mercredi 14 janvier 2015

Les cendres de la guerre 01

L’orage grondait sur la ville. Les éclairs zébraient le ciel, en signe d’une colère divine qui ressemblait bien à l’atmosphère tendue qui prenait le Conseil du gouverneur. Le marbre et le stuc gris et harmonieux, tous en rondeur lisses, était en contradiction avec le folie apparent de la discussion. La table ronde où les sièges d’acier d’Ivaline ne servaient à rien, tandis que tous les gens présents, debout, s’invectivaient à travers la salle. Hommes en uniformes, marchands et membres de la philosophie de l’Harmonie en venait presque aux mains tandis que l’auguste vieillard qui siégeait à leur tête sur son trône d’ivoire ne disait rien. Renfermé sur lui-même et ses pensées, Jacob DeVrynn, ancien Maître de Guerre de l’Empire et actuel gouverneur d’Ivaline, la planète où se forgeait le meilleur acier de la galaxie, se tenait coi. Mains croisées sous le menton, visage fermé, ses traits étaient tirés par les nuits sans sommeils. Depuis la fin des guerres impériales, et la défaite de l’Héritier, ou la victoire de la Bâtarde, qui pouvait encore se targuer de bien dormir ? Les forces vives de l’Empire avaient rejoint les forces d’Eyris sur Prima et Anésidora. Mais Ivaline, elle, était encore un foyer de troubles. La question qui hantait les rares militaires en uniformes blancs, les nombreux maîtres de guildes et forgerons dans leurs pourpoints de soies multicolores et les prêtres de l’Harmonie et du Brûlé, aussi différents que le jour et la nuit, était de savoir s’il fallait se rendre ou non aux troupes qui venaient de passer le Monument, le portail qui reliait les Mondes. Déjà, au-delà des murailles, on pouvait voir depuis la terrasse détrempée par l’orage les feux des troupes de guerres qui s’avançaient en corps d’armées, serpents noirs et rouges d’acier trempée. La guerre était aux portes d’Ivaline. Les militaires séparatistes avaient lâchement fui dans les montagnes, espérant y mener une guérilla sauvage contre les troupes de l’Impératrice pour cacher leur honte et leur imbécilité à soutenir une cause perdue.

Ce qui importait, aujourd’hui, c’était de savoir si la reddition d’Ivaline verrait un massacre sanglant pour avoir pris le parti, au nom de l’Harmonie, de l’Héritier Impérial avant sa retentissante défaite, ou si la mansuétude d’Eyris se retrouverait dans ses chiens de guerres qui portaient l’acier comme une seconde peau.

Jakob DeVrynn restait maître de lui-même. On ne pouvait pas dire autant de sa compagne, une grande brune dans le début de trentaine, habillée d’une robe de soie noire comme il sied à une veuve de l’aristocratie. On ne pouvait pas dire qu’elle était belle, avec son nez mutin, ses lèvres trop minces et sa poitrine menue qui se soulevait au rythme de sa respiration saccadée. Mais elle était belle, dans la rougeur de sa colère, dans la passion de ses yeux verts, et la folie de la mèche qui tombait de son chignon élaboré au moindre de ses mouvements. Elizabeth DeVrynn, la belle fille de Jakob, actuelle gouverneure-régente d’Ivaline. Feu son mari était mort dans les derniers dans les flammes du Palais Impérial. Et, malgré les avis des militaires qui avaient lâchement fui dans les montagnes, la jeune femme avait décidé de rester au côté de son beau-père, au nom de l’Harmonie et de la grandeur des DeVrynn, afin de lutter contre l’envahisseur. Ennemi qui avait pour l’heure les traits flasques de maître Oségno, principal maître-forgeron d’Ivaline, obèse aux mœurs décousues qui ne souhaitait que son profit. Revenir dans le giron impérial était pour lui simplement gage de stabilité et d’argent gagné sur le peuple de la planète minière. Gras comme un cochon, il ne rêvait que de s’enrichir un peu plus. Les militaires, à vrai dire le seul colonel DeZekiel et son aide de camp, refusaient la défaite et pensaient s’appuyer sur les milices marchandes pour tenir les murailles de la capitale d’Ivaline, Alliage. Or Oségno et le conseil marchands, qui hurlaient comme des orfraies, refusaient de prêter leurs concours. Jakob bougea au milieu de cette basse-cour, ses mains montèrent jusqu’à ses tempes qu’il se mit à masser, comme s’il était pris d’une migraine soudaine. Elizabeth se retourna vivement vers lui, et demanda :

–Père, allez-vous bien ?

