samedi 29 novembre 2014

Improvisation 01



Le sabre a vibré, une dernière foi. Le Kiai, le cri de son âme, s’est lentement tu. Si ce n’était le vent qui faisait frémir sa lourde queue de cheval ébène et le bas de son hakama bleue nuit, le guerrier pourrait ressembler à une de ces statues des temps anciens que seuls quelques rares collectionneurs privés possédaient encore.

Le mouvement dans l’immobilité. Katsuo pensait à une des maximes favorites de son maître. Le mouvement dans l’immobilité. Ne faire qu’un avec la vie. Ressentir. Trois mantras qu’il se répétait constamment dans son entrainement particulier.

Combien de temps avait-il passé ici ? Il ne le savait même plus. Trop de temps s’était passé, ou seulement quelques secondes. Il avait complètement oublié, il s’était complètement oublié, perdu en lui-même.

Se retrouver.

Tel était l’objectif de son pèlerinage sur Meihua. Le Ronin avait parcouru la galaxie de longs en larges, il avait vendu son sabre à des dizaines de gens, tuant pour gagner son pain. Il avait toujours essayé de choisir des causes justes. Il avait grimpé dans la hiérarchie des mercenaires, devenant son propre maître. Doux retournement du Destin pour un ancien esclave initié à l’art du sabre par un grand sage. Il avait essayé de suivre la Voie mais pourtant, quelque chose n’allait plus en lui. Il avait perdu le goût de la chaleur des femmes, l’alcool de riz était amer dans sa bouche et les drogues ne l’aidaient même plus à dormir. Il s’était perdu. Quelque chose n’allait pas en lui, quelque chose de brisé, à tel point que son Ki en avait été altéré, profondément.

Alors, Katsuo, le seigneur de la guerre, avait pris armes et bagages. Comme l’ancien Ronin qu’il avait été, il avait abandonné une vie opulente et pleines de plaisirs pour venir se perdre sur cette planète où peu d’hommes vivaient. Il avait longtemps marché, une fois quitté le spatioport, pour trouver ce qu’il avait nommé son camp de base. Une vaste clairière où des abricotiers, seule plante réputée sur ce monde perdu, grimpaient hardiment vers le ciel. Ce qui l’avait le plus attiré, finalement, c’était cette vaste vue, presque une baie panoramique, sur l’entrelacs des rivières fangeuses de Meihua. Plus particulièrement à un instant comme celui-ci, tandis que le soleil entamait sa chute finale pour laisser place à la nuit. L’orange luttait contre la violine sur une frontière carmin, rouge comme le sang. Calme apaisant du soir pour le guerrier déchu.

A chaque fois que le soleil tombait derrière la ligne de crête, Katsuo était là, à répéter encore et encore des katas. Le sabre fendait l’air, gestes instinctifs des milliers de fois répétés, à tel point qu’ils en étaient parfaitement naturel. Frappe. Frappe. Frappe.

Dans la frugalité de sa vie, trois repas légers par jours, entrainement musculaire et katas, Katsuo avait lentement expurgé les mauvaises toxines de son corps. Il avait retrouvé, doucement, les mantras de son maître. Effort d’une volonté ferme de lutter contre les mauvaises choses de sa vie. Le savoir, c’était déjà un moyen de l’affronter. Agir, c’était vaincre. Totalement.

L’acmé avait été ce soir. Le soleil se couchait, disque de feu sur l’horizon. Le sabre avait frappé, encore et encore. Et Katsuo était entré dans la transe du Zen, la perfection du corps et de l’esprit. Ses mouvements étaient hors du temps, son corps était hors de l’espace. Ou plutôt, il avait enfin retrouvé le Juste, le milieu parfait où toute son âme se mouvait au moment où il le fallait dans l’espace-temps.

Il s’était retrouvé, statue aux proportions parfaite figée dans un dernier kiai de victoire.

Les traits de l’homme, yeux bridés, peau foncée, nez plusieurs fois brisés, se détendirent enfin, dans un petit sourire, un seul. Katsuo était redevenu lui-même. Et sa quête avait enfin sa fin. Saluée par les grondements du vaisseau spatial.


L’énergie des moteurs, spectre de bleus et de blancs, faisait vibrer l’air dans la phase d’atterrissage. Katsuo pouvait rentrer à la maison. Enfin.

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