par les lumières plus vives du couloir.  Une fois dehors, tandis que le sas se refermait, il poussa un dernier soupir. Bientôt, son seigneur et maître allait mourir, et il ne pouvait effectivement rien faire.

Resté seul, le magnat Anthony Cartledger regarda le vide. Il siffla quelque chose à l’adresse de l’ombre tenace qui s’approchait, rampante.
« Pas encore ma vieille amie. Laisse-moi quelques instants je te prie. »
Il tira à lui un agent, petit téléphone pratique qui ne portait aucune marque ni insigne. Il entra un code, avant de lancer un dernier message.

« La boîte est ouverte. A vous de jouer…Prométhée »