La masure bretonne blanche et noire, typique, était battue
par les quatre vents. Elle était seule sur la lande, loin de tout, mais
toujours elle voyait, auguste, une tour à moitié en ruine au loin, point
culminant du Palais de ***.
Le gentilhomme descendit de cheval, puis marcha lentement
vers la masure, en dehors du vent, seul le tintement de son épée sur ses
éperons dorés étaient audibles à chacun de ses pas.
Il allait frapper à la porte, quand celle-ci s’ouvrit. Une
vieille femme rabougrie par les ans, tassée sous d’épaisses couches de lainages
le regardaient de deux yeux blancs, aveugles.
« Je vous attendais Monsieur. Entrez »
Le gentilhomme, s’il fut surpris, n’en montra rien. Il
avança derrière elle. La masure était sobre et triste, sentait le renfermé et
le vieux, mélangé aux odeurs d’un thé de fougères des marais et de chats.
La vieille s’était assise après avoir servi un breuvage
immonde, noir et vert, mêlange entre la suie et la vase.
« Vous venez pour Bellamy hein ? » elle
parlait d’une voix ténue, fatigué par les ans. Presque sifflante, elle
témoignait de son âge par trop avancé.
« Je ne passerai pas l’hiver…Je peux bien vous le
raconter maintenant. Tout a commencé il y a plus de vingt ans…J’étais dans ma
quarantième année, et j’étais la nourrice de mademoiselle de… »
***
Il embrassa son épaule nue, et la jeune fille à ses côtés se
retourna dans son sommeil, murmurant quelque chose mais ne se retourna pas.
Bellamy regardait la chandelle se consumer lentement, un
sourire béat aux lèvres. Pouvait-il être plus content que dans les bras de son
amante…Non, se corrigea-t-il, de sa femme.
***
Cet amour fou avait au début contrarié ce protestant
convaincu. Homme de lettres, il ne pouvait décidemment pas tomber amoureux de
son élève. Et puis, cette jeune femme était catholique, mais si belle et si
charmante. A bien y réfléchir, Bellamy avait succombé dès leur première
rencontre, des cheveux noirs de jais, des cils noirs embués, des joues roses
tout comme des lèvres pleines et mutines avaient révélé dans Mademoiselle de
*** une de ses jeunes impudentes qui croyait tout savoir et tout connaître.
Cela aurait dû ennuyer ce bon professeur, qui avait voulu partir dès la
première rencontre cette élève qui semblait si sotte au premier abord, quitte à
perdre des gages conséquents. La Révocation de l’Edit de Nantes lui avait à
jamais fermé les portes de l’Université à ce bon maître en grec et en latin,
qui connaissait aussi l’allemand, un peu d’espagnol et beaucoup d’italien.
Humaniste jusqu’au bout des ongles, Bellamy était aussi bon français, né dans
une petite famille de Robe qui avait offert son sang, voire sa vie vie, pour
son frère, à des rois comme Henri IV ou Louis XIII. Et leur descendant rejetait
l’équilibre si chèrement acquis dans des tourments qui avaient frappé la France
cruellement ?
La carrière du jeune Bellamy avait été coupée sous ses
pieds, comme le blé trop mûr des champs dans les Dragonnades du Sud. Il ne
s’était pas rebellé comme ses frères de religion qui avait souffert. Lui-même
n’avait pas abjuré, mais il avait décidé de rester en France, quitte à devoir
vivre de quatre sous dans des petites maisons, à initier des filles à des arts
qu’elles étaient incapables de comprendre, et publier quelques poèmes contre la
royauté. Mal lui en pris dans le second cas, il se retrouva à fuir sur la côte
Atlantique, en Bretagne catholique, pour éviter de se retrouver embastillé ou
pendu aux crochets du Châtelet.
Monsieur de *** était arrivé à point nommé. Il connaissait
de réputation Bellamy, et lui avait permis de se refaire une santé, contre la
promesse d’éduquer sa fille unique. Bellamy avait freiné des quatre fers mais
il s’était vite rendu compte que son élèves était plus que douée, et tout aussi
désireuse d’apprendre que de comprendre les chers auteurs comme Plutarque ou
Cicéron qui faisaient le régal du jeune homme.
De fil en aiguille, de balades enchanteresses dans ce beau
pays de Bretagne en jeux de lettres, Bellamy était tombé avec grand plaisir
dans ce piège, lui l’austère protestant qui portait toujours du noir. Il se
souvenait de ce premier baiser échangé, dans la roseraie du château. C’était
l’hiver, un fin manteau blanc recouvrait les pelouses du grand parc, et ils
avaient décidé de lire de la poésie au milieu des Roses rouges de la serre chauffée
à grand frais. Car Monsieur de *** était pair de France et Comte, riche à
loisir, et ne regardait plus à la dépense pour sa chère petite fille,
maintenant que tous les autres étaient casés.
Elle portait une jolie robe rouge ce jour-là, qui contrastait
avec la pâleur de sa peau. Au cours d’un sonnet, elle se leva brusquement, se
détournant de son professeur. Pâlissant, il se leva, lui demanda ce qu’elle
avait.
« Monsieur…Je crois que je vous aime. Mais vous vous
n’en voyez rien »
Confus, rougissant, Bellamy avait essayé de s’excuser. Il
n’était guère à l’aise avec les dames du sexe opposées, surtout belles et en
larmes comme elle était, celle qui se disait « sa pauvre servante »,
alors que tout indiquait que c’était lui le serviteur. Tendant une main, il
releva la demoiselle. Sous ses larmes, ses yeux bleus le fixaient avec une
intensité telle qu’il se perdit en eux, et commit l’irréparable en
l’embrassant.
***
Mademoiselle de *** ,
ou plutôt Madame Bellamy, se réveilla, l’embrassa, puis regarda son
époux dans les yeux.
« Bonjour mon aimé »
Bellamy ne répondit rien, perdu dans la contemplation de ce
corps parfait qu’il avait tant désiré. Il était éperdument amoureux de cette
femme, et était prêt à se battre contre tout ce qui entraverait leur union. Il
s’était même fait catholique, juste pour pouvoir l’aimer…Mais cela n’était pas
suffisant. Pas pour ces intégristes qu’étaient ses cousins. Il se rembrunit,
mais quand il vit que cela la peinait, il allait dire quelque chose après
l’avoir une fois de plus embrassée, quand on fracassa la porte d’un seul coup…
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