jeudi 27 novembre 2014

Lovely Indian Song

Devant la porte, elle m’avait demandé si j’avais envie de boire un dernier verre.
Elle ne voulait pas être seule ce soir, et moi non plus. Ma compagnie ou celle d’un autre, c’était du pareil au même. Peut-être.

Elle me fit donc entrer, pour la première fois, dans son immeuble. Une de ces vieilles bâtisses XIXème, tout de gris marbré et balustrades en fer forgé. La porte cochère, héritage d’un passé révolu, était en un bois lourd, épais. Elle donnait sur un patio en grosse dalle de pierres cabossées. Comme cet escalier vermoulu, lames de parquets branlantes, à tel point qu’elle m’indiquait là où il fallait poser ou ne pas poser les pieds.

Elle était belle dans sa robe d’été, blanche, fleurie de violet. Depuis le début, elle prenait les décisions, selon ses envies. Cela était étrange, presque effrayant, parfois, tandis qu’elle me souriait, mais pas désagréable. Non, elle ne pouvait pas être désagréable.

Elle montait à grandes enjambées élégantes, ses bas, clairs, protégeaient la finesse de ses jambes. Je rosissais presque tandis que mes yeux s’attardait sur le haut de ses cuisses, à la découverte de l’inconnu. Je n’étais définitivement pas digne d’un gentleman.

Un palier, puis un autre. Elle fouilla dans son sac, ce genre de gros sac mystérieux où on ne pouvait jamais savoir ce qu’elle rangeait. Elle me souriait, puis sortit un énorme trousseau.
L’intérieur de son appartement était comme j’aurais pu l’attendre. Clair, lumineux, et chaud à la fois. Aucune lourdeur dans les meubles très élégants, fins et racés. Elle m’invita dans son salon. Grande bibliothèque au mur, couverte de livres de poche plus ou moins en équilibre. Epais tapis au sol, dans lequel ses petits pieds devaient délicieusement s’enfoncer. Deux fauteuils et un sofa accompagnaient le tout.

Elle m’invita à choisir la musique, tandis qu’elle versait deux grands whiskies sur un lit de glace. Aberlour, seize ans d’âge. Madame avait du goût. Je farfouillais autour d’un gramophone valise, à la noire patine. Quelques disques étaient posés un peu partout, musique classique, musique sacré, jazz. Pour ce soir, c’est ce dernier qui s’imposait. Sans vraiment choisir, je ramassais une compilation des meilleurs tubes de Chet Baker.  Je sortis le disque, le posai sur la platine et lançai enfin la musique en plaçant la tête de lecture à sa place. Le tout se mit à tourner, au même rythme lent et tendre, légèrement grave, de la trompette du jazzman de l’Oklahoma.
Elle m’invita à m’asseoir d’un sourire. Comme si elle avalisait le choix. Elle me tendit le verre que je saisis, ses doigts restant quelques secondes de plus que la décence ne l’imposait contre les miens.

Je faillais rougir, et son sourire s’accentua. Pour me reprendre, j’avalais, presque de travers, une goutte de whisky. Parfait.

Les minutes passèrent, elle me regardait, toujours, relançant la conversation. Je me perdais dans le détail de son visage dessiné au trois quarts. Lèvres pleines, rouges, fossettes délicatement rosées, nez petit, légèrement mutin. Et de grands yeux bleus, qui contrastaient avec le jais de ses cheveux. La terre et la mer, réunis par la limite bronzée de sa peau, comme si son visage était une plage de sable blond.

Elle était belle. Pas jolie, ni désirable, mais belle. Parce que tout en elle était aussi harmonieux que le lancinant jazz qui passait à cet instant.

Elle était belle, et j’étais ferré. Définitivement. Sans même m’en rendre compte.

