mercredi 12 novembre 2014

Sorbonne by night

Tout avait commencé un soir de janvier. A moins que cette histoire ne commence à l’aube des temps.
 Il faisait déjà nuit à dix-sept heures, quand j’émergeais du métro. Chaud, sale, pestilentiel. Comme à son habitude depuis qu’il a été construit somme toute. Même dans mes meilleurs souvenirs je ne me souviens pas d’avoir senti une odeur de propre dans ce tortueux labyrinthe de couloirs et d’escaliers sans queues ni têtes. Mais je digresse déjà.

Je sortais à la station Cluny La Sorbonne, côté boulevard Saint Michel. L’air vif et humide du soir annonçait une pluie dans les heures prochaines. Ce petit crachin habituel pour qui se perd dans les rues du Quartier Latin quand l’ombre vient. Déjà, le soleil avait presque disparu, ne laissant dans la fraicheur du crépuscule qu’une vague couleur qui tirait entre le rose et la violine.
La rue était pleine de bruits furieux, coups d’avertisseurs sonores, injures, ronronnement de moteurs qui feulaient de rage d’être bridés par les embouteillages. Les parfums des jeunes étudiantes en bande se mêlaient aux effluves plus âcres des travailleurs de la voirie, sans compter un ou deux clochard qui parcouraient les rues en répandant cette odeur si caractéristique de la misère. Une soirée habituelle à Paris.

Je battais le pavé de mes chaussures de daim gris bêton. Je portais un pantalon gris minéral, parfaitement coupé et avec le pli marqué avec soin. Au-dessus, chemise argent et veste gris bleuté. Le tout, je le savais s’accordait avec ma mine de jeune pré-quadra, avec mes cheveux plus sel que poivre. Une tenue stricte et classique, entre le jeune cadre ou le vieux rusé qui n’attendait de la vie qu’une augmentation et sa coucherie avec bobonne le dimanche soir, après s’être confessé à la messe. Classique, terne et passe partout. C’était somme toute ma devise. 

Je passais devant Cluny, un amas de badauds vérifiait les dernières nouvelles. Un cordon serré de policiers les retenait. Ainsi donc, tout était vrai. On avait pillé la nuit dernière l’exposition sur Diables et Livres, Liberté d’Ecriture et Inquisition à l’époque moderne. En passant, je jetais un coup d’œil aux grandes banderoles délavées par les pluies et la pollution. La Dame à la Licorne souriait à des livres noirs, dont une magnifique reproduction du Livre des Neuf Portes. Je ne pus m’empêcher de ricaner à ce souvenir, le pauvre Torchia brûlé sur son bûcher, perdu par son patron Lucifer. Encore un pauvre humain dévoyé par le maître des artifices, et puni avec la vigueur habituelle, et complètement aveugle, de la Sainte Eglise Catholique. Dire que je m’interrogeais encore sur les liens de cette dernière avec les paroles de ce bon Ange de Christ…Baste, j’avais d’autres plaisir intellectuels à l’esprit que revenir sur cette belle époque des guerres Démoniaques.

J’enfilais le grand boulevard, tournait à gauche sur la place. Pas le temps, ni l’envie, d’une bonne bière. La conférence allait commencer. Traverser les couloirs polis par les pieds de dizaines d’étudiant ne me prit pas longtemps. En bon habitué des lieux je ne faisais même pas attention aux murs refait à la fin du XIXème. Pourtant, quelque part dans mes souvenirs, je me rappelais la chaleur bien plus grande quand Robert de Sorbon venait d’ouvrir, avec lettre patentes du bon roi Saint Louis, le grand collège de la Sorbonne. Une autre époque ou vivre en bonne société, collégialement moralement et studieusement avait une plus grande réalité que de ces jours où les fêtes surpassaient le côté étude. Pour un peu j’aurais poussé un soupir de lassitude, si je n’avais pas non plus oublié qu’à l’époque les filles n’étaient pas admises en ces murs. Et que leurs jolis minois égayaient de manière très agréable ces sinistres couloirs vétustes.


Tout à ces considérations, j’entrais dans un vieil amphi tout aussi poussiéreux. Parquet ciré avec amour sur lequel mes chaussures grises glissaient comme sur la scène d’un ballet. Bois des bancs minuscules laqué par les fesses de plus ou moins glorieux étudiants, craquant délicatement quand on s’asseyait dessus. Chauffage ronronnant qui échauffait largement l’air ambiant, dégageant au passage une douce odeur de renfermé et de cerveaux en ébullitions, à moins que cela ne se rapproche des émois d’un ado pré-pubère devant son premier porno, je n’avais jamais réussi à clairement faire la différence. Le parfum de craie et le vrombissement du projo ajoutait la note studieuse qu’il fallait à cette grande pièce aux murs de laquelle étaient fixés des plaques de marbres commémorant professeurs et étudiants morts pour la France ou tributaire de grands prix scientifiques, ce qui revenait au même. J’inspirais un bon coup avant de m’asseoir sur un de ces bancs, sur le côté de la grande plongée, plutôt vers le haut. Déjà des vieux barbons, aussi assidus que des horlogers Suisses ouvraient pieusement des pochettes qui avaient un âge certain pour en extraire des feuilles posées religieusement à côté de stylo à plumes grand luxe. Les jeunes étaient plus drôles, à moitié endormis ou discutant entre eux avec force chuchotements du dernier film à la mode, à moins que ce ne fusse un chanteur. Tous murmuraient avec un pieux respect pour cet auguste amphithéâtre. La conférence pouvait commencer, et je n’aurais pas été surpris, dans ma rêverie contemplative, que trois coups aient alors annoncé le début imminent du drame. 

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