Sous la houppelande se cachait un minois humain. Cheveux
noirs en batailles, nez busqué, yeux bleus-gris malicieux. La mâchoire glabre
fuyait légèrement, et, si ce n’était la vilaine cicatrice encore rougie qui
brûlait sous son œil droit, on aurait cru, à raison, que ce trentenaire était
le portrait craché de Jakob, avec plusieurs dizaines d’années en moins. Il
devait être légèrement plus âgé qu’Elizabeth, ce guerrier qui ne portait pour
toute armure qu’un pourpoint noir. A son épaule, une fourragère argent. Sur sa
poitrine, aucune décoration en dehors de la croix amarante pour service rendu à
l’Empire.
–Et oui. Moi. Et avant que vous ne disiez quelque chose, je
ne suis guère heureux d’être ici.
–Et peut-être vas-tu nous dire ce que tu fais ici ?
–Oh tout cela est très simple, fit l’étranger dans un
sourire, Je suis l’envoyé sur Ivaline de sa Majesté Eyris Première, Impératrice
des Mondes Connus et à Connaître. Et je vous apporte la paix.
–La paix ? intervint Elizabeth, sarcastique et acerbe, La
paix alors que tu viens fouler les terres de tes ancêtres avec une armée ?
La paix alors que tu amènes les troupes de la bâ…D’Eyris sur ta propre planète ?
–Ne voyez pas dans les troupes qui ont passé le portail une
force d’occupation ma très chère belle-sœur. Comment diriez-vous DeZekiel dans
votre jargon ? Une force d’interposition ? Ou de pacification ?
Je ne suis que leur émissaire. Vous pouvez très bien leur renvoyer ma tête,
mais alors vous saurez ce qu’il vous en coûtera. Même si je n’ai nulle envie d’en
arriver à ces mesures
Le jeune homme haussa les épaules, toujours un sourire aux
lèvres. Il s’était avancé jusqu’au ventre de la pièce, au milieu de la table
ronde. Il mettait au défi quiconque de le tuer sur le champ, de faire couler
son sang sur le marbre. Cela était facile, il n’avait pas même sa main sur la
garde de sa lame. Mais tout le monde savait que le nouveau venu était un
redoutable duelliste. Pourtant, dans son sourire, on lisait aussi une profonde
tristesse, comme s’il pouvait laisser sa chance de survivre dans un combat.
Comme si ses premiers et derniers mots révélaient tout le dégoût de se
retrouver chez lui, il se contentait de toiser son père du regard. N’importe
qui aurait pu l’attaquer là, dans le dos qu’il avait à découvert. La tension
était à son comble. Oségno avait du mal à respirer et son visage était tout
aussi congestionné que celui de DeZekiel. Ce dernier caressait doucement le
pistolet noir qui pendait à sa hanche. En un coup il pouvait vider son cristal
d’énergie, et régler le sort d’Ivaline. Elizabeth, elle, toujours blême,
regardait ce visage si bien connu. Ce visage d’enfant prodigue qui avait fui
toutes ses responsabilités pour courir l’aventure dans l’espace. Ce visage de
traître qui avait participé à l’assaut final sur Anésidora, planète capitale de
l’Empire. Ce visage autrefois tant aimé qui représentait la mort de son cher et
tendre époux dans un combat perdu d’avance. Jakob, lui, ne disait rien. Il
avait été pris sur le fait par son fils cadet, la chair de sa chair, celui qui
lui ressemblait trait pour trait mais ne pouvait pas être son héritier. Ce fils
qu’il avait vu partir par une nuit d’hiver, plus de dix années standards
auparavant, avec un maître Saltimbanque. Cet enfant qu’il chérissait et ne
pouvait se permettre d’aimer en public, le fruit de ses propres pêchés, un
homme fait maintenant dans lequel il retrouvait la fougue de sa jeunesse, le
regardait de la même manière. Yeux bleus gris plongés dans leurs semblables,
cherchant à percer les traces du temps, à moins qu’ils ne souhaitaient savoir
si la guerre ou la paix embraserait soudain Ivaline.
Instant suprême, un silence de mort régnait sur cette
assemblée. DeZekiel mouillait ses lèvres trop sèches, descendait lentement sa
main vers son arme. Oscar DeNidias fusillait du regard l’étranger, ce traître à
sa race qui frayait avec les Fauves. Elizabeth cherchait à retrouver les traits
de l’adolescent dans cet homme marqué par la guerre. Le xénomoprhe lui, tenait
toujours sa proie dans sa poigne mais savait qu’en un seul bond il pouvait tuer
tout humain qui s’attaquerait à son ami. Et Jakob, lui, hésitait sur ce qu’il
fallait faire. Mais la solution provint d’un tout petit homme en robes bleus
marines. Vieux et sage, la peau parcheminée par le temps, de rares fils blancs
recouvraient un crâne poli par les années. Le grand maître de l’Harmonie, Guillemot,
premier représentant du culte impérial sur Ivaline, toussa légèrement avant de
dire d’une voix puissante pour sa frêle carrure :
–Que l’on apporte le pain et le vin. Aujourd’hui un fils
rentre chez lui. Il rentre à la tête d’une armée pour ramener l’Harmonie sur
Ivaline. Et je suis certain que toi, Jérôme DeVrynn, tu n’apporteras pas le
chaos sur la terre de tes ancêtres. Embrasse ton père. Embrasse ta sœur. Et que
le calme et la paix de l’Impératrice revienne sur notre belle planète.
Alors, tous se détendirent dans un souffle. Et Guillemot
scella enfin, après douze années de voyages et de guerres, les mains de Jérôme
et de son père dans l’acte de Réconciliation entre Jakob et son fils.
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