mercredi 30 mai 2012

Test RP


Minuit sonna à la grande horloge du bureau spartiate. En dehors du meuble de style Mazarin, en belle marqueterie Acajou, rien, si ce n’était une lourde armoire de fer, et un petit lit de repos qui ressemblait plus à un lit de camp qu’autre chose.
L’homme derrière le bureau avait posé sa tête sur ses poings fermés, les yeux mi-clos, il semblait presque dormir, devant lui, une feuille déjà manuscrite reposait, à côté d’un encrier d’argent dans lequel trempait une belle plume d’aigle.
Charles D’Esnots était seulement en train de réfléchir. Il revoyait une à une les étapes du plan que l’Etat-major de l’Amirauté venait de lui transmettre, la nouvelle de l’implantation du comptoir de Pontchartrain, les relevés des taxes qu’il avait criblé au peigne fin avec son secrétaire, le vieux Jonas, en début de soirée. Mais sans cesse ses pensées revenaient vers le petit béké. Cet homme était malin, sans aucun appui, il avait réussi depuis longtemps à frauder les Caisses Royales. Dommage pour lui, Jonas s’en était aperçu, et l’avait fait immédiatement savoir à son maître. L’occasion était trop belle, les grands propriétaires des colonies ruaient un peu dans les brancards, de peur de la guerre qui approchait à grand pas, et de la nomination du nouveau Vice-roi des Indes, un fidèle de Colbert et du Marquis de Sicée…Autant dire, un lévrier venant renifler leurs plates-bandes, et qui allait s’imposer sur la meute de ses rivaux. Le lévrier, symbole qu’il avait ajouté à ses armes après un beau mot de Madame de Montespan quand il avait vingt ans. Des Nos souriait à ce souvenir, ses lèvres pincées. La fenêtre claqua. L’amiral se leva, jurant contre son dos, trop d’heures passés sur une chaise et le voilà que tout son corps le lançait. Qu’il est dur de vieillir, se disait-il en fermant la fenêtre, et de ressasser ses souvenirs.
Charles contempla la baie de Fort-de-France. De lourds nuages s’avançaient sur la rade cachant la pleine lune qui éclairait la scène d’un blanc laiteux. C’était la fin du carême, et une pluie bienfaitrice, accompagnée des alizées, commença de tomber face au gouverneur. Un éclair déchira le ciel.
L’Ange et Nansac allaient commencer la partie.

***

Nansac enfourchait son cheval en pestant. Ses longs cheveux noirs de jais étaient déjà trempé par le début de pluie, mais pire, ses basques de soie avaient été tâchées lors du gueuleton. La soirée à l’Hôtel de la Marine avait été bonne pour sa couverture, mais il détestait les noix vomitives, et de trop nombreuses libations à Bacchus et la Bonne Fortune l’avaient quelque peu grisé. Heureusement, il savait parfaitement jouer les hommes ivres, et s’était fait ramener jusqu’à sa chambre, pour une bonne nuit de sommeil. Avant de sauter par la fenêtre, il avait bien verrouillé la porte. Il regarda sa montre à travers le verre rouge de ses bésicles, la demie passée de onze heures. Il était en retard. Une fois sur son cheval, il détala au grand galop, il avait un rendez-vous avec un mort.

***
Celui que l’on surnommait l’Ange noir se tenait dans une clairière éclairée par la lueur de la lune, en plein cœur de la jungle moite et luxuriante qui s’étendait sur les flancs de la Montagne Pelée. Il était assis en tailleur, les yeux fermés. Il essayait de faire le vide en lui, en inspirant et expirant de grandes bouffées d’air, mais quelque chose le retenait. Il savait que le plan était parfait, mais le moindre retard, le moindre grain de sable et l’opération pouvait échouer…Il regarda une fois encore sa montre cabossée, cadeau de son maître, minuit. Nansac devait déjà être là-bas.
Une ombre s’avança dans la clairière, marchant lentement appuyé sur un long bâton emplumé. Le vieil homme portait  un lourd masque en bois, peint de mille-couleurs étranges sous la flamme écarlate de son flambeau.

