« Grand-père est mort c’est cela ? »
La jeune fille qui vient de prononcer ces mots ne semble pas
choquée outre mesure, elle l’a dit d’une voix ferme, bien qu’un peu distante,
tout comme ses grands yeux bleus perdus dans le vague. Elle est habillée d’un
uniforme d’écolière strict, jupe longue et plissée bleue roi, chemisier blanc.
Elle se tient droite dans son fauteuil, tandis que sa main, petit doigt levé,
fait tourner une cuillère calmement dans une tasse de thé que Kanzaki a refusé.
Cette dernière pensait que la jeune fille avait du cran.
Depuis qu’elle était arrivée au pensionnat, la corpo avait glissé dans un monde
étranger, celui des gosses de riches aux manières bien policées. Gazon taillé
coupé ras, arbustes taillés avec grâce, et le gravier disposé harmonieusement
devant le grand perron annonçait la couleur, surtout avec cette grande bâtisse,
presque un palais, de stuc et de marbre. Mais il ne fallait pas s’y méprendre,
même si l’on pouvait avoir l’impression d’être revenu au XIXème, Kanzaki avait
pu remarquer dans les déambulations que son hôtesse, une femme en tailleur
stricte noir qui s’était présentée comme la sous directrice de l’Institut
Bancraft, lui avait faites faire au travers de la maison tous les indices d’une
sécurité optimales. Guérite de gardes à l’entrée, cyberchiens en vadrouille,
bien que les molosses de métal avaient gagnés quelques mètres de synthépeau pour
faire plus vrai. Les gardiens eux même étaient du genre costard cravate noire
et lunettes fumées. En professionnelle, elle avait pu apprécier leur prévenance
courtoise bien que stricte dans les protocoles de sécurité. Dans les longs
couloirs où ses chaussures s’enfonçaient dans des tapis richement ornés qui
offraient un aspect feutré et calme, sans compter les boiseries et les
tapisseries luxueuses, Kanzaki avait pu voir aussi des caméras, discrètes, et
elle aurait parié que les fenêtres à croisillons étaient en verre blindé.
La sous directrice avait conduit la jeune femme dans un
salon victorien des plus classiques, ou l’attendait une toute jeune fille, même
dix-huit ans. La même qui venait de parler, après avoir servi un thé que
Kanzaki avait poliment déclinée. Sobre et efficace, telle était sa devise, elle
n’avait pas à frayer avec ses employeurs. Toutefois, elle allait de surprises
en surprise, il était de notoriété publique Monsieur Cartledger n’avait pas
d’héritier, sa bru et son fils étant décédé dans un « accident ». La
corpo ne pouvait que conjecturer sur les probabilités. Les miracles de la
génétique auraient pu permettre l’éclosion d’un bébé éprouvette qu’elle avait
maintenant devant les yeux. Mais il fallait qu’elle vérifie les dates pour
étayer ses suppositions, étant donné qu’elle ne pouvait rien demander. La jeune
fille continuait de touiller son thé, sans même sembler attendre une réponse.
Kanzaki répondit quand même :
« Monsieur Cartledger…Est très malade. Mais à mon
départ de Néo-Tokyo, il n’était pas encore… »
« Mort ? Dites-le, vous ne me choquerez pas »
elle passa une main dans ses cheveux auburn, révélant un petit arc de métal,
demi-cercle parfait sur son front. Elle était déjà câblée, une console dans son
crâne. Pas étonnant qu’elle semble si éloignée, elle avait même dû calculer les
pensées probables de Kanzaki. Un demi-sourire sur son visage un peu rond, même
ça elle s’en doutait.
« Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave. Grand-père
ne vous aurez pas envoyé si ce n’était pas la fin. » Une pause
« Quand partons nous ? »
« Je…Heu »
« Ne vous inquiétez pas. Les formulaires administratifs
ne poseront pas de problèmes. Les joies d’appartenir à une certaine
élite » la gamine disait cela dans un sourire, presque complice avec son
employée, elle semblait bien loin de ce monde, malgré son costume sage. Sa voix
était chaleureuse, même si en même temps ses pensées semblaient si lointaines.
« Quant à mes bagages, ils sont déjà prêts. Il me
semble que les mesures qui s’imposent sont d’aller vites Mademoiselle
Kanzaki. »
La jeune femme acquiesça, ses ordres étaient de rentrer le
plus vite possible. Mais comment une si jeune fille, perdue dans un patelin
aussi paumé pouvait elle être aussi sûre d'elle, et avoir envie de se jeter dans une mare aux requins ?
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