Ces yeux, bleus, si bleus qu’on aurait dit le reflet du ciel
dans le Léman. Etrange sensation que de se réveiller, et sentir ce regard
pénétrant, aussi clair que l’eau, aussi profond que l’océan, encore présent.
Ces deux yeux bleus, terriblement froids et qui pourtant, dans ce rêve, doux
songe d’une nuit à la limite du printemps et de l’été, on ne sait plus vraiment
à quelle saison se vouer, étaient plus chaud que l’ardeur du soleil de mon Sud
natal. Dedans, dans ces turquoises ténèbres, qui tiraient entre la nuit et la
minuit, au plus profond des profondeurs, ce n’était pas la glace, mais la
chaleur, ardente, d’un amour indescriptible. Ce regard bleu délavé, regard bleu
d’amour, aussi passionné qu’un carmin profond, ou la pourpre, me hante encore.
Doux rêve, et pourtant, cette belle inconnue de la ligne six, cette fée
aérienne qui choisit bien son instant pour venir incruster ses beaux yeux dans
mes nuits, semblait si réelle. Je revois encore sa longue chevelure de jais,
attachée, au début du moins, en un chignon qui ne laissait s’échapper une mèche
folle. L’avait-elle fait exprès ? Peut-être que oui, peut-être que non,
étrange question et réponse, digne d’un normand, pour un exilé de cet endroit
qui sent déjà les parfums de l’Afrique. Elle
me regardait tout du long, et moi je lui rendais son regard, me perdant dans
ses yeux, la finesse de ces cils, qui battaient à peine, comme si elle cherchait
à gagner de précieux instant pour contempler ce monde. Je descendais, son petit
nez, retroussé. Elle s’en plaignait, mais pourtant, il était tout à fait
charmant, c’était le point central, le cœur de sa petite frimousse de femme
encore enfant. Fille fée, elle s’était perdue sur la ligne six, dans les
sphères aériennes du métro. Toujours plus bas, ses lèvres, rouge, tranchaient
avec ses magnifiques yeux, j’y reviens encore, ce n’est pas une lubie, c’est juste…que
je ne peux pas les oublier. Elles les pincent, ses petites lèvres, tandis qu’elle
joue, en fronçant le nez, si charmante, avec une mèche de ses longs cheveux. Je
sens encore son parfum, le savon, mélange de miel et de lait, qui embaume sa
chevelure d’encre. Le gout, acidulé, de ses lèvres où elle a déposé un léger baume
écarlate. Et la fragrance de sa peau, pointe de sueur mêlée à l’arôme de son
péché mignon, la dernière pointe qu’elle met quand elle est apprêtée d’une
senteur exquise de fleurs. Descendre, plus bas, sa gorge, ni menue ni opulente,
aussi blanche que le lait, avec ce petit grain de beauté juste à la limite du
bouton détaché de son col. Elle porte une chemisier crème, et une jupe plus
foncée, qui cache mille et un secrets. Dieu, que j’aimerais les explorer. Mais
ce n’est ni l’heure ni le moment. Pourtant, dans les chaos du train, on dirait
qu’elle le fait exprès, là j’en suis certain, alors que son sourire se fait
mutin, elle se laisse aller, tombant à moitié sur moi. Je la retiens, deux
doigts, délicat. Je n’ai pas besoin de plus, peur puérile de briser la
porcelaine de cette petite fille. Elle rit, avant de se lover, un peu plus.
Douce récompense, alors que dans son jeu elle repart déjà, happé par une
nouvelle rebuffade du wagon tandis que la ligne prend la courbe en face du
Monde. Glacière, Saint-Jacques, les noms défilent, et elle revient, se laisse
tomber, puis repart. Je lui souris, je ne peux faire que cela, sans cesser d’être
inquiet. Vais-je me réveiller, ou est-ce la réalité ? Elle revient, et là,
elle m’enlace, se posant sur ma poitrine. Je sens son cœur battre, là, sous son
petit chemisier de soie, tandis qu’elle pose une main indiscrète sur mes côtes,
juste au-dessus de la ceinture. Elle me fait frissonner, tout en faisant mine
de rien. Je gronde, et je l’entendrais presque miauler, tandis que ces grands
yeux se transforment en ceux d’un chat. Elle me fait fondre, et elle le sait,
la cruelle. Pourtant, pour se faire pardonner, à moins que ce ne fusse sa
nouvelle lubie, elle se hausse sur la pointe de ses chaussures bottées et vient
déposer un chaste baiser, là, à la commissure de mes lèvres. Je la retiens
distraitement, profitant de l’instant, tandis qu’elle quémande maintenant sa
récompense, à elle. Doucement, pour mieux l’embêter, n’ai-je pas aussi le droit
de jouer, je la taquine, avant de lui offrir mes lèvres. Dans le train,
personne ne nous regarde, des amoureux, sur la ligne six, on en voit tellement.
Nous sommes seuls aux mondes, tandis que j’approche mes lèvres des siennes,
pour un véritable patin de cinéma, digne des plus grands films d’Hollywood, la
galoche que les américains appellent French Kiss. Je la sens, à son tour, prise
d’un frisson, alors que nos deux corps s’enlacent, tendrement, je suis tout
prêt de l’embrasser et…
Indiscrète sonnerie, il est l’heure de parti travailler…De
guerre lasse, dans mes draps, je rage. Et je me promets de la retrouver, mon
inconnue de la ligne six, pour une nouvelle aventure, la suite d’un beau projet…
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