Tout a commencé dans un bar. Toute aventure, bonne ou
mauvaise, commence toujours dans un bar. Le rade de cette station orbitale n’était
pas mieux, ni pire, qu’un autre. Le genre d’endroits où personne ne
souhaiterait atterrir, sauf des contrebandiers, des chasseurs de primes et autres
mercenaires. Faune inter-galactique qui n’a qu’une seule religion : l’argent.
Et pour tout code d’honneur l’obligation de déposer les armes quand on entrait
dans ce genre de zinc en duralium. Et même ça, ce n’était pas forcément
respecté. Un cul de bouteille éclaté sur le comptoir, un couteau pour le dîner
ou même les queues de billards remplacent n’importe quelle épée. Quant aux
poings et aux pieds, si tu ne savais pas y jouer dans ce monde de brutes, c’est
que t’étais pas fait pour le rejoindre.
Un monde que je connaissais bien, trop bien. Combinaisons en
synthécuir pour les astropilotes, armure en polymères pour les guerriers et
mercenaires. De partout crânes rasés, tatouages tribaux et autres piercings qui
montraient l’appartenance à des clans ou les travailleurs en solo. Je faisais
partie de cette dernière catégorie, moi, Askel DeVaer.
Vous vous demandez qui c’est, Askel DeVaer ? Passez
rapidement sur cette foule d’hommes en chien qui mataient la gonze, pauvre
gamine qui se dessapait tous les soirs pour quelques poignées de Crédits
Universels. Passez aussi le bar, où le droïde servait à tout va cocktails et
autres boissons fermentées, racontant des conneries téléchargées sur les
différentes planètes sans que personne l’écoute. Non, si vous voulez savoir qui
je suis, plongez plutôt vers l’arrière salle fumante, là où de petites alcôves
rehaussée de tissus synthétiques pourpre accueillaient les discussions privées,
du genre vraiment privées.
Askel DeVaer, c’est moi, le type engoncé dans une armure de
cuir et de synthéos fripée qui fume un gros cigare. Ou plutôt le reflet mat que
je regarde en attendant mon commanditaire. Cheveux longs et graisseux à force
de les laver avec de l’eau recyclée, rasé sur les côtés pour ne laisser qu’une
houppette en haut du crâne. Tatouage tribal maori autour de l’œil, une sorte de
dragon qui descendait jusqu’à mon cou. Plusieurs troues aux oreilles pleins d’acier
chirurgical de première qualité. Le miroir sans teint que je mate ne donne pas
la couleur de mes yeux gris, et casse un peu mon nez plusieurs fois brisés, et
toujours ressoudé. Une allure entre le barbare d’une époque révolue sur
VieilleTerre et le pistolero de ces vieux westerns qu’on pouvait trouver entre
tridéo, au milieu d’une foule de pornos crasses et autres gonzo à deux CU.
Je fumais abondamment, noyant mon propre reflet dans les
miasmes de cigare. Odeur de cannelle et de vanille, pour ce que je savais de ce
que ça avait été avant, avant que tout ne soit synthétisé. Pour noyer le tout,
et être bien sûr de perdre mon visage dans cette fumée, j’avalais aussi
plusieurs whisk secs, sans glace. Le genre de tord-boyaux qui t’arrachait la
gorge pour pas cher, et t’emmenait pour le même prix dans un monde sans rêves
ni remords.
Mon client, ou plutôt, ma cliente, arriva enfin. Grande,
cheveux roux attachés en queue de cheval. Lunettes aviateurs et tenue de cuir
rouge trop neuve pour être la même que celles de loubards dans mon genre. Une
poitrine avantageuse qui attirait le regard de tous les mâles. Légèrement
découverte, juste ce qu’il fallait, par le zip de la fermeture éclair qui s’ouvrait
vers des mystères blancs laiteux. Elle traversait le rade sous les regards
lubriques, et je pouvais jurer avoir entendu un ou deux sifflets. Dommage que
je voyais pas ses miches de là où j’étais. Mais ce n’était que partie remise.
Comme une reine, elle ne prêtait attention à personne. Pour
sûr que cette gamine avait du cran. Trop propre sur elle, on voyait bien qu’elle
était une de ces planétaires qui s’imaginait qu’une combinaison faisait le
galactique. Mais la réalité était bien loin de là. Au moins, elle s’en tirait
pas trop mal. Peut-être était-ce dû aux deux gorilles qui la suivaient de pas
trop loin ?
Trois pas, et elle arriva sur ma table. Elle posa ses fesses
sur la banquette de moleskine pourpre, sans montrer nul dégoût. Dans le noir,
les tâches d’alcool et de vomi étaient cachées. Elle fronça le nez cependant
quand elle sentit l’odeur de mon cigare. Je l’écrasais aussitôt, tandis qu’elle
lançait :
« –C’est ça votre super lieu de rendez-vous DeVaer ?
–C’est vous qui êtes venu me chercher. Mademoiselle ?
–Madame. Madame Smith
Un nom qui voulait tout dire et rien à la fois. Le genre de
nom que tous les commanditaires de la galaxie prenaient pour assurer leurs
arrières. Des fois qu’on torture les types comme moi. Je haussais les épaules
et répondit :
–C’est vous la patronne madame Smith. Que puis-je faire pour
vous ?
–C’est bien, vous êtes direct vous au moins.
Elle tendit un dossier. Je ne l’ouvris pas. Je savais ce qu’il
y avait dedans. Un dock, un endroit où amener la marchandise, quelqu’un à
contacter sur place. Un jeu de photos pour compléter le tout. Tout dont j’avais
besoin pour mener un contrat. Je demandais seulement.
–Combien ?
– 100 000 crédits universels maintenant. En tube. Pour vos
frais. Et encore 100 000 à la fin. Sur le compte de votre choix. Rien du
tout si vous ne passez pas.
–Si je ne passe pas, je suis mort.
Je souris en disant cela, révélant une dentition guère
parfaite. Chicots jaunis par le tabac et coups de poings ne faisaient pas bon
ménage. Là encore, si elle était dégoutée, elle n’en montra rien. Vraiment une
cadre de premier ordre cette petite.
–Alors ?
Pour toute réponse, je saisis le dossier. Elle me regardait,
interloquée.
–Le deuxième paiement. Aussi en tube. Votre contact vous
appellera quand j’aurais passé la cargaison. Bonne journée Madame Dupont.
Alors, elle aussi sourit. Puis repartit dans l’autre sens. Franchement, elle avait un joli cul bien moulé dans sa combinaison. Dommage que ce ne soit pas une fille pour moi. Enfin, le contrat était bien partit. Pour elle du moins. Sereine, elle pouvait faire son rapport à sa hiérarchie.
Certaine que je ferai ce qu’elle voulait. Moi, Askel DeVaer, j’avais une
réputation à tenir non ?
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