Le sabre a vibré, une dernière foi. Le Kiai, le cri de son
âme, s’est lentement tu. Si ce n’était le vent qui faisait frémir sa lourde
queue de cheval ébène et le bas de son hakama bleue nuit, le guerrier pourrait
ressembler à une de ces statues des temps anciens que seuls quelques rares
collectionneurs privés possédaient encore.
Le mouvement dans l’immobilité. Katsuo pensait à une des
maximes favorites de son maître. Le mouvement dans l’immobilité. Ne faire qu’un
avec la vie. Ressentir. Trois mantras qu’il se répétait constamment dans son
entrainement particulier.
Combien de temps avait-il passé ici ? Il ne le savait
même plus. Trop de temps s’était passé, ou seulement quelques secondes. Il
avait complètement oublié, il s’était complètement oublié, perdu en lui-même.
Se retrouver.
Tel était l’objectif de son pèlerinage sur Meihua. Le Ronin
avait parcouru la galaxie de longs en larges, il avait vendu son sabre à des
dizaines de gens, tuant pour gagner son pain. Il avait toujours essayé de
choisir des causes justes. Il avait grimpé dans la hiérarchie des mercenaires,
devenant son propre maître. Doux retournement du Destin pour un ancien esclave
initié à l’art du sabre par un grand sage. Il avait essayé de suivre la Voie
mais pourtant, quelque chose n’allait plus en lui. Il avait perdu le goût de la
chaleur des femmes, l’alcool de riz était amer dans sa bouche et les drogues ne
l’aidaient même plus à dormir. Il s’était perdu. Quelque chose n’allait pas en
lui, quelque chose de brisé, à tel point que son Ki en avait été altéré,
profondément.
Alors, Katsuo, le seigneur de la guerre, avait pris armes et
bagages. Comme l’ancien Ronin qu’il avait été, il avait abandonné une vie
opulente et pleines de plaisirs pour venir se perdre sur cette planète où peu d’hommes
vivaient. Il avait longtemps marché, une fois quitté le spatioport, pour trouver
ce qu’il avait nommé son camp de base. Une vaste clairière où des abricotiers,
seule plante réputée sur ce monde perdu, grimpaient hardiment vers le ciel. Ce
qui l’avait le plus attiré, finalement, c’était cette vaste vue, presque une baie
panoramique, sur l’entrelacs des rivières fangeuses de Meihua. Plus
particulièrement à un instant comme celui-ci, tandis que le soleil entamait sa
chute finale pour laisser place à la nuit. L’orange luttait contre la violine
sur une frontière carmin, rouge comme le sang. Calme apaisant du soir pour le
guerrier déchu.
A chaque fois que le soleil tombait derrière la ligne de
crête, Katsuo était là, à répéter encore et encore des katas. Le sabre fendait
l’air, gestes instinctifs des milliers de fois répétés, à tel point qu’ils en
étaient parfaitement naturel. Frappe. Frappe. Frappe.
Dans la frugalité de sa vie, trois repas légers par jours,
entrainement musculaire et katas, Katsuo avait lentement expurgé les mauvaises
toxines de son corps. Il avait retrouvé, doucement, les mantras de son maître.
Effort d’une volonté ferme de lutter contre les mauvaises choses de sa vie. Le
savoir, c’était déjà un moyen de l’affronter. Agir, c’était vaincre.
Totalement.
L’acmé avait été ce soir. Le soleil se couchait, disque de
feu sur l’horizon. Le sabre avait frappé, encore et encore. Et Katsuo était
entré dans la transe du Zen, la perfection du corps et de l’esprit. Ses
mouvements étaient hors du temps, son corps était hors de l’espace. Ou plutôt,
il avait enfin retrouvé le Juste, le milieu parfait où toute son âme se mouvait
au moment où il le fallait dans l’espace-temps.
Il s’était retrouvé, statue aux proportions parfaite figée
dans un dernier kiai de victoire.
Les traits de l’homme, yeux bridés, peau foncée, nez
plusieurs fois brisés, se détendirent enfin, dans un petit sourire, un seul.
Katsuo était redevenu lui-même. Et sa quête avait enfin sa fin. Saluée par les
grondements du vaisseau spatial.
L’énergie des moteurs, spectre de bleus et de blancs, faisait
vibrer l’air dans la phase d’atterrissage. Katsuo pouvait rentrer à la maison.
Enfin.
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