« Mon fils. Mawu te bénit ce soir. Tu mèneras les fils de Mawu au combat. » Commença le vieil houngan Vaudou.

« Et je suis fier de pouvoir répondre à l’appel de Mawu. »

« Viens maintenant fils. Tu es prêt, l’ascétisme t’a forgé. Ce soir, la grande chasse de Mawu et des Lwa. Revient à la lumière fils. »

« Amen » glissa l’Ange dans un murmure.

Dans la forêt, un tambour commença de battre une lente mélopée. Dans le ciel, un éclair lui répondit.

***

Nasac avait retrouvé son contact dans l’entrepôt d’épices. La douce fragrance de la vanille et de la cannelle se mêlait au piquant du poivre et du girofle. Des noix de muscades étaient entreposées dans des balles de jutes bien alignés à côté de tonneaux emplis de racines de gingembre.
Il écoutait distraitement parler l’homme en face de lui, un gros et gras bourgeois, le visage rubicond d’avoir trop bu du punch pour se donner du courage. Sous ses allures joviales, Nansac lisait au fond de ses petits yeux porcins la rapine, le goût du luxe et du lucre, ainsi que l’attitude bestiale de ses colons qui se prenaient pour les rois du monde. Cet homme dégoûtait le Chevalier, il connaissait tout de son comportement, des viols des esclaves, d’une violence sauvage à l’égard des hommes qui se levaient contre lui. Même des hommes libres avaient mystérieusement disparus dans la région, perdu dans les bayous sous la Pelée. L’autre continuait son monologue.

« J’ai encore du mal à croire que vous, le serviteur de son Excellence le gouverneur, trahissiez votre idéal par appât du gain. Personne n’est au courant en plus, comme vous me l’aviez demandé, je n’ai parlé à personne de la Confrérie. Nul ne sait que vous êtes un traître sauf moi,  et vous verrez, je suis certain que vous en serez heureux. »
Nansac le coupa immédiatement.

 « Pouvons-nous signer la charte partie maintenant ? Vous comprendrez que j’ai des obligations, et que je me dois de rentrer le plus tôt possible. Vous me montrerez vos amis bientôt»

L’homme venait involontairement de porter une main à son veston. C’était donc ça, il cachait ici le petit papier qui montrait bien la magouille et les hommes qui la composaient, chose que Nansac n’aurait pas du savoir quand le commerçant l’avait contacté quelque mois plus tôt.

« Vous comprendrez aussi que la charte…Ne se signe pas sans gage de votre bonne foi. » reprit le marchand, décontenancé.

Nasanc sourit derrière ses bésicles rouge, d’un sourire de loup. Il tira une énorme bourse de ses fontes. Le regard de l’autre s’éclaira.

« Puis-je ? »

« Faites cher ‘associé’ » dit Nansac, en souriant.

L’autre se tourna, ouvrit le cordon de la bourse, et se mit à compter une à une les pièces d’or sur la petite table. Nansac s’approcha de lui, et d’un grand coup, assomma l’homme.

***
Nansac jouait avec sa montre. Minuit trente. Ange devait arriver pour une heure. Il avait peu de temps.
Il prit un seau d’eau, et le jeta à la figure de l’homme attaché sur une chaise. Nansac, en plus de le ficeler, avait déchiré sa chemise, révélant une peau laiteuse et grasse. L’homme cracha du liquide en se réveillant. Il était épouvanté.

« Nansac…Que faites…Faites…vous ? » bégaya-t-il.

« Intéressant ces clauses n’est-ce pas ? Vous avez corrompu pas mal de personnes dans nos ministères, dans les Colonies ou même en France Monsieur ***. Dommage pour vous, vous avez contacté la seule qui est fidèle à son maître, et qui n’est pas un chien galeux attaché à l’argent et la vie. J’ai encore quelques questions à vous poser toutefois. Sur quel navire et dans quelle crique sont chargées les marchandises ? Et qui les réceptionnent en France ? » Nansac parlait doucement, il avait sorti une petit dague gainée de cuir, et il s’amusait à la faire passer sur le corps trempé et tremblant de sa victime.

