mercredi 7 mai 2014

Trahison

La laisser filer, un moment, il était l’heure de la laisser partir rejoindre Morphée. Saisissant sa coupe à demi vide, il trinqua dans le vide lorsque Niflheim s’enfuit, après avoir déposé un dernier baiser, ni d’adieu ni d’invitation, et caressé sa joue de sa main douce. Sourire triste, un dernier, et puis boire, pour oublier. Oublier quoi ? Quelle étrange idée. Pourtant, quand elle eut disparu, il se sentait vidé, comme jamais aucune femme n’avait réussi auparavant. Et dire qu’ils n’avaient même pas partagé la même couche des délices. Non, ce n’était pas son corps qui était fatigué, sinon il ne serait pas là en train de boire, tapotant distraitement la poche où son tabac loki se trouvait enserré. C’était son cœur, ou son âme, s’il en avait une, qui était en peine.

Il avait cru un instant, un fol instant, que Niflheim Moriar pouvait accepter de le rejoindre sur la Voie des Tempêtes. Hélas pour lui, elle en avait décidé autrement. Alors, il ne lui restait plus qu’à boire la coupe jusqu’à la lie, se mettre minable et on verrait bien après. Sourire amer, mi-figue mi-raisin, car son dernier geste était plein d’un certain espoir. Oui, le baron pouvait encore espérer, par quelques mots, quelques gestes, embraser, ou se laisser consumer, en apparence par elle. Devait-il lui faire payer ce moment de faiblesse ? Dans l’acmé du plaisir, poignarder ce corps svelte et fragile. Il lui rendrait un certain service, la poétesse crucifiée dans la couche de ses premiers amours, s’il était le premier. Une renommée certaine pour elle, pour l’éternité. Mais il ne pouvait s’oublier dans ce lieu. Un meurtre, même artistement fait, ne pourrait que contrarier ses prochaines actions. Ne serait-ce que par la foule de témoins qui l’avait vue se pâmer à son bras. Oui oui, oublions donc le sang, ou du moins, pas celui de sa gorge vermeille quand un croc d’acier dessinerait un joli sourire. Ce n’était pas à lui de le faire. Par contre, dans la grotte mystérieuse de sa féminité…Il pouvait bien la faire saigner. Douce vengeance, laisser une marque en elle à jamais. Griffer cette blanche souris sous ses pattes de velours de dangereux matou.

Un sourire languide se fit sur ls traits du baron, tandis qu’il allumait à la bougie son cône de bleue lokie. Quelles étranges idées, sublimes, cette fille pouvait lui donner. Toute une éternité de plaisirs et de raffinements, léger sadisme qui le faisait déjà frissonner par avance. A moins que ce ne soit sa manière à lui de montrer qu’il était en souffrance. Qui était le débiteur de qui…Cette joute venait de se conclure, pour l’heure, dans un match nul. Mais s’il semblait au baron qu’il avait perdu une bataille, la guerre n’était certainement pas encore perdue.

Il se leva donc et, comme une âme en peine, ou un fantôme, il se glissa lentement dans les couloirs de l’hôtel, rentrer chez lui, et se plonger dans les bras de Morphine. Avec un peu de chance, Murcio ne serait pas encore ivre, et pourrait lui dégotter une ou deux tendrons pour passer ses nerfs mis à rude épreuve tout au long de ce langoureux dîner. Et il avait encore toute la nuit pour penser à son prochain coup, sur le délicieux échiquier de cette partie qu’ils jouaient, le baron d’Endro’aspik contre la poétesse Niflheim Moriar.

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