Elle s’approcha, lentement, très lentement. Ma respiration s’accéléra. Je pouvais presque sentir frémir le bustier de sa robe au même rythme de sa propre respiration. Lèvres légèrement entrouvertes sur l’albâtre de ses petits crocs pointus, elle s’avança et m’embrassa, tendrement, sur le coin de ma bouche. Geste aussi affectueux et tendre que celui d’une mère, mais aussi délicieusement excitant comme seule une amante savait le faire.

Je répondis à son baiser, lèvres contre lèvres, et puis se furent nos langues qui se cherchèrent, comme dans les films en noir et blanc que l’on voyait au cinéma.

Timide, je posais une main délicate, comme on l’aurait fait pour tenir un objet fragile ou un enfant, le long de son corps. La soie de sa robe était froide, mais en dessous son corps bouillait de passion.

Comme pour m’inviter à aller plus loin, ses propres mains vinrent se perdre sur les flancs de ma chemise. Glissant le long de mon torse, ouvrant peu à peu les premiers boutons qui révéleraient ma poitrine.
Je la saisissais plus fermement, le collant contre elle, profitant de sa chaleur, tandis que nous nous embrassions encore et encore.

Alors, tout dérapa, et je perdis presque le fil de mes pensées. Roulant, glissant et dérapant, nous nous retrouvâmes sur le tapis moelleux. Fièvre passionnée. Mes boutons valsaient tandis que ses doigts les arrachaient presque. Abandonnant, non sans regrets, ses lèvres, j’embrassais son cou, là, juste sous le creux de l’oreille, la faisant frissonner, puis toujours descendant, ma langue impudique dévorait ses épaules que mes mains dénudaient, puis le haut de sa poitrine.
Ses mains, terriblement froide, terriblement chaude, faisaient frémir mon sang et frémir ma poitrine.

A demi-nu, elle s’arrêta un instant, à cheval sur moi. Elle souriait toujours, ses cheveux noirs, détachés, flattaient ma peau. Lentement, elle déposa des baisers dans mon cou, sur ma poitrine, descendant toujours plus sur le bas ventre. Ses ongles, rouge sang, caressaient mon corps à petites doses délicates et frustrantes. Et puis, avant d’arriver à la limite de ma ceinture, elle se releva, fière, une main posée sur mon cœur. Amazone sauvage qui me tétanisait sous la puissance de ses yeux bleus, pour lesquels, à cet instant et à jamais, je me serai damné.

Alors, mutine, elle se lança dans un strip-tease non dénué de la même passion sensuelle que ses caresses. J’étais à sa merci, et elle prenait tout son temps pour abattre sa proie. Ses mains firent glisser l’attache de sa robe, qu’elle fit lentement, très lentement, trop lentement, passer par-dessus ses épaules. Elle révéla une poitrine haute et fière, protégée par un fin ruban de dentelle qui me semblait être, pour l’heure, une formidable forteresse à conquérir. Nue, elle l’était enfin, et elle fondait son regard dans le mien. J’en avais le souffle coupé. Elle n’était pas jolie. Elle était juste magnifique. Soutien-gorge, bas chair et petite culotte blanche avec un papillon rouge brodé n’étaient que des artifices pour exalter cette beauté si naturelle.

Elle était la maîtresse, et je n’étais plus que l’esclave. Et cela était d’autant plus terrible que je n’avais jamais été habitué à cette sensation, tandis que tout mon corps réclamait maintenant de la posséder, fermement, la retourner et lui faire l’amour avec une passion transcendante.

Mais ce n’était pas dans ses intentions, loin de là. Elle se releva, toujours au-dessus de moi. Et elle partit. Me relevant, je la suivais. Dans les couloirs, elle se dessapait lentement. Nouveau Petit Poucet qui en lieu de petits cailloux laissait une trainée de vêtements.
Sa chambre. Une chambre de femme. Grand lit aux draps lilas, comme son mur violine. Une penderie gigantesque, et un petit secrétaire en bois ancien qui faisait aussi office de table à maquillage.

