dimanche 19 mai 2013

Où Bellamy prouve qu'il n'est pas qu'un monstre (partie 5)



« L’or. Y’en avait pas, mais du bon bois d’ébène, des nègres grands et forts. Un bon commerce. Personne toucha à la fille, trop précieuse. Bellamy était le nouveau capitaine du Lacrima Christi. Il devait garder la fille le temps de trouver un arrangement avec les autorités de Puerto-Rico. C’est comme ça qu’il l’a attrapée. »

***

Le vielleux jouait un air triste dans l’air du soir. Accoudé à la lisse du château, le tout nouveau capitaine regardait les ombres s’épaissir. La dame, Doña Elvire, venait de s’avancer sur le château. Elle regarda le jeune homme, allait dire quelque chose, avant de s’accouder elle aussi avec une certaine grâce contre la rambarde en bois peint. Elle attendit que Bellamy bouge d’un pouce, il n’en fit rien. N’y tenant plus, elle demanda.
« Me relâcherez-vous bientôt ? Ou continuerez-vous de jouer à cache-cache avec la flotte de sa Majesté ? »
L’homme au sourire figé ne bougeait plus, il se retourna vers elle. Son rictus terrible épouvantait la jeune femme, mais elle essayait de retenir ses hauts le c?ur. Elle était espagnole, fière comme une lionne, et jamais elle ne montrerait une faiblesse devant un homme comme lui.
« Votre compagnie me plaît pourtant madame » la voix rauque du monstre était pourtant suave, maîtrisée et bien modulée. « Mais dès qu’Hornigold aura contacté votre oncle. Nous vous libérerons, pas avant. Autre chose ? »
Elle bouillait de rage de devant le trop plein de confiance de cet homme, qui lui avait parlé comme si elle l’avait ennuyé, elle fille de Grand d’Espagne, nièce du gouverneur de Puerto Rico. Elle était une des plus belles femmes des Espagne, elle avait tout, et ce…laquais allait la traiter comme une moins que rien ? Elle avait envie de le gifler, de l’insulter et de lui faire de mal, même si ce n’était pas très chrétien, quand une rafale de vent la saisit, faisant bouffer sa robe et arrachant le voile de fin cachemire qu’elle avait autour des épaules.
Elle se jeta en avant, manquant tomber par-dessus la rambarde, quand une main ferme saisit le tissu qui s’envolait. L’homme aux yeux verts la regardait, sa proie bien serrée dans sa poigne, tandis que son autre main, vive, avait empêché la demoiselle de faire une chute potentiellement mortelle.
« Re…Me…Rendez-le moi ! Et lâchez-moi sale brute ! »
En essayant de le frapper, elle s’était dangereusement approché de son ravisseur, qui la tenait dans ses bras, avant de lui laisser son châle et de la repousser, gentiment. Les joues blanches de la demoiselle rougissaient, de honte ou d’une chaleur soudaine. Elle avait senti le parfum de l’homme, odeur de cuir, d’huile mais aussi un parfum plus subtil. Elle avait touché ces muscles durs, cette poitrine où battait un c?ur chaleureux, tandis que ses bras dégageaient une chaleur rassurante pour la prisonnière. Elle battit en retraite. Le vielleux avait arrêté de jouer. Bellamy le regarda, fit un petit mouvement de sa main, et la musique reprit, tout comme les activités sur le pont.

Le soir, Bellamy dînait seul dans sa cabine. Privilège du capitaine, personne ne venait le lui disputer. Il allait passer à table quand un coup, discret, fut frappé à la porte. Il se leva pour aller ouvrir, et tomba sur Doña Elvire qui allait rebrousser chemin.
« Madame ? »
« Je…Je voulais m’excuser pour tout à l’heure. Et savoir si votre invitation…De dîner avec vous tiens toujours. »
Il lui avait en effet, dès le premier soir, proposé de dîner avec elle, par galanterie. Mais elle avait jusqu’à alors décliné, arguant avec des termes comme « jamais un sale pirate n’aurait le plaisir de sa compagnie », et c’était là une des choses les plus gentilles qu’elle avait pu prononcer.
Bellamy l’invita à entrer, et demanda à son mousse d’ajouter un couvert. En attendant, il sortit une carafe de San Martin De Valdeigleisias, reste de l’infortuné capitaine du Lacrima Christi. 
« Un verre ? »
Elle acquiesça, poliment, tandis que Bellamy lui tendait un délicat ouvrage en cristal.
Tandis qu’elle buvait, elle regardait cet homme étrange. Grand, mince, il portait toujours un chapeau noir, ainsi que des vêtements sombres, un grand manteau en cuir, surmonté aux épaules de plumes de Corbeaux. A sa ceinture, une lourde épée de Tolède, à la garde en panier noircie à la flamme, et un pistolet à crosse d’argent. En dehors de son visage, Bellamy était belle homme.
Lui-même regardait en sous-main la jeune femme, bien que petite, ses cheveux blonds roux reflétaient le soleil quand elle était sur le pont, et s’accordaient très bien avec ses yeux verts émeraudes. Ils étaient pour l’heure retenus dans une mantille d’argent filée de perles. Elle portait ce soir-là une robe couleur feuille d’automne qui dévoilait à peine sa poitrine menue, protégée des regards pas un col en dentelle de Hollande.
Elle était belle, jeune et fraîche comme l’aube. Bien loin de cet homme qui a trente ans était crépusculaire. Le soleil et la lune se faisaient face, dans un duel aux chandelles.
Bellamy n’eut guère à faire pour lancer une conversation, tout comme son aimée, elle parlait bien, connaissait beaucoup de choses et était savantes aussi bien en lettres qu’en science. Elle découvrait sous le vernis du monstre et du bourreau traqué par toutes les flottes de guerre un homme de culture, qui avait installé une lourde bibliothèque dans sa cabine, où vieux ouvrages s’accordaient à côté des reliures de cuirs de livres neufs venus des presses de Paris ou de Londres.
Art, culture, religion, tout y passa. Et c’est éméchée que Doña Elvire regagna sa cabine, galamment accompagnée par Bellamy.
Les jours passèrent, puis les semaines. Le Lacrima Christi louvoyait dans l’attente d’un message. On voyait de plus en plus souvent le capitaine Bellamy discuter avec cette demoiselle Espagnole, qui parfois riait franchement. Un soir, ce fut Bellamy qui se mit à rire, ce qui émut ses camarades, qui n’avaient vu sourire le protestant que pour donner la mort. Le monstre revenait à la vie, même s’il était marqué pour toujours…

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