« L’or. Y’en avait pas, mais du bon bois d’ébène, des
nègres grands et forts. Un bon commerce. Personne toucha à la fille, trop
précieuse. Bellamy était le nouveau capitaine du Lacrima Christi. Il devait
garder la fille le temps de trouver un arrangement avec les autorités de
Puerto-Rico. C’est comme ça qu’il l’a attrapée. »
***
Le vielleux jouait un air triste dans l’air du soir. Accoudé
à la lisse du château, le tout nouveau capitaine regardait les ombres
s’épaissir. La dame, Doña Elvire, venait de s’avancer sur le château. Elle
regarda le jeune homme, allait dire quelque chose, avant de s’accouder elle
aussi avec une certaine grâce contre la rambarde en bois peint. Elle attendit
que Bellamy bouge d’un pouce, il n’en fit rien. N’y tenant plus, elle demanda.
« Me relâcherez-vous bientôt ? Ou continuerez-vous
de jouer à cache-cache avec la flotte de sa Majesté ? »
L’homme au sourire figé ne bougeait plus, il se retourna
vers elle. Son rictus terrible épouvantait la jeune femme, mais elle essayait
de retenir ses hauts le c?ur. Elle était espagnole, fière comme une lionne, et
jamais elle ne montrerait une faiblesse devant un homme comme lui.
« Votre compagnie me plaît pourtant madame » la
voix rauque du monstre était pourtant suave, maîtrisée et bien modulée.
« Mais dès qu’Hornigold aura contacté votre oncle. Nous vous libérerons,
pas avant. Autre chose ? »
Elle bouillait de rage de devant le trop plein de confiance
de cet homme, qui lui avait parlé comme si elle l’avait ennuyé, elle fille de
Grand d’Espagne, nièce du gouverneur de Puerto Rico. Elle était une des plus
belles femmes des Espagne, elle avait tout, et ce…laquais allait la traiter
comme une moins que rien ? Elle avait envie de le gifler, de l’insulter et
de lui faire de mal, même si ce n’était pas très chrétien, quand une rafale de
vent la saisit, faisant bouffer sa robe et arrachant le voile de fin cachemire
qu’elle avait autour des épaules.
Elle se jeta en avant, manquant tomber par-dessus la
rambarde, quand une main ferme saisit le tissu qui s’envolait. L’homme aux yeux
verts la regardait, sa proie bien serrée dans sa poigne, tandis que son autre
main, vive, avait empêché la demoiselle de faire une chute potentiellement
mortelle.
« Re…Me…Rendez-le moi ! Et lâchez-moi sale
brute ! »
En essayant de le frapper, elle s’était dangereusement
approché de son ravisseur, qui la tenait dans ses bras, avant de lui laisser
son châle et de la repousser, gentiment. Les joues blanches de la demoiselle
rougissaient, de honte ou d’une chaleur soudaine. Elle avait senti le parfum de
l’homme, odeur de cuir, d’huile mais aussi un parfum plus subtil. Elle avait
touché ces muscles durs, cette poitrine où battait un c?ur chaleureux, tandis
que ses bras dégageaient une chaleur rassurante pour la prisonnière. Elle
battit en retraite. Le vielleux avait arrêté de jouer. Bellamy le regarda, fit
un petit mouvement de sa main, et la musique reprit, tout comme les activités sur
le pont.
Le soir, Bellamy dînait seul dans sa cabine. Privilège du
capitaine, personne ne venait le lui disputer. Il allait passer à table quand
un coup, discret, fut frappé à la porte. Il se leva pour aller ouvrir, et tomba
sur Doña Elvire qui allait rebrousser chemin.
« Madame ? »
« Je…Je voulais m’excuser pour tout à l’heure. Et
savoir si votre invitation…De dîner avec vous tiens toujours. »
Il lui avait en effet, dès le premier soir, proposé de dîner
avec elle, par galanterie. Mais elle avait jusqu’à alors décliné, arguant avec
des termes comme « jamais un sale pirate n’aurait le plaisir de sa
compagnie », et c’était là une des choses les plus gentilles qu’elle avait
pu prononcer.
Bellamy l’invita à entrer, et demanda à son mousse d’ajouter
un couvert. En attendant, il sortit une carafe de San Martin De Valdeigleisias,
reste de l’infortuné capitaine du Lacrima Christi.
« Un verre ? »
Elle acquiesça, poliment, tandis que Bellamy lui tendait un
délicat ouvrage en cristal.
Tandis qu’elle buvait, elle regardait cet homme étrange.
Grand, mince, il portait toujours un chapeau noir, ainsi que des vêtements
sombres, un grand manteau en cuir, surmonté aux épaules de plumes de Corbeaux.
A sa ceinture, une lourde épée de Tolède, à la garde en panier noircie à la
flamme, et un pistolet à crosse d’argent. En dehors de son visage, Bellamy
était belle homme.
Lui-même regardait en sous-main la jeune femme, bien que
petite, ses cheveux blonds roux reflétaient le soleil quand elle était sur le
pont, et s’accordaient très bien avec ses yeux verts émeraudes. Ils étaient
pour l’heure retenus dans une mantille d’argent filée de perles. Elle portait
ce soir-là une robe couleur feuille d’automne qui dévoilait à peine sa poitrine
menue, protégée des regards pas un col en dentelle de Hollande.
Elle était belle, jeune et fraîche comme l’aube. Bien loin
de cet homme qui a trente ans était crépusculaire. Le soleil et la lune se
faisaient face, dans un duel aux chandelles.
Bellamy n’eut guère à faire pour lancer une conversation,
tout comme son aimée, elle parlait bien, connaissait beaucoup de choses et
était savantes aussi bien en lettres qu’en science. Elle découvrait sous le
vernis du monstre et du bourreau traqué par toutes les flottes de guerre un
homme de culture, qui avait installé une lourde bibliothèque dans sa cabine, où
vieux ouvrages s’accordaient à côté des reliures de cuirs de livres neufs venus
des presses de Paris ou de Londres.
Art, culture, religion, tout y passa. Et c’est éméchée que
Doña Elvire regagna sa cabine, galamment accompagnée par Bellamy.
Les jours passèrent, puis les semaines. Le Lacrima Christi
louvoyait dans l’attente d’un message. On voyait de plus en plus souvent le
capitaine Bellamy discuter avec cette demoiselle Espagnole, qui parfois riait
franchement. Un soir, ce fut Bellamy qui se mit à rire, ce qui émut ses
camarades, qui n’avaient vu sourire le protestant que pour donner la mort. Le
monstre revenait à la vie, même s’il était marqué pour toujours…
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