–Pais ma fille, et paix mes amis. Nous avons toujours respecté l’Harmonie. Ivaline n’a jamais été touchée par les guerres, et ce n’est pas sous mon commandement qu’elle tombera. Toutefois, l’Harmonie veut que nous cédions à son parangon.

Il parlait d’une voix forte, habituée au commandement, qui contrastait avec les épaisses couches de vêtements qu’il portait pour se protéger de la fraicheur du printemps. Tout le monde dans la pièce savait que ses jambes ne le portaient plus, mais un DeVrynn restait une force de la nature, même handicapé. Et personne n’aurait osé l’interrompre. Personne sauf un homme maigre à faire peur habillé d’une toge blanche dont le bas était rehaussé par des flammes rouges. Le Prédicteur Oscar DeNidias toussa pour se faire entendre, mais Jakob ne le laissa même pas parler, reprenant aussitôt tout en se relevant avec raideur :

–Je sais bien, DeNidias, que votre culte révère la lignée impériale. Et que la Bâtarde ne vous agrée pas. Mais elle est l’héritière selon le testament de feu sa Majesté. Et elle est le parangon de l’Harmonie. Ses troupes sont plus puissantes que nos pauvres milices. On dit que le Maître de Guerre qu’elle a nommé est un de ses plus fidèles capitaines. Et un stratège plus que compétent. Nos hommes de guerres se sont reculés dans les montagnes s’ils ne souhaitaient pas céder à l’Impératrice. Pauvres lâches, c’était ici qu’il fallait se battre. Nos rares guerriers encore sous nos ordres ne pourront rien faire contre les Gladiateurs et les réguliers. Ce ne sont que des enfants. DeZekiel, et toi ma fille, ne blêmissez pas. C’est le seul choix possible. Même s’il me coûte énormément de devoir céder à la force et aux futures avanies de son Altesse Eyris. Nous devons céder. Pour nos concitoyens, pour les enfants, les femmes et les hommes d’Ivaline. J’ai dit.

Le brouhaha allait reprendre à cet instant quand, du côté des grandes portes ouvertes du palais, un applaudissement résonna dans la salle qui s’était tue un instant. Tous se retournèrent, marchands, officiers et nobles pour voir un seul homme, accompagné d’un Fauve gigantesque qui bâillonnait le maître de cérémonie. C’était cet étranger qui applaudissait, un son assourdi par les lourds gants de peau qu’il avait aux mains. On ne voyait rien de sa vêture en dehors de bottes de montes noires, cirées, un pantalon bouffant à la militaire et une lourde cape de soldat qui cachait son visage. Elle était fermée, ne laissant voir nul tabard ou pourpoint, mais laissait présager à la bosse au niveau de la ceinture qu’une épée se trouvait là. Seul des yeux bleus et un nez fort, busqué, émergeaient de cette face volontairement abaissée pour rester dans les ombres. Son compagnon était d’une autre trempe, mesurant près de deux mètres. Le Fauve portait bien son nom. Une armure laquée de noire et argentée aux épaulières indiquait le rang de ce Gladiateur aux impressionnants cimeterres de bataille. Il ne portait pas de casque, révélant un visage couturé de cicatrices et de scarifications rituelles. A son œil droit, jaune et fendue comme celui d’un félin, répondait le gauche où un bandeau noir et argent protégeait un globe arraché par un coup d’épée. Son abondante fourrure blanche tombait en une crinière peignée en guise de cheveux. Un Fauve, un de ces félins humanoïdes de la Grande Couronne qui avaient rejoint l’Impératrice aux premiers jours de la guerre.

L’humain arrêta d’applaudir, et fit un signe discret à son garde du corps qui relâcha le maître de cérémonie. L’étranger avança de trois pas longs et élégants, bien que sa jambe gauche claudiquait en faisant résonner le marbre du bruit de l’acier. Dans un geste ample, il révéla enfin son visage, à la stupéfaction de tous dans la pièce. Elizbeth blémit, tandis que Jakob cria presque :


–Toi ?!

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