lundi 13 octobre 2014

L'amertume du café au petit matin

"Elle va jusqu'à la porte, prend ses clefs, son sac, le petit livre de voyages, pense à quelque chose avant d'ouvrir la porte, revient sur ses pas jusqu'à l'endroit où tu te trouves pour plaquer sur tes lèvres un baiser froid qui, même si tu ne veux pas le croire, a le même goût d'échec que le café"

Je referme le livre, doucement, avant de le reposer dans la pile des bouquins à finir sur mon bureau. C’est un beau livre, déjà un peu ancien, à la couverture colorée, fatiguée d’avoir était ouverte encore et encore par une multitude d’anonymes, comme moi, dans cette bibliothèque. L’auteur, un Espagnol, ou un Sud-Américain, qu’importe, a saisi en quelques petits mots l’essence de ma vie. Et ces échecs répétés. Je me revois, encore, ce dernier soir avec elle. Je la serrais doucement, elle qui était couchée sur le sofa, sa tête sur mes genoux, tandis que ma main, alors qu’elle s’endormait avec la béatitude d’une petite fille, caressait ses longs cheveux qui oscillaient entre le brun et l’or. Elle dormait, tandis que nous discutions, avec mes amis. Je sentais la chaleur de son cors collé contre le mien, son parfum qui m’enivrait toujours autant, plus finement que les quelques verres d’alcool que j’avais bu cette nuit-là.  Pourtant, une immense tristesse se dégageait, déjà, de cette scène. Elle, couchée contre moi, moi qui parlait en la caressant doucement, comme j’aurais pu le faire à un chat. A vrai dire, dans son sommeil, elle pouvait ronronner, des fois, surtout quand elle se pelotonnait tout contre moi. Et pourtant, ce soir, malgré mes amis, malgré l’alcool, malgré elle, j’étais triste. Cruelle intuition qui confine parfois au génie.

Elle est là, lovée tout contre moi, et dans quelques heures à peine, à l’aube, je devrais la ramener sur le quai de la gare. Ce même quai sordide où je l’attends, à chaque fois qu’elle vient me voir. La nuit, les néons, les sans-abris déjà ivres qui se pelotonnent dans des lits de cartons, cette gare est déjà triste.

Mais à l’aube, c’est encore pire.

Paris s’éveille, les premiers métros fonctionnent. Au petit matin du dimanche, on voit des gens qui rentrent, ivre, défaits comme s’ils s’en revenaient d’une guerre. Coups de main nocturne de fumée, de vin et de draps froissés. Petits yeux, teint blême voire blafard, tête apposée contre la muraille de la rame. Elle est toujours là, lovée contre moi, la tête sur mon épaule, et dans ses mains elle serre son petit sac de voyage. Je l’aide à monter les marches de la gare, portant à moitié sa valise. Dans la gare, des gens s’affairent, comme cherchant à effacer les traces de la nuit à grand jet d’eau et à l’odeur du pain, industriel, à peine chaud.

Un coup d’œil morne à l’affichage, son train est déjà annoncé. Les néons luttent contre la lumière pâle de l’aube, tous deux encore endormis alors que la fourmilière humaine se réveille à grand renfort de roulement de valises et de bruit de pas brutaux, comme si ces sons discordant pouvaient échauffer l’air encore humide.


Là-voilà devant son wagon. Austère mélange d’acier peint en argent et bordeaux, sa ville, au demeurant. Elle se serre contre moi, une dernière fois, longue, promesse d’éternité. Je sens la chaleur de son corps, je hume son parfum et profite, encore un peu, de sa chevelure qui oscille entre le brun et l’or. Et puis, elle tend son visage contre le mien, à moins que ce ne soit moi qui cherche ses lèvres écarlates. Un baiser, long, profond, nouvelle promesse d’éternité. Et pourtant, pourtant dans ces caresses, ce baiser froid et humide au petit matin, et cette dernière étreinte, je sens poindre le goût de l’échec. Même goût d’échec que le café, au petit matin. Qu’il soit pris à Paris ou à Santiago du Chili, tant qu’elle part, c’est la même amertume sur les lèvres, alors que la porte du train ou de l’appartement claque, une dernière fois, et qu’on sait déjà qu’on ne la reverra pas.

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