samedi 15 novembre 2014

Sorbonne by night 2

La conférence prenait fin, je m’apprêtais à serrer quelques mains, tout en rangeant mes notes dans mon cartable noir, quand le temps suspendit son vol. Magie. Les humains ne pouvaient plus bouger et moi, guère surpris, je me retournai sur ma gauche. Sur le banc tout prêt de moi venait d’apparaître un homme de bel allure, moitié de la trentaine, habillé d’un très élégant costume trois pièces noir, chemise de soie rouge à col italien déboutonné juste ce qu’il fallait pour annoncer un torse parfait, pectoraux saillants biens bronzés et absence totale de poils. Son visage aurait pu être celui d’un italien, un de ces beaux gosses du Nord au nez légèrement busqué, yeux verts et cheveux aussi noirs que la nuit. Un petit bouc entourait une bouche bien dessinée. J’aurais aimé les hommes, j’aurais été immédiatement conquis par cette beauté Diabolique digne d’un Ange Déchu. Je dis alors, dans un soupir :

« Bonsoir Lucifer »

« Bonsoir mon cher Yahel. » la voix était douce et agréable, un baryton qui poussait légèrement dans les graves. Après une pause, il ajouta « Tu n’es pas surpris de me voir ? »

« A vrai dire si. Je me demande ce que tu fais dans le Plan Mortel au lieu d’être dans les bras de ta chère Lilith »

« Oh Lilith…ah oui elle t’embrasse »

J’arquais un sourcil, tandis qu’il souriait. Il avait dû encore une fois se fâcher avec elle au vue de sa réponse évasive, mais cela ne m’expliquait pas pourquoi il venait fricoter avec un Nephilim.

« Ne me dis pas que tu es seulement venu pour me dire que Lilith m’embrassait ? Ni pour me parler de tes problèmes de couples ? Briser la règle du Grand Jeu et enchanter une assemblée humaine pour ces raisons seraient légèrement futile »

« Et pourquoi pas ? Tu sais combien j’aime m’amuser » mon regard, légèrement glacial, amusait semble-t-il ces yeux verts « Bon d’accord. J’ai besoin de toi. Et je paye bien cette fois-ci. »

Je savais que j’aurais dû, à cet instant, partir. Mais le regard de Lucifer me retenait. Il ne pouvait pas vraiment me charmer, sauf que quelque chose dans sa voix fleurait une sincérité que je n’avais jamais décela chez le Grand Manipulateur. Et cela m’effrayait légèrement, tout en me donnant envie d’en savoir plus. Je me rassis donc, tandis qu’il décroisait ses jambes et arrêtait de battre un tempo lancinant à trois temps qui ressemblait vaguement à une valse de Chopin.

« La dernière fois tu m’as refourgué de fausses informations sur ton Démon. Ca a couté la vie à quelques humains, et failli me détruire moi-même. » Dis-je, légèrement acide. Ce n’était pas parce que je voulais bien l’écouter que je laisserais la partie si facilement gagnée.

« Tu m’en veux encore pour Sadi-Carnot ? Je croyais que c’était moi le grand méchant qui mangeait sa vengeance bien froide »

« Il était mon ami »

« Ah oui, toi et tes amis humains. J’ai beau les étudier depuis plus longtemps que moi, je ne comprendrai jamais ce que tu leurs trouve » mon regard lui déconseilla de continuer dans cette voie « Bon, cette fois-ci je paye bien. Le Codex Angélique, première version, incunable bien entendue. » Je tiquais légèrement, et il sembla l’ignorer même si une flamme brûla dans son œil vert qui devint doré. Où avait-il trouvé ces documents que seul le Vieux gardait dans sa bibliothèque personnelle ? « A moins que tu ne préfères des informations sur Elle ? »

Là, je dus blêmir, car son sourire ravageur s’ouvrit encore plus grand. Le requin m’avait ferré. Je déglutis difficilement avant de répondre :

« Je ne vois pas de qui tu parles »

« Ah bon ? Mémoire sélective mon vieux ? Ou tu as choppé Alzheimer ? Tu sais, si tu le voulais vraiment, tu pourrais toi-même La retrouver. »

« Je préfère le Codex » c’était sorti du tact-au-tac, et Lucifer n’était pas Diable né de la dernière pluie. Le Démon savait parfaitement de quoi il parlait, et de ce que je préférais à ces vieux papiers, inestimables certes, mais qui ne valais rien face à un seul de Ses regards. Bourru, je repris. « Que veux-tu de moi ? »

« Le casse de Cluny. Certains des livres appartenaient à ma collection particulière » rien d’étonnant à vrai dire, c’était le même genre de blague qu’il avait joué à Torchia ou Cazotte ou ce fou de Barbey D’Aurevilly.

« Et donc ? » questionnais-je

« Je veux que tu me les ramènes. Il n’y a aucun danger dedans, mais tes frères Angéliques » il avait eu la décence de ne pas dire emplumés, ce pourquoi je le remerciais d’un regard « Pourraient mal le prendre. Je ne veux pas que la Guerre recommence. Le Grand Jeu me suffit »

« Pourquoi moi ? »

Il ne répondit pas. Cette détresse dans son regard, même si il aurait pu la feindre, me glaça le sang. Elle se suffisait presque à elle-même en guise de réponse. Si le plus puissant des anges Déchus avait peur que la Guerre reprenne au grand jour, c’est qu’il y avait réellement un danger. Mais pourquoi moi ? Certes j’étais sorti du Grand Jeu depuis longtemps, par amour en partie pour Elle, et puis parce que le sang et les massacres me dégoutaient de plus en plus. Mais pourquoi faire appel à un Angélique pour une affaire si grave ? Je savais qu’il ne répondrait pas à la question. J’avais déjà travaillé pour lui, mais cela n’expliquait pas qu’il m’offre un poste de confiance et un livre si rare si les enjeux étaient aussi grands. Soit Lucifer m’entrainait dans un de ces pièges savants, soit je m’engageais dans une quête qui serait bien plus qu’épique. Dans les deux cas, je savais que rien n’allait être une partie de plaisir.

« Alors tu acceptes ? »

« Je n’ai pas encore dit oui »

« Mais tu en as envie. Surtout si j’ajoute, même si tu n’es intéressée que par le Codex bien sûr, qu’Elle pourrait être impliquée dans l’affaire. »

« Je ne veux plus la voir »

« Mais Elle, est-ce qu’elle ne veut plus te voir mon cher Yahel ? » sa voix se faisait douce, comme celle d’un père qui essayait de ramener le calme et la raison entre ses deux enfants chéris.

Méchamment, je répondis « Nous ne sommes pas comme Lilith et toi. Elle a fait son choix. J’ai fait les miens. Il vaut même mieux qu’elle ne soit pas impliquée si ce que je découvre t’effraie tant. Si Elle s’interpose entre moi et la mission que tu m’accordes, je n’aurais aucune pitié. » 


J’avais donc accepté, presque dans un coup de colère, la mission du Diable. Sans même réfléchir à ce dans quoi je me fourrais vraiment. Simplement parce qu’Elle était impliquée. Avais-je réellement envie de ne plus la revoir ? Je réfléchissais à cette question quand le cours du temps se remit en marche. Il avait bien évidemment disparu, à sa place, une pochette en papier kraft. Une vieille habitude entre nous, somme toute. J’empochais l’enveloppe et partit, sans même saluer mes amis humains. Une seule question en tête. Dans quel guêpier m’étais-je fourré ? 

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