vendredi 1 février 2013

Fin de partie

« Mon très cher Asdel,
Je vais partir, je ne peux plus respirer l’odeur de ce fort et la puanteur de la mort. Tu penseras que je suis un lâche, surement, mais je ne veux pas voir le Serment se détruire sans pouvoir rien faire.
Tu m’as demandé un conseil il y a peu, ça sera le dernier : crois en toi et en ceux que tu aimes.
Mon fils, j’ai toujours voulu te protéger, je vois que je ne le pourrai plus. Alors sois fort, comme disait un de vos poètes d’avant la Chute « mange, prie, aime », et ne cherche plus la voie de la vengeance »


De rage, je plie la feuille de papier, avant de la jeter dans les flammes de l’auberge. Si le tavernier m’a vu faire, il ne dit rien. Je plonge mon regard dans les flammes. Mog nous quitte, Eyris se fait distante, et Faendyr…Faendyr est ce qu’il est. Le Serment part à veau l’eau je crois, et je ne puis rien faire d’autre qu’attendre à recevoir un grand coup, peut-être le dernier de ma courte vie.
Je n’ai pas peur de la mort, Grenth est mon ami depuis mon enfance, mais au fond de mon cœur, je brûle d’une rage folle. Pourquoi ce vieux bouc abandonne-t-il tout maintenant ? Pourquoi faut-il que tout cela se passe dans ces instants de folie ? Je sers mon poing sur la table en bois, au risque de la briser sous mon gantelet d’acier. Pour calmer mes nerfs, je commande une autre bière.
L’alcool me calme, il brûle ma gorge puis mon ventre. Dans ma tête, je vois défiler des dizaines d’images, Mog qui vient me sauver, les entrainements d’Eyris, le Serment réuni, la Grande Armée. Régulièrement, un visage sort de ce magma de souvenirs, un visage ovale, pas très beau, presque enlaidi par la terre et la végétation. Moréane. Je l’aime, c’est un fait, mais pourquoi maintenant ? Son regard. Pourquoi mes sentiments émergent-ils dans ces heures critiques ? Sa manière enfantine de faire la moue. Je m’étais promis de ne plus aimer. Son rire cristallin. Sansha a été une épreuve qui aurait dû me guérir de ces maux. Ses lèvres vermeilles à la taverne. Suis-je fou ? Son corps revêtu de cuir, derrière le comptoir ou dans le feu de l’action, souple comme un roseau. Elle n’est même pas de mon monde. Une vraie sauvageonne, franche du collier, et si belle quand on la regarde dans son entier. Je ne dois pas, je ne peux pas l’aimer. Son sourire, son rire, ses yeux elle est belle, unique, une âme et un corps…
Je frappe le poing sur la table, le poivrot au comptoir tombe de surprise, tandis que le gérant me lance un regard courroucé. Je me lève, jette une jolie somme, bien plus que ce que j’ai consommé. Il s’apprête à dire quelque chose, mes yeux rencontrent les siens, il balbutie et se tait, avant de retourner à ses verres. Au moins, il pourra repayer le trou que j’ai fait dans sa table.
Je marche dans les rues du Promontoire. Après-midi froide de cet hiver rigoureux. Le vent siffle dans les ruelles, encourageant les gens à se calfeutrer chez les marchands ou dans leurs maisons. Les âmes qui vivent dans les rues courent rapidement, pas un chat ni un mendiant. C’est l’hiver.
Trois jours que nous avons quitté la forteresse. Aucune nouvelle de Faendyr ni des autres. Elle est encore en vie, je le sens. Il ne la sacrifierait pas non ? Arrête de penser à elle, ce soir tu dois être prêt à tout. L’amitié se délite, Kwath est distant, sa lettre ne dit pas grand choses. Va-t-il réellement faire assassiner cet homme que je hais ? J’aurai ma réponse ce soir. J’aimerai la revoir, une dernière fois. La réponse arrive, la vengeance et le sang. Toute cette violence, j’en suis ivre, même si une part consciente hurle le mal que je fais, j’ai presque envie de vomir. Sensations terrible, exultation des sens et du corps, au point d’en souffrir. Le froid sur ma peau me brûle, mais pas aussi fort que les flammes de mon âme. Ce soir je me venge. Humiliation. Tue. Sa tête va me revenir, qu’est-ce que j’en ferai ? Je l’aime, vraiment, mais comment lui dire ? Cette nuit le sang et la mort. La reverrais-je bientôt ?

Mog quitte la taverne de l’Ombre du Lion. Il entend derrière-lui un cri. Amaelia Clauss. Il n’a rien à lui dire, plutôt, il ne veut plus avoir aucune attache, un sortilège, et il se fond dans la nuit.
La Côte Sanglante, Mog fume un mélange de tabac et de Bleusonge. Il a laissé une lettre à Asdel, pour lui expliquer. La souffrance, il ne veut plus y faire face, il a vu trop d’amis mourir au combat. Perdre le gamin, Eyris ou un des membres des Sentinelles serait la goutte de trop dans sa lie. Il préfère fuir, technique du Moa. Se couper du réel et s’enfoncer loin, très loin des terres civilisées. Il en a besoin, il faut qu’il retrouve son âme. Il sort d’une poche le flacon que Digg lui a offert, dedans, le liquide rouge exhale des fumées qui s’enroulent comme autant d’appâts. La drogue pure, sans accoutumance. L’énergie condensée dans un flacon à peine plus long que son majeur. Il serait si facile de partir dans ce dernier rêve, ouvrir le bouchon, humer l’air et…Non, il ne le doit pas. Il plante son bâton dans l’humus de la jungle. Se relevant douloureusement, faisant craquer tous ses os, il reprend sa route, s’enfonçant pour ne plus jamais revenir…

Le Promontoire. Kwath m’a menti, il a laissé en vie le Chancelier. Il est devenu le nouveau Phénix, et ses hommes rient de moi. Tant d’efforts et de souffrances pour rien…J’enrage, je dégaine à peine Sorokin qu’un premier coup de masse m’envoie voler au loin et voire trente-six chandelles. Une odeur métallique empli ma bouche, l’odeur du sang. Et puis plusieurs coups sur le crâne, des rires gras. J’entends quelqu’un incanter et c’est le trou noir…

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