M est un petit garçon malade, seul dans un trop grand lit d’hôpital.
M, il ne connait que ça, la chambre, sa chambre, dont il ne peut pas sortir.
Pourtant, M, comme tous les petits garçons, il aimerait courir derrière un
ballon, grimper aux arbres et sortir découvrir le monde. Mais il ne peut pas, à
moins qu’il ne le veuille pas, par morgue, désillusion ou tout simplement parce
qu’il s’interdit de s’émerveiller de tout. Alors, M, le petit garçon qui a
grandi trop vite, singe savant qui fait la fierté de ses parents, il s’invente
un nouveau monde, dans le calme paisible des quatre murs de crépi blanc de sa
chambre. Enfant malingre, seul, déjà cynique, il s’approprie ce vaste monde qu’il
cherche à comprendre, il s’enfonce dans les jungles sauvages de mots qui n’ont
aucun sens pris un par un, tout ça pour aboutir sur de grandes images colorées
en papier glacé, monuments, animaux ou paysages, tout ça ne fait sens que dans
ces grands livres qui sentent le renfermé, l’encre et, étrangement, le sable
chaud. Tout comme la télé hertzienne qu’il capte, passant trop de temps dessus,
M se gave des images tout en couleur d’un monde si proche et pourtant si loin,
petit être fluet perfusé aux rayons cathodiques. Son monde, c’est celui de l’imagination,
débridée, comme seul un enfant peut encore en avoir une de nos jours. Il s’imagine
en Livingstone, Phileas Fogg ou Indiana Jones, traversant l’Afrique, l’Asie ou
l’Océanie, passant d’un howdah à un train enfumé ou un bateau dont la voile
blanche claquerait sous la caresse du vent. Découvrir mille et une
civilisations disparues ou non, en perpétuelles mouvement et, pourquoi pas, c’est
toujours plus simple dans les livres et les rêves non ?, trouver le grand
Amour, avec ce A majuscule. Pandora ou Aouda, ou quel que soit son nom, il l’imagine,
petite poupée indienne en Sari multicolore. Tandis que le crépuscule tombe et
que le soleil mourant, pour mieux revenir le lendemain, s’il revient,
embraserait le ciel de mille nuances de flammes, il l’embrasserait, tendrement,
d’un long baiser de cinéma…
M est grand maintenant. A-t-il changé ? A peine. Il est
toujours aussi malingre et fluet, et sa chambre d’enfant est devenue celle d’un
étudiant, même mur blanc, sans crépi cette fois-ci, plus de fenêtre cathodique,
mais un ordinateur Windows qui lui sert d’ouverture sur le si petit vaste monde.
M est étudiant, toujours aussi cynique et blasé qu’il l’était, enfant, pour se
protéger de ce monde d’adulte qu’il ne veut pas, qu’il ne peut pas, comprendre.
Il a trop vu d’horreurs, au vingt heures, pour encore avoir une once de pitié
pour cet univers où les humains s’émeuvent de la mort à 10 000 kilomètres
d’eux, mais ne voient même pas la misère qui se traîne sur le pas de leurs
portes. Rancœur, goût de gerbe dans le gorge, larmes de sang. Il ne peut rien
faire et il le sait, alors il est en colère contre lui-même, M se hait, et il n’a
qu’une envie, que M disparaisse. Pourtant, il joue le jeu, il essaie, composer,
tout le temps, écrire, vivre, chanter, faux, toujours faux, car il ne sait plus
(l’a-t-il jamais su ?) qui il a été, qui il est et qui il sera, demain,
quand le soleil sera revenu. Il n’est qu’un homme pressé qui aimerait, un
instant, retrouver le Soleil de son enfance, ce moment où il écoutait des
histoires de Jane et de Tarzan. Oui, il veut du Soleil…Mais même ça ne l’intéresse
pas en fait. Il a voyagé, Paris, Florence ou le Caire, il n’a vu ici-bas que
des masses informes de gens trop pressés, comme des citrons mûrs. Vendeurs ou
touristes, travailleurs ou photographes, personne ne prend plus vraiment le
temps, et toutes ces destinations de rêves ne sont bientôt que les mêmes images
prises par une petite boîte numérique, identique à celle de milliers de
millions de voyageurs exploitants à leur bénéfice la misère des autres. Il a vu
la pollution griser le ciel bleu de l’Egypte, il ne voit plus que l’indigence
crasse et pauvre de l’Humanité, pauvres ou riches, puissants ou faibles, tout n’est
qu’un dénuement de façade. Alors, il n’a plus qu’une envie, vomir, pour se
sentir vivre, jouer au con, car c’est la seule manière de savoir vivre. Colère
devient une arme, la seule arme qu’il veut manier. Il la macère dans son sein,
il la retourne sur sa langue comme un vin liquoreux, et puis, et puis il l’a
fait exploser, quand l’ébullition est à son comble. Il est un volcan toujours
en activité, M déteste tout mais aime encore plus, et ses passions, souffrantes
passions, l’entraine à de sonores déflagrations, le genre qui servent à le
motiver d’agir. Pour ne pas s’encroûter, pour ne pas rester sur le côté,
badaboum, et tout repart…En ne laissant que l’amertume des regrets.
M, il ne croit plus aux mots, il ne croit plus à ces termes,
Europe, Monde, globalisation, galvaudés et privés de sens. Alors M, quand il ne
devient pas fou, il se recrée un monde, le sien. M n’est pas dupe, il joue aux
durs, cyniques et blasés, mais il n’est qu’un petit enfant qui a toujours peur
du noir, ultime. Il a peur de s’engager, se dévoiler, vraiment, car la
faiblesse n’est pas pour la solitude du fort. Peur, terreur…Faire violence à soi-même,
c’est briser cette putain de frayeur qui le saisit à chaque fois que quelque
chose va mal, et qu’il doit s’engager…M ment, M se cache, M transforme. M
fourvoie et pourtant tout son petit monde le sait, car M pleure, tout seul, dans
ses nuits obscures. Amours devient colère, amitié folie, et tant pis pour le
rythme ternaire. Violent, pour ne pas être hypocrite et faux-cul comme cet
autre monde. Il est cruel M, surtout avec ceux qui l’aiment. Car la cruauté,
dans son petit monde plus qu’imaginaire, loin du monde des mots abâtardis des
biens pensants, c’est la seule manière qui a de protéger ceux qu’il aime…