mardi 28 octobre 2014

J'ai mon cœur qui se serre

J’ouvre mon ordinateur, je viens de finir un travail important, je suis content. Je regarde rapidement le fil d’actualité Facebook, un ami a réussi ça, une autre vient de prendre une belle photo avec son amoureux. Tout semble aller bien, jusqu’à ce que je clique sur les commentaires d’un article de journal.

J’ai mon cœur qui se serre. Une information banale, sans politique, seulement des news people ou un témoignage de vie, et des dizaines d’insultes. Des gens qui ne se comprennent plus, mais s’écharpent pour des choses aussi futiles que les choix sexuels d’un être humain. Je parle de choix, parce que les gens ont décidé de s’assumer pleinement, comme ils sont, et de l’affirmer haut et fort à la terre entière. Il pourrait être totalement vrai, légèrement ou carrément bidon, ce témoignage. Pourtant tout le monde se tire à boulet rouge. Ce que les gens cherchent, c’est se tirer dessus pour de fausses convictions, se déchirer sur internet avec une violence que jamais ils n’auraient dans la réalité, se repaitre des autres dans des tentatives de troll, sous la protection sacro-sainte de la liberté d’expression et de l’anonymat.

J’ai mon cœur qui se serre. Une information plus grave, la vie, la mort, l’écologie. Des choses qui devraient toucher l’ensemble de l’humanité. Et c’est le même marigot d’idées pour ou contre, dans de vains débats stériles. Toujours les mêmes. Des appels à la haine. Des fustigations contre les politiques qui n’ont aucun rapport avec le sujet. Des mots de plus en plus crus qui appellent à la mort de l’autre.
J’ai mon cœur qui se serre. Si seulement c’était sur un article, ou deux. A la limite je ne pourrais pas lire les commentaires, me direz-vous. C’est surement une part de masochisme que de le faire. Mon bain de haine quotidienne. Oui, je dois être masochiste. Définitivement, pour entrer dans ce petit monde d’idée bouillante, de trolls et de gens qui savent mieux que les autres tout sur tout et assassinent sans vergognes leurs voisins aux coups du poignard de la plume virtuelle.

J’ai mon cœur qui se serre. J’ai peur en voyant ce qui se passe. Pour moi, qui me sent mal à la lecture de ces mots. Pour les gens que j’aime, qui pourraient se sentir mal en voyant ces choses, ou qui pourraient ne plus se parler que comme ça dans nos rapports aux quotidiens. Pour l’humanité, parce qu’il n’y a plus d’autres dialogues possible que celui de son petit nombril tout proche, et plus aucune vision globale. Tant que l’on est pas touché, on peut se permettre de dire tout est n’importe quoi, sous couvert de la liberté d’expression ou de l’anonymat.

J’ai mon cœur qui se serre. Car des choses futiles ou éminemment importantes, sur toutes les choses de la vie, je ne vois plus qu’une bande de chacals qui s’arrachent les tripes pour gagner une lutte absurde d’idées de plus en plus avariées.


J’ai mon cœur qui se serre…

jeudi 23 octobre 2014

L'incendie ou la nuit noire

Un hurlement déchirant éclate dans la nuit. « A l’aide, il y a le feu ». Une autre voix répond, « Vous avez appelé les pompiers ? », une autre encore « vous faites ch*** il est quatre heure quinze ». La précision clinique de l’esprit, qui ne retient que ceci du trémolo désespéré de quelqu’un qui est en train de tout perdre que ces bribes de conversations hurlées, est comique. Alors qu’en réalité, il est impossible de rendre sur le papier l’angoisse de cet instant, quand la personne hurle à sen fendre la gorge, quêtant un secours qui semble si vain alors qu’on tarde à ouvrir des yeux bouffis de sommeil.