« Je…Je…Je ne peux pas le dire »

« C’est dommage Albert…Je vais devoir vous faire souffrir » Nansac continuait de jouer avec le couteau, puis, lentement, il dégaina la lame. Il avait posé sur la table, à côté des pièces d’argent, un petit brasero nécessaire par cette nuit fraiche. Le Chevalier planta la lame qui se mit immédiatement à rougir. « Avez-vous déjà vu quelqu’un marqué au fer rouge ? Vous connaissez l’odeur je parie…Ça vous excite même quand c’est sur vos esclaves, hommes ou femmes hein ? Mais sur vous…Vous n’avez jamais tenté ? C’est un pêché qu’il va falloir remédier » grand sourire, l’autre blêmissait.

« Je vous dis que je ne sais rien. »

« NE ME MENS, ça me mettrait en colère mon cher Albert » Nansac avait hurlé, avant de reprendre son ton doucereux, tout en passant au tutoiement, l’odeur de la sueur aigre et de la peur imprégnait l’air de sa pestilence, gâchant quelque peu les saveurs des épices.

La lame était bien rouge. Nansac la sortit du feu et la passa sous le nez de l’homme attaché avant de l’approcher de son œil qui se mit à pleurer.

« Ça chauffe dur n’est-ce pas ? » Nansac tira un peu sur la manche de sa propre chemise, révélant un bras musclé et couturé de cicatrices. Puis, d’un geste, il posa la lame sur son bras dénudé, qui exhala aussitôt une horrible odeur de chair brûlée et de poils grillées. L’autre hurla.

« Tutututu. Cela ne sert à rien, personne ne t’entend. Rappelle-toi, c’est toi tout seul qui a donné congé tes serviteurs de prendre leur soirée à boire et chanter. Alors Albert  Tu es sûr que tu n’as rien à dire à un homme capable de se brûler pour te montrer combien il peut te faire souffrir terriblement ? » Nansac renifla dédaigneusement, une autre odeur s’ajoutait aux épices et à la chair brûlée, la peur à l’état brute, tandis qu’Albert de souillait comme un enfant…

***

Le géant noir regardait les flammes lécher la maison du maître et l’entrepôt. Son propre seigneur, Des Nos, ne serait pas content d’avoir perdu la marchandise, mais des fois, il fallait savoir faire quelques sacrifices. L’Ange regardait les hommes et femmes ivres de vengeance et de liberté trainer le cadavre mutilé d’Albert ***, propriétaire terrien et traître à son Roi. La partie avait été chaude, les nègres marron avaient déboulés après une cérémonie mystique qui les avait conduits à la transe guerrière de Mawu. Ils avaient saccagé la propriété, libéré les esclaves et fait payer les serviteurs pour leur sévices. L’Ange avait pu voir partir au triple galop de la grange un cheval et son cavalier. Nansac avait failli lui aussi se retrouver pendu à un poteau comme le propriétaire des lieux, que les esclaves avaient attrapés attaché sur une chaise dans l’entrepôt. C’était étrange, mais tous pensaient à un de ces jeux pervers que ce fou appréciait tant avec ses femmes. Son sort avait été rapide et brutal, dans une débauche écarlate. Les rires et les chants résonnaient, l’appel de la liberté. Regroupant ses guerriers, l’Ange sonna le signal de la retraite. Il valait mieux déguerpir vite, se séparer. Les français ne plaisantaient jamais avec les rebelles, et, au fond de lui, il savait que son seul seigneur et maître ne pourrait rien pour lui et pour ceux qui se feraient prendre. Mais l’Ange était fier d’être le pion de Des Nos dans sa guerre personnelle, pour la Liberté et la Gloire de la France…


***

L’aube. Des Nos avait à peine dormi quand Nansac avait été introduit, avec sa précieuse liste. Puis le chevalier s’était évanoui il fallait qu’il reprenne ses fonctions et sa couverture. La liste était accablante, tant de gens, d’officiers et de serviteurs du roi étaient impliqués…Mais il savait que le sort du « meneur » en ferait réfléchir plus d’un, la lettre qu’il avait écrite la veille serait reproduite à plusieurs reprises, une menace supplémentaires pour les autres. Pour les traîtres de métropole, le Ministre serait avisé en temps et en heure.
Des Nos regardait le soleil se lever sur la mer Caraïbe. Une nouvelle journée se levait en outremer, malgré la victoire, dans ce soleil levant, de nouvelles batailles se dessinaient…Pour que jamais plus le soleil ne se couche sur la France.

