vendredi 30 janvier 2015

Névralgie.

Le corbeau croassa trois fois. Lentement, je me réveillais de ce songe d’onde et de marée. Dans ma bouche, le goût du sel. Sous la crispation de mes doigts, l’humidité boueuse du sable cent et cent fois lavé par la marée. J’émergeais doucement, tandis que dans mes oreilles le ressac de la mer résonnait encore et encore. Lentement, je tâtais mon corps, qui n’était plus qu’une plaie lessivée. Comme si la tempête s’était transformée en une monstrueuse lavandière qui avait battu et rebattu la moindre parcelle de peau que le fouet n’avait déchirée. Essoré comme un linge trop fripé, je me relevais avec peine, un voile noir devant les yeux. Mal au crâne, mal aux membres, mal. Tout mon corps criait un concert déchirant de plaintes. Mais dans cette douleur, je savais que j’étais encore en vie. Car la douleur est la preuve suprême de la survivance de l’âme, selon les préceptes de l’Unique.


Je me sentais faible, affamé, rétamé. Comme un enfant trop tôt plongé dans le bain de la vie. Comme un vieillard aux portes de la mort. Mais je savais que je pouvais encore m’en sortir. Il suffisait seulement d’y croire. J’ouvrais mes yeux encroutés par les embruns, j’étais bien sur une plage de sable blanc, qui montait d’un coup, abrupte, vers des collines de pierres blanches, de thyms et de pins. Les Archipels, j’étais sur les Archipels. Je me rappelais ma vie d’avant, bien des années avant la défaite du Krak et la captivité aux mains des esclavagistes elfes de Darjipoor. Je me souvenais de chevauchées dans ces vagues écumeuses, à la poursuite de fauves ondins. Je pensais à un chevalier à l’armure noire corbeau, animal qui trônait fièrement sur ses armes et sur son casque. Corbin DeChouka, chevalier Corbin DeChouka. C’était qui j’avais été, dans une autre vie. Un guerrier réputé, un stratège, et maintenant je me retrouvais sur une plage déserte, plaie vivante qui n’avait pour tout vêtements qu’un pagne de mauvais coton. A mes côtés, une rame de bois brisé m’avait supporté durant la tempête, j’y étais encore enchainé. Pas étonnant que je n’arrivais pas à me relever, comment l’aurais-je pu, avec le poids de cette barre de chêne dense ? Ironie du sort, tandis que pour la première fois en une décennie je revoyais le soleil qui me cuisait la peau aussi rudement que le sel infiltré dans les cicatrices de mon dos, j’allais mourir ici de faim, de soif, ou de folie. Je mourrais quand mon crâne exploserait sous la masse des céphalées qui m’arrachaient de temps à autre un grognement pitoyable. Je n’étais qu’un mort en sursis. Jusqu’à l’instant où, dans le lointain, j’entendis dans mon délire pervers les clochetons que les cavaliers d’Aeterna accrochent à leurs chevaux pour repousser le Malin. Et une chevauchée qui s’écrasée contre les écumes, galop sonore qui faisait vibrer le sol sous la foulée habile des immenses étalons du septentrion. Je poussais un soupir, je devenais fou. Autant abandonner, maintenant, tomber dans les ténèbres, coma artificiel qui m’amènerait dans l’autre monde. J’aurais pu choisir à cet instant de tout quitter, si un cri n’avait pas résonné dans la folie de ce vain espoir.  

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