Elle était à genoux sur les bords du lit, en équilibre. Complètement nue. Impudente effrontée. Elle souriait toujours. Je m’approchais d’elle. Elle leva sa main, la posa directement sur mon entre-jambe. Flattant ma virilité, son sourire s’agrandit. Son petit jeu, terrible petit jeu, m’offrait entièrement à elle.

Elle ouvrit mon pantalon, l’arrachant presque comme elle l’avait fait de ma chemise. Le blue jean vola avec mon caleçon. J’étais désormais aussi nu qu’elle, mais étrangement, je pensais que j’étais bien plus à sa merci qu’elle ne l’avait jamais été depuis notre rencontre. Et son sourire, son sourire rouge carmin, m’indiquait qu’elle le savait parfaitement. Panthère noire contre gazelle homme.

Elle commençait de jouer avec mon sexe, le caressant, le flattant, tendre et forte à la fois. J’étais tendu au point que j’avais peur de rompre, trop vite, trop tôt. Mais elle semblait experte dans ces petits jeux, elle faisait monter dans mon bas-ventre une marée, qui refluait immédiatement quand elle calmait sa pression, avant de reprendre, encore et encore, rythme immuable.

Et puis, après sa main, ce fut sa bouche. Sa langue jouait autour de mes abdominaux, mon nombril, mes cuisses. Feu et glace. Comme un bon alcool, fort, mais rafraichi par la glace.
Mouvement de tête, avant, arrière. Suçotant, dévorant, affamant. J’étais au bord de l’explosion salvatrice, mais ma dame n’en voulait certainement pas, pas encore.

Elle me repoussa. Se coucha sur son lit. Impudique, elle ouvrit grand ses jambes, m’invitant à venir conquérir à mon tour le creuset de sa féminité. Ma bouche embrassa ses mollets, remonta le galbe de sa jambe, puis sa cuisse. C’était maintenant à moi de la laisser frémissante et, plutôt que d’aller immédiatement dévorer ce qu’elle m’offrait, je jouais avec elle comme elle l’avait fait avec moi. Baiser salé. Mes mains, elles remontaient le long de ses côtes, arrivant sur sa poitrine, titillant délicatement entre deux doigts les deux pics de chairs offertes.

Caresses.

Encore et encore.

Trois mots. Les plus érotiques de la langue française. Caresses, encore et encore. Deux corps qui se découvrent. Tendre passion. Lutte délicate. 

Embrasser, enfin, l’antre des parfums odorants. Découvrir ces forêts inexplorées d’une jouissante fontaine. Boire au graal la jouissance d’une femme aimée.

Et elle, si forte, si fière, qui se pâmait, enfin. Murmure rauque de sa respiration qui se fait plus rapide, plus effrénée, tandis qu’elle aussi chevauche le ressac des plaisirs.

L’acmé n’est pas encore là. Il faut aller plus loin, toujours plus loin, grimper une à une les marches qui conduisent au paradis.

D’une caresse de sa main dans mes cheveux, elle m’arrête. Je remonte vers elle. Mon bas-ventre, frustré, en est presque douloureux. Mais maintenant nous sommes au diapason. Elle me guide vers son désir. Elle me conduit vers son plaisir. Elle éclair la voie de son amour.

Nos corps se mêlent, enfin. Peau contre peau, nous entamons une danse lente, un jazz tendre et grave à la fois. Nos coups de reines se répondent, rythme tranquille, passionné, fusionné.

Nous nous perdons l’un dans l’autre, nos yeux, grands ouverts, se coulant les uns dans celui de l’autre. Nous ne formons plus qu’un seul être, parfait, uni comme jamais un homme et une femme ne l’a jamais été.

Et sur ce même rythme éternel, immuable, nous montons enfin jusqu’au Septième ciel dans un feu d’artifice de couleurs et de sons.


Tendrement, repu, tandis que je la chevauche encore, elle m’attire vers elle. Elle m’embrasse, une dernière fois, délicatement, juste au creux de mes lèvres, baiser de mère, baiser de sœur, baiser d’amante. Elle me serre contre elle et je lui dis enfin ce qu’elle attend. Trois mots…

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