vendredi 17 mai 2013

Où Bellamy devient pirate (partie 3)



C’était une taverne enfumée, grise et sale, comme toutes les tavernes de marin. On discutait à peine, préférant regarder son verre pour ne pas déclencher une bagarre, celle de trop où un mauvais coup vous envoyé de l’autre côté. Mais dès qu’on serait un peu plus éméché…C’était inévitable. Quelques murmures, les pas de la serveuse édentée qui passait de temps en temps, essuyant vaguement la table avant de poser une bouillie sordide ou une bière au docker qui passaient par là. Personne n’avait le courage de lui frôler un popotin ou de reluquer ses seins lourds qui tenaient à peine dans sa chemise qui avait été blanche, autrefois. Non, ce n’était pas un jour à être gai et heureux. C’est pourquoi le vielleux jouait une balade triste, une balade de marin, d’homme qui affronte la mer, et qui bien souvent finit par plus de mille brasses à baiser les sirènes. Enfin, c’est ce qu’on se disait dans ces temps-là pour se donner un peu de courage.
Quand la porte de la taverne s’ouvrit, personne ne tourna le regard. L’étranger amena avec lui une l’air frais du soir marin teinté de l’Alizée, qui se changea en fumée sous la chaleur crasse de ces corps en sueur mêlé à l’odeur infernale des broches grasses qui cuisaient sur un nauséabond feu de tourbe.
Il posa un long regard sur l’assemblée, avant d’aller vers le fond de la salle, se débarrassant sur une paterne sa longue capeline grise.
Il devait avoir vingt ans, des cheveux blonds cendrés, des pâtes d’oies aux yeux et des bésicles sur son nez fin témoignaient de sa condition de clerc, tout comme ses vêtements, fatigués mais de bonne coupe. Il s’assit, tandis qu’on lui servait de force du rhum, qu’il accepta poliment. La serveuse ne répondit même pas.
Dans l’indifférence générale, le vieil homme arrêta de jouer, et s’approcha du nouveau venu.
« C’toi qui enquête sur Bellamy ? » il parlait dans un accent prononcé de Bretagne un mauvais français.
L’autre acquiesça, avant de sortir  un écu d’or de sa poche. Il se mit à parler en un excellent français, mâtiné d’une pointe d’anglais.
« Oui…Et j’ai de quoi payer Monsieur »
« Pour que ça peut me foutre gamin…Tu devrais pas t’intéresser à Bellamy, c’est un homme mort. »
« Un mort qui hante les Caraïbes…Et don l’histoire commence ici. Mais si vous ne voulez pas de mes autres pièces » l’anglais parlait d’une voix basse, murmurant presque, tandis qu’il avait posé négligemment sa main sur une bourse petite mais replète, le vieillard regarda le geste, et dans ses yeux mornes l’appât de l’or fit brûler une nouvelle lumière de convoitise et de rapacité.
« C’te histoire commence y’a bien longtemps…Sous le château de »

***

Il se réveilla doucement, sentant son corps bouger dans l’espace. Où était-il ? Ses membres le faisaient atrocement souffrir, mais il sentait quand même quelque chose sous sa main, du bois ? Le monde tanguait autour de lui. Il cligna des yeux, une fois, deux fois, une lumière sourde entrait par un ventail grillagé, il gémit en essayant de se relever.
« Ah la Belle au Bois Dormant s’est réveillée. Le Vielleux, appelle le médecin. »
La voix qui avait dit ceci était rauque, râpeuse, Bellamy tourna la tête pour voir un homme vêtu d’étoffes précieuses, tirant sur le brun doré, sauf une écharpe grenat qui ceignait un cou de taureau. Une longue barbe d’or, semée de fils argent, entourait une bouche épaisse et lippue, qui souriait révélant des dents en or là où l’ivoire avait disparu. Un nez cassé, bruni par le soleil, était entouré par deux grands yeux bruns pailletés d’or, et des sourcils broussailleux. En guise de chevelure, un énorme chapeau où une plume blanche tanguait selon les mouvements de cette tête carrée, Bellamy apprendrait plus tard que l’homme en face de lui était chauve comme un ?uf.
« Où…Où suis-je ? » coassa Bellamy.
« Sur le navire du puissant, terrible et redouté capitaine Hornigold gamin ! Hornigold c’est moi, et l’homme qui descend, notre médecin, il va te rafistoler. » L’homme parlait un français haché d’anglais, Hornigold, Bellamy connaissait ce nom, c’était un corsaire, un de ces flibustiers qui venait rôder comme des loups, parfois, sur la Bretagne, quand ils faisaient vache maigre outre-Océan. Hornigold le pirate semblait pourtant être un homme plein de bonté, au sourire franc, tandis que son médecin l’auscultait avec des gestes experts.
« Et toi, qui es-tu rescapé de Pluton ? »
« Bellamy…Ezekiel Bellamy » Bellamy sentait quelque chose tirer, sa voix était pâteuse, comme s’il avait usé d’opiacés.
« Et bien alors bienvenue à mon bord jeune Bellamy. Rebouteux, qu’en dis-tu ? » Questionna-t-il immédiatement après
« Désolé pour votre visage Monsieur, mais je ne pourrais rien faire de plus que ce que j’ai fait. »
« Ce…Ce n’est pas grave » Bellamy avait du mal à parler, tandis qu’il sentait quelque chose lui brûler les lèvres et tirer, comme si des fils étaient implantés dedans. « Je vous remercie »
« Oulah garçon, tu le remercieras après avoir vu ta belle gueule, qui ne correspond guère à ton nom soit dit en passant.» L’homme qui se faisait appeler Hornigold lui tendait un petit miroir en argent poli, ébréché et éraflé par un coup de sabre. Bellamy se regarda, et eut peur, il était devenu un monstre…S’il n’avait pas eu aussi mal, il aurait pleuré. Il étouffé un sanglot, voyant sa face ravagée, son nez péniblement tordu, ses plaies qui le torturaient, mais surtout, le trait carmin d’une trop grande bouche…Lui qui n’avait pas conscience de sa beauté avant d’avoir connu Mademoiselle de ***, il se sentait maintenant pire que le plus horrible monstre de son enfance, plus laid que Gog et Magog réunis. Bellamy jeta un ?il assassin au pirate et son médecin
Hornigold avait tiré une bouffarde, et s’ingéniait à l’allumer. Il expira un panache de fumée, avant de rdemander :
« Qui t’as fait ça jeune Bellamy ? »
Alors Bellamy raconta.

