vendredi 22 février 2013

négociation 01



Le vaisseau espagnol avait été annoncé quelques heures avant. Le temps de faire retentir les coups de canons réglementaires pour souhaiter la bienvenue à un plénipotentiaire allié, et la matinée fut bien entamée. Vers les onze heures, une garde d’honneur de soldats en uniformes blancs s’aligna sur la jetée du port, tandis qu’un carrosse tiré par quatre  chevaux blancs, privilège du Gouverneur Des Nos, était tiré face à la mer sous les regards ébahis des habitants de Fort-de-France réunis en ce dimanche de Carême devant la cathédrale blanche.
Tandis que les soldats maintenaient un cordon de sécurité un peu lâche, un jeune officier triturait nerveusement la garde de son épée, jetant de réguliers coups d’œil à sa montre à gousset, tandis que le majestueux vaisseau espagnol, robuste bien qu’un peu lourd sur l’eau, appontait la jetée sous les trilles des sifflets et les grands ahans des hommes de peines qui attachaient les longues amarres tandis que le navire finissait sa course, libéré du vaisseau pilote.
A un ordre du sergent-major, la haie d’honneur se mit en place dans le claquement des fusils. Le jeune officier regarda l’alignement parfait de ses hommes, raides et droits malgré la chaleur, uniformes parfaitement ajustés et baïonnettes et autres boutons de vareuses brillants sous la lumière céleste Fier d’eux, il s’avança sur la jetée, tandis que du vaisseau un ponton était jeté.
Quand il vit descendre l’amiral espagnol, il fut légèrement ébloui par la lumière du soleil, avant de rougir quand il comprit que l’ambassadeur était en fait…Une femme. Personne ne l’avait prévenu, mais son éducation nobiliaire repris le pas, même s’il marqua un temps d’hésitation :
« Ambassadeur Della Corte, au nom du Gouverneur Des Nos, je vous présente les respects de la France, Madame » il n’avait pas pu s’empêcher d’ajouter ceci, même s’il connaissait le rôle éminemment politique de cette charmante demoiselle. Si les espagnols étaient commandés par des personnes du sexe faible, il comprenait pourquoi la France avançait si vite dans l’établissement d’une nouvelle dynastie dans la Péninsule, et se demandait si les plans de l’Amiral étaient encore valables.
Galamment, il lui fit l’honneur de son bras, tandis qu’il l’invitait à remonter la haie d’honneur. Il pensait qu’elle n’avait aucun intérêt à regarder patiemment les boutons d’uniformes et l’ordonnance parfaite des gibecières briquées comme des sous neufs, alors le jeune capitaine la fit passer rapidement cette étape, profitant pour détailler la robe gris-perle légèrement échancrée de la demoiselle tout en gardant ses questions pour lui-même.
C’est dans la même veine qu’il lui proposa de monter dans le carrosse ouvert. Tandis que la petite troupe partait vers la résidence de Des Nos, perché dans les collines, le jeune homme devisa gaiement avec son hôtesse, parlant de tout et de rien, mais surtout pas de politique et encore moins de son amiral. Les ordres étaient clairs, que des bavardages inutiles, nous étions en guerre, les Espagnols n’aimaient guère la Fleur de Lys, alors autant éviter toute trace de faiblesse.
Après une demi-heure de déplacement, l’équipage arriva devant la longue promenade bordée de grands bananiers de la résidence privée du Gouverneur, après avoir traversé un paysage vallonné mélangeant agréablement le vert sombre de la jungle dans les hauteurs au vert plus clair des grandes cannes à sucre et des palmeraies.
La résidence en elle-même était un de ses grands bâtiments colonial à plusieurs étages, façade blanches en bois rares entourant un escalier qui s’avançait devant une longue terrasse. Le capitaine abandonne là Isabella, tandis qu’un majordome noir en livrée priait Madame de le suivre jusqu’au jardin d’intérieur.
A vrai dire, l’arrière de la maison voyait une autre terrasse qui offrait une vue splendide sur la Baie de Fort-de-France. Ce que le majordome avait appelé le jardin intérieur était en fait le prolongement de cette terrasse, une prairie ou trônait une serre tropicale ouverte aux quatre vents par de grandes baies vitrées qui devaient valoir leur pesant d’or. La serre elle-même était entouré par des massifs de fleurs et autres essences exotiques taillées à la française dans une sorte de labyrinthe de verdure où régnait le calme et la paix, tandis que l’on entendait discrètement le glouglou rafraichissant de fontaines et les sifflets des oiseaux de paradis qui voletaient librement dans l’air chaud de ce midi.
Devant la serre, une table recouverte d’une nappe blanche et d’un couvert en argent avait été dressée pour deux convives. Isabella put alors voir apparaitre un auguste vieillard en bras de chemise, on aurait dit un homme du peuple, si ce n’était le port altier et sa démarche assuré qui trahissait l’ancien soldat, fait avéré lorsqu’il replaça une redingote en soie bleu nuit où était fièrement piquée la Croix de Saint-Louis. Il avait les mains pleines de terres, et un bouquet à la main qu’il planta avec fermeté en souriant à la jeune femme dans un vase empli d’eau pure, avant de se laver les mains dans une bassine en fonte amenée par un autre majordome qui ressemblait trait pour trait à l’homme qui avait accompagné Isabella.
« Madame l’ambassadrice. Je ne vous espérais pas de si tôt. Mais je suis heureux, très heureux »
Dit-il en s’approchant, il prit alors la main de la jeune femme avant de faire un parfait baisement, à quinze centimètres des doigts fins d’Isabella.
« Mais prenez place Mademoiselle, voilà, acceptez donc ceci » il tira une fleur du vase, un anthurium rouge.
« Ce n’est que peu de choses pour une beauté comme vous.  J’ai fait préparer une collation, vous devez avoir faim, et puis, après ce long voyage…J’espère que vous aimez les mets épicés ? Le chef concocte une excellente salade de manioc. Délicieux avec un poulet braisé aux piments de Cayennes. »
Tout en lui était le plus charmant du monde, sa mine accueillante, ses manières affables. Mais ses yeux trahissaient une intelligence certaine et il ne semblait pas démonter par l’aspect déroutant de son interlocutrice, attendant le bon moment pour parler de leur affaire…

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