Comment décrire ce réveil apocalyptique ? Les flammes qui ravagent une fenêtre, les cris au-dessus de chez soi, la fumée âcre qui entre par le moindre interstice et vous pique les yeux et la gorge, vous poussant à tousser et pleurer sans même que vous vous en rendiez compte. La porte du couloir s’ouvre, vous essayez d’appeler les pompiers mais ils sont déjà à pied d’œuvre, ayant enfoncé les portes de la résidence. Dehors, la pluie artificielle du jet d’eau à très forte pression est couvert par le ronron d’un automoteur, le cri strident des sirènes retentit tandis qu’une marée d’homme casqués courent avec un impressionnant matériel dans une danse incompréhensible.

En plus des flammes qui éclairent les façades de leurs lumières orangées, les flashs stroboscopiques des lampes ainsi que les feux des phares éclairent la scène qu’on aurait du mal à croire réelle tellement elle est précise. La télé en vrai, avec les ordres secs, les lumières et ce ronronnement entêtant de l’auto pompe qui ne cesse pas, faisant bourdonner le crâne comme si un tambour de cervelle était martelé par quelques malins génies.

Le plus dur, alors que vous peinez à vous réveiller dans ce cauchemar réel, c’est comprendre ce qui se passe. Des ordres fusent de temps à autre, des hommes passent dans un grand calme, des bottes glissent sur le sol détrempés. Une lampe éclaire le couloir plongé dans la pénombre, des gens sortent, hagards, du même sommeil. Point de maquillages, de barbes rasées ou de jolies robes. Hommes et femmes sont le reflet de nous-même, yeux gonflés de sommeil, teint pâle, cheveux en désordre. Les plus malins ont pris chaussures, saisi leurs sacs et sont habillés. Les autres portent chandail et pyjamas, de toutes les couleurs et les tailles, tandis qu’aux pieds on voit un étrange ballet de tongs mêlées aux bonnes vieilles charentaises.

Des murmures, des discussions à mi-voix, des questionnements à peine posés. De temps à autre un rire aigre, comme pour oublier que là-dehors, dans la rue, l’incendie fait rage sans que l’on sache réellement ce qu’il se passe. Des évacués, des blessés, et la question suprême, des morts ? Personne n’ose réellement le dire, mais tout le monde le pense, alors que dans la rue des voisins viennent de tout perdre.

Un pompier passe, puis deux, puis une douzaine, avec leurs longues échelles et leur équipement qui les transforme en chevalier des temps moderne. Quelqu’un sort un thermos de café, les conciliabules reprennent tandis qu’on sirote le liquide brûlant, à l’écoute du moindre indice. Des hommes casqués passent éclairés à la seule lumière des torches électriques. On se croirait à Beyrouth ou quelque part dans une zone sinistrée. Et pourtant, pourtant, on est à Paris, en plein milieu de la nuit.


Fin d’alerte, tout le monde rentre chez soi. Plus de lumières, pas d’électricité, tout est noir. Un noir d’encre, ou de four, un ébène profond qui rappelle ces nuits d’antan où seules les ombres régnaient en maîtresses sur le temps du sommeil. Pourtant, je ne dors pas. Je contemple cette nuit primitive, et dans les tréfonds de mon âme je frissonne au souvenir des terreurs nocturnes de mes aïeuls. C’est si étrange, dans ce monde si moderne, de se retrouver plonger dans les Ténèbres. Aucune lumière, et on dirait que tout est mort. Dans la résidence, plus de bruits, tout est calme, d’un calme sépulcral, comme si un voile diaphane, un suaire nocturne, était tombé sur la fureur de l’incendie.

Lentement, mes yeux s’habituent à cette absence de lumières. Je vois les contours de l’ensemble de mes affaires, douce contingence matérielle qui me redonne un peu de baume au cœur dans ces tristes ténèbres. Mais si je ne connaissais pas l’endroit où j’étais, en serait-il de même ? Je suis dans mon foyer, et même sans aucun éclairage, je me sens chez moi dans ces ombres voluptueuses qui m’appartiennent. Pourtant, j’ai peur. Je suis terrifié par une peur primale, une peur de l’inconnue, une peur de la nuit noire qui bout en sourdine tandis que je regarde cet endroit si bien connu. Dehors, ni étoile ni lune pour éclairer ma route, pourtant je vois, ou plutôt, je sens, la couverture de mes livres.