***

Bellamy aurait dû mourir. Il se rappelait avoir repris conscience au-dessus de la Grande Falaise. Le bruit de l’Océan se fracassant sur les rochers aussi acérés que la lame d’un rasoir étourdissait toute conversation. Bellamy se réveilla, tandis que les comploteurs, éclairés par des lanternes, regardaient impressionnés le vide, noir et profond, gueule de l’Enfer sur Terre.
Le prêtre fit une dernière prière, il était entouré d’une femme, et des trois autres fous, plus quelques spadassins.
Deux hommes saisirent Bellamy par les aisselles, et le jetèrent violemment dans les Ténèbres.

Il aurait dû mourir, de froid ou noyé, c’était du pareil au même. Pourtant, dans les ténèbres profondes de la Mer, il s’était senti en paix. Une vois lui avait parlé. Des anges ? Il aurait aimé que ce soit un Ange, il aurait aimé que ce soit la voix de son aimée. Mais l’homme qui lui avait parlé lui avait offert quelque chose, la vengeance, la mort de ses ennemis. Il l’avait accueilli dans une zone où la Lumière et les Ténèbres s’affrontaient, entre-deux grisâtre. Il lui avait murmuré des choses, vieillard vigoureux aux cheveux blancs. Il lui avait proposé quelque chose, il lui avait demandé son âme, contre une vie pour atteindre ce que Bellamy désirait, se venger. Etait-il si faible pour accepter ? Bellamy avait dit oui, il voulait la mort et le sang, la souffrance pour ces hommes qui l’avaient arraché à son bonheur. Oui, il voulait suivre la voix de Seth, la voix du Diable…

***

Hornigold semblait peu impressionné. Sa bouffarde ne fumait plus. Il venait de lui raconter comme il l’avait découvert à l’aube, entre chiens et loups, surnageant. La tempête de la nuit les avait fait dériver dans ces eaux traîtresses, et c’était un miracle du Père de la Fortune que le vaisseau d’Hornigold ne se soit pas échoué. Les pirates avaient failli manquer Bellamy, si ce n’était la vigilance d’un mousse. Le Ranger avait récupéré le protestant, qui avait déliré pendant des jours, au point qu’Hornigold avait failli le tuer pour abréger ses souffrances. Jusqu’à cette journée ensoleillée.
« Tu sais l’ami…Ton histoire…C’est celle de bon nombre d’entre nous. On a tous vendu notre âme au Diable, pour de l’argent et des femmes, mais surtout, la Liberté…Je commence à croire que cette tempête était un signe du Destin, et que tu vas nous porter chance. Voudrais-tu rejoindre le Ranger ? Pour te venger, il te faut savoir te battre, et je peux te dire comment faire jeune clerc. Marché conclu ? »
Etait-ce réellement un marché ?  Le capitaine avait parlé lentement, s’arrêtant parfois pour chercher un mot où s’assurer que Bellamy avait bien compris. Il avait avancé sa main, attendant que Bellamy la saisisse, mais avait-il réellement le choix ? Plus tard, Bellamy apprendra que s’il ne l’avait pas fait, Hornigold l’aurait jeté au poisson, où le ramener au bon soin de Monsieur de ***. Chez les pirates, il n’y a pas de petits profits.

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