Phalène avait choisi un lai elfique, triste et ancien, mais à
la fois rapide et féérique. Oui, Corwynn connaissait bien cette histoire, une
des préférées d’Aeris CoeurSoleil. Alors, doucement, tandis que la voix de son
hôte s’élevait cristalline et pure dans l’air de la grotte, il l’accompagna,
suivant son rythme dans une chanson qu’il n’avait pas joué depuis près de cent
ans.
Ses doigts furetaient le long des cordes, pinçant là,
caressant ici, toujours en mouvement, souples et rapides. Il suivait la voix de
la fille-fée, tantôt triste et mélancolique, parfois rieuse et moqueuse, tout
le temps sublime.
Ce n’était qu’une petite chanson, et pourtant, dans toutes
les octaves et les contrepoints que la demoiselle prenait Corwynn, les yeux
fermés, y décelait la profondeur de l’immortalité. La Dame au Corbeau volait
dans un ciel azur hors du temps, et pourtant, entre les Ténèbres et la lumière
se dessinaient une unique chose : la Pureté.
Tels étaient les sentiments de Tristelune, tandis que la
fille fée chantait son lai, ni trop vif, ni trop rapide, douceur mêlée à une
puissance vocale. Sous ses paupières closes, le Lucifuge revoyait la pâleur de
la gorge d’Aeris, la blondeur de ses cheveux et, presque, l’entièreté de ses
nobles traits que sa mémoire vacillante avait quasiment oubliés. Oui, dans le
noir de son esprit, il percevait la petite fille fée, qui se mêlait,
inconsciente, aux traits de son aimée. Ses gestes, ses paroles, tout était un
calcul impossible, une danse harmonique du corps qui reflétait son âme. Tout
son corps était tendu, comme celui du Lucifuge sur sa harpe, pour expulser le
son parfait de sa poitrine qui n’était guère menue. Mais plus que la gorge et
le torse, ce qui était impressionnant dans la technique de ce petit bout de
femme, c’était la plénitude du tout. L’harmonie venait du ventre, se répandait
délicieusement dans ses membres, remontait le long de sa colonne vertébrale
pour exploser, enfin, dans un jaillissement de pur plaisir.
C’était quasiment ce que faisait Corwynn sur sa harpe, mais
quasiment aussi tout son contraire. Alors que la demoiselle cherchait la
Lumière et la plénitude du calme, le harpiste, lui, plongeait dans la musique
tout en force et ténèbres. Tandis qu’elle s’envolait, lui décidait de plonger dans
un torrent noir de son. Sans discordance aucune, il glissait dans sa gestuelle
tristesse, orgueil et puissance, tout en affirmant ce qu’il était, un être qui
ne reverrait plus jamais la lumière de Yehadiel.
Contrepoint au chant, la harpe elle murmurait les secrets chtoniens
de la Terre. Sa harpe murmurait le vent lourd qui faisait frissonner les lacs
noirs sous terrains, elle faisait ressentir l’humus de la forêt et la vie qui
fourmillait là où plongeaient les racines des grands arbres, elle glissait
lentement dans les profondeurs dans un infime grondement, tel l’éclat bruyant d’une
goutte d’eau s’échappant d’une stalactite. Et puis, doucement, il remonta pour
accompagner sa compagne du soir. Ses doigts, toujours plus souples, toujours
plus rapides, se conformaient aux murmures de la fille fée. Il remontait l’aven
du chant pour aboutir enfin dans les nuées, lui qui en était le Prince et, sans
même qu’il en fût réellement conscient, sa harpe appela les élémentaires ses
frères qui se mirent à danser une sarabande éternelle tandis que la Dame au
Corbeau faisait éclater l’acmé de sa chanson.
Maintenant,
doucement, elle retombait, elle qui venait d’atteindre la perfection. Alors, en
quelques délicats pincements, le Lucifuge redescendit avec elle, chassant la
nuée qui avait régné un temps dans cet espace fermé. Tout doucement, les
dernières notes s’envolèrent, pour laisser place, tendrement, aux plaisirs du
silence. Dernier frisson sur la harpe, dernier frisson de la poétesse, dernier
frisson de deux corps qui venaient d’atteindre, un instant, parfait, la
plénitude de la Création.
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