jeudi 23 octobre 2014

L'incendie ou la nuit noire

Un hurlement déchirant éclate dans la nuit. « A l’aide, il y a le feu ». Une autre voix répond, « Vous avez appelé les pompiers ? », une autre encore « vous faites ch*** il est quatre heure quinze ». La précision clinique de l’esprit, qui ne retient que ceci du trémolo désespéré de quelqu’un qui est en train de tout perdre que ces bribes de conversations hurlées, est comique. Alors qu’en réalité, il est impossible de rendre sur le papier l’angoisse de cet instant, quand la personne hurle à sen fendre la gorge, quêtant un secours qui semble si vain alors qu’on tarde à ouvrir des yeux bouffis de sommeil.

Comment décrire ce réveil apocalyptique ? Les flammes qui ravagent une fenêtre, les cris au-dessus de chez soi, la fumée âcre qui entre par le moindre interstice et vous pique les yeux et la gorge, vous poussant à tousser et pleurer sans même que vous vous en rendiez compte. La porte du couloir s’ouvre, vous essayez d’appeler les pompiers mais ils sont déjà à pied d’œuvre, ayant enfoncé les portes de la résidence. Dehors, la pluie artificielle du jet d’eau à très forte pression est couvert par le ronron d’un automoteur, le cri strident des sirènes retentit tandis qu’une marée d’homme casqués courent avec un impressionnant matériel dans une danse incompréhensible.

En plus des flammes qui éclairent les façades de leurs lumières orangées, les flashs stroboscopiques des lampes ainsi que les feux des phares éclairent la scène qu’on aurait du mal à croire réelle tellement elle est précise. La télé en vrai, avec les ordres secs, les lumières et ce ronronnement entêtant de l’auto pompe qui ne cesse pas, faisant bourdonner le crâne comme si un tambour de cervelle était martelé par quelques malins génies.

Le plus dur, alors que vous peinez à vous réveiller dans ce cauchemar réel, c’est comprendre ce qui se passe. Des ordres fusent de temps à autre, des hommes passent dans un grand calme, des bottes glissent sur le sol détrempés. Une lampe éclaire le couloir plongé dans la pénombre, des gens sortent, hagards, du même sommeil. Point de maquillages, de barbes rasées ou de jolies robes. Hommes et femmes sont le reflet de nous-même, yeux gonflés de sommeil, teint pâle, cheveux en désordre. Les plus malins ont pris chaussures, saisi leurs sacs et sont habillés. Les autres portent chandail et pyjamas, de toutes les couleurs et les tailles, tandis qu’aux pieds on voit un étrange ballet de tongs mêlées aux bonnes vieilles charentaises.

Des murmures, des discussions à mi-voix, des questionnements à peine posés. De temps à autre un rire aigre, comme pour oublier que là-dehors, dans la rue, l’incendie fait rage sans que l’on sache réellement ce qu’il se passe. Des évacués, des blessés, et la question suprême, des morts ? Personne n’ose réellement le dire, mais tout le monde le pense, alors que dans la rue des voisins viennent de tout perdre.

Un pompier passe, puis deux, puis une douzaine, avec leurs longues échelles et leur équipement qui les transforme en chevalier des temps moderne. Quelqu’un sort un thermos de café, les conciliabules reprennent tandis qu’on sirote le liquide brûlant, à l’écoute du moindre indice. Des hommes casqués passent éclairés à la seule lumière des torches électriques. On se croirait à Beyrouth ou quelque part dans une zone sinistrée. Et pourtant, pourtant, on est à Paris, en plein milieu de la nuit.


Fin d’alerte, tout le monde rentre chez soi. Plus de lumières, pas d’électricité, tout est noir. Un noir d’encre, ou de four, un ébène profond qui rappelle ces nuits d’antan où seules les ombres régnaient en maîtresses sur le temps du sommeil. Pourtant, je ne dors pas. Je contemple cette nuit primitive, et dans les tréfonds de mon âme je frissonne au souvenir des terreurs nocturnes de mes aïeuls. C’est si étrange, dans ce monde si moderne, de se retrouver plonger dans les Ténèbres. Aucune lumière, et on dirait que tout est mort. Dans la résidence, plus de bruits, tout est calme, d’un calme sépulcral, comme si un voile diaphane, un suaire nocturne, était tombé sur la fureur de l’incendie.

Lentement, mes yeux s’habituent à cette absence de lumières. Je vois les contours de l’ensemble de mes affaires, douce contingence matérielle qui me redonne un peu de baume au cœur dans ces tristes ténèbres. Mais si je ne connaissais pas l’endroit où j’étais, en serait-il de même ? Je suis dans mon foyer, et même sans aucun éclairage, je me sens chez moi dans ces ombres voluptueuses qui m’appartiennent. Pourtant, j’ai peur. Je suis terrifié par une peur primale, une peur de l’inconnue, une peur de la nuit noire qui bout en sourdine tandis que je regarde cet endroit si bien connu. Dehors, ni étoile ni lune pour éclairer ma route, pourtant je vois, ou plutôt, je sens, la couverture de mes livres.


Quand j’étais enfant, éveillé au milieu d’un cauchemar, cela me redonnait du courage, mais là, dans ce four de ténèbres, j’ai l’impression que tous ces objets se transforment en bêtes fantastiques, monstres enfantins qui se terrent sous les lits. De mémoire je pourrais pourtant dire qui est qui, je connais l’ensemble de leurs titres, pour les avoir lu et rangés dans un ordre défiant toute logique pour quelqu’un qui ne la connaîtrait pas. Mais malgré cela, malgré la rationalité de mon esprit, je ressens toujours cette profonde tristesse mélancolique, la même qui pèse quand on sort d’un terrible cauchemar. J’essaie de surmonter ma peur, mais dans la solitude de la nuit, je n’ai qu’une seule envie. Entendre une voix amie, humer le parfum délicieux et si particulier d’un être cher, sentir le contact d’un corps chaud qui repose tendrement endormi à mes côtés. Pas besoin de paroles dans ces moment-là,  ces instants où l’on redoute, craint, ou doute de l’inconnu. Seulement le besoin quasiment nécessaire et non pas contingent d’avoir à ses côtés un être aimé, pour se dire qu’on est pas seul à affronter les terribles terreurs solitaires de la nuit noire. 

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