vendredi 16 janvier 2015

Le contrat

Tout a commencé dans un bar. Toute aventure, bonne ou mauvaise, commence toujours dans un bar. Le rade de cette station orbitale n’était pas mieux, ni pire, qu’un autre. Le genre d’endroits où personne ne souhaiterait atterrir, sauf des contrebandiers, des chasseurs de primes et autres mercenaires. Faune inter-galactique qui n’a qu’une seule religion : l’argent. Et pour tout code d’honneur l’obligation de déposer les armes quand on entrait dans ce genre de zinc en duralium. Et même ça, ce n’était pas forcément respecté. Un cul de bouteille éclaté sur le comptoir, un couteau pour le dîner ou même les queues de billards remplacent n’importe quelle épée. Quant aux poings et aux pieds, si tu ne savais pas y jouer dans ce monde de brutes, c’est que t’étais pas fait pour le rejoindre.

Un monde que je connaissais bien, trop bien. Combinaisons en synthécuir pour les astropilotes, armure en polymères pour les guerriers et mercenaires. De partout crânes rasés, tatouages tribaux et autres piercings qui montraient l’appartenance à des clans ou les travailleurs en solo. Je faisais partie de cette dernière catégorie, moi, Askel DeVaer.

Vous vous demandez qui c’est, Askel DeVaer ? Passez rapidement sur cette foule d’hommes en chien qui mataient la gonze, pauvre gamine qui se dessapait tous les soirs pour quelques poignées de Crédits Universels. Passez aussi le bar, où le droïde servait à tout va cocktails et autres boissons fermentées, racontant des conneries téléchargées sur les différentes planètes sans que personne l’écoute. Non, si vous voulez savoir qui je suis, plongez plutôt vers l’arrière salle fumante, là où de petites alcôves rehaussée de tissus synthétiques pourpre accueillaient les discussions privées, du genre vraiment privées.

Askel DeVaer, c’est moi, le type engoncé dans une armure de cuir et de synthéos fripée qui fume un gros cigare. Ou plutôt le reflet mat que je regarde en attendant mon commanditaire. Cheveux longs et graisseux à force de les laver avec de l’eau recyclée, rasé sur les côtés pour ne laisser qu’une houppette en haut du crâne. Tatouage tribal maori autour de l’œil, une sorte de dragon qui descendait jusqu’à mon cou. Plusieurs troues aux oreilles pleins d’acier chirurgical de première qualité. Le miroir sans teint que je mate ne donne pas la couleur de mes yeux gris, et casse un peu mon nez plusieurs fois brisés, et toujours ressoudé. Une allure entre le barbare d’une époque révolue sur VieilleTerre et le pistolero de ces vieux westerns qu’on pouvait trouver entre tridéo, au milieu d’une foule de pornos crasses et autres gonzo à deux CU.

Je fumais abondamment, noyant mon propre reflet dans les miasmes de cigare. Odeur de cannelle et de vanille, pour ce que je savais de ce que ça avait été avant, avant que tout ne soit synthétisé. Pour noyer le tout, et être bien sûr de perdre mon visage dans cette fumée, j’avalais aussi plusieurs whisk secs, sans glace. Le genre de tord-boyaux qui t’arrachait la gorge pour pas cher, et t’emmenait pour le même prix dans un monde sans rêves ni remords.

Mon client, ou plutôt, ma cliente, arriva enfin. Grande, cheveux roux attachés en queue de cheval. Lunettes aviateurs et tenue de cuir rouge trop neuve pour être la même que celles de loubards dans mon genre. Une poitrine avantageuse qui attirait le regard de tous les mâles. Légèrement découverte, juste ce qu’il fallait, par le zip de la fermeture éclair qui s’ouvrait vers des mystères blancs laiteux. Elle traversait le rade sous les regards lubriques, et je pouvais jurer avoir entendu un ou deux sifflets. Dommage que je voyais pas ses miches de là où j’étais. Mais ce n’était que partie remise.
Comme une reine, elle ne prêtait attention à personne. Pour sûr que cette gamine avait du cran. Trop propre sur elle, on voyait bien qu’elle était une de ces planétaires qui s’imaginait qu’une combinaison faisait le galactique. Mais la réalité était bien loin de là. Au moins, elle s’en tirait pas trop mal. Peut-être était-ce dû aux deux gorilles qui la suivaient de pas trop loin ?

Trois pas, et elle arriva sur ma table. Elle posa ses fesses sur la banquette de moleskine pourpre, sans montrer nul dégoût. Dans le noir, les tâches d’alcool et de vomi étaient cachées. Elle fronça le nez cependant quand elle sentit l’odeur de mon cigare. Je l’écrasais aussitôt, tandis qu’elle lançait :

« –C’est ça votre super lieu de rendez-vous DeVaer ?

–C’est vous qui êtes venu me chercher. Mademoiselle ?

–Madame. Madame Smith

Un nom qui voulait tout dire et rien à la fois. Le genre de nom que tous les commanditaires de la galaxie prenaient pour assurer leurs arrières. Des fois qu’on torture les types comme moi. Je haussais les épaules et répondit :

–C’est vous la patronne madame Smith. Que puis-je faire pour vous ?

–C’est bien, vous êtes direct vous au moins.

Elle tendit un dossier. Je ne l’ouvris pas. Je savais ce qu’il y avait dedans. Un dock, un endroit où amener la marchandise, quelqu’un à contacter sur place. Un jeu de photos pour compléter le tout. Tout dont j’avais besoin pour mener un contrat. Je demandais seulement.

–Combien ?

– 100 000 crédits universels maintenant. En tube. Pour vos frais. Et encore 100 000 à la fin. Sur le compte de votre choix. Rien du tout si vous ne passez pas.

–Si je ne passe pas, je suis mort.

Je souris en disant cela, révélant une dentition guère parfaite. Chicots jaunis par le tabac et coups de poings ne faisaient pas bon ménage. Là encore, si elle était dégoutée, elle n’en montra rien. Vraiment une cadre de premier ordre cette petite.

–Alors ?

Pour toute réponse, je saisis le dossier. Elle me regardait, interloquée.

–Le deuxième paiement. Aussi en tube. Votre contact vous appellera quand j’aurais passé la cargaison. Bonne journée Madame Dupont.


Alors, elle aussi sourit. Puis repartit dans l’autre sens. Franchement, elle avait un joli cul bien moulé dans sa combinaison. Dommage que ce ne soit pas une fille pour moi. Enfin, le contrat était bien partit. Pour elle du moins. Sereine, elle pouvait faire son rapport à sa hiérarchie. Certaine que je ferai ce qu’elle voulait. Moi, Askel DeVaer, j’avais une réputation à tenir non ?

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