« Tu es désuet, délicieusement désuet mon cher ». La
vieille sorcière me dit cela, comme elle aurait pu m’insulter ou me passer de
la pommade, puis me tend une flasque d’alcool que j’ingurgite d’une traite.
Soigner le mal par le mal, ça a toujours été sa manière favorite de procéder,
surtout quand je n’allais pas bien et que j’avais besoin d’elle. Et depuis que
tu es partie, je crois que tout cela, alcool, cigarette, jazz, tout cela
redevenait nécessaire, tandis que la vieille sorcière me berce tendrement sous
le regard des filles à moitié assoupies.
Toi-même, avant de partir, à moins que ce ne fusse il y a
bien longtemps, je ne m’en souviens plus au milieu de mes rêves enfumés d’alcool
et de tabac, tu m’as dit que j’étais vieux. Cela ne sonne pas de la même
manière que désuet, démodé ou suranné. Et pourtant, quand ça venait dans ta
bouche, juste avant ton petit rire tendre, toujours le même, chaud et doux à la
fois, ça aurait pu être aussi bien une méchanceté, bien vite pardonnée, qu’un
geste d’amour. Je n’ai jamais su comment le comprendre, je n’ai jamais su te
comprendre.
Devais-je le chercher ? Je veux dire, réellement ?
N’était-ce pas là aussi toute te beauté, tout ton charme secret, tout ce qui
faisait que je t’aimais ? Cette frivolité inconstante qui faisait que
jamais, même si tu étais tendrement lovée entre mes bras, je n’arriverai à te
saisir entièrement. Faire un va et vient, renaître à chaque instant passé en
toi, mais jamais t’appartenir. Totalement. Ou l’inverse, peut-importe en vrai.
Je m’en moquais bien, moi, tout ce que je voulais, c’était
ces quelques instants volés au Temps. Alité, au musée ou au ciné. Peu importait
tant que je t’avais près de moi. Je ne cherchais qu’une chose, à entendre, ton
rire, une fois de plus. Ton bonheur, même si ce terme est largement galvaudé de
nos jours, plutôt que le mien, ou plutôt le tien pour le mien. Entremêlé.
Effleurer le tissu de ta robe, te regarder te maquiller ou
te délasser, entièrement nue, dans ce grand lit carré. Loin de toi, mais
pourtant si près, malgré un abyme de quelques mètres, voire, parfois, rien du
tout, une infime infinité, tandis que tu esquivais. Oui, ce qui importait,
entre nous deux, c’était le mouvement, l’imperceptible mouvement qui faisait
que nous étions en vie.
Et pourtant, pourtant, tu penses que je suis vieux, ou
désuet comme dirait la vieille sorcière, tandis que l’alcool me brûle la gorge,
râpeux, acide et affreusement chaud, le tout à la fois. D’où cela pouvait venir ? Le jazz que tu
n’appréciais pas ? Ma façon de te parler, sans dire chocolatine et toujours
commencer de ? De m’habiller ou de vouloir te vêtir, ma petite poupée de
porcelaine ? Qu’importait mes goûts, pour toi, j’aurais bien pu en
sacrifier un ou deux. Oh n’allons pas croire que je me serais mis à la mode,
non, ça c’est bien trop fatigant de suivre des frivolités inconstantes.
Classique, c’était aussi un terme que tu aimais à me parer. Avec le même
sourire charmeur aux lèvres, le même sourire que je n’avais pas envie de
comprendre, jamais.
Classique, désuet, suranné, un tout. Et est-ce seulement
pour cela, que tu as arrêté de m’aimer ?
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