Le vaisseau espagnol avait été annoncé quelques heures
avant. Le temps de faire retentir les coups de canons réglementaires pour
souhaiter la bienvenue à un plénipotentiaire allié, et la matinée fut bien
entamée. Vers les onze heures, une garde d’honneur de soldats en uniformes
blancs s’aligna sur la jetée du port, tandis qu’un carrosse tiré par
quatre chevaux blancs, privilège du
Gouverneur Des Nos, était tiré face à la mer sous les regards ébahis des
habitants de Fort-de-France réunis en ce dimanche de Carême devant la
cathédrale blanche.
Tandis que les soldats maintenaient un cordon de sécurité un
peu lâche, un jeune officier triturait nerveusement la garde de son épée,
jetant de réguliers coups d’œil à sa montre à gousset, tandis que le majestueux
vaisseau espagnol, robuste bien qu’un peu lourd sur l’eau, appontait la jetée
sous les trilles des sifflets et les grands ahans des hommes de peines qui
attachaient les longues amarres tandis que le navire finissait sa course,
libéré du vaisseau pilote.
A un ordre du sergent-major, la haie d’honneur se mit en
place dans le claquement des fusils. Le jeune officier regarda l’alignement
parfait de ses hommes, raides et droits malgré la chaleur, uniformes
parfaitement ajustés et baïonnettes et autres boutons de vareuses brillants
sous la lumière céleste Fier d’eux, il s’avança sur la jetée, tandis que du
vaisseau un ponton était jeté.
Quand il vit descendre l’amiral espagnol, il fut légèrement
ébloui par la lumière du soleil, avant de rougir quand il comprit que
l’ambassadeur était en fait…Une femme. Personne ne l’avait prévenu, mais son
éducation nobiliaire repris le pas, même s’il marqua un temps
d’hésitation :
« Ambassadeur Della Corte, au nom du Gouverneur Des
Nos, je vous présente les respects de la France, Madame » il n’avait pas
pu s’empêcher d’ajouter ceci, même s’il connaissait le rôle éminemment
politique de cette charmante demoiselle. Si les espagnols étaient commandés par
des personnes du sexe faible, il comprenait pourquoi la France avançait si vite
dans l’établissement d’une nouvelle dynastie dans la Péninsule, et se demandait
si les plans de l’Amiral étaient encore valables.
Galamment, il lui fit l’honneur de son bras, tandis qu’il
l’invitait à remonter la haie d’honneur. Il pensait qu’elle n’avait aucun
intérêt à regarder patiemment les boutons d’uniformes et l’ordonnance parfaite
des gibecières briquées comme des sous neufs, alors le jeune capitaine la fit
passer rapidement cette étape, profitant pour détailler la robe gris-perle
légèrement échancrée de la demoiselle tout en gardant ses questions pour
lui-même.
C’est dans la même veine qu’il lui proposa de monter dans le
carrosse ouvert. Tandis que la petite troupe partait vers la résidence de Des
Nos, perché dans les collines, le jeune homme devisa gaiement avec son hôtesse,
parlant de tout et de rien, mais surtout pas de politique et encore moins de
son amiral. Les ordres étaient clairs, que des bavardages inutiles, nous étions
en guerre, les Espagnols n’aimaient guère la Fleur de Lys, alors autant éviter
toute trace de faiblesse.
Après une demi-heure de déplacement, l’équipage arriva
devant la longue promenade bordée de grands bananiers de la résidence privée du
Gouverneur, après avoir traversé un paysage vallonné mélangeant agréablement le
vert sombre de la jungle dans les hauteurs au vert plus clair des grandes
cannes à sucre et des palmeraies.
La résidence en elle-même était un de ses grands bâtiments
colonial à plusieurs étages, façade blanches en bois rares entourant un
escalier qui s’avançait devant une longue terrasse. Le capitaine abandonne là
Isabella, tandis qu’un majordome noir en livrée priait Madame de le suivre
jusqu’au jardin d’intérieur.
A vrai dire, l’arrière de la maison voyait une autre terrasse
qui offrait une vue splendide sur la Baie de Fort-de-France. Ce que le
majordome avait appelé le jardin intérieur était en fait le prolongement de
cette terrasse, une prairie ou trônait une serre tropicale ouverte aux quatre
vents par de grandes baies vitrées qui devaient valoir leur pesant d’or. La
serre elle-même était entouré par des massifs de fleurs et autres essences
exotiques taillées à la française dans une sorte de labyrinthe de verdure où
régnait le calme et la paix, tandis que l’on entendait discrètement le glouglou
rafraichissant de fontaines et les sifflets des oiseaux de paradis qui
voletaient librement dans l’air chaud de ce midi.
Devant la serre, une table recouverte d’une nappe blanche et
d’un couvert en argent avait été dressée pour deux convives. Isabella put alors
voir apparaitre un auguste vieillard en bras de chemise, on aurait dit un homme
du peuple, si ce n’était le port altier et sa démarche assuré qui trahissait
l’ancien soldat, fait avéré lorsqu’il replaça une redingote en soie bleu nuit
où était fièrement piquée la Croix de Saint-Louis. Il avait les mains pleines
de terres, et un bouquet à la main qu’il planta avec fermeté en souriant à la
jeune femme dans un vase empli d’eau pure, avant de se laver les mains dans une
bassine en fonte amenée par un autre majordome qui ressemblait trait pour trait
à l’homme qui avait accompagné Isabella.
« Madame l’ambassadrice. Je ne vous espérais pas de si
tôt. Mais je suis heureux, très heureux »
Dit-il en s’approchant, il prit alors la main de la jeune
femme avant de faire un parfait baisement, à quinze centimètres des doigts fins
d’Isabella.
« Mais prenez place Mademoiselle, voilà, acceptez donc
ceci » il tira une fleur du vase, un anthurium rouge.
« Ce n’est que peu de choses pour une beauté comme vous. J’ai
fait préparer une collation, vous devez avoir faim, et puis, après ce long
voyage…J’espère que vous aimez les mets épicés ? Le chef concocte une
excellente salade de manioc. Délicieux avec un poulet braisé aux piments de
Cayennes. »
Tout en lui était le plus charmant du monde, sa mine accueillante,
ses manières affables. Mais ses yeux trahissaient une intelligence certaine et
il ne semblait pas démonter par l’aspect déroutant de son interlocutrice,
attendant le bon moment pour parler de leur affaire…
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