samedi 12 mai 2012

Rêveries Indochinoises, la jeune fille et la mort


La course dans la jungle, après avoir dévalé les sentiers montagnards, au risque de nous tuer à chaque éboulis. Les seuls sons viennent de la vie nocturne, ici un singe, là-bas une chauve-souris. Les pataugas ne font aucun bruit sur l’humus humide. Le chemin est une sente étroite, on ne peut qu’avancer, tout droit, jamais se retourner, à moitié baissé à cause des lianes qui pendent, fouettant parfois nos visages trempés. L’Ennemi n’est pas loin, la pluie couvrira notre approche, s’il pleut encore lorsque nous arriverons là-bas, au bout de la piste. Pour le moment, la végétation luxuriante nous a happé corps et âmes en son sein, elle nous enferme entre deux murailles solides aussi dure que le ventre d’une mère qui chercherait la mort de son enfant, nous sommes aveugles et en sueurs, tandis que la moiteur fétide de l’humus marécageux saisit nos chemises et nos yeux, dégoulinant comme dégouline l’eau salée de tous nos pores. 

La dizaine de supplétifs Méo nous suit sans un mot à travers la sente ouverte au coupe-coupe. Un bras se lève, l’éclaireur. Formation en éventail, couché dans l’herbe rase mille fois piétinée par les coolies et les troupes, nous rampons sur une dizaine de mètre. La piste ennemie nous conduit droit sur la trouée, une hutte au milieu, quelques barils et des obus abrités par un auvent. Sur le toit, une mitrailleuse scrute de sa gueule les tréfonds ténébreux de la jungle. L’Ennemi est là, insouciant au milieu de cet espace découvert, provocation dans l’étouffante jungle, rare trace de l’Homme qui lutte constamment contre la Nature. Trace de notre folie, d’une ingéniosité maladive toujours sur le fil du rasoir, et qui, à terme, perdra contre la jungle, ensevelie sous des mètres de forêt vierge.
 Une sentinelle tourne autour de la masure, abritée par une vareuse miteuse. A l’intérieur, quelques soldats mangent à la lumière chiche de bougies.

Quelques signes pour expliquer le plan d’action. Saint Brieux attend le passage de la sentinelle pour la poignarder. Le Mousse vise tranquillement, à cent mètres, il ne peut pas rater le mitrailleur. Saint Brieux bondit, suivi de deux Méo. Une poigne forte saisit la sentinelle qui s’effondre dans le seul glougloutement de son sang qui fuse de sa gorge tranchée. Au même instant, un éclair, détonation fracassante. Le mitrailleur s’effondre. 

Cri d’alarme, il n’était pas seul. L’Ennemi sort en trombe, arme au poing, immédiatement cueilli par nos tirs. Le Mousse enchaîne les cartons au fusil. Moi je bondis, PM armé, une rafale couche deux ennemis qui s’enfuient. Une femme se dresse en travers de mon chemin. Une femme ? Elle m’aligne avec son colt, un petit revolver japonais type26. Dans le clair-obscur, elle ressemble à Châu, la petite perle de Vientiane. Mais sa détermination, on dirait Marie-Hélène. Le même regard farouche, yeux noirs brillants, mais non, Marie a les yeux verts, ou noir. Je ne sais plus. Ses pomettes délicates remontent, carrant sa mâchoire, elle tendu à bloc, un faux-pas et c’est la mort, je la mérite, après ce que je lui ai fait. A qui ? La jeune femme soldat ? Marie-Hélène ? Les deux ? Son arme me vise, droit au cœur, comme le sourire de Marie Hélène, le jour du 14 juillet 19**. Mon dieu, je ne me la sortirai jamais de la tête ? C’est étrange ce que l’on peut penser au moment de sa mort. Elle va tirer. Soudain, elle s’effondre. Une balle vient de la frapper en plein cœur. Un méo, sur ma droite, me regarde de ses petits yeux plissés. Je ne sors pas de ma rêverie, je le salue, puis m’approche de la femme. C’est une jeune fille, peau de lait, grand yeux noirs et cheveux de jais aussi profond que la nuit. Une larme de sang coule de sa bouche, en un dernier sourire. Elle est belle. Elle est morte.

