C’était une des premières fois que je prenais la plume. C’était
alors, ce soir-là, un simple jeu, et pourtant, cette expérience m’a marqué,
pour toujours. Je me souviens très bien, c’était la première fois que j’avais
envie d’écrire après avoir expérimenté quelque chose. Des images, des sons ou
une simple caresse ne m’avaient jamais autant ému que cette petite photographie
en noir et blanc. Elle était toute simple, une jeune femme, de dos, qui se
tenait assise sur le rebord d’un lit.
Cette fille, entre-deux âges, longs cheveux bruns qui cascadaient le long de
son épine dorsale, regardait un mur où une unique fenêtre, traits blancs striés
du noir de volets à l’ancienne, persienne bicolore qui donnait une intensité à
cette scène en noir et blanc.
Je m’imaginais photographe. Comme dans tant de mes songes et
mes rêves, je me croyais doué avec un petit kodak en main ou un crayon à mine.
Mais à vrai dire, je n’aurais jamais été capable de saisir correctement cette
petite scène avec un appareil photo. Pourtant, en lâchant ma plume, j’aurais
aimé tout connaître des focales, des obturateurs et autres négatifs.
C’était si simple. Elle, de dos. Moi, la regardant à travers
mon appareil. J’imaginais un vieux Leica, non par snobisme, mais simplement
parce que c’était un des premiers appareils photos que j’avais jamais eu entre
mes mains, quand mon père s’amusait encore à développer ses propres photos dans
la chambre noire. Doucement, avec une tendresse que j’aurais pu réserver à une
caresse, j’appuyais avec une lenteur feinte sur l’obturateur, attendant le
moment précis où cette photographie devait être prise. Clic-clac. Le tout était
dans la boîte. Doucement, me modèle se serait relevée, à moitié nue. Je l’imagine
en bas et jarretelle, noir, bien sûr, pour trancher avec le blanc de sa peau.
Avec une délicatesse féline, elle aurait saisi un kimono de soie blanche et s’en
serait revêtu. Strip-tease à l’envers. Dose d’érotisme. Et moi, toujours, sans
même lever les yeux de mon obturateur, je continuerai de contempler ce dos,
sans même me soucier de ce à quoi elle pouvait ressembler. Une fois couverte,
sans même se retourner, elle aurait saisi sur la petite console de bois verni,
juste à côté du lit, d’un long fume cigarette. Sa main pâle, seulement marquée
par le rouge vif de ses ongles, serait allé chercher avec nonchalance ce long
tube ébène. Visage presque de profil, couvert par le rideau naturel de ses
longs cheveux de jais, elle aurait extrait, avec la même délicatesse dont elle
avait fait preuve pour se vêtir à nouveau, une cigarette, une Camel, d’une
boîte en argent. Là, elle l’aurait enfoncé dans son fume-cigarette et puis se
serait approché de la flamme du quinquet à gaz qui brûlait doucement dans l’atelier.
Otant le cache de verre poli, qui était presque aussi transparent que de la
porcelaine de Sèvres, elle aurait approché son visage, retenant d’une main sa
crinière de panthère, de la flamme et aurait inspiré. Puis, enlevant la
cigarette de ses belles-lèvres aussi carmine que ses doigts, elle aurait
expiré, lentement, une longue langue de fumée argent. Doucement, sans la brusquer, j'aurais avancé jusqu'à cette poupée d'ivoire et d'ébène, là, juste dans son dos, une fois assis sur le rebord de ce lit, j'aurais eu envie d'enfouir mon propre visage dans ces cheveux qui sentaient le jasmin, baiser ces mains aux ongles rouge sang et puis me perdre dans ce cou aussi pâle que la candeur d'un cygne.
Rouge et noir, et ces notes de blancs. Oui, c’était tout ce
qui importait alors, tandis que je regardais cette photographie. Ce n’était qu’une
simple image, et pourtant, dans la nudité de ce dos légèrement cambré, fier et
racé, je saisissais alors la Beauté. Ma plume ne rendra jamais assez bien la
réalité de cet instant, ce timide moment où une simple photo pouvait m’émouvoir
au point que j’aurais aimé être photographe. Pouvoir contempler, derrière l’obturateur
de mon leica, cette déesse sans visage, encore et encore, et saisir sa chaleur
dans la froideur de la chambre noire…
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