La cabane sentait la pisse de chat, le formol, et des odeurs
que le Hunter ne voulait décidément pas connaître.
Debout, il regardait la femme, si tant est qu’on pouvait
appeler femme cet amas de fourrures grises mitées d’où émergeait une tête
globuleuse. Enorme cou qui prolongeait le tronc, tête ronde, yeux qui sortaient,
gris, et regardaient de haut en bas le Fay comme l’aurait fait une grenouille
dérangée dans sa mare. Des cheveux filasses, gris, rares à certains endroits de
peau plus que tavelée, étaient entouré d’un bandeau aux motifs géométrique
indien. Au-dessus d’elle, un corbeau empaillé regardé la scène, et le Hunter
aurait juré qu’il baillait ou clignait de l’œil de temps à autre.
Cela ne le dérangeait pas au demeurant, les sorcières Wicca
étaient toujours comme ça.
Il lui rendait son regard de ses grands yeux verts, comme
s’il n’était pas pressé. Il ne l’était d’ailleurs pas, vue la lenteur de ses
gestes quand il était entré dans la cabane, regardant dans la semi-pénombre les
bacs de formol où barbotaient des bêtes étranges, les attrapes-rêves en os
peut-être d’humains qui pendaient sans bruits, et le chat noir, maigre et
famélique au contraire de sa robuste maîtresse qui avait feulé en le voyant
arriver.
Il faisait toujours cet effet aux chats.
La sorcière le contemplait donc, fumant à grandes
aspirations sur sa chicha. Le glougloutement de l’eau accompagnait chacune de
ses inspirations, presque immédiatement suivie par un nuage de fumée qui
s’exhalait de sa bouche. Son sourire édenté en contemplant le mâle Fay ne
quittait jamais la pipe d’argent pleine d’une bave antédiluvienne.
Le temps passait. Les odeurs d’urines de bêtes se mêlaient
maintenant à l’âcre fumée. Le Hunter se demandait s’il allait s’en griller une,
mais on ne savait jamais avec les sorcières humaines où était le permis et où
était l’interdit. Alors il se contenta de regarder, toujours bien droit, la
vieille femme sans âge. Il n’était pas pressé. Pas maintenant. Pas au bout de
plusieurs années d’une quête infructueuse.
Soudain, comme si elle sortait d’un songe, la vieille dame
dit, d’une voix qui ressemblait à s’y méprendre au croassement du choucas.
« Ainsi donc tu cherches un nom jeune Fay ? »
Il failli sourire. Aucun humain ne lui donnait le nom de
jeune. Certes, il semblait un gamin pour les humains, entre deux-âges, éternel
jeun homme aux longs cheveux noirs légèrement bouclés retenus en un catogan.
Ses grands yeux verts étaient sa grande fierté, tout comme son visage parfait
qui charmait en un instant n’importe qu’elle femme de l’autre peuple. Mais chez
les siens, il était banal et classique. Peau de marbre, menton carré et dur, sourire
légèrement moqueur. Une bête fauve qui se savait dépassée par certains de ses
collègues, et plus que largement. Mais ça, c’était en AutreMonde. Pas ici.
Sauf que cette wicca devait être encore plus âgée que lui.
Peut-être même qu’elle avait connu la Chute. Si un jour il finissait sa quête,
il reviendrait lui demander.
Mais pour l’heure, réfrénant sa nature profonde, plutôt
lumineuse sauf quand il était au combat, il hocha simplement la tête.
« Et tu penses que la vieille Wicca qui connait les
secrets de la Chute peut te donner ce nom ? »
« Oui Avatar de la Triple Déesse »
Elle sourit. Ce oui était franc. Et désespéré à la fois.
Comme si le guerrier Sans Nom avait parcouru des éons pour en arriver à ce
point, le dernier point de sa quête, et que s’il devait échouer ici alors il
n’y aurait plus aucune possibilité pour lui de passer la Frontière de
l’AutreMonde et entrer à Bordure.
Elle sourit, et lui aussi, de son rictus qui déchirait son
visage et l’enlaidissait. Tous deux avaient compris le message. Néanmoins elle
questionna :
« Et si jamais je n’ai pas ton nom ? Tu vas me
tuer ? »
L’homme réfléchit un instant, haussa les épaules, et
répondit, doux-amer :
« Cela ne m’aiderait pas dans ma quête Maîtresse
Wicca »
« Bien…Bien…Alors tu espères que je vais te trouver un
nom. Le feu ne t’a jamais parlé fils de l’AutreMonde ? »
« Vous le savez très bien. Sinon je ne serai pas ici.
J’ai défié les flammes, j’ai mérité de connaître mon nom Véritable comme tous
les fils de Faërie. Mais le feu ne m’a répondu, et il m’a envoyé en quête dans
le monde des hommes. Je suis un Hunter. Un Quêteur de Nom. Car je suis Sans
Nom »
« Le feu ne t’a pas répondu ? Ou plutôt
n’étais-tu pas prêt ? Je sens quelque chose en toi Messire Sans Nom.
Dévoile-toi. Entièrement. Car l’œil de la Déesse Mère ne peut aider que ceux
qui se donnent en entier à son regard »
C’était absurde, il aurait voulu partir, quitter ce lieu
étrange. Mais pourtant, quelque chose dans la voix de la femme-corneille lui
disait que s’il parait, tout était irrémédiablement foutu. Alors, lentement, il
enleva son grand cache poussière noir. Puis il dévoila son torse, glabre,
musclé, et cette cicatrice sur le cœur, longue et fine, imperfection dans ce
corps parfait étoile qui ressemblait à un mauvais coup de couteau ou à l’impact
d’une balle. La vieille siffla. Moqueuse ? Admirative ? Ou
effrayée ? Il s’en foutait, elle n’était qu’humaine.
« Une Fêlure…Et bien tu es gâtée mon bel ami. Ce n’est
pas un nom que tu veux n’est-ce pas ? Mais deux. Le tien. Et celui de
celle qui fermera cette blessure ancienne et toujours vive. Tu es un cas
désespéré Sans Nom. Le sais-tu ? Oui en fait tu le sais, pas besoin
d’essayer de hausser les épaules et de me prendre pour une simple humaine. Sauf
si tu en as besoin. Heureusement, la Wicca peut peut-être t’aider…La vraie
question est de savoir ce que tu comptes lui offrir en cadeau… »
Elle claqua de sa langue. Le sourire de la vieille édentée
aux yeux globuleux se fit plus grand, aussi large que la bouche d’un crapaud
dévorant sa proie. Si le fay avait connu le froid, il aurait certainement
claqué des dents…
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