« Tu vas partir, n’est-ce pas ? »
Demandais-je
Il était en train de rouler une sèche. Je le regardais,
paupières mi-closes, tandis que ses doigts fins s’agitaient avec une preste
dextérité sur le papier. Il sortait le tabac d’une petite boîte couleur argent.
Il en prenait une pincée. La plaçait dans la feuille de maïs. Pas de filtre. Un
roulement dans un sens. Un autre. Sa langue passait rapidement sur la bordure.
Et il fermait le tout. Une fois en lèvre, il l’allumait rapidement à la chaleur
de la petite flamme bleue gaz qui émanait de ses doigts.
Mage Fay. Je venais de coucher avec un putain de mage Fay.
Et j’étais comblée.
Je le regardais toujours. Mes doigts passaient le long de
ses côtes, remontaient doucement vers ses pectoraux légèrement dessiné, se
perdaient autour de l’aréole de ses tétons rendus pointus par le froid. Corps
imberbe d’éternel adulescent.
Il fumait toujours. Le bout incandescent brillait tandis qu’il
tirait sa latte. Puis il recrachait une nuée de vapeur bleue gris. Et il
recommençait. Prenant tout son temps. Mécanique bien huilée d’un fauve sauvage.
Comme quand il me faisait l’amour à m’en faire perdre la raison. Putain de Fay.
J’étais paumée. Seule et paumée. Perdue sur le bord d’une
route sans fin. Et il était arrivé. Comme tous les autres. Il roulait sur une
grosse Harley rouge. Le genre de moto où on était bien calé dedans, bras très
haut et assise basse. Il m’avait regardé derrière ses lunettes fumées type aviateur.
Et moi, je lui souriais. J’essayais de le convaincre par ce petit geste de me
prendre, moi et mon gros sac. Il avait allumé une sèche, mécaniquement, après
avoir enlevé son bandana qui le protégeait des poussières du grand désert. Et
il avait fumé, me regardant de haut en bas.
Jean troué qui tombait sur les reins, retenu par une fine
ceinture de cuir entrelacé. Bas-ventre laissé nu, révélant ma peau bronzée et
le petit piercing qui trônait fièrement dans mon nombril. Chemise moulante,
presque indécente, qui ne protégeait en fait que l’espace de mes seins révélés
par une gorge plus qu’approfondie. Yeux verts et cheveux roux, comme une
sorcière. Sulfureuse, je l’étais. Infernale jeune beauté perdue, ingénue qui
fuyait quelque chose ou quelqu’un. Le genre de petite poupée fragile à l’extérieur,
et démoniaque une fois au lit. Le genre de fille que n’importe qui a envie d’aimer,
et généralement qui se laisse aimer par des gros loosers puant la bière,
violents parfois, rustres bien souvent, amant parfait jamais.
Le Fay, lui n’était rien de tout ça. Mais il m’avait emmené,
comme les autres, après un temps qui m’avait paru bien long.
Il m’avait emmené. Au soir tombant, on s’était arrêté dans
un crade motel. Il m’avait dévisagé pendant tout le repas, avalant rapidement
son steack et ses pommes frites. Mains croisées, il me regardait comme on
regarde un chaton jouer pour la première fois avec une balle. Et son regard,
ses grands yeux verts pailletés d’or, étaient diaboliquement dangereux. Il me
faisait rougir. Je croyais qu’on ne pouvait pas rougir autant sous la caresse
des simples yeux d’un homme, qu’il fallait se retrouver au lit avec lui pour se
retrouver comme ça. Le laisser me monter et me prendre passionnément au point
que j’en rende grâce. Je croyais ça, jusqu’à ce qu’il me fasse l’amour.
Et il m’avait fait l’amour. Le soir même. Comme je l’espérais.
Et pourtant, malgré le feu du volcan qu’il avait insufflé dans le moindre
recoin de mon corps, il était resté, lui, d’une froideur de marbre. Presque
mécanique, patient chirurgien qui ne cherchait même pas son propre plaisir,
contrairement à tous les autres. Sa bouche, ses mains, son sexe dur comme de l’acier
m’avait fait jouir encore et encore. Il m’avait transporté sur un océan de
plaisir, transformant sous sa poigne experte mon plaisir en un tsunami de
vagues de bonheur. Comme tous les Fays.
J’en avais perdu la notion du temps même. Ou plutôt, il m’avait
ramenée au temps primordial. Celui où les secondes, les minutes et les heures
ne voulaient rien dire. Ni passé. Ni futur. Seulement le présent.
Contraire opposés. Froid de marbre de sa peau contre la
chaleur bouillonnante de mon corps porté au paroxysme du plaisir. Ses doigts
avaient longuement joué dans mes cheveux, puis sur ma peau, tandis que ses
baisers glacés brûlaient ma peau là où ses lèvres délicates se posaient. Ses
longs cheveux noirs, au catogan défait, caressaient au même rythme que ses
mains mon visage, tandis qu’il me prenait avec une puissante douceur. Il parcourait mon corps, le malaxait tel de la
cire, il me faisait sienne. Sa langue, indiscrète petite langue, avait dardé
des javelots de plaisir sur mes seins, mon ventre, et mes cuisses. Ses mains s’étaient
perdues dans la moindre parcelle de mon corps, et toujours revenaient sur le
symbole de ma féminité, mes petits seins,, ronds, fermes, dressés vers le ciel
ou l’enfer.
Et puis il m’avait prise. Délicat et ferme à la fois. Il
avait ondulé en moi en un rythme immémorial. Et mes reins avaient répondu à ses
assauts, dansant au même rythme que ses coups de boutoirs. Il m’avait prise.