vendredi 11 mai 2012

Rêveries Indochinoises, Parachutage


La nuit est claire. Le Dakota vole sur une mer de nuage. Calme absolu. Saint Brieux, Gröss et Santini font mine de dormir malgré les secousses et le bruit des moteurs. Le Mousse regarde avec moi le ciel étoilé, sans rien dire. Le largueur approche, il nous fait comprendre par signe que c’est pour dans dix minutes. J’acquiesce.
L’avion entame sa descente. Au sol, une vallée, gueule noire ouverte et pitons en forme de crocs étincelants. Le Dakota glisse entre ciel et terre. Sur le plateau, des feux s’allument. Un tour. La lumière rouge clignote. On s’harnache. Deux tours. La porte est grande ouverte. Saint Brieux et Le Mousse me précèdent. Personne ne semble agité. Tous, au fond du cœur, tremblons une dernière fois. Ce n’est ni la peur ni le froid, juste une appréhension. Et si le pépin ne s’ouvre pas ? Et si au sol, c’est l’ennemi qui attend ? Saurais-je bien mourir ? La lumière passe au vert. Le go libérateur résonne, associé à une bourrade. Une fois, deux fois, trois fois. C’est mon tour. Somme toute, sauter en parachute, c’est comme descendre une très longue marche d’escalier.

Cinq corolles vertes chutent dans la nuit, attirées au sol comme la pomme de Newton. L’instant semble durer une éternité, au pire deux minutes. La terre se rapproche sous mes pieds. Je touche l’humus spongieux dans un bruit sourd, avant de pratiquer le traditionnel roulé boulé. Des mains me saisissent. Voix françaises. Amies. Ses déharnacher, récupérer les colis d’armes et les précieuses boîtes de piastres, les répartir. Trois minutes. Puis s’évanouir dans la jungle, noire et impénétrable.

Il pleut. La mousson a éclaté sur les hauts plateaux, et l’eau tombe sans arrêt d’un ciel toujours noir. Nous attendons, accrochés dans un village à flanc de montagne. L’attente, c’est peut-être le pire ennemi du soldat, pire que l’Ennemi. L’Ennemi, lui, au moins, se bat au corps-à-corps, on le sent, on le voit, on le saisit. L’attente, la longue attente, n’est qu’une succession d’heures, de minutes et de secondes, avant la folie et la mort. Je fume tranquillement une pipe d’opium. Seul avantage du Triangle d’Or, les Méo nous fournissent la meilleure came qui puisse exister. Saint Brieux joue avec son couteau, le sortant et le rengainant en un tour de passe-passe lassant et hypnotique. Gröss et Santini joue éternellement au carte, buvant un mauvais pastis distillé par le petit corse avec de l’alcool à quatre-vingt-dix degrés. Le Mousse lui regarde les enfants du village se battre dans la boue, à côté d’une truie noire qui se balade tranquillement dans les ruelles détrempées avec sa marmaille de petits sangliers courts sur pattes.
Le toit de notre abri est battu par l’eau. Les feuilles de banians sont parfois trouées, en dessous, une marmite en fonte récupère le liquide dans un tintamarre constant. Un homme court vers nous, en uniforme noir. Un Méo.
Son collier d’argent brille à la lumière de la lampe à pétrole. La femme de la cahute s’éclipse après avoir posé le thé devant Saint Brieux.
« Xiep, Capitaine Sassi veut vous attaquer dépôt ennemi. »
On regarde la carte. Deux heures de marches vers une trouée marquée au stylo bleue sur le fond éternellement vert, rayé de traits noirs, pour le dénivelé. Le Mousse a déjà pris nos armes. Pas de sac, il faut courir vite, vite vers la mort. Au moins, l’attente se termine.