Quand j’étais enfant, éveillé au milieu d’un cauchemar, cela me redonnait du courage, mais là, dans ce four de ténèbres, j’ai l’impression que tous ces objets se transforment en bêtes fantastiques, monstres enfantins qui se terrent sous les lits. De mémoire je pourrais pourtant dire qui est qui, je connais l’ensemble de leurs titres, pour les avoir lu et rangés dans un ordre défiant toute logique pour quelqu’un qui ne la connaîtrait pas. Mais malgré cela, malgré la rationalité de mon esprit, je ressens toujours cette profonde tristesse mélancolique, la même qui pèse quand on sort d’un terrible cauchemar. J’essaie de surmonter ma peur, mais dans la solitude de la nuit, je n’ai qu’une seule envie. Entendre une voix amie, humer le parfum délicieux et si particulier d’un être cher, sentir le contact d’un corps chaud qui repose tendrement endormi à mes côtés. Pas besoin de paroles dans ces moment-là,  ces instants où l’on redoute, craint, ou doute de l’inconnu. Seulement le besoin quasiment nécessaire et non pas contingent d’avoir à ses côtés un être aimé, pour se dire qu’on est pas seul à affronter les terribles terreurs solitaires de la nuit noire. 

mercredi 22 octobre 2014

Se perdre la nuit

Se perdre, légèrement ivre, dans les rues de Paris. Le sol, détrempé par la pluie, brillait des milles éclats des réverbères.

Les rues n’étaient qu’une succession de façades grises, hautes, tristes et sans visage, comme celles d’une prison. De temps en temps, derrière des voiles feutrés, un petit éclat de lumière brillait, comme un poste vigilant d’un mirador qui en guise de barbelés se contentait d’une balustrade d’acier. Aucun espoir de chaleur, de vie, ou de sentiment derrières ces grandes fenêtres aveuglées comme la Justice et ses symboliques. Il aurait pu faire tout noir, comme dans ce ciel, là-haut qui surveillait la marche fourvoyée du jeune homme, cela aurait été du pareil au même. Aucun éclat d’étoile dans ce pays, aucune promesse de liberté pour l’éternel prisonnier qui marche, sans savoir où il va, dans ces rues froides et humides. Même pas l’étoile du Nord, le guide des bergers, pour éclairer cette solitaire errance dans Paris.

A quoi pense-t-il, dans cette marche éperdue vers nulle part ? S’il le savait lui-même, peut-être qu’il ne déambulerait pas à cette heure indue. A quoi pense-t-il ? Forcément, quelque chose, une femme, une envie d’écrire, le plaisir de se perdre pour se retrouver. Les trois à la fois ? Se perdre dans les bras d’une femme, il connait bien cette sensation, disparaître, totalement, au creux de ses seins accueillants. S’enfuir, sous les caresses délicates d’une main qui se perd dans ses cheveux. Les murmures tendre, comme ceux que sa mère aurait du lui dire, autrefois, et qu’il a totalement oublié dans l’usure de sa mémoire. Il cherche, en marchant, ces paroles d’amour qui redonne du courage, réchauffe l’âme et lui donne envie d’avancer. Ces mots que seul une femme peut donner, offrir dans l’entrelacement de deux corps repus de leurs bas instincts, dans la tendre du moment post-coïtal, quand on s’offre totalement l’un l’autre, dans les caresses de deux âmes qui non plus de secrets l’une pour l’autre. Ces mots qu’il aimerait entendre, de sa bouche, une fois de plus. Pour se sentir à nouveau vivant, avoir envie de marcher, encore une fois.

Un pas de plus, gagné contre l’ennui, le désespoir, la mort. Un pas de plus gagné pour la vie. Il saurait l’écrire, avec les mêmes imperfections que tout écrivain rencontre pour mettre en mot ces maux. Passion aimer et souffrir, les deux à la fois, sans trêve ni possibilité d’y réchapper. Un mot, une parole, une lettre sur un papier, pour sur vivre, pour aimer, pour dire ce qu’il n’arrive pas à mettre en parole ou comprendre.

