jeudi 29 janvier 2015

Les Héritiers

–Il y a une autre solution.

Cette voix, grave, posée, coupe tous les débats en un instant. Ma sœur et mon frère se retournent immédiatement, et moi je suis le même mouvement. Accoudé au bar, notre demi-frère se sert une vodka martini. Après avoir posé en esthète l’olive, il boit à petites gorgées sa boisson, tandis que le nous le regardons tous. Il m’amuse. Dire que ce matin même, je ne le connaissais pas. Grand, mince, on dirait un de ces éternels étudiant du Quartier Latin. Habillé de noir pour l’occasion, sa veste en velours élimée semble avoir connu des jours meilleurs, tous comme ses chaussures pourtant cirées de frais. Clem craqua la première:

–Et c’est quoi ta solution ?

Sa voix était toujours haut perchée, racée. Comme sa manucure et sa robe noire de prix. Une beauté fatale, cheveux blonds peroxydés, seins refaits, ma sœur était une salope, mais une belle salope. C’était déjà ça.
Jeremy acquiesce comme pour suivre notre sœur. Lui, c’était le petit toutou. Ou plutôt, le chien de garde. Petit et râblé,  il ressemble plus à notre oncle Sergui qu’à papa à vrai dire. Carrure de demi de mêlée et caractère sanguin. De nous tous, c’était pourtant celui qui était le plus proche des activités de feu notre père, que nous venions d’enterrer le matin-même.
Notre demi-frère sourit, avant de lancer.

–Notre…père nous propose de gagner chacun un demi-million d’euros. Pour prendre sa place à la tête de l’Organisation. Soit. Mais la solution que vous préconisez, et doit faire bander ce vieux salopard dans sa tombe, c’est de nous déchirer pour les miettes. Les miettes d’un empire certes. Mais pour ces miettes on va revenir à l’époque de l’âge de pierre. Tout détruire si nous nous battons entre nous. Et faire le jeu des mêmes salauds qui ont mis une balle dans la tête de père.

Il parlait bien, d’une voix veloutée. Entre l’étudiant de thèse et l’homme politique. Mais que faisait-il donc de sa vie ? J’allais demander quelque chose, lorsque Jeremy me coupa, énervé :

–Et tu veux quoi dans ton mélo ? Tu n’es rien pour nous. On te connait pas. Pourquoi est-ce qu’on devrait t’écouter d’abord ?

–Parce que je suis le fils de ton père, tout comme toi. Tout comme Clémentine et Catherine.

Il haussa les épaules avant de reprendre, après m’avoir fait un clin d’œil. Depuis le début il me regardait de ses yeux bleus, contraste avec le brun de ses cheveux. Il n’était pas beau garçon, menton fuyant, bouche trop mince, nez un peu busqué. Pourtant dans ses yeux je lisais la même passion que dans ceux de papa. Et en me regardant, il me faisait comprendre qu’il avait compris là où j’allais en arriver si Jeremy ne m’avait pas coupé.

–Et que le défi qu’il nous offre, c’est de nous unir pour garder son…notre empire. Et le faire fructifier. Parce que, même si nous ne sommes pas de la même mère, nous sommes ses enfants, la chair de sa chair. Ses héritiers. Comme les cinq doigts de la main.

Clém lança, hautaine :

–Nous ne sommes que quatre, à moins que tu ne saches pas compter ?

Il souriait encore, et son regard se posait sur moi. J’étais la petite intello après tout, celle qui devait tout comprendre le plus vite possible. Alors je dis, d’une traite, et sans retenir mon souffle, rougissante face à mes aînés :

–Nous sommes cinq enfants. Toi, Jeremy, Nicolas et moi. Les quatre premiers doigts. Le cinquième, le plus important, c’est l’Organisation. Sans elle, nous ne sommes rien Clem. Et à nous quatre, nous pouvons en faire quelque chose de grand. Toi, tu es la parure, la devanture qui nous permettra de négocier et de nous afficher aux yeux du monde. Jeremy, lui, connait tous de nos activités n…spéciales. Moi, c’est l’argent, les chiffres, et tout le monde sous-terrain parce que le soleil et moi, ça fait deux.

–Et Nicolas ? demanda Jeremy en toisant son vis-à-vis qui buvait encore sa boisson.

Nicolas répondit de lui-même :

–Moi ? Moi je ne suis rien. Mais père a pensé à mon éducation tout comme la vôtre. Moi je serai l’auriculaire, le petit doigt qui sert à pas mal de chose. Et à dire les vérités.


Il souriait en montrant ce doigt précis. L’auriculaire. Comme si son petit doigt pouvait dire des choses précieuses. Et ça, c’était une évidence. En d’autres termes, j’aurais pu dire que Jeremy était la main gauche. Clem la main droite. Moi le cerveau. Et cet inconnu, le cœur. Car lui seul pouvait nous commander à nous trois, car il n’était pas nous. Il était l’étranger qui nous maintiendrait tous en vie. Alors, pour la première fois, je lui rendis son sourire. 

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