jeudi 7 février 2013

Edward Low ? Vous avez dit Edward Low ?



André était descendu à terre. Dans le fort, il avait vu les soldats bleus mélangés aux nègres, coupeurs de têtes aux sourires sinistres ou vieillards édentés ivres d’alcools et d’herbes opiacées. Tous sentaient la crasse, la vie en forteresse, et les illusions perdues. Les hommes qui n’étaient pas en service se terraient dans les rares recoins d’ombres, ajoutant au remugle de leurs corps en sueur les cris et jurons des jeux de cartes ou de dés. Les gardes, eux, trainaient d’un pas lent sur la muraille décrépie, le regard dans le vide, n’ayant qu’une seule chose en tête, quitter la fournaise de terre cuite et des fascines en bambous pour désaltérer leurs langues aussi râpeuses que les instruments du charpentier.
Le français était pressé de repartir sur l’Adamante et la liberté, mais Magaly de Sombre lui avait demandé de surveiller l’arrivée de « prisonniers ». André n’avait rien dit sur le coup, mais il n’avait pas compris pourquoi une femme aussi éprise de liberté pouvait parler d’hommes enchainés comme si c’était du simple bétail. C’est pourquoi il se tenait là, à l’ombre d’un grand chapeau de paille qu’il avait préféré à son tricorne. Il avait laissé sa veste sur le navire, habillé d’un pantalon noir et d’une chemise blanche au col largement découvert, il suait malgré tout sang-et-eau. Par tous ses pores, de la racine de ses cheveux jusqu’à ses bottes, il ruisselait, et n’avait qu’une hâte, regagner le bord après avoir pris un bain de mer.
Pesso fumait une pipe en cochant des croix régulière au fur et à mesure que les hommes de peines avançaient, fers aux pieds. C’étaient des hommes noirs, grands et bien bâtis, mais leurs regards étaient aussi vides que ceux des poissons qui séchaient sur des claies sur le sable de la plage, attaqués par des milliers de mouches. Le français se demandait si on ne les avaient pas drogué, ce qui étaient fort probables, lui-même connaissait les techniques des négriers pour asservir la marchandise, surtout au moment de l’embarquement où, épris de leur libertés à moins qu’ils ne fussent suicidaires, certains de ces esclaves se jetaient à la mer, sans aucun espoir d’atteindre la plage en vie tant les requins et la houle se massaient dans ces parages.
Quand André vit l’homme blanc recouvert de chaînes, il n’y tint plus, et demanda au nain sur un ton agressif :
« Madame De Sombre trahirait-elle ses convictions dans la vente du bois d’ébène et l’esclavage ? »
Pesso, amusé, tira une longue bouffée de sa pipe, avant de vider le tabac dans un tonneau d’eau croupi qui grésilla quelques instants. Il bourra à nouveau sa pipe, cherchant un certain effet. Il devait l’obtenir, parce que, sous l’assaut du soleil, André brulait d’une rage contenu qui rosissait ses joues. Pesso alluma avec une mèche longue le fourneau, et regarda le capitaine français.
« Non…Le capitaine ne ferait pas ce genre de choses. Ces hommes sont la lie de la société, des tueurs, des violeurs et des âmes damnées. Même si elle est contre les accords de Valladolid, vous pensez bien que Madame croit que nous avons tous une âme…Sinon, elle ne s’occuperait pas de nous comme ses enfants ! » Il tira une nouvelle bouffée, et cocha une dernière case « Le blanc, en revanche, n’était pas sur la liste. Mais si elle l’a pris dans les cales, c’est que sa vie ne vaut pas grand-chose, c’est moi qui vous le dit ».

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