Cette douleur qui l’agace, encore et encore, blessure ancienne qui l’empêche d’avancer, même si pour l’heure il est en train de marcher dans la nuit.

Il ne peut pas leur en vouloir, même s’il aimerait les haïr, plutôt que les aimer, toutes, avec le même amour qu’il a toujours cherché. Un amour sans faille, aveugle, possessif. Aimer, en entier, jusqu’à s’en rendre malade, parce qu’avant il n’avait jamais aimé, à moins qu’il n’ait jamais été aimé. C’est du pareil au même.


Marcher dans la nuit. Marcher avec un seul espoir. Marcher pour se retrouver. 

mardi 14 octobre 2014

Les mots d'amour 2.0 ou l'attente

Depuis le temps que tu discutes avec elle, il fallait bien que ça arrive non ? Des heures passées, chaque soir, à rire de ses bons mots et essayer de la faire sourire. Parler avec elle, c’est devenu plus important que tes amis, acheter tes clopes et pour ce qui concerne le repas, généralement tu dînes en même temps que lui écrits. Alors, tu t’es mis à douter. Pourquoi passe-t-elle autant de temps avec toi, chaque soir, alors qu’elle pourrait faire bien d’autres choses ? Es-tu si drôle qu’elle aimerait avoir d’autres relations avec toi, plus intimes ? Comme le dit ton meilleur ami, femme qui rit…Horrible, dégueulasse, voyons, quelles idées est-ce là ? Nous ne sommes que bons amis. Un sourire goguenard te répond, si ce n’est pas un éclat de rire gras et velus, ou graveleux, enfin qu’importe. Tes amis connaissent ces signes, toi-même tu n’étais pas un saint, avant de la connaître, et tu te moquais autant de ceux qui étaient touchés par cette étrange maladie avec les mêmes simagrées et les avis d’experts réunis en de longs conciliabules tout à fait scientifiques. A la seule différence qu’au lieu de travailler dans un bureau ou sur une paillasse nette de toutes traces extérieures ces colloques prenaient place autour d’une bonne bière brune, rousse, ou blonde, ce choix dépendant de la couleur des cheveux de la jeune femme disaient les mauvaises langues.

Et maintenant, c’est ton tour. Tu as pris ton courage à deux mains. Bon, c’est légèrement plus facile quand tu habites à plusieurs centaines de bornes de cette jeune femme que tu apprécies tout particulièrement, et dont tu ne sais pas vraiment si tu es dans sa friend zone ou bien si elle ressent les mêmes sentiments que tu sembles éprouver. Joies des mystères de l’amour, c’est cette parfaite incertitude constante, ces « oui mais » et autres « tu vois, peut-être que, toutefois ». C’est plus facile d’écrire, finalement, que de le dire. Encore que le dire, c’est comme une bombe, il suffit d’ouvrir la bouche, balancer son petit discours et puis attendre l’explosion qui arrivera dans les secondes qui suivent, le temps que l’explosif fasse son chemin dans le cerveau de l’être aimée. L’écrire, c’est délicat, il faut trouver le bo moment, le bon mot, et puis se lancer. D’ailleurs, tu as longtemps hésité, tellement longtemps que tu aurais vidé plusieurs cartouches d’encres rien qu’à tenir ta plume il y a quelques centaines d’années. Là, ce sont des ratures sur une feuille blanche word, des mots esquissés, mâchés, et recrachés. Un timide essai vite repoussé, trop plat, trop cru, trop banal. Comment exprimer par les mots ces sentiments si confus que tu ressens ? Et puis, il faut concilier avec cette peur du ridicule, de la terreur, du quand dira-t-elle. Les trois à la fois ? Tu te moques de toi, comme tu te moquais de tes amis qui n’osaient pas faire le premier pas, vaste blague, tu te crois plus courageux qu’eux et assez cynique pour voir tes positions imbéciles en le prenant à la légère, mais cette boule étrange te serre néanmoins le cœur. Et si elle disait non ?  De nos jours, on ne meurt plus d’amour, voyons, le romantisme est mort avec Arthur.

