jeudi 15 janvier 2015

Les cendres de la guerre 02 "impasse mexicaine"

Sous la houppelande se cachait un minois humain. Cheveux noirs en batailles, nez busqué, yeux bleus-gris malicieux. La mâchoire glabre fuyait légèrement, et, si ce n’était la vilaine cicatrice encore rougie qui brûlait sous son œil droit, on aurait cru, à raison, que ce trentenaire était le portrait craché de Jakob, avec plusieurs dizaines d’années en moins. Il devait être légèrement plus âgé qu’Elizabeth, ce guerrier qui ne portait pour toute armure qu’un pourpoint noir. A son épaule, une fourragère argent. Sur sa poitrine, aucune décoration en dehors de la croix amarante pour service rendu à l’Empire.

–Et oui. Moi. Et avant que vous ne disiez quelque chose, je ne suis guère heureux d’être ici.

–Et peut-être vas-tu nous dire ce que tu fais ici ?

–Oh tout cela est très simple, fit l’étranger dans un sourire, Je suis l’envoyé sur Ivaline de sa Majesté Eyris Première, Impératrice des Mondes Connus et à Connaître. Et je vous apporte la paix.

–La paix ? intervint Elizabeth, sarcastique et acerbe, La paix alors que tu viens fouler les terres de tes ancêtres avec une armée ? La paix alors que tu amènes les troupes de la bâ…D’Eyris sur ta propre planète ?

–Ne voyez pas dans les troupes qui ont passé le portail une force d’occupation ma très chère belle-sœur. Comment diriez-vous DeZekiel dans votre jargon ? Une force d’interposition ? Ou de pacification ? Je ne suis que leur émissaire. Vous pouvez très bien leur renvoyer ma tête, mais alors vous saurez ce qu’il vous en coûtera. Même si je n’ai nulle envie d’en arriver à ces mesures

Le jeune homme haussa les épaules, toujours un sourire aux lèvres. Il s’était avancé jusqu’au ventre de la pièce, au milieu de la table ronde. Il mettait au défi quiconque de le tuer sur le champ, de faire couler son sang sur le marbre. Cela était facile, il n’avait pas même sa main sur la garde de sa lame. Mais tout le monde savait que le nouveau venu était un redoutable duelliste. Pourtant, dans son sourire, on lisait aussi une profonde tristesse, comme s’il pouvait laisser sa chance de survivre dans un combat. Comme si ses premiers et derniers mots révélaient tout le dégoût de se retrouver chez lui, il se contentait de toiser son père du regard. N’importe qui aurait pu l’attaquer là, dans le dos qu’il avait à découvert. La tension était à son comble. Oségno avait du mal à respirer et son visage était tout aussi congestionné que celui de DeZekiel. Ce dernier caressait doucement le pistolet noir qui pendait à sa hanche. En un coup il pouvait vider son cristal d’énergie, et régler le sort d’Ivaline. Elizabeth, elle, toujours blême, regardait ce visage si bien connu. Ce visage d’enfant prodigue qui avait fui toutes ses responsabilités pour courir l’aventure dans l’espace. Ce visage de traître qui avait participé à l’assaut final sur Anésidora, planète capitale de l’Empire. Ce visage autrefois tant aimé qui représentait la mort de son cher et tendre époux dans un combat perdu d’avance. Jakob, lui, ne disait rien. Il avait été pris sur le fait par son fils cadet, la chair de sa chair, celui qui lui ressemblait trait pour trait mais ne pouvait pas être son héritier. Ce fils qu’il avait vu partir par une nuit d’hiver, plus de dix années standards auparavant, avec un maître Saltimbanque. Cet enfant qu’il chérissait et ne pouvait se permettre d’aimer en public, le fruit de ses propres pêchés, un homme fait maintenant dans lequel il retrouvait la fougue de sa jeunesse, le regardait de la même manière. Yeux bleus gris plongés dans leurs semblables, cherchant à percer les traces du temps, à moins qu’ils ne souhaitaient savoir si la guerre ou la paix embraserait soudain Ivaline.

Instant suprême, un silence de mort régnait sur cette assemblée. DeZekiel mouillait ses lèvres trop sèches, descendait lentement sa main vers son arme. Oscar DeNidias fusillait du regard l’étranger, ce traître à sa race qui frayait avec les Fauves. Elizabeth cherchait à retrouver les traits de l’adolescent dans cet homme marqué par la guerre. Le xénomoprhe lui, tenait toujours sa proie dans sa poigne mais savait qu’en un seul bond il pouvait tuer tout humain qui s’attaquerait à son ami. Et Jakob, lui, hésitait sur ce qu’il fallait faire. Mais la solution provint d’un tout petit homme en robes bleus marines. Vieux et sage, la peau parcheminée par le temps, de rares fils blancs recouvraient un crâne poli par les années. Le grand maître de l’Harmonie, Guillemot, premier représentant du culte impérial sur Ivaline, toussa légèrement avant de dire d’une voix puissante pour sa frêle carrure :

–Que l’on apporte le pain et le vin. Aujourd’hui un fils rentre chez lui. Il rentre à la tête d’une armée pour ramener l’Harmonie sur Ivaline. Et je suis certain que toi, Jérôme DeVrynn, tu n’apporteras pas le chaos sur la terre de tes ancêtres. Embrasse ton père. Embrasse ta sœur. Et que le calme et la paix de l’Impératrice revienne sur notre belle planète.


Alors, tous se détendirent dans un souffle. Et Guillemot scella enfin, après douze années de voyages et de guerres, les mains de Jérôme et de son père dans l’acte de Réconciliation entre Jakob et son fils.

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