Deux mains, d’abords, papillons délicats qui se posent le
long des bras du Français. Et puis elles s’avancent, tandis que les deux bras
qui les tiennent l’enlacent. Il n’a pas besoin de demander, il sait. Sid est
là, juste derrière lui. Il sent sa peur, ses angoisses, mais aussi son amour
s’écouler dans cette étreinte. Elle se serre contre le jeune homme, sans
l’étouffer, mais sans le lâcher de trop non plus, comme une petite fille le
ferait avec sa poupée préférée un soir d’orage, pour se redonner du courage,
pour se dire qu’elle survivra, malgré la tempête qui claque, dans les ténèbres
de la nuit.
André croise des regards des membres de l’Adamante. Il
pourrait se sentir gêné de cette proximité avec la jeune femme qui hante ses
pensées les plus secrètes. Pourtant, sur le visage des membres de l’équipage,
tout aussi las que le sien, reflet de son propre corps couvert de sang et de
poudre, il ne lit pas de la moquerie, mais l’amitié face à cet amour qui éclot
peu à peu.
Le jeune homme pourrait avoir honte de sa propre odeur,
sueur mêlée aux remugles de sang et de tripes, de poudres et de bataille. Sa
chemise est détrempé d’humeur humaines, les siennes mais aussi celle des hommes
et des femmes qu’il a tué à la pointe de sa lame. En gentilhomme Français, face
à cette assemblée de ruffians et tueurs, il devrait se retourner, dire quelques
mots à son aimée, pour se dédouaner de cet instant particulier de bonheur,
tandis que l’horreur est chassée par la chaleur du corps de Sid contre le sien.
Mais André n’en fait rien. Il se laisse réchauffer par ces bras tendres, par ce
front posé contre lui. Sans se retourner, il inspire à fond pour sentir l’amour
de son amante qui passe, énergie fabuleuse, à travers cette étreinte. Il
respire l’odeur de ses cheveux, de son corps ferme et musclé, de ses
sentiments. Il sent sa peur et sa tendresse, il sent son courage et son amour.
Et André, en cet instant, se sent le plus heureux des hommes, car il a enfin
trouvé la seconde moitié de son âme. Il ne comprendra jamais rien à l’amour ou
aux désirs des femmes, mais pour l’heure il n’a pas vraiment envie de le
comprendre, il préfère juste partager avec Sid, les mêmes sentiments. Cela
durera longtemps, des années ou des mois, ou cela ne durera pas. En ce moment
il s’en moque bien. Ce qui importe, dans cette salle, c’est le moment présent.
L’ancien capitaine écoute la respiration de son amante. Son
petit rire qui chasse la terreur du combat, la violence et la mort. Elle revit.
Comme la première fois, en Afrique, après ce mortel combat sur les bords de la
rivière à demi asséchée. Et tandis qu’elle revit, lui-même se sent plus vivant
qu’il ne l’a jamais été. Ils communient l’un l’autre une fabuleuse énergie,
quelque chose d’indescriptible par la faiblesse des mots à vrai dire, que seuls
les véritables amants peuvent comprendre, dans leurs passions partagées. Face à
ce rire enfantin, il répond en saisissant entre ses mains tâchées de sang coagulé celle de Sid.
Délicatement, mais fermement, il serre contre son cœur les petits doigts de la
jeune femme pirate, et puis il ferme les yeux. Et il oublie, le carnage, la
violence et la mort. Il profite de l’instant présent. Dans les bras de la seule
femme qu’il n’ait jamais aimée réellement. Dans les bras de Sid.
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