Tu prends une cigarette, l’allume, et avale cette bouffée avec une certaine reconnaissance. Au moins, tu sais que tu as tes amis, tes cigarettes et une bonne bouteille de Porto pour faire passer la pilule. Allez, un peu de courage que diable, un râteau, ça fait mal, mais il n’y a pas mort d’homme. Tu regardes par la fenêtre, dernier atermoiement, tu as été assez bête pour baisser les volets, et tu ne peux plus transiger. Alors, d’une traite, sans reprendre ta respiration, tu écris ta longue litanie dans un style plutôt bancal. Mièvre et tendre à la fois, ça dégouline de guimauve reprend ton instinct cynique, mais bon, c’est toujours mieux que tes premiers brouillons très vite effacés de ta mémoire centrale. Une dernière relecture, et puis tu appuies sur entrée. La messe est dite.

Nouvelle cigarette. Le message est-il arrivé ? L’a-t-elle lu ? Est-ce qu’elle ne te parlera plus jamais ? L’attente, terrible attente est insupportable. Et pourtant ça ne fait pas dix minutes que tu as fini de vider le sac de tes sentiments dans une logorrhée plus ou moins approximative. Nouvelle cigarette. Tu aspires la fumée avec une plénitude entière. Sur ta gauche, la bouteille de Porto te tendrai les bras volontiers, si elle n’était pas aussi vide depuis la dernière soirée. Bon sang, pourquoi n’est-elle pas déjà connectée, pourquoi n’est-elle pas là, pourquoi ne t’a-t-elle pas encore anéanti ? Un oui ou un non, à cet instant, importe peu, ce que tu attends, c’est la délivrance ultime. Après tu pourras mourir en paix. Enfin, façon de parler. Et si ce soir elle avait eu un ennui pour rentrer du boulot ? Tu regardes les millièmes de secondes tourner aussi lentement que l’aiguille des heures sur la pendule. Tu te surprends à jouer avec tes doigts le long de ton bureau. Tension, agitation, passion. Elle est là. Avantage de la technique moderne, tu sais qu’elle a lu. Et maintenant, maintenant c’est le moment où tout peut basculer, d’un côté ou de l’autre, joie ou peine. Tu as l’impression de marcher sur l’arrête sommitale d’une montagne encore plus haute que l’Everest et le K2 réunis. De sautiller sur une corde tendue entre les deux parois d’une vallée de la mort bien plus profonde que n’importe quelle gorge. De danser sur le fil d’une épée aussi tranchante qu’un rasoir. Elle commence d’écrire. La boule dans ton ventre est aussi glacée que ton sang qui ne coule plus dans tes veines, entièrement concentré dans ton cœur qui bat à tout rompre comme un tambour sur lequel un fou de métal se donnerait à fond. Elle arrête, elle fait une pause, supprime quelque chose, recommence, s’arrête à nouveau. Ta cigarette se consume lentement, tandis que tu n’aies même plus bon à aspirer la fumée. Elle arrête, elle fait une pause, recommence. Bon sang, est-ce si dur de tuer un amour naissant, ou de le faire vivre ? Oui, non, c’est pas bien compliqué. Et si elle choisissait de botter en touche ? Cruelle, cruelle, cruelle. C’est tellement facile « tu as le chic pour me mettre dans une position délicate » « je t’aime bien mais » « je ressens la même chose que toi sauf que ». Il voit déjà les mots s’écrire sur la page de la discussion. Cruelle, cruelle, cruelle. Les cendres tombent sur ton bureau, faisant de petits trous bien circulaires dans le bois, mais tu t’en fous. Car attention…


