« Mon très cher Asdel,
Je vais
partir, je ne peux plus respirer l’odeur de ce fort et la puanteur de la
mort. Tu penseras que je suis un lâche, surement, mais je ne veux pas
voir le Serment se détruire sans pouvoir rien faire.
Tu m’as demandé un conseil il y a peu, ça sera le dernier : crois en toi et en ceux que tu aimes.
Mon
fils, j’ai toujours voulu te protéger, je vois que je ne le pourrai
plus. Alors sois fort, comme disait un de vos poètes d’avant la Chute «
mange, prie, aime », et ne cherche plus la voie de la vengeance »
De
rage, je plie la feuille de papier, avant de la jeter dans les flammes
de l’auberge. Si le tavernier m’a vu faire, il ne dit rien. Je plonge
mon regard dans les flammes. Mog nous quitte, Eyris se fait distante, et
Faendyr…Faendyr est ce qu’il est. Le Serment part à veau l’eau je
crois, et je ne puis rien faire d’autre qu’attendre à recevoir un grand
coup, peut-être le dernier de ma courte vie.
Je n’ai pas peur de la
mort, Grenth est mon ami depuis mon enfance, mais au fond de mon cœur,
je brûle d’une rage folle. Pourquoi ce vieux bouc abandonne-t-il tout
maintenant ? Pourquoi faut-il que tout cela se passe dans ces instants
de folie ? Je sers mon poing sur la table en bois, au risque de la
briser sous mon gantelet d’acier. Pour calmer mes nerfs, je commande une
autre bière.
L’alcool me calme, il brûle ma gorge puis mon ventre.
Dans ma tête, je vois défiler des dizaines d’images, Mog qui vient me
sauver, les entrainements d’Eyris, le Serment réuni, la Grande Armée.
Régulièrement, un visage sort de ce magma de souvenirs, un visage ovale,
pas très beau, presque enlaidi par la terre et la végétation. Moréane.
Je l’aime, c’est un fait, mais pourquoi maintenant ? Son regard.
Pourquoi mes sentiments émergent-ils dans ces heures critiques ? Sa
manière enfantine de faire la moue. Je m’étais promis de ne plus aimer.
Son rire cristallin. Sansha a été une épreuve qui aurait dû me guérir de
ces maux. Ses lèvres vermeilles à la taverne. Suis-je fou ? Son corps
revêtu de cuir, derrière le comptoir ou dans le feu de l’action, souple
comme un roseau. Elle n’est même pas de mon monde. Une vraie
sauvageonne, franche du collier, et si belle quand on la regarde dans
son entier. Je ne dois pas, je ne peux pas l’aimer. Son sourire, son
rire, ses yeux elle est belle, unique, une âme et un corps…
Je frappe
le poing sur la table, le poivrot au comptoir tombe de surprise, tandis
que le gérant me lance un regard courroucé. Je me lève, jette une jolie
somme, bien plus que ce que j’ai consommé. Il s’apprête à dire quelque
chose, mes yeux rencontrent les siens, il balbutie et se tait, avant de
retourner à ses verres. Au moins, il pourra repayer le trou que j’ai
fait dans sa table.
Je marche dans les rues du Promontoire.
Après-midi froide de cet hiver rigoureux. Le vent siffle dans les
ruelles, encourageant les gens à se calfeutrer chez les marchands ou
dans leurs maisons. Les âmes qui vivent dans les rues courent
rapidement, pas un chat ni un mendiant. C’est l’hiver.
Trois jours
que nous avons quitté la forteresse. Aucune nouvelle de Faendyr ni des
autres. Elle est encore en vie, je le sens. Il ne la sacrifierait pas
non ? Arrête de penser à elle, ce soir tu dois être prêt à tout.
L’amitié se délite, Kwath est distant, sa lettre ne dit pas grand
choses. Va-t-il réellement faire assassiner cet homme que je hais ?
J’aurai ma réponse ce soir. J’aimerai la revoir, une dernière fois. La
réponse arrive, la vengeance et le sang. Toute cette violence, j’en suis
ivre, même si une part consciente hurle le mal que je fais, j’ai
presque envie de vomir. Sensations terrible, exultation des sens et du
corps, au point d’en souffrir. Le froid sur ma peau me brûle, mais pas
aussi fort que les flammes de mon âme. Ce soir je me venge. Humiliation.
Tue. Sa tête va me revenir, qu’est-ce que j’en ferai ? Je l’aime,
vraiment, mais comment lui dire ? Cette nuit le sang et la mort. La
reverrais-je bientôt ?
Mog quitte la taverne de l’Ombre du Lion.
Il entend derrière-lui un cri. Amaelia Clauss. Il n’a rien à lui dire,
plutôt, il ne veut plus avoir aucune attache, un sortilège, et il se
fond dans la nuit.
La Côte Sanglante, Mog fume un mélange de tabac et
de Bleusonge. Il a laissé une lettre à Asdel, pour lui expliquer. La
souffrance, il ne veut plus y faire face, il a vu trop d’amis mourir au
combat. Perdre le gamin, Eyris ou un des membres des Sentinelles serait
la goutte de trop dans sa lie. Il préfère fuir, technique du Moa. Se
couper du réel et s’enfoncer loin, très loin des terres civilisées. Il
en a besoin, il faut qu’il retrouve son âme. Il sort d’une poche le
flacon que Digg lui a offert, dedans, le liquide rouge exhale des fumées
qui s’enroulent comme autant d’appâts. La drogue pure, sans
accoutumance. L’énergie condensée dans un flacon à peine plus long que
son majeur. Il serait si facile de partir dans ce dernier rêve, ouvrir
le bouchon, humer l’air et…Non, il ne le doit pas. Il plante son bâton
dans l’humus de la jungle. Se relevant douloureusement, faisant craquer
tous ses os, il reprend sa route, s’enfonçant pour ne plus jamais
revenir…
Le Promontoire. Kwath m’a menti, il a laissé en vie le
Chancelier. Il est devenu le nouveau Phénix, et ses hommes rient de moi.
Tant d’efforts et de souffrances pour rien…J’enrage, je dégaine à peine
Sorokin qu’un premier coup de masse m’envoie voler au loin et voire
trente-six chandelles. Une odeur métallique empli ma bouche, l’odeur du
sang. Et puis plusieurs coups sur le crâne, des rires gras. J’entends
quelqu’un incanter et c’est le trou noir…
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