Tendre et rude. Il n’avait pas parlé. Je hurlais de bonheur. Moi, les yeux
mi-clos, je voyais son visage marmoréen au-dessus du mien. Lui avait ses yeux
grands ouverts vers un vide inconnu.
Je l’avais chevauché, m’empalant de moi-même sur ce sexe
toujours dressé. Avide de toujours plus de plaisir. J’étais devenue une
gloutonne qui ne cherchait que sa jouissance. Encore était le mot le plus
érotique que je connaissais. Encore et encore il me comblait comme jamais je ne
l’avais jamais été. Encore et encore. Encore et encore. Encore et encore.
Apogée du plaisir. Il avait aboli le temps et l’espace dans
cette chambre de motel. Les draps avaient valdingués. Les coussins avaient
volé. Le lit même en était bouleversé. Je ne voyais plus que lui, paupière
mi-close, tandis que ses ondulations de serpent se faisaient plus vives, plus véloces,
plus alertes. Il me regardait toujours de ses grands yeux verts. Et soudain,
dans un dernier spasme glacial, au diapason de ma propre jouissance volcanique,
il se répandit dans un feu d’artifice qui nous laissa tout deux pantelants. Pour
la première fois, je sentis qu’un Fay pouvait être presque humain. Et une
humaine pouvait être Fay. Un unique instant.
Je le regardais. Après l’amour, il ne dormait pas. Il
regardait simplement le mur du fond, ses yeux grands ouverts sur une réalité que
je ne pourrais jamais saisir. Et cela me glaçait, après la chaleur de nos
ébats. Il fumait, tandis que ma main le caressait, passait sur son torse aussi
imberbe que ses joues. Il était nu. Ses muscles saillaient. Durs et froids
comme la caresse d’une lame d’acier. Quelque chose d'étrange se trouvait sur cette poitrine, cette petite blessure, trace rouge imparfaite sur ce corps bien trop parfait, petite étoile, comme un impact...de balle. Ses yeux pailletés de fauve étaient aussi
félins que chacun de ses gestes, sans jamais ciller. Un lion perdu dans la
savane. Il portait bien le nom qu’il m’avait donné, Hunter. Il était la plus
grande bête fauve Fay que j’avais jamais croisé. Et Il était beau. D’une beauté
diabolique. D’une beauté sacré. Le genre de beauté que le commun des mortels ne
pouvait jamais saisir. Et pour cela, je le détestais plus que tous les autres.
Je le regardais, et, timide, comme jamais je ne l’avais été,
je demandais :
« Tu vas partir, n’est-ce pas ? »
Il ne répondit pas. Se contentant de rouler sa cigarette. Je
me roulais dans les draps, mutine. Essayant de quémander ce qu’il m’avait si
abondamment donné. J’étais troublée de mon propre geste. Un baiser. J’avais
envie d’un baiser. Et, contrairement à tous les autres, il me le donna. Mais
comme on donne une caresse à un enfant méritant, ou à un chien qui vient de
réaliser le tour qu’on attendait de lui.
Après la passion, la rage. Je lui en voulais. Il ne m’avait
toujours pas répondu. Et je lui en voulais. A mort.
Putain de Fay. Il croyait tout avoir. Avoir tous les droits.
Putain de Fay. Je vais le tuer. Je me retourne vers le bar. Il semble dormir.
Dessus, il a posé un bac à glace. A ma demande. Je ne vois que le pic d’acier
noir qui trône fièrement au-dessus de la bouteille de mauvais vin californien.
Je saisis le pic. Je me retourne vers lui. Je ne vois que son visage, son torse
puissant inspire et expire, calmement. Je me relève, à califourchon par-dessus
lui. Ma main projette un geste. Bien haute. C’est si facile. Un coup, un seul,
et il est mort. Je suis prête à frapper. Il va crever. Comme tous les autres.
Comme tous ces putains de Fay qui m’ont pris l’homme que j’aimais. Je frappe.
Sa main, aussi rapide que celle d’un serpent, saisit au vol
mon bras.
« Pourquoi ? »
Sa question me prend au dépourvu. Je tremble. Ne sais que
répondre. Il a les yeux grands ouverts. Il me tord le bras. Ses lèvres, ses si
belles lèvres, sont déchirées par un terrible rictus. Je force, je sens mes
muscles se froisser, mes ligaments tirer, et mes os prêts à rompre.
Son autre main, vive, saisit quelque chose sous le coussin.
Et soudain, je sens un terrible feu glacial dans mon corps. Il a frappé, très
vite. Trop vite.
Je ris, tandis que je sens ma vie me quitter, doucement. Il
me dépose dans le creux du lit. Il me regarde, tendrement. Hunter. Ce n’était
pas un nom. C’était sa fonction. Tueur. J’avais tué ses frères, qui avaient tué
le mien. La loi du Talion. Je quémande une cigarette. Il me la roule, la pose entre
mes lèvres. Sans haine. Sans rancune. Depuis le début il savait tout. Putain de
Fay. Au moins, je mourrais après avoir pris mon pied. Une dernière fois. Les
Fays sont des parfaits amants.
Mes paupières se font lourdes. Il me berce de son regard.
Et, doucement, je m’endors. Et je rêve, je rêve d’un paradis blanc où les yeux
amusés de mon frère me regardent, tandis qu’il me tend la main. Et le Fay, dans
la petite chambre, me sourit tandis que je pars. Un seul regret, ne pas avoir
compris ces êtres parfaits.
Trop parfaits pour être humains.
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