Attention, elle se remet à écrire

lundi 13 octobre 2014

L'amertume du café au petit matin

"Elle va jusqu'à la porte, prend ses clefs, son sac, le petit livre de voyages, pense à quelque chose avant d'ouvrir la porte, revient sur ses pas jusqu'à l'endroit où tu te trouves pour plaquer sur tes lèvres un baiser froid qui, même si tu ne veux pas le croire, a le même goût d'échec que le café"

Je referme le livre, doucement, avant de le reposer dans la pile des bouquins à finir sur mon bureau. C’est un beau livre, déjà un peu ancien, à la couverture colorée, fatiguée d’avoir était ouverte encore et encore par une multitude d’anonymes, comme moi, dans cette bibliothèque. L’auteur, un Espagnol, ou un Sud-Américain, qu’importe, a saisi en quelques petits mots l’essence de ma vie. Et ces échecs répétés. Je me revois, encore, ce dernier soir avec elle. Je la serrais doucement, elle qui était couchée sur le sofa, sa tête sur mes genoux, tandis que ma main, alors qu’elle s’endormait avec la béatitude d’une petite fille, caressait ses longs cheveux qui oscillaient entre le brun et l’or. Elle dormait, tandis que nous discutions, avec mes amis. Je sentais la chaleur de son cors collé contre le mien, son parfum qui m’enivrait toujours autant, plus finement que les quelques verres d’alcool que j’avais bu cette nuit-là.  Pourtant, une immense tristesse se dégageait, déjà, de cette scène. Elle, couchée contre moi, moi qui parlait en la caressant doucement, comme j’aurais pu le faire à un chat. A vrai dire, dans son sommeil, elle pouvait ronronner, des fois, surtout quand elle se pelotonnait tout contre moi. Et pourtant, ce soir, malgré mes amis, malgré l’alcool, malgré elle, j’étais triste. Cruelle intuition qui confine parfois au génie.

Elle est là, lovée tout contre moi, et dans quelques heures à peine, à l’aube, je devrais la ramener sur le quai de la gare. Ce même quai sordide où je l’attends, à chaque fois qu’elle vient me voir. La nuit, les néons, les sans-abris déjà ivres qui se pelotonnent dans des lits de cartons, cette gare est déjà triste.

Mais à l’aube, c’est encore pire.

Paris s’éveille, les premiers métros fonctionnent. Au petit matin du dimanche, on voit des gens qui rentrent, ivre, défaits comme s’ils s’en revenaient d’une guerre. Coups de main nocturne de fumée, de vin et de draps froissés. Petits yeux, teint blême voire blafard, tête apposée contre la muraille de la rame. Elle est toujours là, lovée contre moi, la tête sur mon épaule, et dans ses mains elle serre son petit sac de voyage. Je l’aide à monter les marches de la gare, portant à moitié sa valise. Dans la gare, des gens s’affairent, comme cherchant à effacer les traces de la nuit à grand jet d’eau et à l’odeur du pain, industriel, à peine chaud.

Un coup d’œil morne à l’affichage, son train est déjà annoncé. Les néons luttent contre la lumière pâle de l’aube, tous deux encore endormis alors que la fourmilière humaine se réveille à grand renfort de roulement de valises et de bruit de pas brutaux, comme si ces sons discordant pouvaient échauffer l’air encore humide.


Là-voilà devant son wagon. Austère mélange d’acier peint en argent et bordeaux, sa ville, au demeurant. Elle se serre contre moi, une dernière fois, longue, promesse d’éternité. Je sens la chaleur de son corps, je hume son parfum et profite, encore un peu, de sa chevelure qui oscille entre le brun et l’or. Et puis, elle tend son visage contre le mien, à moins que ce ne soit moi qui cherche ses lèvres écarlates. Un baiser, long, profond, nouvelle promesse d’éternité. Et pourtant, pourtant dans ces caresses, ce baiser froid et humide au petit matin, et cette dernière étreinte, je sens poindre le goût de l’échec. Même goût d’échec que le café, au petit matin. Qu’il soit pris à Paris ou à Santiago du Chili, tant qu’elle part, c’est la même amertume sur les lèvres, alors que la porte du train ou de l’appartement claque, une dernière fois, et qu’on sait déjà qu’on ne la reverra pas.

vendredi 10 octobre 2014

La chambre noire

C’était une des premières fois que je prenais la plume. C’était alors, ce soir-là, un simple jeu, et pourtant, cette expérience m’a marqué, pour toujours. Je me souviens très bien, c’était la première fois que j’avais envie d’écrire après avoir expérimenté quelque chose. Des images, des sons ou une simple caresse ne m’avaient jamais autant ému que cette petite photographie en noir et blanc. Elle était toute simple, une jeune femme, de dos, qui se tenait assise sur le rebord  d’un lit. Cette fille, entre-deux âges, longs cheveux bruns qui cascadaient le long de son épine dorsale, regardait un mur où une unique fenêtre, traits blancs striés du noir de volets à l’ancienne, persienne bicolore qui donnait une intensité à cette scène en noir et blanc.
Je m’imaginais photographe. Comme dans tant de mes songes et mes rêves, je me croyais doué avec un petit kodak en main ou un crayon à mine. Mais à vrai dire, je n’aurais jamais été capable de saisir correctement cette petite scène avec un appareil photo. Pourtant, en lâchant ma plume, j’aurais aimé tout connaître des focales, des obturateurs et autres négatifs.

C’était si simple. Elle, de dos. Moi, la regardant à travers mon appareil. J’imaginais un vieux Leica, non par snobisme, mais simplement parce que c’était un des premiers appareils photos que j’avais jamais eu entre mes mains, quand mon père s’amusait encore à développer ses propres photos dans la chambre noire. Doucement, avec une tendresse que j’aurais pu réserver à une caresse, j’appuyais avec une lenteur feinte sur l’obturateur, attendant le moment précis où cette photographie devait être prise. Clic-clac. Le tout était dans la boîte. Doucement, me modèle se serait relevée, à moitié nue. Je l’imagine en bas et jarretelle, noir, bien sûr, pour trancher avec le blanc de sa peau. Avec une délicatesse féline, elle aurait saisi un kimono de soie blanche et s’en serait revêtu. Strip-tease à l’envers. Dose d’érotisme. Et moi, toujours, sans même lever les yeux de mon obturateur, je continuerai de contempler ce dos, sans même me soucier de ce à quoi elle pouvait ressembler. Une fois couverte, sans même se retourner, elle aurait saisi sur la petite console de bois verni, juste à côté du lit, d’un long fume cigarette. Sa main pâle, seulement marquée par le rouge vif de ses ongles, serait allé chercher avec nonchalance ce long tube ébène. Visage presque de profil, couvert par le rideau naturel de ses longs cheveux de jais, elle aurait extrait, avec la même délicatesse dont elle avait fait preuve pour se vêtir à nouveau, une cigarette, une Camel, d’une boîte en argent. Là, elle l’aurait enfoncé dans son fume-cigarette et puis se serait approché de la flamme du quinquet à gaz qui brûlait doucement dans l’atelier. Otant le cache de verre poli, qui était presque aussi transparent que de la porcelaine de Sèvres, elle aurait approché son visage, retenant d’une main sa crinière de panthère, de la flamme et aurait inspiré. Puis, enlevant la cigarette de ses belles-lèvres aussi carmine que ses doigts, elle aurait expiré, lentement, une longue langue de fumée argent. Doucement, sans la brusquer, j'aurais avancé jusqu'à cette poupée d'ivoire et d'ébène, là, juste dans son dos, une fois assis sur le rebord de ce lit, j'aurais eu envie d'enfouir mon propre visage dans ces cheveux qui sentaient le jasmin, baiser ces mains aux ongles rouge sang et puis me perdre dans ce cou aussi pâle que la candeur d'un cygne.


Rouge et noir, et ces notes de blancs. Oui, c’était tout ce qui importait alors, tandis que je regardais cette photographie. Ce n’était qu’une simple image, et pourtant, dans la nudité de ce dos légèrement cambré, fier et racé, je saisissais alors la Beauté. Ma plume ne rendra jamais assez bien la réalité de cet instant, ce timide moment où une simple photo pouvait m’émouvoir au point que j’aurais aimé être photographe. Pouvoir contempler, derrière l’obturateur de mon leica, cette déesse sans visage, encore et encore, et saisir sa chaleur dans la froideur de la chambre noire…

jeudi 9 octobre 2014

Être désuet à vingt ans, c'est comme être vieux à dix ans

« Tu es désuet, délicieusement désuet mon cher ». La vieille sorcière me dit cela, comme elle aurait pu m’insulter ou me passer de la pommade, puis me tend une flasque d’alcool que j’ingurgite d’une traite. Soigner le mal par le mal, ça a toujours été sa manière favorite de procéder, surtout quand je n’allais pas bien et que j’avais besoin d’elle. Et depuis que tu es partie, je crois que tout cela, alcool, cigarette, jazz, tout cela redevenait nécessaire, tandis que la vieille sorcière me berce tendrement sous le regard des filles à moitié assoupies.

Toi-même, avant de partir, à moins que ce ne fusse il y a bien longtemps, je ne m’en souviens plus au milieu de mes rêves enfumés d’alcool et de tabac, tu m’as dit que j’étais vieux. Cela ne sonne pas de la même manière que désuet, démodé ou suranné. Et pourtant, quand ça venait dans ta bouche, juste avant ton petit rire tendre, toujours le même, chaud et doux à la fois, ça aurait pu être aussi bien une méchanceté, bien vite pardonnée, qu’un geste d’amour. Je n’ai jamais su comment le comprendre, je n’ai jamais su te comprendre.

Devais-je le chercher ? Je veux dire, réellement ? N’était-ce pas là aussi toute te beauté, tout ton charme secret, tout ce qui faisait que je t’aimais ? Cette frivolité inconstante qui faisait que jamais, même si tu étais tendrement lovée entre mes bras, je n’arriverai à te saisir entièrement. Faire un va et vient, renaître à chaque instant passé en toi, mais jamais t’appartenir. Totalement. Ou l’inverse, peut-importe en vrai.

Je m’en moquais bien, moi, tout ce que je voulais, c’était ces quelques instants volés au Temps. Alité, au musée ou au ciné. Peu importait tant que je t’avais près de moi. Je ne cherchais qu’une chose, à entendre, ton rire, une fois de plus. Ton bonheur, même si ce terme est largement galvaudé de nos jours, plutôt que le mien, ou plutôt le tien pour le mien. Entremêlé.

Effleurer le tissu de ta robe, te regarder te maquiller ou te délasser, entièrement nue, dans ce grand lit carré. Loin de toi, mais pourtant si près, malgré un abyme de quelques mètres, voire, parfois, rien du tout, une infime infinité, tandis que tu esquivais. Oui, ce qui importait, entre nous deux, c’était le mouvement, l’imperceptible mouvement qui faisait que nous étions en vie.

Et pourtant, pourtant, tu penses que je suis vieux, ou désuet comme dirait la vieille sorcière, tandis que l’alcool me brûle la gorge, râpeux, acide et affreusement chaud, le tout à la fois.  D’où cela pouvait venir ? Le jazz que tu n’appréciais pas ? Ma façon de te parler, sans dire chocolatine et toujours commencer de ? De m’habiller ou de vouloir te vêtir, ma petite poupée de porcelaine ? Qu’importait mes goûts, pour toi, j’aurais bien pu en sacrifier un ou deux. Oh n’allons pas croire que je me serais mis à la mode, non, ça c’est bien trop fatigant de suivre des frivolités inconstantes. Classique, c’était aussi un terme que tu aimais à me parer. Avec le même sourire charmeur aux lèvres, le même sourire que je n’avais pas envie de comprendre, jamais.


Classique, désuet, suranné, un tout. Et est-ce seulement pour cela, que tu as arrêté de m’aimer ?